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Demandes sociales et action collective · Que faire en temps de crise?



Pierre HAMEL
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : Les mouvements sociaux



En créant le Secrétariat d'État à l'action communautaire, le gouvernement du Parti québécois croyait bien répondre aux attentes des organismes communautaires. Mais les choses ne sont pas si simples, le désaccord s'est vite manifesté tandis que le milieu communautaire se mobilisait sur un nouveau front: la lutte aux plans de Lloyd Axworthy.

En 1994-1995, le fond de scène de l'action collective du milieu communautaire et des mouvements sociaux est demeuré la crise des finances publiques. Il est indéniable que les déficits accumulés ont forcément réduit la marge de manoeuvre des gouvernements. Il en est résulté une diminution réelle des dépenses dans plusieurs secteurs. En particulier dans les domaines de la santé, des affaires sociales et de l'éducation, les conséquences négatives des restrictions et des coupes pour les clientèles prestataires des services sont de plus en plus directes, contribuant au phénomène de l'accroissement des inégalités sociales.

En ce sens, le discours technocratique et politique sur la rationalisation de la gestion publique, qui découle de cette crise fiscale, provoque une incertitude sans précédent non seulement dans les rangs des fonctionnaires mais aussi auprès de la population en général et de divers groupes sociaux, y compris le milieu communautaire. En effet, étant donné l'ampleur de l'endettement des gouvernements, les solutions ne résident plus dans des coupures à la marge mais impliquent une révision en profondeur des règles de redistribution et des modèles de régulation. Cela signifie, entre autres choses, de revoir les compromis internes et externes à l'État et d'établir de nouveaux principes de partage, voire de responsabilité pour les acteurs. À ce chapitre, au cours de l'année écoulée, le milieu communautaire a manifesté certaines craintes et a fait valoir des propositions d'action compatibles avec une vision progressiste de l'équité sociale.

Dans le but de fournir un aperçu des demandes sociales et de l'action collective du milieu communautaire dans ce contexte de crise fiscale et de réexamen du partage des responsabilités publiques et privées, on considérera d'abord les mobilisations et les oppositions aux projets de réforme dans les domaines des programmes sociaux et de la santé.

Deuxièmement, nous présenterons un événement qui a suscité, en avril dernier, des espoirs déçus chez les représentants du milieu communautaire, la création du Secrétariat d'État à l'action communautaire par le gouvernement du Québec.

Troisièmement, nous évoquerons la marche contre l'appauvrissement des femmes, «du pain et des roses», qui a permis à plusieurs centaines de femmes des différentes régions du Québec d'exprimer leur solidarité et de réclamer des mesures concrètes pour l'amélioration des conditions de vie des femmes. Enfin, nous passerons rapidement en revue les autres enjeux importants par rapport auxquels diverses formes de mobilisation ou d'action collective se sont organisées.



Non aux réductions de services

C'est avant tout dans les domaines des programmes sociaux et de la santé que se sont manifestées les appréhensions les plus fortes dans l'ensemble de la population à la suite de trois projets de réforme. Ces projets sont bien connus. Il s'agit, d'abord, de celui qui concerne la réorganisation des programmes sociaux à l'échelle canadienne, lancé en janvier 1993 par le ministre du Développement des ressources humaines, Lloyd Axworthy. Le deuxième, convergeant avec le premier, découle du dernier budget du gouvernement canadien tel que présenté par le ministre fédéral des Finances, qui propose un «nouveau Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux». Celui-ci devrait entrer en opération dès l'an prochain. Enfin, le dernier projet a été mis de l'avant par le ministre québécois de la Santé. Il vise à réduire le nombre des hôpitaux et à opérer un «virage ambulatoire» qui accroît le rôle et les responsabilités d'autres instances du réseau, notamment les CLSC.

