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La vie locale et régionale · La région, réalité politique



Louise Quesnel
Université Laval


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : La vie municipale et régionale



La volonté de décentraliser et la création des délégués régionaux par le nouveau gouvernement souligne l'émergence des régions comme réalités politiques et l'importance grandissante de la démocratie locale.

Pour les localités québécoises, la période 19941995 est marquée par la continuation d'un long processus de redéfinition des marges de manoeuvre locales dans un contexte où tout bouge. Dans la sphère politique, les relations entre niveaux de gouvernement sont redéployées sous l'impulsion de projets de transferts de responsabilités activés par des changements importants d'acteurs. Ces projets s'appuient sur des énoncés de politiques affirmant des virages significatifs pour le local, notamment à propos du devenir des régions. Nous nous arrêtons d'abord sur ces projets d'envergure, pour considérer, dans un deuxième temps, quelques questions plus circonscrites et ponctuelles.



L'importance du niveau provincial

La vie locale et régionale a été très présente dans la campagne électorale de 1994 puisque les deux principaux partis politiques ont appuyé leurs stratégies, pour une bonne part, sur des projets locaux. Ainsi, le Parti libéral, et plus précisément le ministre des Affaires municipales Claude Ryan, ont fait campagne en s'engageant à participer financièrement à de nombreux projets d'infrastructures, dans le cadre du programme tripartite impliquant les autorités fédérales, provinciales et municipales. Initialement conçu pour permettre la construction d'infrastructures de base, le programme est passé, à la faveur de la campagne électorale, de projets de routes et d'égouts à des projets de terrains de jeux ou de patinoires, et même à la réfection de clochers d'églises.

La fièvre électorale passée, les municipalités ont appris qu'il y a parfois loin de la coupe aux lèvres et que les projets d'infrastructures n'étaient pas aussi arrêtés que ne l'avaient cru les maires qui avaient appuyé le gouvernement libéral en fin de mandat. En fait, les projets ont été rediscutés et reclassés selon de nouvelles priorités par le gouvernement péquiste.

Du côté du Parti québécois, la campagne électorale a fait une place sans précédent aux régions et aux municipalités, dans le contexte plus large de son projet de souveraineté. Le futur premier ministre, Jacques Parizeau, fort de sa double expérience de président de la Commission sur l'avenir des municipalités en 1986, et de ministre des Finances responsable de la réforme de la fiscalité municipale en 1979, s'est même aventuré à promettre d'ouvrir l'impôt sur le revenu aux municipalités dans un Québec souverain, et à transférer une part importante des responsabilités aux régions.

Ce discours a pu séduire les forces régionales et les populations locales. Mais il n'a probablement pas convaincu les élus municipaux dont l'oreille était plus attentive aux promesses libérales d'investissements dans les projets d'infrastructures. Une fois au pouvoir, le gouvernement péquiste ne résistera pas à la tentation de rebrasser ces projets à la sauce référendaire pour tenter la difficile tâche d'apprivoiser les élus municipaux encore marqués par une forte tradition d'allégeance libérale.

Aussitôt au pouvoir, le gouvernement du Parti québécois a pris deux décisions d'une importance majeure pour la vie locale et régionale: d'abord la création des délégués régionaux et ensuite le dépôt de l'Avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec. Celui-ci a lancé les audiences de la Commission nationale sur l'avenir du Québec, qui ont permis la tenue d'un débat sur la décentralisation.




Les délégués régionaux

En présentant son cabinet, le premier ministre Parizeau utilisait des mots forts pour décrire le rôle de ses nouveaux délégués régionaux:

Mesdames et messieurs les ministres sectoriels, qui êtes assis à ma droite, je vous présente, à ma gauche, vos empêcheurs de centraliser tranquille, votre conscience des régions, et, au besoin, vos chiens de garde.

Les délégués régionaux, investis, tous, d'un mandat populaire de leurs propres électeurs, sont mes adjoints directs. Ils se réunissent sous ma présidence, et en présence du ministre d'État au développement des régions. Ils ont le pouvoir d'interpeller des ministres sectoriels. Ils pourront relayer les préoccupations des citoyens et des décideurs des régions, qui ne se gêneront pas pour frapper à leur porte et exiger des résultats. Qu'on ne s'y trompe pas. Avec ces délégués, les régions sont arrivées à Québec. (La Presse, 27 septembre 1994, p. B3)

