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Perspective sur l'année politique · Québec 95, sortie de scène



Daniel Latouche
INRS-Urbanisation


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : Articles divers



L'élection du Parti québécois le 12 septembre 1994 constitue l'événement majeur de l'année politique avec la préparation du référendum qui s'ensuivra. Mais au-delà des événements, certaines questions de fond continuent de marquer la vie politique: la dégradation de l'image des politiciens et les difficultés du pouvoir en une époque où l'image l'emporte sur la compétence.

Vouloir donner un sens à la période qui va de juillet 1994 à septembre 1995, c'est prétendre expliquer, au moment du deuxième entracte, un drame shakespearien dont on découvre le déroulement au fur et à mesure qu'il se présente et sans certitude quant à la conclusion. Dans quelle pièce sommes-nous exactement?

On se doute cependant que cela sera tragique et que quelqu'un finira par mourir. Sera-ce Richard, Henri, les barons, le duc? Vivement la dernière scène du dernier acte pour qu'on comprenne ce qui s'est passé auparavant.

Alors vaut-il vraiment la peine de donner un sens à un découpage chronologique qui ne respecte guère le déroulement des opérations politiques sur le terrain? 12année 1994-1995 n'avait de sens que si elle s'était conclue par un référendum en juin. Or ce ne fut pas le cas. Toute l'année s'interprète donc en fonction de cet événement qui ne s'est pas produit. On dira que c'est une année perdue. Tout dépend pour qui.



Vivement l'été 1996

L'année prochaine, la tâche d'interpréter les douze derniers mois de l'actualité politique du Québec sera en effet beaucoup plus facile car on en connaîtra alors le dénouement. Tout sera limpide, on aura déjà commencé à réécrire l'histoire et à élaborer les premiers mythes. On aura alors oublié ce qui s'est vraiment passé en 1994 et en 1995. Les yeux seront tournés vers l'avenir. I2année 1995-1996 sera une «belle» année.

Si le Québec a voté OUI au référendum, il va s'agir alors d'interpréter le faible score du Parti québécois aux élections de septembre 1994, la maladie de Lucien Bouchard et les difficultés des Commissions régionales sur la souveraineté comme autant d'embûches tout au long du parcours, d'épiphénomènes qui n'auraient pas dû monopoliser notre attention et qui n'ont finalement pas fait le poids devant la détermination du gouvernement du Québec, le repositionnement des forces souverainistes et l'absence de contre-projet fédéraliste.

Si le NON l'a emporté, l'interprétation contraire devrait pouvoir s'imposer sans trop de difficultés, comme quoi l'histoire est toujours écrite et réécrite du point de vue des vainqueurs. On soulignera alors qu'il était évident» que le camp souverainiste connaîtrait la défaite. Tous les signes n'allaient-ils pas dans ce sens? Bref, l'année politique 1994-1995 n'a pas connu d'événements déterminants, ou plutôt elle en a connu plusieurs, à un point tel qu'il faudra attendre que l'Histoire reconnaisse les siens.

Il est clair que nous sommes au coeur d'une mouvance de fond (le contraire serait plutôt surprenant), mais cette longue durée se laisse difficilement décoder sur le court terme. D'ailleurs, il y a longue durée et longue durée. Doit-on commencer à 1990, 1982, 1980, 1960 ou 1760? Lorsque vient le temps d'évaluer da marche inexorable du Québec vers son destin», c'est l'identification du premier pas qui compte. Savoir d'où l'on part.




