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Les relations de travail · Une paix sociale relative



Pierre Noreau
UQAT


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : Le mouvement syndical



Dans un paysage toujours dominé par la sombre réalité du chômage, une certaine paix a régné dans les relations de travail pendant l'année écoulée. Une paix qui n'a aucune garantie d'avenir si l'on songe aux suppressions d'emplois qui font graduellement disparaître toute une tradition de service public.

Bien que l'année 1994-1995 ait laissé derrière elle un taux de chômage élevé, de près de 11,5% au Québec, de nombreux indicateurs économiques révèlent en fait que nous connaissons une période de croissance générale de l'économie et de l'emploi. Ce niveau de chômage important représente en effet une baisse significative du taux de chômage qui s'élevait en moyenne à 13,2% en 1993 et à 12,2% en 1994 (Statistique Canada, Statistiques chronologiques sur la population active 1994, Ottawa, catalogue 71-201, février 1995, p. 243). Le retour d'une partie des chômeurs découragés au sein de la population active est cependant venu diminuer les effets statistiques de ce redressement de l'emploi. Toujours en 1994, on constate par ailleurs une diminution relative des emplois à temps partiel qui passaient de 15,7% en 1993 à 15,1% en 1994 (Le marché du travail, janvier-février 1995, p. 145).

On prévoyait cependant déjà, au début de 1995, que la montée des taux d'intérêt et la compression des dépenses gouvernementales allaient contribuer à ralentir la croissance économique, et partant, la croissance éventuelle de l'emploi. Aussi, le taux de chômage devrait-il se maintenir très près des 11,5%, en moyenne, pour 1995 et cette situation de précarité générale devrait avoir d'importantes conséquences sur l'évolution des relations de travail, notamment dans les secteurs d'emploi les plus syndiqués, comme ce fut le cas pour la période 1993-1994.



Affiliation et taux de présence syndicale

En 1992, 1 207 823 salariés étaient couverts par une convention collective de travailleurs de juridiction québécoise; ce nombre passait à 1 169 449 en 1993 et à 1 149 928 en 1994 (ibid., p. 7). En chiffres absolus, 19 521 des emplois couverts jusque-là par une convention collective québécoise ont ainsi été perdus entre 1993 et 1994 et le taux de présence syndical passait de 49,7% en 1992 à 46,8% en 1993 et à 43,8% en 1994. Ce chiffre reste encore important si on le compare au taux de syndicalisation aux États-Unis, qui s'établit à 15,8% pour l'ensemble des secteurs économiques (ibid., tableau 4, p. 107).

Le membership syndical québécois est lui-même réparti différemment en fonction de l'affiliation des salariés à l'une ou l'autre des organisations syndicales connues. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) demeure ainsi la plus importante centrale avec ses 470 786 membres syndiqués, alors que la Confédération des syndicats nationaux (CSN) compte 258 675 membres, la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ) 106 609 et la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) 58 507 (Répertoire des organisations de travailleurs et travailleuses au Canada 1994-1995, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services, 1995, p. xiv.) En contrepartie 233 769 salariés étaient regroupés au sein de syndicats dits « indépendants », c'est-à-dire sans affiliation avec aucune des grandes centrales syndicales reconnues. À titre d'illustration, soulignons qu'ils représentaient 24,7% des salariés syndiqués en vertu d'une convention de travail de juridiction québécoise (Le marché du travail, op. cit., p. 105). Ainsi, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) regroupait à lui seul près de 45 500 membres et la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, près de 45 000. Par ailleurs 1 447 871 salariés québécois ne bénéficiaient d'aucune protection syndicale, leurs conditions de travail étant établies sur la base de contrats individuels de travail et régis par la Loi sur les normes du travail. Le taux de présence syndicale (et de non-syndicalisation) varie d'ailleurs en fonction des secteurs économiques. Ainsi, pour 1994, le taux de présence syndicale s'élève à 44,6% dans le secteur primaire, à 54,7% dans le secteur secondaire (secteur manufacturier et secteur de la construction réunis) et à 39,4% dans le secteur tertiaire. Cette dernière proportion est cependant artificiellement gonflée par la syndicalisation poussée des fonctionnaires de l'administration publique (88,5%) et des enseignants (69,3%). Par ailleurs, toujours en 1994, alors que 31,2% des travailleurs du secteur privé étaient syndiqués, c'était le cas de 73,3% des employés du secteur public. Il convient de rappeler que ces proportions étaient respectivement de 32.4% et de 80,2% en 1989, ce qui tend à démontrer une stagnation graduelle de la syndicalisation dans le monde du travail québécois au cours des dernières années.