S'agissait-il de délégués des régions à Québec ou de délégués du premier ministre dans les régions? La réaction favorable des milieux régionaux à l'annonce de ce qui a été vu comme la principale innovation annoncée en tout début de mandat par le gouvernement péquiste, montre que c'est le renforcement de l'accès direct des régions au bureau du premier ministre qui a d'abord été retenu. Par ailleurs, les 14 délégués régionaux sont les adjoints du premier ministre, c'est-à-dire des gens de confiance chargés de véhiculer les messages du chef du gouvernement en région tout en étant l'oreille régionale de ce dernier. Dans le contexte référendaire qui a marqué l'année 1995 et compte tenu de la place centrale que le gouvernement péquiste a voulu donner à la question régionale dans l'ensemble de ses politiques prioritaires, il est évident que la création des délégués régionaux du premier ministre a occupé une place stratégique dans le calendrier politique.

L'intervention des délégués régionaux dans les débats politiques tout comme dans le processus d'élaboration des politiques, a bouleversé les réseaux traditionnels en réduisant l'importance des députés comme représentants régionaux et en consacrant le rôle de personnes connues comme piliers actuels ou anciens du Parti québécois dans les régions. Ces relais entre le centre, à Québec, et les régions ont constitué un maillon stratégique de la construction de la démarche référendaire dont le moment le plus significatif en 1995 a été le travail de la Commission nationale sur l'avenir du Québec.




La décentralisation

Lors des audiences publiques tenues par la Commission à l'hiver 1995, l'article 3 de l'Avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec a été abondamment discuté par les acteurs locaux et régionaux. Le paragraphe 3 de cet article expose succinctement tout le volet local annoncé dans le projet du Québec souverain:

La constitution prévoira la décentralisation de pouvoirs spécifiques aux instances locales et régionales ainsi que des ressources fiscales et financières adéquates pour leur exercice.

L'occasion étant ainsi offerte de discuter de projet de société et des pouvoirs locaux, de nombreux maires en ont profité pour demander «beaucoup de décentralisation». Selon le journaliste Gilles Lesage, la question de la décentralisation a été parmi les points les mieux accueillis lors des audiences publiques (Le Devoir, 29 mars 1995, p. A1). Par ailleurs, sur la place à accorder aux régions et aux municipalités dans la constitution du Québec souverain, les opinions ont divergé: les forces locales ont soutenu que la décentralisation devait être inscrite dans la constitution tandis que les autorités provinciales ne souhaitaient pas aborder la question de façon aussi formelle.

Toutefois, sur le fond, les différentes forces locales et régionales n'ont pas un point de vue commun. Lorsqu'il s'agit de savoir en faveur de quelle instance devrait se faire le transfert de pouvoirs, les municipalités régionales de comté, les villes, les commissions scolaires tirent chacune de leur côté, pendant qu'à la Table Québec-municipalités, les discussions avancent à petits pas.

Loin des forums publics, la négociation à la Table Québec-municipalités entre les représentants des villes (par la voix de l'Union des municipalités du Québec), les représentants des milieux ruraux (par la voix de l'Union des municipalités régionales de comté et des municipalités rurales du Québec) et les représentants gouvernementaux, mène à l'amorce de discussions sur la décentralisation à partir du dépôt par le ministre des Affaires municipales en février 1995 d'un document d'orientation. L'objectif gouvernemental y est clairement identifié:

Le gouvernement veut ainsi non seulement transférer aux instances locales des responsabilités qui sont traditionnellement exercées par divers ministères et organismes, mais aussi revoir les conditions d'exercice de leurs responsabilités. (MAM, Décentralisation: document d'orientation générale des travaux, 1995, p. 2)

C'est une nouvelle conception des responsabilités des «instances locales» qui est énoncée, le terme, délibérément non restreint aux municipalités, annonçant que les commissions scolaires, les MRC et même les établissements de la santé et des services sociaux pourraient aussi être touchés. Les champs d'intervention visés concernent l'amélioration du réseau routier local, le développement touristique, l'aide aux garderies, l'aide aux entreprises, les bureaux d'enregistrement du ministère des transports, etc. Pour les élus municipaux, il s'agit non seulement de trouver une solution aux problèmes de centralisation, mais aussi de faire une «révolution», c'est-à-dire une refonte en profondeur du partage des pouvoirs.

Le dossier de la décentralisation a fait un pas en avant important en 1994-1995 par la clarification des enjeux et des points de vue des principaux intéressés. Trop peu d'attention a été portée, cependant, aux problèmes posés par la grande disparité de la réalité régionale. Le tableau 1 montre, en effet, que chacune des 16 régions administratives présente un profil très spécifique, par le nombre de municipalités et de MRC qui s'y trouvent, par sa population et par son territoire.




