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La démarche référendaire · Le québec face à son destin



Denis Monière
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : Articles divers



La question du statut du Québec a été au coeur du débat politique depuis trois ans. Elle a connu son dénouement le 30 octobre 1995 après une année marquée de nombreux questionnements, de coups de théâtre et de débats qui ont mobilisé un très large public. La démarche référendaire demeurera comme un moment fort de l'histoire de la démocratie québécoise.

Le processus référendaire a été amorcé par le refus des Québécois et des Canadiens d'entériner l'accord de Charlottetown en 1992. Cet échec de la politique constitutionnelle des gouvernements fédéraux et provinciaux ouvrait la perspective d'une nouvelle consultation sur l'avenir politique du Québec. Déjà à ce moment-là, Jacques Parizeau prévoyait un déroulement en trois épisodes et fixait trois rendez-vous aux partisans de la souveraineté: faire élire le Bloc québécois aux élections fédérales de 1993, remporter les élections québécoises de 1994 et dès lors enclencher le processus référendaire.

Depuis trois ans, la question de la souveraineté a donc été au coeur du débat politique et a conditionné les choix électoraux que les Québécois ont eu à faire. Si depuis 1992, les forces souverainistes ont remporté la victoire sur les forces fédéralistes, il faut toutefois constater que plus l'échéance référendaire approchait plus l'écart entre les forces souverainistes et fédéralistes se rétrécissait et plus le soutien à la souveraineté déclinait. Si le NON à Charlottetown avait obtenu 56% des voix en 1992 et le Bloc 49% en 1993, la victoire électorale du Parti québécois en 1994 fut moins éclatante que prévue, une différence d'à peine 15 000 votes séparant le Parti québécois du Parti libéral.

Le 13 septembre 1994, le PQ avait gagné ses trois paris mais se retrouvait au pouvoir avec seulement 44% des votes et un engagement ferme d'enclencher le processus référendaire. Le programme du PQ expliquait ainsi la démarche à suivre:

Dès qu'il sera élu, un gouvernement issu du Parti québécois fera adopter par l'Assemblée nationale une déclaration solennelle affirmant la volonté du Québec d'accéder à sa pleine souveraineté; Il aura la responsabilité d'établir, à la suite de discussions avec le gouvernement fédéral, l'échéancier et les modalités de transfert des pouvoirs et des compétences ainsi que les règles de partage de l'actif et des dettes.

Il fera adopter une loi instituant une commission constitutionnelle ayant le mandat de rédiger un projet de constitution du Québec souverain.

Dans les meilleurs délais, le gouvernement demandera à la population de se prononcer, par voie de référendum, sur la souveraineté du Québec et sur les dispositions d'ordre constitutionnel permettant au Québec d'exercer sa souveraineté.

Le référendum sera l'acte de naissance du Québec souverain. (Programme du Parti québécois, p. 17)

Autant, durant la campagne électorale, Jacques Parizeau fut ferme et constant sur cet engagement, autant ses adversaires libéraux s'acharnèrent à dénoncer ce qu'ils appelaient «enclenchisme» au point d'en faire l'enjeu principal des élections. Ils développèrent un argumentaire antiséparatiste qui visait à éloigner les Québécois mécontents de la gestion libérale de la tentation de voter en faveur du Parti québécois en insistant sur les conséquences désastreuses qui résulteraient de l'élection du parti souverainiste. Par un discours agressif et négatif, les libéraux réussirent à ébranler les électeurs indécis et à les détourner du Parti québécois qui perdit cinq points de soutien entre le déclenchement des élections et le vote proprement dit. Cette campagne antiséparation n'a pas permis aux libéraux de surclasser le Parti québécois mais elle a contribué à la montée d'un nouveau parti formé de libéraux dissidents: l'Action démocratique du Québec. Uappui équivoque obtenu par le Parti québécois allait conditionner par la suite la mise en place de la stratégie référendaire du gouvernement québécois.



