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L'administration publique · Une autre façon de gouverner



Jacques Bourgeault
UQAM

James Ian Gow
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : L'administration publique



L'arrivée d'un nouveau gouvernement a forcément entraîné de nombreux changements dans l'administration publique. Mais, absorbé par son référendum en 1995, le gouvernement n'a consacré qu'une part de son énergie à prendre en main l'administration.

Le gouvernement du Parti québécois qui a pris le pouvoir le 25 septembre 1995 avait créé des attentes élevées avec son slogan électoral, «l'autre façon de gouverner ». Les gouvernements péquistes précédents s'étaient distingués par une lutte au favoritisme dans l'attribution des contrats et par un interventionnisme dans plusieurs domaines de l'administration publique, notamment la réforme de la fonction publique, le contrôle des dépenses publiques et la décentralisation. En 1994-1995, le gouvernement de Jacques Parizeau avait comme priorité la préparation du référendum sur la souveraineté, mais en attendant, il fallait assurer le pouvoir. Nous verrons à tour de rôle la question des politiques administratives, la transition au sein de la haute fonction publique et la situation des fonctionnaires de tous les niveaux et enfin les problèmes révélés dans plusieurs secteurs décentralisés.



La prise du pouvoir

Au lendemain des élections, M. Parizeau entreprend la formation de son gouvernement et la transition de l'ancien gouvernement au nouveau. Pour diriger l'administration, il persuade Louis Bernard de reprendre jusqu'à la tenue du référendum sur la souveraineté le poste de Secrétaire général du gouvernement, qu'il a occupé de 1978 à 1985.

Deux autres points concernant les services au premier ministre méritent une mention. D'une part, les déboires des deux premières titulaires le poussent à assumer la charge de ministre de la Culture du début de février jusqu'au début d'août. Son premier choix, Marie Malavoy, doit démissionner au mois de novembre lorsque des journalistes apprennent qu'elle a voté illégalement lors du référendum de 1980 et dans plusieurs élections canadiennes et québécoises depuis lors, n'étant pas citoyenne canadienne. La seconde, Me Rita Dionne-Marsolais, est contrainte de démissionner à la fin de janvier, comme on le verra plus loin, en raison d'erreurs de jugement embarrassantes pour le gouvernement. D'autre part, le premier ministre innove en nommant sa femme, Lisette Lapointe, conseillère auprès de lui. Elle n'est pas payée, c'est lui qui partage son salaire avec elle, mais les frais de fonctionnement de son bureau émargent au budget du Bureau du premier ministre. C'est une nomination controversée, que certains voient comme un progrès pour les femmes et d'autres comme une source d'influence ambiguë dans l'entourage de M. Parizeau.

Pour la première année, le premier ministre touchera peu aux structures administratives. Là où Daniel Johnson avait réduit le nombre de ministères de 28 à 21, M. Parizeau en réduit le nombre encore à 18. Le gouvernement semble vouloir pousser cette tendance plus loin en réduisant le nombre d'organismes autonomes. C'est ainsi que les commissions des Droits de la personne et de Protection de la jeunesse ont été fusionnées, et qu'il y a un projet semblable pour la Bibliothèque et les Archives nationales du Québec.




Une politique de gestion par résultats

Sur le plan des structures, une vraie innovation est amorcée sur une base expérimentale avec la création de trois Centres de services autonomes. À l'instar du gouvernement fédéral et de plusieurs gouvernements de pays développés, le Conseil du trésor introduit une politique de gestion par résultats centrée sur la création d'organismes qui seront relativement autonomes au sein de leurs ministères respectifs, mais redevables devant le Conseil pour l'atteinte d'objectifs négociés avec lui. Les centres ne sont pas des organismes parfaitement décentralisés, car ils restent assujettis au cadre juridique applicable à leur ministère et leurs fonctionnaires sont toujours membres de la fonction publique. Les trois premiers services sont la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances, la Direction générale de la perception du ministère du Revenu, ainsi que les services aériens du gouvernement et ceux de courrier et messageries au secrétariat du Conseil du trésor. Le Conseil s'attend à ce que d'autres ministères en proposent parmi leurs unités constituantes pour devenir des Centres de services autonomes.