Les discussions, encore très générales, n'ont pas abordé la possibilité de la décentralisation à la carte. De plus, les consensus à propos de la nécessité d'un transfert de ressources pour accompagner la décentralisation de pouvoirs demeurent bien fragiles tant que les autorités provinciales n'auront pas fait de gestes concrets en ce sens. Quant aux modalités, les milieux locaux sont divisés: certaines villes s'opposent à tout changement de responsabilités tout en demandant une réduction des contrôles gouvernementaux, tandis que d'autres se disent prêtes à accueillir les nouvelles responsabilités et que les MRC souhaitent en faire autant.

Pour les autorités provinciales, la question de la décentralisation vient confirmer l'urgence de la consolidation des municipalités qui forme, par ailleurs, un volet important des «orientations du gouvernement en matière d'aménagement du territoire». Cette politique, élaborée sous le gouvernement libéral et rendue publique par le gouvernement péquiste peu après son élection, sert d'encadrement à la révision des schémas d'aménagement qui est amorcée par les MRC en 1994-1995. Elle propose explicitement le renforcement des municipalités par le regroupement. Mais ce défi n'a pas attiré les municipalités, qui ont continué de résister à toute forme de remise en cause de leurs limites territoriales. À titre d'exemple, voyons trois cas d'espèce qui ont attiré l'attention en 1994-1995.

Dans le cas des projets de regroupements de municipalités, la région de Québec a fait l'objet de plusieurs velléités d'annexion de la part de la ville centrale pour laquelle la question se pose en termes d'équité fiscale et de meilleur partage des ressources. Sans voir la solution du côté des .fusions pour la région de Montréal, le ministre des Transports référait lui aussi au principe du partage équitable du fardeau fiscal pour souhaiter que les municipalités situées en périphérie de la Communauté urbaine de Montréal soient davantage associées au financement du transport en commun sur le territoire de l'île de Montréal. Mais du côté des voisines de la Vieille Capitale, comme du côté des voisines de la métropole montréalaise, les attitudes des dirigeants locaux sont demeurées peu réceptives à ce qu'ils interprètent comme une incapacité de gérer correctement de la part des villes centrales.




Un «gouvernement» pour la région de Montréal?

En 1994-1995, on attendait une réponse des autorités provinciales et municipales au rapport du Groupe de travail sur Montréal et sa région (rapport Pichette). Ce rapport proposait la création d'un organisme décisionnel regroupant les 102 municipalités de la grande région montréalaise et le redécoupage des territoires des MRC. En fait, les recommandations du groupe Pichette n'ont pas donné lieu à l'élaboration de politiques ou même de projets spécifiques par manque d'appui du côté municipal comme du côté gouvernemental. D'une part, les MRC et les villes de la couronne immédiate de Montréal se sont dissociées de la problématique même du GTMR. D'autre part, le délégué régional pour la région de Montréal, Camille Laurin, a fait part des craintes du gouvernement provincial de voir un renforcement de la région métropolitaine par la formation d'un #gouvernement pour cette région de 3,5 millions de Québécois».

Dans le cas des villes-centres, troisième exemple intéressant pour évaluer l'importance des progrès accomplis au cours de 1994-1995, à la suite du rapport déposé auprès du ministre des Affaires municipales par les maires des six principales capitales régionales, le dossier a évolué dans le sens de la confusion plutôt que dans celui de la solution. À la suite du dépôt à la Table Québec-Municipalités du rapport sur la problématique des villes-centres, en décembre 1994, les villes ont accueilli avec intérêt la réflexion entamée, tout en refusant d'être exclues de l'aide que le gouvernement envisageait d'accorder à quelques-unes d'entre elles. En fait, aux dires de la journaliste Kathleen Lévesque, da moindre petite bourgade qui dessert quelques villages limitrophes réclame d'être identifiée comme ville-centre». (Le Devoir, 22-23 avril 1995, p. A-5) Et le concept de banlieue s'applique de plus en plus difficilement à des villes de l'importance de Laval, de Longueuil, de Sainte-Foy ou de Charlesbourg. Pour ébranler les forces de résistance au changement, il faudrait un consensus au niveau des politiques et une volonté d'intervenir de façon décisive. Ces deux conditions sont loin d'être réalisées en 1994-1995.