La date du référendum

Durant tout l'automne, le débat fut centré sur la date du référendum, la question à poser et la déclaration de souveraineté qui devait être adoptée par l'Assemblée nationale. La victoire mitigée du Parti québécois associée au déclin du soutien à la souveraineté qui avait chuté sous la barre des 40% incitait les nouvelles autorités gouvernementales à repousser à plus tard l'échéance référendaire alors que forts de leur victoire morale», les libéraux exigèrent la tenue du référendum le plus tôt possible pour mettre fin disaient-ils à l'incertitude qui nuisait à l'économie. Jacques Parizeau s'était engagé durant la campagne électorale à tenir le référendum dans les huit à dix mois suivant son élection. Une fois élu, il élargit quelque peu sa marge de manoeuvre en déclarant que le référendum se tiendrait en 1995, ce qui pouvait signifier soit au printemps soit à l'automne.

Le gouvernement annonça aussi son intention de revoir la loi électorale afin d'instituer une liste électorale permanente pour des raisons d'économie et d'efficacité car les dernières élections avaient donné lieu à plusieurs cas de fraude comme dans la circonscription de Bertrand où des citoyens qui y avaient une résidence secondaire y avaient exercé leur droit de vote, enfreignant ainsi la loi. Or comme dans un référendum tous les votes comptent, il fallait éliminer toute possibilité de fraude électorale et garantir l'égalité de vote de chaque citoyen pour qu'il n'y ait pas de contestation dans le cas d'un résultat serré au référendum. La création d'une liste permanente et informatisée devait permettre de contrôler plus adéquatement le droit de vote. Ce qui est considéré comme une mesure améliorant la qualité de la vie démocratique dans presque tous les systèmes politiques modernes fut pourtant contesté par les libéraux qui s'opposèrent à cette modification de la loi sur les consultations populaires. De leur côté, les dirigeants péquistes soutenaient qu'il n'y aurait pas de référendum tant et aussi longtemps que la liste permanente ne serait pas introduite. Ce débat fournissait aux péquistes un prétexte pour repousser le référendum.

Conformément à son engagement électoral d'agir avec célérité, le gouvernement, trois mois après son arrivée au pouvoir, dévoila le 6 décembre la démarche qui devait conduire au référendum. Selon le programme électoral du PQ, l'Assemblée nationale devait adopter une déclaration solennelle sur la souveraineté. Cet engagement était problématique car cette déclaration devait précéder la tenue du référendum. Les opposants fédéralistes considéraient cette démarche «enclenchiste» comme antidémocratique et estimaient que l'Assemblée nationale n'avait pas le droit d'adopter une telle déclaration. Les stratèges péquistes trouvèrent une solution «astucieuse» aux dires de Jacques Parizeau pour se sortir de l'impasse. Il s'agissait de lier la formulation de la question et la déclaration de souveraineté et d'associer les citoyens au processus législatif.




Les deux choix fondamentaux

Deux choix fondamentaux balisaient la démarche référendaire. D'abord, le gouvernement décida de proposer un avant-projet de loi sur lequel les citoyens auraient à se prononcer au référendum, cet avant-projet de loi ayant été au préalable adopté par l'Assemblée nationale. Les citoyens seraient ainsi appelés à participer au processus législatif en sanctionnant une loi déjà votée par le parlement. Le texte contenait 17 articles portant sur la déclaration de souveraineté, sur l'association économique recherchée avec le Canada, sur la nouvelle constitution du Québec souverain, le territoire, la citoyenneté, la monnaie, les traités, les alliances internationales, la continuité des lois et le partage des biens et de la dette. La question était contenue à la fin de l'avant-projet et se libellait ainsi: « Êtes-vous en faveur de la loi adoptée par l'Assemblée nationale déclarant la souveraineté du Québec? Oui ou non »

Cette démarche différait sensiblement de celle de 1980 où les citoyens s'étaient prononcés sur une question. Elle était beaucoup plus solennelle et engageante puisqu'elle rendait au peuple le pouvoir souverain de sanctionner une loi déclarant la souveraineté du Québec. Jacques Parizeau expliquait ainsi l'esprit qui guidait cette démarche: « Le projet de se donner un pays ne peut être l'affaire d'un gouvernement. Il doit être l'affaire de chaque citoyen, de tout le peuple du Québec.»

Afin de donner au débat un caractère moins partisan et de favoriser la participation des citoyens à l'élaboration du projet de loi, on décida d'organiser une vaste consultation populaire par le biais de 15 commissions régionales auxquelles s'ajoutèrent un commission pour les jeunes, une commission des aînés et une commission nationale qui pourraient proposer des amendements à l'avant-projet. Les citoyens étaient aussi invités à proposer leur propre formulation de la Déclaration de souveraineté.