Au Conseil du trésor, sous la ministre Pauline Marois, une nouvelle politique de responsabilisation des ministères est introduite: les enveloppes globales fermées. Désormais, les ministères se feront attribuer un budget pour l'année à venir sans crainte de le voir réduit en cours d'exercice, comme cela avait été le cas plusieurs fois ces dernières années. Afin d'obtenir une croissance zéro pour le budget de dépenses de 1995-1996, les ministères se sont vu imposer des coupes qui pourront aller jusqu'à 17,5% sur trois ans. Par contre, ils seront simultanément libérés de plusieurs contrôles exercés par le Conseil du trésor, en vertu de la politique de déréglementation des organismes centraux. Ils sont incités à réaménager l'ensemble de leur budget afin d'innover, plutôt que de demander de nouvelles ressources auprès du Conseil.

Dans un contexte où il ne pouvait consentir de meilleurs traitements aux employés, le gouvernement a opté pour une nouvelle façon de s'associer aux employés dans la conduite du travail. Le 19 décembre 1994, Mme Marois a signé une entente avec sept syndicats de la fonction publique pour l'étude conjointe de l'organisation du travail dans la fonction publique. L'entente prévoit la création d'un comité sectoriel et de comités ministériels où sont représentés le gouvernement, les cadres supérieurs et les syndicats de fonctionnaires. Le comité sectoriel se réserve des questions d'intérêt général, telles que la structure des tâches, la classification des emplois, l'organisation des carrières et la précarité, la dotation des emplois et la durée et l'aménagement du temps de travail. Au niveau ministériel, on peut discuter de tout ce qui n'est pas du ressort du comité sectoriel, notamment de l'aménagement du temps de travail, de la sous-traitance et de la structure hiérarchique. Une décision par consensus au sein de l'un des comités est considérée comme un amendement soit à la politique gouvernementale soit à la convention collective appropriée. On jugera à l'usage, mais c'est une première dans les relations de travail dans la fonction publique au Québec.




Changements sans trop de dérapages

La fonction publique québécoise a vécu une année de profonds changements. Depuis 1970, un mouvement qui s'est accentué continuellement fait que les gouvernements offrent les postes discrétionnaires aux amis du parti quitte même à congédier brutalement lorsqu'ils arrivent au pouvoir... les amis du parti ennemi! I2extrême vigilance manifestée par les péquistes en 1993 et 1994 à cet égard avait fait craindre l'amplification du mouvement et les rumeurs ont alimenté sans cesse la chronique en 19941995.

En fait, les péquistes auront remplacé en une année à peu près la même proportion de sous-ministres que l'avaient fait les libéraux en 1985: cependant ils ont agi beaucoup plus tôt, ils ont frappé surtout du côté des hauts fonctionnaires identifiés aux libéraux - tandis qu'en 1985 on avait libéré autant de postes que la machine partisane l'exigeait - et les péquistes ont nommé une moins grande proportion de personnes identifiées à leur parti que les libéraux.

Chez les sous-ministres associés et adjoints, on observe un plus faible taux de changements, moins de nominations partisanes qu'entre 1985 et 1995 mais une forte concentration de celles-ci au Conseil exécutif. Là où le taux de nominations partisanes est le plus élevé, c'est dans le réseau des délégations du Québec à travers le Canada et le monde: l'importance de bien transmettre le message souverainiste semble justifier un tel mouvement.

De très nombreux changements se produisent chez les plus hauts dirigeants (à temps complet) des organismes: le haut taux de libéraux qui s'y trouvaient, l'autonomie de gestion et les salaires élevés attisent la convoitise des amis du régime et l'attention du pouvoir de nomination. Certains libéraux plus débrouillards ont déjà prévu le coup, faisant renouveler avant son échéance leur contrat alors que d'autres se feront octroyer des clauses parapluie qui leur permettent de réclamer des fonds publics une indemnité de départ allant jusqu'à 2 millions (cas Desjardins).

En somme le mouvement habituel se poursuit, avec moins d'ampleur dans les ministères mais plus dans les délégations.