Les conditions de travail

Chaque année le ministère de l'Emploi dresse un bilan des conventions collectives négociées au Québec. Dressé sur la base de l'année antérieure (1993-1994), cet inventaire nous permet d'établir un portrait général de la situation. (Les données qui suivent sont tirées du texte de Réal Morissette, «Les conditions de travail négociées en 1993-1994», paru dans Le marché du travail, janvier-février 1995, p. 9 et 115 à 120.) Cet inventaire rend surtout possible une analyse continue des changements intervenus en matière de relations de travail et traduit l'évolution des conditions de travail au cours des dernières années. On constatera cependant que ces changements sont largement fonction des grandes mutations sociales que nous avons connues au cours de la même période. Ils répondent aux problèmes nouveaux posés par la diminution graduelle des emplois permanents, l'augmentation du travail à temps partiel, l'avènement du travail le dimanche, l'insertion des femmes dans le marché du travail, la reconnaissance de la responsabilité paternelle, l'importance accrue de la formation, l'augmentation de l'espérance de vie et la planification nécessaire des années de retraite etc.

Ainsi, le ministère constate, depuis 1980, l'ajout fréquent de clauses instituant des comités conjoints de relations de travail, l'allongement graduel des périodes de probation nécessaire à l'acquisition de la permanence, l'abandon - notamment depuis 1991 - des clauses d'indexation des salaires, mais l'augmentation continue des clauses prévoyant des primes pour le travail dominical. On constate également une amélioration des dispositions relatives aux congés annuels et une plus grande fréquence des clauses prévoyant un congé de paternité en cas d'adoption ou de naissance, clause qu'on trouve aujourd'hui dans plus de 85% des conventions collectives. En contrepartie, les congés de maternité, qu'on compte maintenant dans 75% des conventions collectives, sont parfois réduits dans leur durée et dépendent d'un nombre croissant d'années de service.

Depuis 1980, on observe par ailleurs une augmentation continue des clauses de congé-éducation, l'établissement graduel de régimes collectifs de retraite (prévus dans 65% des conventions collectives) et l'ajout de plus en plus répandu de dispositions prévoyant la mise sur pied de régimes collectifs d'assurance-vie exigeant une contribution de l'employeur. On trouve également plus fréquemment des clauses prévoyant la semaine de travail comprimée et des mesures visant à assurer la formation des travailleurs en matière de santé et de sécurité au travail. Finalement, signe de ces temps de précarité, on constate la reconnaissance plus fréquente des employés à temps partiel pour les fins d'application des conventions signées et un léger flottement quant à l'utilisation de l'ancienneté comme critère d'application des droits de supplantation.

En matière salariale, soulignons finalement les conclusions du rapport de l'Institut de recherche et d'information sur la rémunération (IRIR), un organisme indépendant chargé d'établir la comparaison de la rémunération globale des salariés de l'administration québécoise et des autres salariés québécois. Les études de l'IRIR permettent notamment de tenir compte du niveau des salaires, mais aussi de la rémunération globale, qui comprend les débours relatifs aux avantages sociaux. Ainsi, en mai 1995, l'Institut constatait que le salaire des employés de l'administration québécoise accusait un retard de 3% par rapport à l'ensemble des autres salariés québécois et que cet écart était également observable au niveau de la rémunération globale, puisqu'on enregistrait à ce chapitre un déficit de 2,5% (Onzième rapport sur les constatations de l'IRIR, partie 1, Montréal, mai 1995, 148 p.). Cet écart est encore plus accentué si on compare les conditions salariales des employés de l'administration québécoise avec les autres salariés syndiqués. On enregistre alors un déficit de - 5,2% au chapitre des salaires et de - 6,7% au chapitre de la rémunération globale. Ces conditions sont cependant plus avantageuses que celles que connaissent les salariés du secteur privé « non-syndiqué» (+ 5,9% et + 13,2%) et celles des salariés de l'administration publique fédérale (+ 4% et + 6,7%).