En premier lieu, c'est par rapport au livre vert du ministre Axworthy que plusieurs groupes ont protesté. Dès l'automne dernier, alors que le ministre enclenchait sa démarche de consultation sur les trois volets de sa réforme (assurance-chômage, enseignement supérieur, aide sociale), plusieurs groupes se sont organisés pour faire connaître leur opposition, à commencer par les associations étudiantes. Cela, non seulement au Québec mais aussi à travers le reste du Canada. Ainsi, plusieurs milliers d'étudiants provenant du Québec et de l'Ontario, avec l'appui de syndicats de professeurs et d'employés d'universités, ont participé le 16 novembre dernier sur la colline parlementaire à Ottawa, à une manifestation pour dénoncer les effets des modifications prévues sur le financement des universités et les hausses de frais de scolarité. En outre, le 25 janvier à Montréal, une journée de grève a été organisée par une coalition regroupant trois universités et douze cégeps de la région métropolitaine, pour dénoncer la réforme. Par la même occasion, les étudiants ont effectué une marche dans les rues du centre-ville qui a permis de regrouper à certains moments, selon les autorités, jusqu'à 10 000 participants. Divers groupes communautaires de même que la CSN ont également pris part à la manifestation.

C'est donc dire que l'opposition à la réforme Axworthy n'est pas venue uniquement du milieu étudiant et universitaire. À maintes reprises, diverses coalitions ou certains groupes communautaires ont organisé soit des assemblées publiques d'information soit des défilés publics qui avaient pour but de riposter à la réforme des programmes sociaux et aux coupes qui en résultaient dans l'aide aux prestataires des services. À ce sujet, le projet du ministre du Développement des ressources humaines et celui de son collègue du ministère des Finances, avec son dernier budget, ont été associés.

Ainsi, on a dénoncé le fait que ces deux démarches ont des effets conjoints. C'est qu'elles tendent à modifier la nature des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces, favorisant une plus grande centralisation dans le contrôle des dépenses publiques. Cela, notamment, par le biais de l'imposition de normes nationales en matière sociale, en même temps que les ressources mises à la disposition des provinces de la part du fédéral se trouvent réduites.

C'est ce qui a amené des groupes comme Action solidarité Grand Plateau à Montréal, qui regroupe des organismes communautaires des quartiers Plateau Mont-Royal, Saint-Louis et Mile-End, à organiser des forums publics dans le but d'informer la population, de manifester leur désaccord à l'endroit des réformes gouvernementales et de faire démarrer un projet de solidarité axé sur les besoins sociaux, le développement communautaire et l'amélioration des conditions de vie.

Dans le même sens, le Regroupement des chômeuses et des chômeurs du Québec a manifesté contre la réforme Axworthy et le budget fédéral en organisant sur le parvis de la Place des Arts, le 24 mai 1995, un rassemblement populaire. Le but était de relancer une «opposition active et autonome» contre les réformes gouvernementales dans le champ social. Leur slogan: «Ne pas y riposter, c'est y consentir!»

Si les difficultés financières n'épargnent aucun palier gouvernemental, les compressions budgétaires sont à l'avenant. C'est pourquoi, à la suite de ce qui a déjà été entrepris dans d'autres provinces, le ministère de la Santé et des Services sociaux a entrepris en avril dernier une démarche de consultation dans le but de réduire les coûts d'hospitalisation. De manière prévisible, cela devait se traduire par la fermeture d'hôpitaux, en particulier dans la région de Montréal où la Régie régionale proposait de fermer initialement 11 établissements, bien qu'au terme de la consultation il semble que seulement sept hôpitaux fermeront leurs portes d'ici trois ans.

I2impact de ces fermetures est varié. Il concerne autant le dynamisme économique et social des quartiers touchés par les fermetures, que les pertes d'emplois pour les travailleurs de ce secteur, ou encore les changements d'habitude - ainsi que la qualité des services offerts - pour les bénéficiaires. C'est l'ensemble de ces éléments qui ont suscité des oppositions au projet de restructuration mis de l'avant par la Régie régionale de la Santé et des services sociaux de Montréal-Centre tant de la part des travailleurs du réseau de la santé, de certains groupes communautaires que de bénéficiaires. Tous ces acteurs se sont concertés pour organiser plusieurs manifestations publiques. Une coalition pour la défense des services sociaux et de santé à Montréal a même été mise sur pied. Elle a exigé un moratoire sur le plan de restructuration des services présenté par la Régie régionale et réclamé un débat national.

Plusieurs ont déploré dans les médias la précipitation avec laquelle le ministre Rochon a décidé d'aller de l'avant avec son projet. On lui a reproché, entre autres, de ne pas avoir planifié les mesures de transition. Toutefois, il semble que tous doivent convenir qu'il n'y a plus suffisamment de ressources pour maintenir le statu quo dans le domaine des programmes sociaux et de la santé, que les besoins ne sont plus les mêmes aujourd'hui et qu'il y a urgence de faire un débat sur les finances publiques, comme le soulignait le vice-président de la CSN. En même temps, cependant, à la lumière des mobilisations et des conflits récents, on doit dire qu'il n'est pas facile de s'entendre sur de nouveaux compromis.