Les réductions d'effectifs

En décembre 1994 le gouvernement du Québec, dans un effort pour rétablir la paix sociale avec les syndicats et créer un climat de confiance mutuelle, a introduit à l'Assemblée nationale un projet de loi visant à abroger toutes les dispositions de la loi 198 portant sur la réduction triennale des effectifs cadres de 20% et des autres effectifs de 12%.

Seules demeurent en vigueur les dispositions de cette loi qui visaient à établir les principes de l'imputabilité parlementaire des hauts fonctionnaires pour les matières administratives qui sont de leur ressort. Malgré le caractère vague de ces dispositions, l'expérience de la reddition de comptes aux députés des commissions parlementaires a été entreprise dès le printemps 1995 et de l'avis des hauts fonctionnaires consultés, les trois premiers exercices menés (notamment avec le secrétaire du Conseil du trésor) se sont avérés très positifs.

En matière de structures administratives on n'a observé que peu de changements formels: les trois comités de développement sectoriel du Conseil exécutif ont été abolis à l'occasion de l'assermentation des ministres péquistes en novembre 1994; quelques ministères d'État ont été créés et deux nouveaux secrétariats dont un devrait se charger des études préparatoires à l'accession du Québec à la souveraineté. Un projet de loi présenté au printemps 1995 a entrepris de fusionner la Commission de la protection de la jeunesse au sein de la Commissions des droits de la personne.

En fait c'est surtout de manière indirecte que les réductions de structures et d'effectifs ont lieu: à l'occasion de la présentation des crédits, des enveloppes réduites sont affectées à chacun des ministères et ceux-ci doivent financer leurs coûts supplémentaires et leurs projets nouveaux à même ces enveloppes, de sorte que des compressions sont effectuées à certains endroits, comme ce fut le cas à l'Office de protection du consommateur et dans le réseau de la santé: dans certains cas les compressions sont telles qu'elles provoquent des abolitions d'organismes (santé) ou des modifications très sensibles de mandats.




Les fonctionnaires fédéraux de nationalité québécoise»

À l'occasion de l'assermentation de son cabinet et du discours du trône, le gouvernement Parizeau a réitéré aux fonctionnaires fédéraux l'offre qu'il leur avait faite pendant la campagne électorale: advenant l'accession du Québec à la souveraineté, les fonctionnaires fédéraux désirant demeurer au Québec et travailler pour le gouvernement seraient intégrés à la fonction publique québécoise avec leurs droits acquis.

Cette promesse semblait surprenante à certains égards compte tenu des suppressions de postes dans les secteurs publics, de la fin de la duplication des rôles et des difficultés d'agencer dans un même statut, sans brimer les droits de quiconque, deux familles de régimes statutaire assez différents. En août 1995, M. Parizeau assortissait son offre d'un programme d'intégration progressive impliquant des mises à la retraite anticipées et l'attrition normale, en plus d'ouvrir la porte à des rachats de statut.




Les hauts et les bas de la décentralisation

Le Parti québécois s'inscrit depuis longtemps parmi les partisans de la décentralisation. Depuis la Commission Bélanger-Campeau en 1990-1991, l'idée du ~(Québec des régions» est étroitement associée à celle de la souveraineté du Québec. Cependant, il est difficile pour un gouvernement activiste comme le PQ de rester à l'écart quand le secteur décentralisé déçoit. Les quatre domaines qui suivent, soit l'éducation, la santé, la culture et l'hydroélectricité, révèlent l'ambiguïté des relations entre les organismes décentralisés et les responsables ministériels de ces secteurs.


Éducation

C'est sans doute le ministre de l'Éducation, Jean Garon, qui s'accommode le moins bien de la nécessaire collaboration qui le lie aux instances décentralisées de son secteur. M. Garon s'est attiré des louanges lorsqu'au début de son mandat, il a pris la défense des écoles de village condamnées pour des raisons d'économie. En décembre, il a fait adopter au Conseil des ministres un décret autorisant une «école du ministre» au village de Lefebvre, près de Drummondville. L'école aurait 46 élèves et trois enseignantes qui, elles, gagnent 10 000 $ de moins que des enseignantes syndiquées dans une commission scolaire. La commission scolaire et les syndicats d'enseignants en sont déroutés. La première dit recevoir un double message: réalisez des économies, mais gardez ouverte les petites écoles. Quant aux seconds, à la fin de juin, un groupe de syndicats, dont la CEQ, ont déposé une requête en Cour supérieure pour faire déclarer cette école illégale parce que contraire à la Loi de l'instruction publique et au Code municipal (la municipalité étant propriétaire de l'école et assurant les services administratifs).