En contrepartie les conditions de rémunération des salariés de l'administration provinciale sont beaucoup moins avantageuses que celles des employés municipaux par rapport auxquels ils enregistrent un déficit respectif de - 16,6% et - 27,5% au chapitre des salaires et de la rémunération globale. Sur une base longitudinale, les conclusions de l'IRIR tendent d'ailleurs à con firmer un affaiblissement graduel de la situation comparative de l'administration québécoise par rapport à l'ensemble des autres salariés au cours des cinq dernières années.

Les relations de travail qui ne sont pas régies dans le cadre d'une convention collective sont partiellement couvertes par la Loi sur les normes de travail et les dispositions de diverses législations touchant les relations de travail. Ainsi, en 1994, plus de 55% des salariés n'avaient aucune protection syndicale. LeQuébec comptait 177 000 employeurs et sur ce nombre 175 000 étaient assujettis à la Loi sur les normes de travail et 79% (139 000) n'avaient que cette législation comme régime de relation de travail1 ] .

La Commission des normes du travail (CNT) reçoit chaque année près de 600 000 demandes de renseignements téléphoniques et entre avril 1994 et mars 1995, 28 211 plaintes étaient formellement adressées à la Commission, ce qui constitue une augmentation de 17% par rapport à l'année précédente (24 124 plaintes pour 1993-1994). Ces plaintes constituent un bon indicateur des problèmes rencontrés par les salariés dans le cadre des relations de travail en milieu non syndiqué. Pour une large part (19 408), ces plaintes concernaient des demandes de nature pécuniaire : 3270 plaintes touchaient également des questions de congédiements et 1837, des problèmes de pratiques interdites concernant notamment des situations d'absence pour maladie ou accident (38,2%), d'exercice d'un droit reconnu par la loi (30,5%) ou de problèmes d'emplois rencontrés par des travailleuses enceintes (23,8%).

I.a Commission cherchant graduellement à déjudiciariser ses interventions, le nombre de dossiers reçus par la direction des affaires judiciaires de la CNT tend lui-même à diminuer graduellement chaque année et passaient de 3966 en 1992-1993 à 3060 en 1993-1994 et 2743 en 1994-1995. Si les plaintes adressées à la CNT connaissent généralement un règlement partiel ou total à la suite de l'intervention de la Commission, les plaintes pécuniaires, même justifiées en fait et en droit, doivent parfois être déférées aux affaires judiciaires, notamment dans les cas de faillite de l'employeur, d'incapacité financière ou de non-paiements des réclamations faites par la Commission.

Sur une plus large échelle, les dispositions régissant les rapports de travail en dehors des entreprises syndiquées ont également connu quelques modifications. Au chapitre des protections législatives, il convient par exemple de souligner la hausse du salaire minimum de 5,85$ à 6$, depuis le 7 septembre 1994. Une autre modification du règlement sur les normes de travail adoptée au printemps prévoit par ailleurs une nouvelle hausse du salaire minimum de 6,00$ à 6,45$ à compter du 11, octobre 1995. Rappelons également, au cours de la période 1994-1995, une modification de la Loi des normes concernant le prélèvement de la cotisation des employeurs au financement de la Commission des normes du travail, dispositions dont l'application relèvera désormais du ministère du Revenu; l'ajout du dimanche de Pâques comme jour férié pour les salariés travaillant dans un établissement habituellement ouvert le dimanche; et une modification assurant la concordance des dispositions de la Loi sur les normes de travail et de la nouvelle Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires. En matière de santé et de sécurité au travail, soulignons l'entrée en vigueur de dispositions réglementaires plus serrées concernant les contaminants chimiques et prévoyant la réglementation de 660 substances différentes.