Avant le référendum de 1980

Le contraste avec les douze mois qui ont précédé le référendum de 1980 mérite ici d'être souligné. À cette époque, la popularité du gouvernement Lévesque était à son plus haut niveau et il ne se passait pas une semaine sans que le gouvernement n'annonce de nouvelles mesures et prenne des initiatives audacieuses (ou du moins c'est ainsi qu'on les interprétait). Le gouvernement fédéral par contre, sans compter les forces fédéralistes provinciales dont le Parti libéral en tête, était en plein désarroi. Eux aussi étaient convaincus que la bonne performance gouvernementale allait avoir un effet d'entraînement sur le résultat référendaire. Il faut dire que la situation était exceptionnelle. Après trois ans de pouvoir, le gouvernement Lévesque ne montrait encore aucun signe d'usure. Les démissions et les dissensions avaient été rares. Plusieurs ministres s'étaient avérés d'heureuses découvertes et avaient fourni d'excellentes performances. À quelques mois du référendum, la décision de faire porter la question sur un mandat de négocier autorisait tous les espoirs dont celui d'obtenir environ 55% d'appuis lors du grand jour. Personne, mais absolument personne, pas plus d'un côté que de l'autre, n'avait prévu un tel raz-de-marée. À quelques jours du scrutin, le consensus dans les deux camps s'était stabilisé autour de la fourchette 55%-45% (en faveur du NON).

Bien malin celui qui, connaissant la suite des événements, pourrait identifier les signes annonciateurs de la catastrophe électorale qui devait s'abattre sur la cause souverainiste le soir du 20 mai 1980. C'est probablement ce qui explique pourquoi les analyses ont été si rares et que les interprétations les plus fantaisistes continuent de circuler, notamment celle voulant que la décision de centrer la question référendaire sur l'obtention d'un mandat de négocier n'a eu aucun effet positif sur le résultat final. Pourtant la logique électorale impose de conclure que le résultat référendaire dans le cas d'une question portant sur la «séparation» du Québec ou sur d'indépendance» aurait probablement été plus près du 30%-35%.

Il s'agit, on en conviendra facilement, d'une vieille histoire, mais comme toutes les vieilles histoires qui n'ont pas été réglées, il faut s'attendre à ce qu'on lui donne une nouvelle vie au lendemain du référendum de 1995.




Des élections révélatrices

Cela ne veut pas dire que l'année 1994-1995 a été vide d'événements. Ce n'est donc pas que nous sommes en présence d'une période creuse comme ce put être le cas entre 1986 et 1988 par exemple, ou entre 1973 et 1975.

La victoire électorale du Parti québécois est sans contredit l'événement marquant des douze derniers mois, d'autant plus qu'au début de juillet 1994, cette victoire était loin d'être acquise. Après six mois à la tête de son parti, Daniel Johnson avait apparemment réussi l'impensable, c'est-à-dire remettre son parti dans la course malgré une performance sans éclat à la tête du gouvernement. Après une brève remontée à la suite de son élection, les sondages avaient certes marqué une certaine baisse dans les appuis à son parti sans toutefois revenir à leur situation catastrophique de novembre 1993.

Bref, il y eut au début de 1994, un certain effet Johnson dû en bonne partie à l'arrivée d'un homme plus jeune, capable de prendre des décisions et ne suscitant apparemment aucune controverse. Il faut dire qu'en se purgeant de ses éléments les plus dynamiques, le Parti libéral du Québec n'avait guère pris de chances à ce chapitre. En présentant un budget sans coupes excessives et comprenant même quelques astuces sur des baisses d'impôts anticipés, le gouvernement Johnson pouvait par ailleurs espérer refaire le coup du célèbre «désormais» de Paul Sauvé, 35 ans plus tôt. La tentation fut donc forte d'en appeler au peuple dès la fin juin, mais on décida finalement de laisser aux électeurs le temps de s'habituer encore un peu plus à leur nouveau premier ministre. Malheureusement, les mois de juin et de juillet, s'ils sont habituellement des mois paisibles sur le plan de l'actualité politique, sont aussi les pires pour tenter d'imposer une image. Aucun parti n'a jamais gagné ou perdu ses élections à cause de sa performance estivale. C'est ce qui s'est produit de nouveau et, au moment où il déclencha les élections, le gouvernement Johnson n'avait guère bronché dans les sondages depuis le mois de mai précédent.