Pour chaque programme, pour chaque service plusieurs groupes d'intérêts sont directement touchés. À chaque fois, de nouveaux partages doivent être envisagés. Dès lors, la question qui se pose peut se définir en termes d'ajustement pragmatique compte tenu des intérêts et des forces en présence, comme elle peut faire appel à des considérations d'un autre ordre. Il nous faut, dans ce cas, faire intervenir une autre conception des médiations, qui requiert une vision plus dynamique du social et du politique où le partage des responsabilités individuelles et collectives dépend des objectifs que se donne une communauté. C'est à ce type d'exercice que le milieu communautaire pensait être convié lorsque, dans son discours inaugural, le premier ministre a manifesté son intention de soutenir concrètement le développement de l'action communautaire.




Le Secrétariat d'État à l'action communautaire

Reprenant un élément du programme du Parti québécois disposé à reconnaître d'apport de l'action communautaire autonome», le premier ministre a choisi de créer, en avril 1995, un Secrétariat d'État à l'action communautaire. En cela, non seulement il répondait à un engagement de son parti, mais il s'inscrivait aussi dans une certaine tradition de reconnaissance du communautaire au PQ qui remonte au moins au début des années 1980. Toutefois, à la suite de la déclaration ministérielle du premier ministre à l'Assemblée nationale à ce sujet, plusieurs regroupements d'organismes communautaires ont rapidement fait connaître leur désaccord.

Conçu pour jouer le rôle d'un «ombudsman de l'action communautaire», le mandat du Secrétariat, qui relève du bureau du premier ministre, est d'abord de «faciliter l'accès des organismes aux ressources gouvernementales et de fournir des avis sur le soutien gouvernemental à être accordé aux organismes communautaires» (Gouvernement du Québec, Déclaration ministérielle du premier ministre du Québec, Assemblée nationale du Québec, 27 avril, 1995).

De plus, le Secrétariat a pour rôle de favoriser dans chaque comté et dans chaque quartier urbain des grandes agglomérations la création d'un Carrefour jeunesse-Emploi sur le modèle de celui qui existe depuis 1984 dans la région de l'Outaouais. À cette fin, il est proposé que chaque député devienne l'animateur du milieu communautaire de sa circonscription en coordonnant les projets locaux destinés aux jeunes. En 1995-1996, ces carrefours devraient être financés à même le budget de 9 millions $ prévus pour le fonctionnement du Secrétariat.

Dès l'annonce de la création du Secrétariat, plusieurs regroupements ont fait connaître leur désaccord. Ils déplorent tous que le premier ministre n'ait pas tenu compte des demandes formulées par les groupes lors d'une première rencontre avec le milieu communautaire au sujet de la création du Secrétariat, qui a eu lieu en janvier avec Mme Lapointe, conseillère du premier ministre en matière d'action communautaire.

Plus précisément, le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec fait savoir dans son communiqué de presse qu'il n'est pas acceptable de réduire le communautaire à la seule dimension de la réinsertion au travail. Pour sa part, le Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec voit dans la responsabilité d'animation attribuée aux députés, l'envers exact de l'action communautaire autonome. De son côté, le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec manifeste son scepticisme et se dit choqué de ne pas avoir été véritablement consulté, tel que l'avait demandé le mouvement communautaire, afin que le gouvernement puisse mieux tenir compte des attentes de celui-ci.

Enfin, à l'instar du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles considère que dans sa version actuelle le Secrétariat est inacceptable. On refuse, entre autres, la création par le haut de projets dits «communautaires» tels qu'ils sont pensés dans la proposition gouvernementale. En résumé, disons, pour reprendre les termes du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, qu'aux yeux du milieu communautaire, le projet du gouvernement péquiste «manifeste une trop faible compréhension de la complexité réelle des initiatives communautaires au Québec».

Il reste que jusqu'à maintenant, la reconnaissance du milieu communautaire a moins passé par les institutions publiques que par les initiatives des acteurs eux-mêmes. À cet égard, on peut penser que la marche «du pain et des roses» organisée par la Fédération des femmes du Québec en collaboration avec 150 autres groupes, le printemps dernier, a pu jouer un rôle de catalyseur pour la reconnaissance sociale du milieu communautaire, tout en soulignant la nécessité de tenir compte du point de vue des femmes dans l'élaboration des nouveaux compromis sociaux.




