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Le budget 1994-1995 · Le Québec est-il distinct?



André Blais
Université de Montréal

François Vaillancourt
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : Le budget



Le budget déposé par le ministre des Finances Jean Campeau le 23 mars 1995 fait apparaître certains traits particuliers au Québec. Même si dans l'ensemble il a été plutôt mai reçu, ce budget avait au moins le mérite de prendre au sérieux la question du déficit.

Le budget du gouvernement du Québec comprend une prévision des dépenses et des revenus au cours de l'année fiscale débutant le 1er avril et se terminant le 31 mars. La prévision des dépenses a été présentée dans le budget des crédits, déposé le 23 mars 1995, et celle des revenus a été annoncée dans le discours du budget, prononcé le 9 mai 1995. Le discours du budget indique également certaines modifications aux prévisions initiales des dépenses.

Nous examinons dans un premier temps les grandes orientations budgétaires du gouvernement québécois, en les comparant à celles des gouvernements des autres provinces canadiennes. Nous nous penchons ensuite sur les principaux changements annoncés cette année et passons en revue les réactions qu'ils ont suscitées.



Les orientations budgétaires

Première question intéressante: le gouvernement du Québec dépense-t-il plus ou moins que le gouvernement des autres provinces? Pour faire des comparaisons interprovinciales, il faut considérer le budget combiné des gouvernements provinciaux et locaux puisque certaines fonctions prises en charge par le gouvernement du Québec relèvent des autorités locales dans d'autres provinces. De même, il faut exclure les dépenses et revenus du Régime de rentes du Québec, puisqu'ils apparaissent au budget du gouvernement fédéral ailleurs au Canada.

Le tableau 1 présente les informations pertinentes. Les dépenses totales du gouvernement provincial et des gouvernements locaux au Québec s'élèvent à plus de 50 milliards en 1994, soit 6900$ par habitant, et correspondent à 30% du PIB. En termes de dépenses par habitant, le Québec se situe au cinquième rang, légèrement sous la moyenne canadienne. En 1990 (voir notre texte dans L'année politique au Québec, 1991, le Québec était au troisième rang, au-dessus de la moyenne. Par rapport au PIB, le Québec vient au septième rang (comme en 1990) mais se retrouve légèrement au-dessus de la moyenne. Par ailleurs, le déficit totalise près de 6 milliards, soit près de 900$ par habitant et presque 4% du PIB. Le Québec arrive au deuxième rang pour ce qui est de l'ampleur relative de son déficit. Il est devancé par l'Ontario, qui a remplacé la Saskatchewan au palmarès des déficits.




Les postes budgétaires les plus importants sont la santé et l'éducation, qui accaparent, pour chacun, environ 20% des dépenses totales (tableau 2). Le Québec arrive au huitième rang pour ce qui est de la part consacrée à la santé (il était au dernier rang en 1990) et au cinquième rang en ce qui concerne l'éducation (comparativement au sixième rang en 1990). C'est cependant dans le domaine des services sociaux et des services généraux et de protection que le Québec dépense proportionnellement le plus (c'était aussi le cas en 1990).




Par ailleurs, la principale source de recettes propres est l'impôt sur le revenu des particuliers, qui fournit près du tiers des revenus, suivie des impôts fonciers (tableau 3). Le Québec se distingue de toutes les autres provinces par la place considérable de l'impôt sur le revenu des particuliers, qui s'explique en grande partie par l'utilisation de cet impôt comme instrument de transferts fédéraux pour le Québec, et par celle des taxes sur la masse salariale, ainsi que par la maigre part des impôts sur le revenu des sociétés et d'autres types de revenus.




Le Québec est-il distinct au niveau des grandes orientations budgétaires? La réponse est: oui à certains égards et non à d'autres. Le Québec se démarque nettement des autres provinces sur le plan fiscal, mais cela s'explique d'abord par les arrangements spéciaux que le gouvernement fédéral a établis avec le gouvernement du Québec au niveau des transferts. Au niveau des dépenses totales, le Québec se retrouve légèrement au-dessus de la moyenne et il ne se distingue pas très fortement pour ce qui est de la ventilation des dépenses.




Le budget 1995

Les dépenses. Le gouvernement du Québec prévoit des dépenses totales de 42,4 milliards de dollars pour l'année fiscale 1995-1996, une augmentation de seulement 0,7% par rapport à l'année précédente, inférieure au taux prévu d'inflation (2,0%). Les dépenses représentent 24,1% du PIB québécois.