En janvier, M. Garon critique de façon virulente les commissions scolaires qui, dit-il, manquent de légitimité démocratique, étant donné les faibles taux de participation des citoyens aux élections scolaires. Il nomme le juge Richard Beaulieu à la tête d'une commission d'enquête sur les élections scolaires. Après ses premières semaines de consultation, le juge Beaulieu déclare aux journalistes que le consensus se fait sur le maintien des commissions scolaires, mais aussi sur la nécessité d'améliorer le fonctionnement des élections scolaires.

Le ministre Garon veut depuis longtemps une université dans son comté, à Lévis. Une fois en poste, il se prononce contre les universités existantes, qu'il juge trop grandes, et en faveur d'une compétition accrue entre de plus petites universités. C'est l'Université du Québec à Rimouski qui risque d'en faire les frais car, en plus de maintenir un campus à Lévis, près de la moitié de sa clientèle provient de Rivière-du-Loup et de la région entre cette ville et Lévis. En guise de protestation, le 15 mai, le recteur de l'UQAR, Marc-André Dionne, démissionne trois ans avant la fin de son mandat. Une coalition de défense de l'UQAR s'est par la suite formée, réunissant de nombreux organismes et personnalités du monde de l'éducation et des municipalités de l'est du Québec. La volonté du ministre prévaudra aussi dans les dossiers de la localisation de FINRS et de la création d'un cégep francophone dans l'ouest de l'île de Montréal.

À la toute fin de la session parlementaire, le ministre, sans consultation préalable, fait adopter le projet de loi 95, obligeant les universités à divulguer les traitements de leurs hauts dirigeants. À la suggestion du député libéral Henri-François Gautrin, il y fait ajouter une obligation pour chaque université de déposer devant l'Assemblée nationale, un rapport annuel «de performance», portant sur le taux d'attribution des diplômes, la durée des études, l'encadrement des étudiants et la recherche. Dans Le Devoir du 24 juin 1995, Lise Bissonnette critique cette «mesure autoritaire unique en Amérique du Nord», y voyant la revanche du ministre pour le refus des recteurs d'université d'appuyer la création d'une université à Lévis.

Enfin, depuis le mois d'avril, le gouvernement a mis en marche des états généraux de l'éducation, sous la présidence de Robert Bisaillon et de Lucie Dumais. Ils ont procédé à des consultations au printemps, en vue de préparer un document de consultation pour la phase de consultation à l'automne de 1995. (Voir aussi dans ce livre l'article de Paul Cauchon.)


Santé

Dans le cas de la santé, la situation se présente autrement. Ici, à l'origine des événements, il y a l'impératif de réduire les dépenses et le désir de changer la politique hospitalière. D'une part, le gouvernement annonce des coupes de 8,8% dans les dépenses de la santé au cours des prochaines trois années. D'autre part, le ministre Jean Rochon veut installer le «virage ambulatoire» qui vise à réduire le temps d'hospitalisation des malades et qui compte diriger davantage de clients vers les CLSC.

Au coeur de l'opération, il y a la décision de fermer des hôpitaux, plutôt que de réduire partout. Ce travail incombe aux régies régionales de la santé et des services sociaux. C'est à Montréal que les décisions sont les plus dramatiques. Au terme de deux brèves consultations du milieu, la Régie propose au gouvernement la fermeture de neuf hôpitaux dans la région ainsi qu'un changement de vocation pour deux autres. Le 13 juillet, le ministre Rochon décide de l'abolition sur les deux prochaines années de sept petits hôpitaux, ainsi que de la transformation de deux autres aux soins de longue durée. À Québec, il décide de transformer quatre hôpitaux en unités de soins prolongés. En tout au Québec, il est proposé de fermer 2500 lits de courte durée. Selon les chiffres du gouvernement, même après ces coupes, le Québec aura toujours plus de lits par 100 000 habitants que l'Ontario, la Colombie-Britannique ou l'Alberta.