«Du pain et des roses»

Reprenant le slogan des ouvrières américaines du textile qui ont fait la grève au début du siècle pour réclamer une diminution du temps de travail, une augmentation des salaires et l'abolition du travail des enfants, plusieurs centaines de femmes ont décidé de participer à la marche des femmes contre la pauvreté. Cette marche s'est déroulée sur dix jours. Parties le 26 mai de Montréal, de Longueuil et de Rivière-du-Loup, 800 marcheuses ont parcouru 200 kilomètres avant d'arriver à Québec, devant l'Assemblée nationale, le 4 juin. Même si à l'arrivée elles n'étaient plus que 400, tout au long de leur périple les marcheuses ont suscité un mouvement de solidarité sans précédent de la part de milliers de femmes et d'hommes, qui leur ont apporté des appuis matériels et symboliques. D'ailleurs, le rassemblement organisé à Québec pour accueillir les marcheuses a regroupé entre 7000 et 20 000 personnes, selon certaines évaluations.

Dénonçant la pauvreté et les discriminations qui la favorisent, cette marche était aussi un moyen et une approche pour faire valoir auprès du gouvernement neuf revendications spécifiques. Parmi celles-ci mentionnons la demande d'un programme d'infrastructures sociales avec des emplois accessibles aux femmes, une loi proactive sur l'équité salariale, l'augmentation du salaire minimum au-dessus du seuil de la pauvreté, la création d'au moins 1500 nouvelles unités de logement social par année et le gel des frais de scolarité, en plus d'une augmentation des bourses aux étudiants.

Les réponses du gouvernement à ces demandes ont été mitigées. Par exemple, à propos du salaire minimum, la présidente de la Fédération des femmes du Québec, déplorait la «trop faible augmentation du salaire minimum». En effet, les marcheuses demandaient une hausse de 0,85$ l'heure alors que le gouvernement leur a consenti une hausse de 0,45$. Concernant la révision des prêts et bourses aux étudiants, le ministre Garon n'a pas été en mesure de s'engager avant de prendre connaissance du rapport du comité de révision en cours. Par contre, concernant les infrastructures sociales, le gouvernement s'engage à créer un programme de 225 millions $ sur cinq ans en plus de mettre sur pied un comité d'orientation formé en majorité de représentants de groupes de femmes dans le but de conseiller les ministères sur les emplois d'utilité sociale et de faire avancer la réflexion sur la question.

Le thème de la pauvreté des femmes, de la précarité de leurs conditions de travail et de leurs conditions de vie n'est pas nouveau. Tout en rappelant son actualité, la marche «du pain et des roses» a permis de sensibiliser l'opinion publique aux ramifications socio-économiques et aux défis socio-politiques qui en découlent. Elle s'inscrivait ainsi dans le prolongement des luttes des femmes contre l'exclusion et la discrimination sociale qui remontent au moins au début du siècle. À la fois symbole et action concrète, cette marche réitère le fait que l'action collective des femmes participe d'un mouvement social qui possède des racines historiques indéniables.




Autres enjeux

Sur d'autres plans les mobilisations populaires ont attiré notre attention sur l'existence de problèmes révélateurs de conflits similaires à ceux que l'on retrouve également dans d'autres pays. C'est ainsi que lorsque le groupe américain d'extrême droite Human Life International (HLI) a tenu son congrès à Montréal en avril dernier, une coalition rassemblant des groupes de femmes, des groupes communautaires ainsi que des associations étudiantes et des groupes politiques a été organisée contre la venue de ce groupe. Human Life International a été mis sur pied au début des années 1980 aux États-Unis dans le but de faire échec à la légalisation de l'avortement. Il a pour objectif «de sensibiliser les gens aux maux que constituent l'avortement, la stérilisation, l'infanticide, l'euthanasie, la contraception et les autres dangers qui menacent la vie et la famille» (Le Devoir, 18 avril, 1995).