C'est probablement ce qui induisit le Parti québécois en erreur et le convainquit qu'il n'avait qu'à se pencher pour ramasser les fruits de la victoire. On choisit donc de mener une campagne toute en douceur et de laisser le chef libéral se précipiter aux quatre coins de la province et affronter la grogne généralisée. Après deux semaines de campagne, le Parti québécois avait réussi l'impossible: concentrer en un minimum de temps le maximum d'erreurs élémentaires, donner l'impression de flottement, promettre n'importe quoi, être absent des médias, se laisser prendre au piège des querelles sémantiques (comme celle entourant 1'«enclenchisme»). I2intervention rapide de Lucien Bouchard dans la campagne et surtout un certain essoufflement du camp Johnson permirent de redresser la situation, du moins jusqu'au débat télévisée de la fin d'août où le chef de l'opposition marqua des points, tout simplement en n'en perdant pas. À nouveau convaincu que les dés étaient jetés, le Parti québécois et son chef décidèrent encore une fois de se retirer sur leurs terres et de laisser le champ libre au premier ministre.

Il ne fait aucun doute que cette décision coûta des points à l'équipe péquiste. Combien, il est impossible de le dire, mais on peut supposer que sans les cafouillages libéraux des derniers jours - notamment autour de l'affirmation du premier ministre selon laquelle une fois réélu, il ne se considérerait pas le premier ministre de tous les Québécois - il est probable qu'au soir des élections, le Parti libéral aurait remporté la majorité des voix.




Un bien étrange lendemain de veille

On ne se souvient pas d'une victoire électorale remportée dans un climat aussi empreint d'amertume et même de tristesse, du moins de la part de l'équipe victorieuse. Même l'élection libérale de 1989 n'avait pas laissé une goût aussi amer chez les vainqueurs puisque la défection de leur électorat anglophone traditionnel n'avait finalement eu aucun impact sur la performance du Parti québécois.

Il faudra attendre la publication de ses mémoires pour savoir si au soir des élections, le nouveau premier ministre avait tiré les leçons de cette victoire sans éclat. Rarement une victoire électorale ne fut célébrée dans un tel climat d'inquiétude et de malaise. On se souviendra longtemps du visage empreint de tristesse de Lucien Bouchard, du va-et-vient autour de M. Parizeau et surtout de sa décision de laisser sa femme remercier les militants de leur beau travail. En cas de victoire du NON, il s'en trouvera plusieurs pour rappeler cette bien curieuse soirée.

Dans le cas inverse, il s'en trouvera aussi plusieurs pour conclure que c'est précisément parce qu'il a su tirer les leçons d'une soirée ratée que Jacques Parizeau a pu conduire le camp du «changement» à la victoire. En effet, de nombreux indices laissent croire que le nouveau premier ministre a rapidement réalisé que tout n'avait pas fonctionné à merveille et que la troisième période serait bien davantage qu'une simple formalité.

À ce sujet, il ne fait aucun doute que la maladie qui a failli emporter Lucien Bouchard au début de décembre confirma le rôle central qu'aurait à jouer le chef bloquiste dans une éventuelle démarche référendaire. L'émotion causée par sa maladie a non seulement démontré qu'il était le chef politique le plus estimé du Québec mais qu'il constituait aussi un contrepoids indispensable au chef péquiste. Quatre mois plus tard, Lucien Bouchard devait utiliser pleinement tout le capital politique et humain accumulé depuis sa maladie pour infléchir l'approche business as usual que semblait encore préférer le premier ministre.

je me souviens d'un débat contradictoire à New York où une chroniqueuse bien connue de Montréal et de Toronto avait conclu que, compte tenu du nez à nez dans le vote libéral et péquiste, il était hautement improbable que le gouvernement Parizeau aille de l'avant avec un référendum, à moins d'un revirement important dans l'opinion publique. ~(Ce serait suicidaire pour son parti et son option», avait-elle conclu tout en ajoutant que le goût du pouvoir et le désir de le conserver était plus fort que tout.