Ces décisions provoquent des protestations des milieux syndicaux et aussi chez les directeurs d'hôpitaux qui incitent la Régie à annoncer des plans de redéploiement et poussent le ministre à promettre à la population qu'on ne fermera pas de lits avant d'avoir mis en place des services alternatifs. Devant tous ces chambardements il reporte d'un an les élections aux conseils d'administration du réseau de la santé et des services sociaux, qui devaient avoir lieu à l'automne de 1995. (Voir aussi dans ce livre l'article d'Isabelle Paré.)


Culture

Dans ce cas, c'est la décentralisation technique qui est en question. Le gouvernement libéral avait laissé en place deux instruments de financement des arts et des entreprises culturelles. Le Conseil des arts et des lettres du Québec était en fonction depuis un an, tandis que la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) n'avait pas encore été mise en place. Ces deux organismes devaient distribuer subventions et investissements sans l'intervention directe du ministère des Affaires culturelles.

Or, parmi les raisons du départ hâtif de la ministre Rita Dionne-Marsolais, il y avait une entrevue dans laquelle elle mettait en doute le système d'attribution de subventions aux artistes et aux entreprises culturelles basé sur l'évaluation des pairs. Elle y voyait le danger de conflits d'intérêts, puisque certains artistes décidaient des subventions qui iraient à d'autres. Cette déclaration a été très mal reçue par le milieu culturel, qui craignait une «repolitisation» de la culture. En assumant lui-même le portefeuille de la culture, le premier ministre indiquait que l'une de ses priorités allait être de rétablir le dialogue avec les milieux artistiques. En délaissant cette fonction au début d'août, il se félicite d'avoir procédé à la mise sur pied de la SODEC.

I2autre dossier qui a précipité le départ de Me Dionne-Marsolais était celui de Radio-Québec. À l'automne de 1994, elle demande à la présidente de l'organisme, Françoise Bertrand, dont le mandat avait été renouvelé récemment par le gouvernement libéral, de préparer un nouveau plan de développement. En même temps, M-, Bertrand se fait demander par Lisette Lapointe, conseillère du premier ministre et par Monique Simard, vice-présidente du Parti québécois, d'étendre la couverture régionale de Radio-Québec, en couvrant notamment les commissions régionales sur l'avenir du Québec mise sur pied pour la consultation préréférendaire.

Madame Bertrand est contrainte de démissionner au mois de janvier. Elle est remplacée par Raymond Brasseur, qui avait contribué financièrement à la campagne électorale de Rita Dionne-Marsolais. M. Brasseur est aussitôt l'objet de commentaires dans les journaux à propos d'un procès concernant des sociétés en commandite au réseau TVA où M. Brasseur avait eu une longue carrière. Ce dernier n'est pas accusé, mais les commentaires dans les médias le poussent à démissionner une semaine seulement après sa nomination. Ici encore, le milieu émet des réserves sur la politisation possible du seul poste de télévision relevant du gouvernement du Québec.

En avril, M. Parizeau nomme Jean Fortier président de Radio-Québec. Celui-ci préside déjà un groupe de travail sur la mission de la société. Tout en promettant l'indépendance politique de Radio-Québec, M. Fortier indique déjà ses préférences en ce qui concerne la mission de celle-ci. Elle devra d'une part revenir à sa vocation éducative, mais devra aussi transmettre les nouvelles régionales et locales. Pour ce faire, il espère faire augmenter son budget, qui vient pourtant d'être amputé de 20% (15 millions $). Son plan de réorganisation prévoit l'abandon au secteur privé de toute production d'émissions, ce qui laisse entrevoir une réduction de plus de la moitié des effectifs de Radio-Québec.