En dépit des oppositions vives suscitées par sa venue, HLI n'en a pas moins été en mesure de tenir son congrès - sa 14e conférence mondiale sur l'Amour, la Vie et la Famille - à Montréal. Une manifestation organisée devant l'église Notre-Dame par la coalition, au moment où les congressistes devaient sortir de la basilique, a attiré entre 2000 et 3000 manifestants. «L'intégrisme» de HLI est souvent associé, du moins d'un point de vue idéologique, aux groupes d'action violents qui s'en prennent aux cliniques et aux médecins qui pratiquent des avortements.

La venue de HLI illustre combien les valeurs, les croyances, les identités, les symboles demeurent importants - voire, potentiellement conflictuels - dans le contexte des sociétés modernes avancées. C'est ce qui s'est aussi reflété à d'autres occasions, même si l'ampleur des mobilisations était moindre. Pensons par exemple au débat autour du port du foulard islamique dans les écoles, à la suite de l'expulsion de deux jeunes élèves voilées dans une école publique et une école privée de Montréal. Une centaine de musulmans ont d'ailleurs participé le 29 avril 1995 à une manifestation publique qui les a menés de l'édifice de La Presse au siège social de Radio-Canada pour protester contre les «images négatives» véhiculées par les médias québécois à l'endroit de l'Islam et des musulmans.

Par contre, un mois plus tôt, entre 150 et 200 Algériens avaient manifesté pour dénoncer l'attitude de «tolérance» du président américain à l'égard des leaders du Front islamique du Salut, qui défendent l'intégrisme musulman. Ces deux exemples montrent bien qu'en tant que société nord-américaine, nous ne pouvons plus demeurer refermés sur nos seules valeurs et convictions traditionnelles. Dans un contexte de mondialisation non seulement de l'économie mais aussi de la culture, nous n'avons plus le choix d'élargir les débats de société à des enjeux et à des considérations qui, hier encore, pouvaient paraître secondaires.

À certains égards, ce sont des réflexions du même ordre que suscite l'analyse des enjeux environnementaux. Au cours de l'année dernière, plusieurs manifestations ont eu lieu à ce chapitre. Pour n'en retenir que deux, mentionnons d'abord la manifestation organisée par divers groupes écologistes contre l'importation des déchets domestiques au Québec. Cette manifestation a eu lieu en décembre 1994 devant le Palais de justice de Montréal lors d'audiences en Cour supérieure à propos d'un article du règlement sur les déchets dangereux, qui empêche la compagnie Sanivan d'importer et d'enfouir certains déchets à son site de Saint-Nicéphore près de Drummondville.

Par ailleurs, le groupe Stop est revenu à la charge concernant le projet de la Régie intermunicipale des déchets de l'île de Montréal de construire un méga-incinérateur dans l'est de l'agglomération pour les besoins des villes de la banlieue. La décision du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) a été de ne pas approuver le projet dans sa forme actuelle; toutefois, le gouvernement n'avait encore annoncé aucune décision à la fin de l'été 1995 . Le groupe Stop considère que ce projet est incompatible avec une politique de réutilisation, de récupération et de recyclage et demande un rejet définitif de ce projet.




Le fer de lance des régions

Enfin, sur un autre plan, ce sont les régions qui continuent d'être le théâtre de revendications et d'actions collectives. À la suite des États généraux du monde rural qui ont eu lieu en février 1991, une nouvelle sensibilité et une plus grande attention continuent de se manifester à l'égard du Québec rural. Provenant de plusieurs milieux ruraux, les acteurs régionaux ont d'ailleurs convenu de lutter contre l'attentisme. C'est pourquoi, ils ont créé le mouvement Solidarité rurale. Vingt-cinq organismes issus de tous les milieux en font partie: UPA, centrales syndicales, regroupements d'entreprises, mouvements religieux, corporations professionnelles, CLSC, caisses populaires, etc.» (C. Laflamme, «Chasseur de fantômes», Convergences, octobre 1994) Ce mouvement fournit des appuis, entre autres, aux communautés locales qui se mobilisent pour conserver leurs services publics, que ce soit des bureaux de postes ou des écoles primaires. C'est ce que nous avons observé au cours de l'année écoulée alors que des petites communautés comme à Lefebvre ou à Batiscan ont choisi de se battre pour maintenir ouvertes leurs écoles primaires.

Le Québec des régions, qui est aussi très durement touché par la crise budgétaire de l'État, veut s'affirmer davantage. Autant il a joué un rôle important dans le débat référendaire, autant il devra participer de près à l'élaboration des nouveaux compromis nécessaires pour résoudre l'impasse fiscale des gouvernements.