Relations et conflits de travail

Les données sur l'état des relations de travail au cours de la période 1994-1995 sont généralement fonction de l'évolution des conflits de travail relevant de l'application du Code du travail, c'est-à-dire négociées au sein d'entreprises syndiquées. Ces indicateurs révèlent à peu près tous un apaisement des relations patronalessyndicales et traduisent une relative paix sociale.

Près de 2000 conventions collectives doivent être renouvelées chaque année après une période d'application moyenne de trois ans. En 1994, seulement 104 conflits de travail (grèves ou lock-outs) ont été déclenchés, ce nombre passant à 136 si on tient compte des conflits enclenchés en 1993 qui se sont poursuivis jusqu'en 19942 ] . 12 907 salariés ont ainsi été touchés par un arrêt de travail, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (40,3% des travailleurs touchés) et dans le secteur des services socioculturels, commerciaux et professionnels (27%). Au total, 318 922 jours-personnes ont été perdus au cours de 1994, mais cette donnée doit être mise en rapport avec les données cumulées pour les années antérieures. Ainsi, en 1993, 516 984 jours étaient ainsi perdus, 1 117 054 en 1990 et 2 250 949 en 1986. Sur une base comparative, on constate par conséquent un apaisement des rapports patronaux syndicaux. Ces données traduisent vraisemblablement l'incertitude des dernières années de récession. En effet, le marché du travail réagit toujours en décalage par rapport à l'évolution de l'économie en générale du fait de l'échéance des conventions collectives. Ces derniers chiffres devront d'ailleurs être à nouveau comparés avec les données de l'année 1995, au cours de laquelle 1951 conventions collectives doivent être renégociées.




Secteurs privé et péripublic

En 1994, 7748 conventions collectives négociées en vertu du Code du travail du Québec régissaient les rapports de travail des salariés des secteurs privé et péripublic. Au cours de la période 1993-1994, 1880 de ces conventions ont été renouvelées et 229 nouvelles conventions ont été signées. Ces renouvellements concernaient les conditions de travail de 148 844 salariés et 7384 nouveaux salariés ont pu négocier leur première convention collective de travail. L'intervention d'un conciliateur a été nécessaire dans 10,7% des cas et un arbitrage s'est imposé dans 1,1% des cas.

Des arrêts de travail ne sont intervenus que dans moins de 5% des conventions collectives conclues - soit dans 104 - de sorte que plus de 95% des conventions ont été signées sans recours à la grève ou au lock-out. La grève est intervenue dans 62,5% des cas d'arrêt de travail et le lock-out dans 28,9%. Dans 8,6% des cas, on a pu constater une superposition de grève et de lock-out. Au total, 6570 salariés ont été touchés par un arrêt de travail.

Les différentes centrales syndicales ont par ailleurs été différemment impliquées dans ces arrêts de travail. La FTQ dans 59% des cas puis, par ordre décroissant, la CSN (24%), la CSD (9,6%) et les syndicats indépendants (6,7%). En proportion de leur implication respective dans la négociation des conventions collectives, c'est cependant la CSD qui fut la plus souvent impliquée dans ces arrêts de travail, suivi de la CSN, de la FTQ et des organisations indépendantes.

Une comparaison effectuée pour 1993 avec les autres provinces canadiennes révèle qu'en fonction du nombre de jours perdus et du nombre de salariés touchés lors d'un arrêt de travail, la moyenne québécoise se situait au-dessus de la moyenne ontarienne (33,4 jours perdus par salarié au Québec, contre 21,5 en Ontario), mais en deçà de la moyenne des autres provinces, établie à 48,5 jours perdus pour chaque salarié touché. En termes absolus le nombre des arrêts de travail était à peu près deux fois plus élevé au Québec que dans les autres provinces canadiennes.