Il ne faudrait quand même pas oublier avec quelle facilité cette hypothèse est ressortie tout au cours de 1995, témoignant de ce fait d'une incapacité flagrante de la classe médiaticopolitique à comprendre les motivations de Jacques Parizeau. Rarement a-t-on vu un tel fossé entre les journalistes et un premier ministre du Québec.

On peut déplorer ou apprécier (c'est mon cas) une telle attitude chez un leader politique, on doit cependant convenir que l'incompréhension qu'elle suscite révèle jusqu'à quel point l'image publique de la politique et des politiciens s'est dégradée. Paradoxalement, cette dégradation s'est poursuivie au Québec tout au long de 1995. Si on doit parler d'une lame de fond, c'est bien celle-là qui ressort avec éclat. Elle pourrait s'avérer désastreuse pour le camp souverainiste.

Par delà les anecdotes sur la machine électorale péquiste, le résultat serré des élections de 1994 a démontré que les électeurs ont bien compris qu'il ne s'agissait pas d'un scrutin comme les autres et que l'élection d'un gouvernement péquiste augmentait, marginalement certes, les chances d'un changement constitutionnel vers la souveraineté. En septembre 1994, l'électorat québécois a eu la chance d'éliminer une fois pour toutes l'option souverainiste du paysage politique du Québec. Car c'est bien ce qui se serait produit advenant une victoire libérale. La déconfiture aurait été totale et M. Johnson aurait été considéré comme le sauveur définitif du fédéralisme. Il ne fait aucun doute que si l'électorat avait cru un instant qu'une victoire péquiste était sans conséquence pour la «question nationale», les appuis au parti auraient sans doute atteint le score de 50% ou auraient tout au moins considérablement devancé ceux des libéraux (la différence allant à un troisième parti).

Que 44% des électeurs aient tout de même choisi l'équipe péquiste confirme le peu d'enthousiasme suscité par l'équipe Johnson. Ce chiffre confirme aussi la volonté de l'électorat de maintenir un parti souverainiste dans le décor, quand bien même ce ne serait que pour lui dire non éventuellement. Cette ambiguïté du résultat électoral aura finalement coloré toute l'année qui allait suivre.




Les contraintes de l'histoire

Les 12 derniers mois illustrent bien à quel point certaines choses ont changé depuis la fin des années 1970, et combien d'autres sont restées les mêmes. Le problème est qu'il n'est pas facile de distinguer les unes des autres et surtout, de tirer les conséquences qui s'imposent de cet état de fait. La principale différence est évidemment celle de l'existence en 1995 d'un sentiment de déjà vu, ce qui, par définition, ne pouvait être le cas en 1980. Ce sentiment de déjà vu pénalise principalement le parti gouvernemental et la cause qu'il défend, surtout auprès de journalistes que seul le nouveau peut encore intéresser. C'est particulièrement vrai dans le cas de la classe journalistique et médiatique québécoise, elle qui ne s'est jamais illustrée par son goût de la recherche ou du travail professionnel approfondi. La devise de nombreux journalistes n'est-elle pas dont let the facts stand in the way of interpretation?

La nostalgie aidant, on s'est rapidement contenté d'une grille d'analyse où tout est comparé avec la première administration péquiste et avec la démarche référendaire de 1980. Une telle grille a nécessairement débouché sur une vision cynique et négativiste de la réalité. Alors qu'en 1980 le gouvernement et son approche constitutionnelle jouissaient d'un préjugé favorable ou du moins d'une neutralité bienveillante de la part des journalistes surtout francophones -une situation qui leur a d'ailleurs été amèrement reprochée -, en 1995 ce serait plutôt l'inverse. À cela s'ajoute l'inévitable pression au contrôle et à l'autocensure qui déferle cette fois avec vigueur sur Radio-Canada et les grands groupes de presse.