Les différents éléments de cette démarche s'inspiraient de pratiques parlementaires bien établies puisque la technique du dépôt d'un avant-projet de loi avait été utilisée une dizaine de fois auparavant autant par les péquistes que par les libéraux. De même, la participation des citoyens au processus législatif dans le cadre d'une commission consultative itinérante avait été expérimentée en 1991 avec la Commission Bélanger-Campeau. Et enfin la formulation de la question s'apparentait à celle utilisée au référendum de 1992 où on demandait aux Canadiens s'ils acceptaient «que la constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l'entente conclue le 28 août 1992».

En dépit de ces précédents, les libéraux s'attaquèrent à la légitimité de la démarche accusant le gouvernement de se livrer à une entreprise de manipulation des citoyens. Daniel Johnson qualifia la démarche «d'illégitime»: «Le projet de démarche suggéré par le premier ministre est entaché d'un vice de fond quant à sa légitimité démocratique en tentant de faire préciser aux Québécois un projet qu'ils n'ont pas encore accepté » (Le Devoir, 7 décembre 1994)

Les libéraux fédéraux ont renchéri en disant qu'il s'agissait d'une démarche frauduleuse, destinées à semer la confusion dans les esprits. Pour miner la crédibilité du processus, ils décidèrent de ne pas participer à la consultation et demandèrent à tous les fédéralistes de boycotter les commissions consultatives. Pour Daniel Johnson, il n'y avait qu'une seule question légitime: *Est ce que oui ou non le Québec devrait être séparé du reste du Canada?» Par ailleurs, le chef de l'Action démocratique accepta de s'associer à ce processus à la condition de pouvoir participer à la désignation des membres des commissions.




Les commissions consultatives régionales

Entre le 6 février et le 5 mars, les 17 commissions consultatives mobilisèrent 280 commissaires qui tinrent 435 rencontres où se présentèrent 50 164 personnes. 4591 mémoires furent déposés au secrétariat national des commissions. jamais le Québec n'avait connu une expérience aussi intense de démocratie directe. Cette prise de parole populaire déborda largement le cadre de l'avant-projet de loi, les citoyens profitant de cette tribune pour exprimer leurs craintes et leurs attentes, et définir les paramètres de la société dans laquelle ils désiraient vivre. Contrairement aux prévisions des fédéralistes, le débat ne fut pas monopolisé par les tenants de la souveraineté et malgré la consigne de boycott de leurs chefs de file, les fédéralistes furent nombreux à se faire entendre.

Si les stratèges souverainistes espéraient de cette dynamique de groupe un momentum propice au déclenchement d'un référendum printanier, ils durent déchanter car après ce remue-méninges collectif l'aiguille de la ferveur souverainiste ne passait pas au-dessus de la barre des 50%. Toutefois, l'intérêt suscité par la consultation permit à l'option souverainiste d'amorcer une remontée dans les sondages. Gilles Lesage résumait ainsi l'état d'esprit des Québécois: «La soif de changement est immense. Le statu quo est honni, les griefs contre Ottawa sont nombreux. Mais la confiance envers Québec est limitée.» (Le Devoir, 6 mars 1995)




Projet de société

Les travaux des commissions firent apparaître de façon récurrente la nécessité de lier la souveraineté à un projet de société. Le président de la commission de Montréal, Marcel Masse, recommandait au gouvernement d'inclure un projet de société à son avant-projet de loi: «Les gens veulent savoir en quoi et comment cet outil nouveau de la souveraineté va changer leur vie. La population veut savoir en 1995 "la souveraineté pour quoi faire?" et non plus "la souveraineté pourquoi?" comme en 1980. La souveraineté est un outil pour changer la société.» (Cité par Le Devoir, 17 mars 1995) Dans toutes les régions cette problématique fit recette. On plaida pour que la souveraineté fasse émerger une société meilleure, plus ouverte à la participation démocratique, à l'égalité des personnes et à la solidarité.