Secteurs public et parapublic

Dans les secteurs public et parapublic le débat aura à la fois porté sur la diminution des effectifs de la fonction publique et la réévaluation des dispositions de la loi 102. Le problème de la diminution des effectifs tire ses origines de la loi 198, adoptée en juin 1993 par le gouvernement libéral de Daniel Johnson. Elle prévoit notamment une diminution de 12% des effectifs de la fonction publique, répartie sur une période de cinq ans et touche plus spécifiquement le personnel d'encadrement. À l'approche des élections, il apparaît cependant évident que plusieurs de ces mesures seront reportées à l'automne de 1994; or, cette stratégie implique le transfert de décisions impopulaires entre les mains du gou vernement suivant. Un défilé humoristique organisé par le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) le 11 septembre, à la toute veille des élections, rappellera aux deux principaux partis le refus de la fonction publique de voir ses effectifs réduits. Le gouvernement du Parti québécois une fois au pouvoir promettra d'abord de réviser les mécanismes ayant conduit aux «coupures aveugles» déjà annoncées, mais accepte finalement de vivre jusqu'à la fin de l'année financière 1994-1995 avec les coupes prévues aux lois 102 et 198. La présidente du Conseil du trésor, Pauline Marois, indiquait en décembre que la loi 198 sur la réduction des effectifs serait annulée dès qu'elle aurait conclu une entente-cadre avec l'ensemble des organisations syndicales touchées par la réorganisation de la fonction publique et des secteurs de la santé et des services sociaux.

Cette proposition débouchera en effet sur un processus de consultation continue auprès des grandes organisations syndicales à compter de l'hiver 1995. Le projet de loi 55 établissant ces nouvelles orientations était adopté le 2 février 1995 et ratifié le 8 février. Les observateurs s'entendent néanmoins pour reconnaître que les objectifs poursuivis par la loi 198 seront pour l'essentiel atteints et que la non-application de cette loi a surtout réduit les motifs d'insatisfaction et favorisé l'introduction d'une négociation raisonnée permettant à moyen terme la participation des organisations syndicales à la réorganisation de la fonction publique et des secteurs de la santé et des services sociaux.

Ces échanges de longue haleine sont cependant menés parallèlement à la renégociation des conditions de travail des syndiqués des secteurs public et parapublic, fixés depuis 1993 par la loi 102. En effet, tout au cours de la même période, les organisations syndicales chercheront à faire modifier les dispositions imposées par la loi 102. Celles-ci prévoient notamment une diminution de 1 % de la masse salariale dans la fonction publique (en raison de l'imposition de jours de congé forcés et impayés) et un gel des salaires de deux ans imposés à compter du 30 juin 1995. Ces dispositions continueront par conséquent de s'appliquer jusqu'au 30 juin 1995, date à partir de laquelle les employés des secteurs public et parapublic se retrouvent sans convention de travail.

En campagne électorale, le Parti québécois avait laissé entendre qu'il retirerait la loi 102 adoptée par le gouvernement de Daniel Johnson. Les différents syndicats impliqués dans la négociation des conditions de travail dans la fonction publique et le secteur de la santé et des services sociaux auront tout au cours de l'année réclamé du gouvernement du Québec qu'il retire la loi 102 avant que ne s'engage toute nouvelle ronde de négociation. Plusieurs manifestations seront organisées à cette fin en mai 1995. À deux reprises, des rencontres organisées entre les représentants syndicaux et le premier ministre auront permis un éclaircissement des questions mises en cause dans le cadre de cette négociation et si la Fédération des affaires sociales (affiliée à la CSN) a été tentée de troquer son appui à la souveraineté contre le retrait définitif de la loi 102, cette tendance n'a pas été suivie par les autres organisations syndicales impliquées

À la fin du mois de mai, le gouvernement proposait un blocage des salaires de trois ans aux salariés de la fonction publique, de l'éducation, de la santé et des services sociaux, en échange d'une restitution de la masse salariale (diminuée de 1% depuis juin 1993) à compter du 1er avril 1996. En réponse à cette offre, les représentants syndicaux déposaient une contre-proposition, le 16 juin, exigeant l'abolition du gel des salaires, la protection du pouvoir d'achat des employés des secteurs public et parapublic et le retrait immédiat de la loi 102. Les six organisations syndicales impliquées espéraient par ailleurs en arriver à une entente avant le milieu de juillet de manière à ce que les négociations ne viennent pas interférer avec les enjeux référendaires. Au milieu de l'été 1995, ces négociations étaient encore en cours.