Il est évident que l'équipe Parizeau ne ressemble en rien à la première équipe Lévesque et que l'analyse stratégique des deux premiers ministres n'est pas la même. Comment pourraient-elles l'être? Cependant, on oublie trop souvent que l'objectif demeure le même: obtenir une plus grande autonomie pour la société québécoise. Ce fut d'ailleurs aussi le seul objectif de tous les premiers ministres du Québec depuis 1960, sauf Daniel Johnson. C'est cette communauté d'objectifs qui a fait en sorte que finalement, M. Parizeau n'a guère eu de difficulté à négocier le virage stratégique que lui ont proposé Mario Dumont et Lucien Bouchard.

On dit des relations Bouchard-Parizeau qu'elles ne sont guère chaleureuses. C'est peut-être vrai, mais cette absence d'atomes crochus ne semble pas avoir marqué les relations entre les deux hommes et entre leurs partis. L'absence temporaire du chef bloquiste a démontré hors de tout doute que sans sa présence active, le référendum était perdu d'avance, ce qui a probablement éclairci leurs relations et permis un modus vivendi ayant finalement mieux fonctionné que prévu. Sans cette harmonie, l'entente avec Mario Dumont aurait sans doute été impossible car ce dernier n'aurait jamais accepté d'être laissé seul en présence du grand frère péquiste. À ce sujet, il ne fait aucun doute que la manoeuvre du chef de FADQ d'embarquer dans le processus de consultation populaire après avoir laissé entendre qu'il ne le ferait pas, ce qui a eu pour effet d'isoler Daniel Johnson, constitua sans doute la plus habile manoeuvre politique de l'année. L'incident confirme que Mario Dumont, peu importe le résultat référendaire, sortira grand vainqueur de toute l'opération. De toute évidence, le chef adéquiste a l'habileté politique d'un Robert Bourassa et en plus, il possède une qualité que ce dernier ignorait, la détermination.




Les difficultés du pouvoir

Même en disposant d'une équipe de haut calibre, M. Parizeau n'a vraisemblablement pas réussi son pari de donner au Québec le meilleur cabinet de son histoire. Du moins, il n'a pas réussi à imposer cette image. Les démissions successives de deux ministres de la Culture et des Communications, les présumées gaffes du ministre LeHir, les hésitations du ministre Bégin à la justice, tout cela a confirmé l'impression d'une bande d'amateurs en attente du Grand Soir.

Mais la rapidité avec laquelle un jugement d'ensemble négatif a été porté en dit probablement plus long sur les conditions d'exercice du métier de politicien en cette fin de siècle que sur les compétences (ou les incompétences) d'une équipe gouvernementale. Après tout, la décision de M. Chrétien de ne pas se départir de son ineffable ministre du Patrimoine, Michel Dupuy, n'a eu aucun impact sur la popularité personnelle du premier ministre, pas plus d'ailleurs que la décision de ne pas donner suite aux nombreuses promesses contenues dans le Livre rouge. On peut penser que si le premier ministre du Québec avait décidé de passer l'éponge sur le geste de Me Malavoy et d'appuyer les déclarations de Me Dionne-Marsolais, il s'en serait tiré avec quelques égratignures supplémentaires.

Rien n'est plus dangereux pour un politicien aujourd'hui que de donner l'impression d'une grande compétence. Or la compétence est (malheureusement pour lui) l'image de marque de Jacques Parizeau. À une époque où la médiocrité est devenue une vertu, on ne veut surtout pas qu'un politicien donne l'impression d'être compétent et de connaître ses dossiers au plan technique. Ce qu'on préfère avant tout, c'est qu'un politicien soit en tout point conforme à l'image que l'on se fait de lui. Tout politicien qui ne s'y conforme pas est nécessairement incompétent ou, pire encore, malhonnête. Que ce politicien prenne la politique, le Québec et quelque décision que ce soit au sérieux est encore plus embarrassant à une période où rien de tout cela n'a la moindre chance d'apparaître dans La petite vie.