Le rapport de la commission nationale déposé le 19 avril dégageait les principales lignes de consensus: axer la déclaration de souveraineté sur les valeurs fondamentales définissant un projet de société, former une assemblée constituante élue pour rédiger une constitution, adopter une structure politique décentralisée pour le nouvel État et inclure une offre de nouveau partenariat avec le Canada fondé sur une union économique et une union politique: «Les commissaires demeurent conscients que les craintes de voir le Québec échouer dans sa tentative de conclure l'union économique avec le Canada pourraient empêcher beaucoup de Québécoises et Québécois de se rallier au projet souverainiste.» Cette perception était confirmée par les sondages dont celui de Radio-Canada qui indiquait que si 40% des Québécois étaient prêts à dire OUI à la souveraineté cette proportion grimpait à 55% lorsqu'on assortissait la souveraineté d'une union économique avec le Canada.




L'entente tripartite

Les leaders souverainistes furent très attentifs aux mouvements de l'opinion publique et ajustèrent leur stratégie en cours de route. Ils voulaient à tout prix écarter la possibilité de tenir un référendum perdant et étaient obsédés par la formulation d'une question la plus rassembleuse possible. Même si le chef du Parti québécois était maître du jeu, il devait tenir compte de ses alliés. Après une longue absence de la scène politique en raison de sa terrible maladie, Lucien Bouchard força un virage stratégique en exigeant dans un premier temps que la question fasse mention de l'union économique avec le Canada et dans un deuxième temps que le référendum soit reporté à l'automne. Peu après, Jacques Parizeau annonça qu'il n'y aurait pas de référendum au printemps et accepta de revoir le contenu de l'avant-projet de loi afin d'y inclure les demandes de ses partenaires.

Pour redonner un élan au projet souverainiste, les chefs du Parti québécois, du Bloc québécois et de l'Action démocratique signèrent le 12 juin un pacte tripartite visant à rassembler le «camp du changement». Cette entente prévoyait que dans l'éventualité d'un OUI au référendum l'Assemblée nationale pourrait proclamer la souveraineté du Québec mais devrait au préalable offrir au Canada de négocier un traité de partenariat économique et politique. Le Québec serait souverain tout en demeurant associé économiquement et politiquement avec le Canada. Le traité devrait contenir un engagement des deux États à maintenir et améliorer l'espace économique existant, une définition des règles de partage des actifs fédéraux et de la dette commune et la définition des institutions politiques nécessaires à la gestion du nouveau partenariat. Le document précisait aussi le type d'institutions politiques souhaitées en s'inspirant largement des institutions de l'Union européenne. Il devait y avoir au sommet un Conseil du partenariat formé à parts égales des ministres des deux États qui verra à la mise en oeuvre du traité et qui prendra ses décisions à l'unanimité. On prévoyait ensuite une assemblée parlementaire formée pour un quart de députés québécois et pour le reste de députés canadiens, le mode de désignation de ces députés n'étant pas spécifié. Cette assemblée examinera les projets de décision du Conseil et aura un pouvoir de recommandation au Conseil. Enfin, on proposait la création d'un tribunal arbitrant les différends relatifs à l'application et à l'interprétation du traité.




Un an de négociations

L'entente tripartite stipulait aussi que les négociations avec le futur partenaire canadien dureraient au plus un an sauf si l'Assemblée nationale en décidait autrement. Dans l'hypothèse d'un refus de négocier ou d'un blocage des négociations, l'assemblée nationale pouvait proclamer la souveraineté dans les meilleurs délais. Enfin, pour déterminer à partir de quel moment les négociations seraient dans l'impasse on formerait un comité de surveillance composé de personnalités nommées par les trois partis.