Autres soubresauts

Le secteur public et le secteur parapublic auront également été traversés par d'autres soubresauts. Ainsi, tout au cours de l'année, les relations entre la Sûreté du Québec et l'Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ) se sont envenimées de sorte qu'au milieu de 1995, il était prévisible que le chemin conduisant au renouvellement de la convention collective des 4300 policiers de la Sûreté du Québec serait parsemé d'embûches. Le différend porte à la fois sur l'établissement d'un plancher d'emploi et l'assouplissement des modalités qui doivent présider à la mutation des effectifs policiers sur le territoire, et même si aucun arrêt de travail n'était encore envisagé à la fin de l'été 1995, il était raisonnable de croire que les négociations à venir seraient difficiles.

Le secteur public aura par ailleurs été perturbé par la conclusion d'une entente entre le gouvernement du Québec et l'Alliance de la fonction publique concernant le transfert des fonctionnaires fédéraux au sein de la fonction publique québécoise dans l'hypothèse d'un vote majoritaire en faveur du OUI lors du référendum sur la souveraineté. L'entente stipule que les 25 000 fonctionnaires fédéraux résidant au Québec se verraient offrir un emploi de même niveau par Québec et que leurs conditions de travail seraient maintenues au cours des deux années qui suivraient la reconnaissance de la souveraineté du Québec. Cette entente allait cependant appeler une forte réaction du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec qui considérera avoir été maintenu à l'écart de la négociation. Dans le même sens, le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec s'inquiétera qu'on favorise davantage les fonctionnaires fédéraux que les 500 professionnels québécois qui occupent actuellement un emploi précaire au sein de la fonction publique provinciale.




Une tradition menacée

Sur un autre registre, la réforme de la santé sera également venue perturber les relations entre l'État québécois et ses employés du secteur de la santé touchés par la fermeture de plusieurs hôpitaux dans la région de Montréal et de Québec. Les nombreuses manifestations organisées tant par les administrateurs de ces hôpitaux que par leurs employés syndiqués ne conduiront cependant pas à la modification des décisions prises par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Jean Rochon, de sorte qu'à la fin de l'été 1995, la fermeture de ces hôpitaux était toujours prévue.

L'épisode met cependant en évidence la difficulté des gouvernements à gérer la décroissance sans perturber les relations de travail qu'ils entretiennent avec leurs employés et leurs rapports avec le citoyen. C'est sans doute la leçon qu'il faut également tirer des rapports de l'État fédéral avec ses propres salariés. Rappelons en effet, à titre d'illustration complémentaire, l'impact du dernier budget du ministre des Finances fédéral sur l'emploi qui prévoit des compressions de 45 000 postes dans la fonction publique fédérale d'ici 1998, dont 13 000 dans la région d'Ottawa-Hull. La résistance des organisations syndicales à ces réductions de personnel rétablit une jonction inattendue entre les intérêts des citoyens et ceux des salariés des secteurs public et parapublic. Derrière ces rationalisations administratives c'est en effet toute une tradition de service public qui est sur le point de disparaître et une certaine idée des conditions et des obligations de la vie collective. Est-il est possible qu'à l'avenir le mouvement social trouve une assise inattendue dans le remplacement des bureaux d'assurance-chômage et d'aide sociale par des guichets automatiques et des boîtes vocales? Histoire à suivre...




Note(s)

1.  Les données présentées dans ce qui suit sont tirées des statistiques établies par la Commission des normes du travail en vue de son rapport annuel 1994-1995, encore sous presse au moment de la rédaction des présentes. La lecture du rapport annuel à venir permettra au lecteur de bénéficier des chiffres définitifs.

2.  Ces données définitives nous ont été fournies en août 1995 par le ministère de l'Emploi.