S'il n'y avait que cet anti-intellectualisme primaire pour se désoler. Il est certain que la crise des finances de l'État et les limites d'une action étatique devant se confiner aux frontières d'une province, laissent peu de place à l'imagination des politiciens. Il y a quand même des limites à ce qu'un ministre de la Justice, des Transports ou de la Recherche scientifique d'une province peut faire, À cet égard, il n'est pas surprenant que ce soit les ministres affectés à la culture qui aient eu le plus de difficultés. L'idée même d'un ministre de la Culture provincial n'a plus guère de sens à l'ère de la mondialisation. Celle d'un ministre provincial des Relations internationales n'est guère plus justifiée.

Sauf quelques exceptions, le Québec a toujours concentré ses meilleurs politiciens à Québec. Tant que ceux-ci avaient charge d'un État-nation en devenir, ils ont pu donner le meilleur d'eux-mêmes, peu importe le parti auxquels ils appartenaient. Depuis la fin des années 1980, ce n'est plus le cas. Il suffit de se rappeler que Gérard-D. Lévesque fut ministre des Finances du Québec pendant huit ans pour constater à quel point cette responsabilité était devenue vide de sens. Qu'on se rappelle aussi que John Ciaccia a été ministre des Relations internationales.

Encore une fois, le contraste avec le gouvernement péquiste de 1976-1980 parle de lui-même. À l'époque, il était encore possible d'être un «bon» gouvernement provincial, le Québec n'ayant pas encore fait le plein de son provincialisme. Il y avait encore du rattrapage dans l'air, notamment au chapitre de l'agriculture, des droits des consommateurs, de la langue, de la santé et de la sécurité au travail, de la main d'oeuvre, de la condition féminine, de la technologie. Tout cela a été fait, et plutôt rapidement. Ces mesures ont pour la plupart survécu aux ajustements que leur a fait subir le gouvernement libéral à partir de 1985. À tel point qu'en 1995, il n'y a plus grand-chose qu'un gouvernement provincial puisse faire. Il restait peut-être le secteur de la santé et le ministre Rochon semble vouloir s'en charger. Les grands dossiers de l'heure, le déficit, l'intégration des immigrants, l'autoroute électronique, la formation de la main-d'oeuvre, l'environnement, tout cela exige un changement de statut constitutionnel avant même de pouvoir parler de réformes sérieuses.




La veillée d'armes

La majorité des éditorialistes l'ont déploré: le gouvernement Parizeau a été à ce point obsédé par son référendum et la marche vers la souveraineté qu'il en aurait oublié ses bonnes intentions gouvernementales. Cette critique n'est qu'à moitié fondée. Lorsqu'on constate avec quelle rapidité le ministre Rochon a mis en oeuvre sa réforme des services de santé, surtout dans la région de Montréal - une réforme dont personne n'avait à peu près parlé durant la campagne électorale -, on peut se demander en effet ce qui a pu empêcher d'autres ministres d'y aller des réformes qui s'imposaient. On se demande même ce que certains d'entre eux ont bien pu faire depuis leur assermentation. C'est le cas par exemple du ministre des Transports qui, à l'exception de l'annonce d'un autre plan de transport intégré pour la région montréalaise, n'a guère donné signe de vie.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'aucun ministre n'a fait preuve d'une imagination débordante et rares auront été ceux qui se sont donné un style. Tous semblent en attente. Le ministre Ménard à la Sécurité publique fut sans doute l'exception confirmant la règle. Le ministre Garon à l'Éducation est ressorti comme le seul apparemment motivé par un ordre du jour personnel. Malheureusement dans le cas du ministre Garon, le personnage semble avoir pris le dessus sur le ministre. C'est bien dommage car s'il est un secteur qui aurait grandement besoin d'un sérieux ménage, c'est bien celui de l'éducation, en particulier l'enseignement universitaire.