Lucien Bouchard résumait ainsi la dynamique de la nouvelle stratégie: «Une fois qu'on aura voté OUI, le Québec deviendra souverain quelle que soit la réaction du Canada.» (Le Devoir, 13 juin 1995) Toutefois, on laissait indéterminé le moment où le Québec deviendrait un État souverain ce qui laissait présager de longues négociations avec le Canada. Ce projet contenait les éléments susceptibles de rallier à la fois les partisans de la souveraineté et les fédéralistes déçus qui désiraient donner une nouvelle chance au Canada de réaménager la maison commune». Non seulement ce virage modifiait-il le rapport de force dans les intentions de vote, faisant grimper de 45% à 52% le soutien au OUI, mais il avait aussi l'avantage de déstabiliser la stratégie des adversaires fédéralistes qui répétaient depuis l'élection du PQ que le fardeau de la preuve revenait aux souverainistes et que les fédéralistes n'avaient rien à proposer dans le débat référendaire. En faisant cette ouverture sur un nouveau partenariat, les souverainistes modifiaient la dynamique du débat en incitant les porte-parole fédéralistes à définir une position. Il ne s'agissait plus simplement de dire OUI ou NON à la souveraineté, mais de se prononcer sur une nouvelle entente Canada-Québec». On partageait ainsi le fardeau de la preuve puisqu'on élargissait l'enjeu du référendum en centrant le débat sur l'enclenchement d'une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles pour aménager les conditions d'accession à la souveraineté. Si les porte-parole fédéralistes maintenaient leur intransigeance, ils porteraient l'odieux de dire NON au Québec et les souverainistes pourraient arguer qu'ils avaient tout tenté pour renouveler le système politique canadien. On espérait mobiliser l'esprit d'accommodement des Québécois, capitaliser sur la positivité contenue dans la perspective d'une nouvelle entente et récupérer le soutien des indécis.

Ce virage inversait les rôles. Alors que les souverainistes engageaient la bataille pour la souveraineté et l'association avec le Canada, les fédéralistes deviendraient les responsables de la séparation s'ils persistaient à rejeter les offres du Québec.




La riposte fédéraliste

De leur côté, les fédéralistes préparaient leur riposte à cette nouvelle approche. Dans un document de stratégie du camp du NON dévoilé par Jacques Parizeau le 26 juillet, on expliquait que l'objectif stratégique des fédéralistes était de garder l'enjeu sur la séparation et d'attaquer la crédibilité de l'idée d'association économique. On prévoyait à cette fin orchestrer une déclaration commune des premiers ministres du Canada rejetant le maintien des liens économiques avec le Québec. Mais le document précisait qu'il fallait éviter de susciter un sentiment de rejet au Québec. Le succès de la campagne du NON dépendrait des variables suivantes: l'opinion publique canadienne devait rester calme et ne pas réagir négativement au Québec, les médias ne devaient pas dramatiser la situation, il fallait développer un sentiment d'appartenance au Canada par des campagnes publicitaires et donner l'impression que voter NON était un geste positif pour l'avenir du Québec. (Voir Le Devoir, 27 juillet 1995.)

Les souverainistes comptaient aussi sur l'ajout de l'union économique et politique pour attiser les dissensions latentes au sein des forces fédéralistes en les obligeant à préciser leurs intentions constitutionnelles. Les divergences entre les libéraux provinciaux et fédéraux avaient été mises sous le boisseau depuis l'acceptation de l'entente de Charlottetown, mais au sein du Parti libéral du Québec, certains éléments croyaient qu'on ne pouvait arriver au débat référendaire les mains vides et qu'il fallait doter le parti d'une position constitutionnelle plus forte se situant entre le statu quo et la séparation (Le Devoir, 9 décembre 1994 et 2 août 1995). Cette optique défendue par la Commission jeunesse du PLQ fut écartée par Daniel Johnson car elle aurait suscité des dissensions dans le camp fédéraliste.

Après avoir pendant 30 ans fait de la réforme constitutionnelle un des piliers de leur programme politique, sous la direction de Daniel Johnson les libéraux venaient de découvrir que le fédéralisme était par définition un système évolutif et qu'on n'avait pas besoin de changements constitutionnels d'autant plus que les Canadiens n'en voulaient pas. Le Québec devait accepter la logique canadienne.




La question

En dépit de nombreuses pressions pour reporter le référendum et après de longues tergiversations sur la formulation de la question, le gouvernement annonça que le référendum aurait lieu le 30 octobre et qu'il porterait non pas sur l'avant-projet de loi tel que prévu le 6 décembre mais sur une question: «Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995? Oui ou non.»

Au delà du libellé formel de la question, les Québécois seraient appelés à se prononcer sur deux visions opposées de l'avenir politique du Québec: accéder au statut de pays indépendant ou rester une province à l'intérieur de la fédération canadienne. D'un côté, le camp du NON présenterait la séparation comme étant l'enjeu du débat référendaire, alors que le camp du OUI allait chercher à orienter le débat sur le projet d'une nouveau partenariat avec le Canada afin de rallier les électeurs hésitants.