Hydro-Québec

Avec la Caisse de dépôts et de placements, Hydro-Québec est l'une des grandes sociétés de l'État québécois. Elle est autonome sur le plan de la gestion, mais elle est trop importante, financièrement et politiquement, pour vivre en toute autonomie du gouvernement.

Déjà au mois de novembre, le premier ministre annonce la mise en veilleuse du projet de développement de Grande-Baleine, parce qu'Hydro-Québec possède des surplus de production importants qui rendent inutile ce projet controversé. En janvier 1995, le gouvernement introduit une législation destiné à restructurer les postes dirigeants d'Hydro-Québec. Après une époque bien particulière de partage des rôles, on revient à la distinction président du conseil d'administration et président-directeur-général. Au mois de mars, M. Parizeau nomme Yvon Martineau, avocat et conseiller au bureau du premier ministre, au nouveau poste de président du conseil. L'opposition critique cette nomination d'un partisan de la souveraineté à ce poste, et rappelle que M. Parizeau, comme chef de l'opposition, s'était opposé à ce que le président d'Hydro s'engage dans le débat constitutionnel. Le PDG Richard Drouin, nommé par l'ancien gouvernement annonce qu'il quittera son poste le 1er septembre, deux ans avant la fin de son mandat.

Au mois de mars, le ministre Gendron refuse la demande d'Hydro-Québec d'une hausse du tarif domestique, affirmant en cette occasion qu'Hydro-Québec doit faire des compressions, tout comme le font les ministères et organismes du gouvernement.

Au printemps, surgissent des allégations de scandales impliquant Hydro-Québec et l'ancien gouvernement libéral. Les journalistes apprennent qu'Hydro a près de 100 contrats d'achat d'électricité avec des producteurs privés. Ces contrats coûtent cher à la société d'État, car le prix d'achat est supérieur au prix de revente d'Hydro-Québec, même deux fois supérieur au prix d'écoulement des surplus d'énergie aux États-Unis. Bien que cette politique d'achat auprès de petites centrales privées remonte à 1987, pas moins de 50 contrats furent signés en 15 jours en décembre 1993, à la veille du départ de Me Lise Bacon, alors ministre de l'Énergie et des Ressources. Le ministre Gendron déclare d'abord un moratoire sur tout nouveau contrat d'achat d'électricité. Ensuite, le 8 juin, il annonce la création d'une commission d'enquête, présidée par le juge François Doyon pour évaluer l'opportunité du programme d'achat auprès des producteurs privés, ainsi que sa conformité aux lois, aux règlements, à l'éthique et aux pratiques de bonne gestion. Son rapport est attendu pour la fin de décembre 1995.

À la fin du mois de juin, le ministre des Affaires municipales, Guy Chevrette, a publié un livre vert sur la décentralisation invitant la population à discuter de tous les aspects de la décentralisation dans un Québec souverain. Le Parti québécois croit à la décentralisation, mais sa ferveur n'est pas sans limites. Face aux personnes qui réclamaient un statut constitutionnel pour les régions, des instances supérieures du parti e ' t la Commission sur l'avenir du Québec ont hésité. Les cas présentés ci-dessus donnent des exemples de la tentation qui pousse un gouvernement ambitieux à s'immiscer dans des champs d'activité qui sont en principe réservés à des instances décentralisées.

Une autre façon de gouverner? Oui et non. Dans cette année préréfèrendaire, les énergies et l'attention des ténors du gouvernement n'ont été que partiellement disponibles pour prendre en main l'administration et lancer de nouvelles initiatives. De plus, le contexte financier réduit la marge de manoeuvre du gouvernement. Néanmoins, celui-ci réussit à lancer plusieurs initiatives, dont la responsabilisation des ministères, les centres de services autonomes et les comités conjoints sur l'organisation du travail. Au sein de la haute fonction publique, il y a certes des déplacements de personnes et l'installation des gens du premier ministre, mais il n'y a rien là d'exceptionnel, s'il n'y a rien de nouveau non plus. Quant à la fonction publique de carrière, elle continue son chemin à peu près dans les mêmes conditions qu'auparavant. Enfin, dans divers secteurs décentralisés, des tensions ont été observées qui peuvent indiquer les limites à la volonté décentralisatrice du gouvernement.