Est-ce bien l'obsession référendaire qui a empêché les ministres de se montrer plus actifs? Peut-être, encore qu'il n'est pas évident qu'ils aient été monopolisés par cette question, du moins pas si l'on se fie aux résultats. Il est difficile de se rappeler d'un seul discours ministériel sur le thème de la souveraineté entre octobre 1994 et juin 1995. Quant aux actions sur le terrain, elles ont été encore plus rares et, à part Louise Beaudoin, bien peu de ministres sont montés au front fédéral avec des dossiers bien ficelés. La volonté de ne pas se faire happer par le système fédéral-provincial, notamment dans le domaine de la main-d'oeuvre, y est probablement pour quelque chose.

Rien n'illustre mieux cet état de demi-somnolence que la décision du premier ministre de s'absenter du pays au moment de la présentation du budget fédéral, alors qu'il était probablement le seul au Canada à pouvoir en faire une critique efficace. Mais la somnolence a ses bons côtés et l'un de ceux-ci fut l'extraordinaire unité manifestée par l'équipe gouvernementale. Même la nouvelle démarche référendaire choisie par le gouvernement n'a finalement que fort peu secoué le parti, même s'il s'agissait d'un renversement important par rapport à l'«enclenchisme» de la campagne électorale. On ne manquera pas d'en conclure qu'il s'agit là d'une (autre) manifestation de l'extraordinaire ascendance du premier ministre sur son parti. Mais il faut aussi y voir la conséquence d'une flexibilité insoupçonnée chez M. Parizeau qui a su bien exploiter son image de chef intraitable n'écoutant personne.




La grande énigme

je ne crois pas qu'il se soit trouvé un seul éditorialiste, un seul journaliste, un seul politologue ou expert en opinion publique qui ait à un moment où l'autre prédit que le OUI allait l'emporter au référendum ou même que le résultat final était impossible à prédire. Cette unanimité avait quelque chose de surprenant puisqu'elle traversait toutes les frontières, linguistiques, idéologiques, générationnelles. Même ceux dont les sympathies souverainistes sont connues partageaient cette vision. Lorsqu'on lui demandait son impression sur le sujet, l'opinion publique était du même avis: le OUI allait perdre.

Qu'une majorité des «experts» ait été de cet avis n'est guère surprenant. Il est en effet difficile d'échapper à l'air du temps. Le plus surprenant c'était l'unanimité de cette opinion et le décalage d'avec la réalité objective sur laquelle cette opinion était prétendument fondée. Tout s'est passé comme si la classe politique québécoise avait tellement eu peur d'être déçue de nouveau qu'elle insista pour refuser de croire à une éventuelle victoire du OUI. On préfère se résigner d'avance, un peu à la manière de ceux qui «parient» contre leur club sportif favori, question de gagner sur au moins un des tableaux.

Ce comportement témoigne peut-être d'un manque de maturité politique d'une élite qui perçoit les luttes politiques comme de simples combats sportifs. Sans doute. Mais y aurait-il aussi quelque chose de plus profond? Après tout, il se trouvait encore (à la fin d'août 1995) environ 40% des Québécois et 50% des Québécois francophones pour dire qu'ils allaient voter OUI au moment du référendum. Qu'il se trouve encore un Québécois francophone sur deux pour trouver que le Québec a besoin d'un nouveau statut constitutionnel a donc de quoi surprendre. Qu'est-ce qui peut bien motiver ces gens? Se pourrait-il que ce qu'on appelle la question constitutionnelle ait des racines plus profondes qu'on se plaît à le décrire? Se pourrait-il que pour une proportion importante de Québécois, le Canada soit véritablement face à une impasse qu'il importe de trancher?

On nous dit que ce n'est pas le cas, que les Québécois ne s'intéressent plus à la politique, que la constitution les ennuie profondément et que les jeunes ont décroché. Si c'est le cas et que seulement 60% ou 65% des citoyens se rendent aux urnes ou qu'ils n'appuient qu'à 35% ou 40% le projet politique qui leur est présenté, alors le peuple aura vraiment tranché. Cette année n'aura pas été perdue après tout.