Le tableau 4 indique la répartition prévue des dépenses par ministère et organisme pour la prochaine année fiscale ainsi que celle des quatre années précédentes. Ce sont les ministères des Finances et de l'Industrie, Commerce et Technologie qui voient leur part du budget augmenter le plus fortement. La hausse des crédits alloués au ministère des Finances découle de l'augmentation du service de la dette et du fonds de suppléance. Le gouvernement se réserve des fonds de 168 millions de dollars pour pourvoir à des dépenses imprévues. Dans le cas du ministère de l'Industrie, il s'agit d'une hausse des dépenses prévues mais les crédits alloués sont à la baisse. C'est que ce ministère n'a dépensé, en 1994-1995, que 440 millions sur les 535 qui lui étaient alloués.




Par ailleurs, les coupes les plus substantielles surviennent aux ministères des Ressources naturelles et de la Sécurité du revenu et Condition féminine. La baisse du budget du ministère des Ressources naturelles ne fait que maintenir une tendance continue depuis cinq ans. Cette année, le gouvernement du Québec met fin à son assistance directe à l'industrie de l'amiante et réduit ses interventions dans le domaine de l'aménagement forestier. Pour ce qui est du ministère de la Sécurité du revenu, les coupes les plus importantes proviennent de compressions dans les ressources informatiques.

Le discours du budget annonce un certain nombre de mesures additionnelles. Les plus importantes pour ce qui est de leur impact financier sont d'ordre comptable. Les dépenses de nature «capital» du gouvernement seront dorénavant capitalisées et amorties sur leur vie utile et les garanties de prêts seront assorties de provisions pour pertes. Ces mesures équivalent à des diminutions de dépenses de 142 millions de dollars cette année et de 230 millions l'an prochain. Le ministre a également annoncé qu'il consacrait une somme additionnelle de 20 millions de dollars aux activités de vérification et de perception du ministère du Revenu.

Les revenus. Le budget prévoit des revenus de 38,4 milliards de dollars et donc un déficit de 4,0 milliards, en baisse par rapport au déficit de 1994-1995, qui s'élevait à 5,7 milliards. Le déficit représentera 2,3% du PIB en 1995-1996, comparativement à 3,4% en 1994-1995.

Les transferts du gouvernement fédéral totaliseront 7,6 milliards de dollars, une augmentation de 0,9% par rapport à l'année passée; ils correspondent à 19,8% de l'ensemble des revenus du gouvernement québécois.

Pour ce qui est des revenus autonomes, on constate la hausse des recettes provenant des cotisations au Fonds des services de santé et de l'impôt des sociétés. (Tableau 5) Cela découle de la hausse de la taxe sur le capital, qui est portée de 0,56% à 0,64%, et de la contribution des employeurs au Fonds des services de santé, dont le taux change de 3,75% à 4,26%. Cette mesure procurera des recettes additionnelles d'environ 500 millions de dollars au gouvernement.




On observe par ailleurs que la part des recettes provenant de la taxe de vente au détail est appelée à diminuer cette année. Cette diminution résulte en partie de la suppression des restrictions d'un remboursement de la taxe sur les intrants ou d'un remboursement partiel de la TVQ pour des produits comme l'électricité et le gaz et en partie de l'uniformisation du taux de la taxe, annoncée dans le budget de l'an dernier.




Les réactions

Les réactions au budget ont été plutôt négatives. Le premier reproche que l'on fait au ministre des Finances c'est d'avoir reporté à plus tard les décisions difficiles. Cette critique constitue le thème principal de l'éditorial de Jean-Robert Sansfaçon, intitulé «Référendum et procrastination».

Les éditorialistes se sont également élevés contre la déclaration du ministre des Finances selon laquelle il faudra hausser la taxe de vente de 6,5% à 7,5% pour contrer les réductions des transferts fédéraux, si le Québec reste dans le Canada.

Les objections ont été de deux ordres. D'une part, on conteste les chiffres invoqués par le ministre. Alain Dubuc fait remarquer que ces chiffres reposent sur l'hypothèse que les transferts seraient dorénavant répartis en fonction de la population des provinces, hypothèse explicitement rejetée par le ministre Martin, et que les conséquences pour le Québec seront beaucoup moins dramatiques que ne le prétend M. Campeau. D'autre part, Gilles Lesage, en particulier, s'en prend à la stratégie qui consiste à menacer les Québécois d'une hausse de taxe s'ils sont assez (4nonos» pour dire NON au référendum.

Ces critiques ont rejeté quelque peu dans l'ombre les aspects du budget qui ont été jugés plus positifs. Alain Dubuc a félicité le gouvernement d'avoir pris au sérieux la question du déficit et d'avoir ramené celui-ci sous la barre des quatre milliards ainsi que d'avoir procédé à la fusion de la TPS et de la TVQ.