La planification stratégique régionale

Dans l'ensemble, les municipalités et les MRC se sont très peu investies dans la révision des schémas d'aménagement, opération à laquelle elles étaient conviées par le gouvernement provincial. Par ailleurs, elles se sont impliquées dans l'élaboration d'un plan stratégique régional, répondant en cela à l'appel que le Secrétariat aux régions lançait aux Organismes régionaux de concertation et de développement (ORCD).

La responsabilité de l'élaboration du plan stratégique fut confiée aux ORCD, organismes formés dans chacune des 16 régions administratives, regroupant des élus municipaux, tous les députés de la région à l'Assemblée nationale, des agents de développement socio-économiques (associations et groupes) et des représentants des organismes de services. Selon les termes du décret gouvernemental qui créait chacun de ces ORCD, leur fonction est surtout de favoriser la concertation en vue de formuler des avis au gouvernement et de «définir une planification stratégique de développement, pour un horizon d'environ cinq ans, en identifiant les forces, les faiblesses, les enjeux, les priorités et les axes de développement de la région». Concrètement, chaque région espère bien conclure des ententes avec les autorités provinciales qui lui permettront de réaliser des projets en partenariat avec les ministères et de gérer des fonds provenant des budgets provinciaux.

En 1994-1995, seule la première étape de ce processus a été franchie, alors que les ORCD ont adopté les modalités d'élaboration du plan régional et, dans certains cas, complété l'étape de l'identification des projets de développement. En appuyant leur démarche sur des inventaires statistiques pour chaque MRC, les spécialistes des ORCD ont en fait dégagé des priorités par MRC en intégrant les données déjà connues du premier schéma d'aménagement. L'avenir dira si cette démarche a nui ou si elle a favorisé l'émergence d'axes prioritaires de développement pour l'ensemble de chaque région, et si le processus a pu satisfaire les autorités gouvernementales au point de faire naître de nouveaux partenariats.

Mais le lancement de tels grands projets de concertation comporte le risque de débordement et de perte de contrôle. C'est ce qui s'est passé au ORCD Saguenay-Lac Saint-Jean où la préparation du plan stratégique a conduit en mars 1995 à des prises de position qui ont inquiété le gouvernement provincial. Le désir de se prendre en main y a conduit les représentants de l'ORCD à envisager la possibilité de se constituer en véritable gouvernement régional et à s'approprier une part des revenus tirés des redevances sur les ressources naturelles de la région. Cette «offensive révolutionnaire» pourrait se reproduire dans d'autres régions et établir un rapport de force avec les autorités provinciales qui aideraient ceux - dont le nombre effectif demeure encore à découvrir - qui sont partisans d'une décentralisation réelle.




La décentralisation des services de santé

Il ne faut pas oublier que le projet gouvernemental de décentralisation s'étend aussi au monde de la santé et des services sociaux. Dans ce domaine, 1994-1995 a été marquée par une implication sans précédent de délégués des municipalités et des organismes communautaires au sein des conseils d'administration des régies régionales de la santé et des services sociaux (RRSSS). Après avoir été mobilisés sans enthousiasme par ces nouvelles fonctions, les élus municipaux se sont trouvés impliqués dans le processus de réduction de l'ensemble des établissements désigné par les autorités gouvernementales sous le nom de «virage ambulatoire». Plusieurs élus ont occupé une place stratégique à titre de président du conseil de la RRSSS, apportant ainsi leur légitimité d'élus à un processus largement dominé par des individus qui trouvent ailleurs leur crédibilité, soit comme délégués des établissements et délégués des groupes socio-économiques ou des organismes communautaires.

Pour que l'opération porte, au moins en partie, les caractéristiques que suppose son nom, la décentralisation devait selon ses concepteurs, impliquer un certain nombre d'élus. En étant désignés comme représentants des populations, les élus peuvent ainsi recevoir les pouvoirs qui leur sont transférés au nom du principe de la subsidiarité.

La décentralisation vise essentiellement à responsabiliser le citoyen de façon à ce qu'il puisse exercer un réel pouvoir sur des questions qui concernent son cadre de vie immédiat et sa vie quotidienne» (Ministère des Affaires municipales, Décentralisation: document d'orientation générale des travaux, février 1995, p. 3)

Dans ce contexte de remise en question et de réorganisation des appareils, un consensus demeure: celui de l'importance de la démocratie locale. Mais là aussi, l'année 1994-1995 a été celle des grands changements.




La démocratie locale

À l'automne 1994, les électeurs de 196 municipalités devaient choisir leurs représentants municipaux. Dans 39,8% des cas, cela s'est fait sans qu'il y ait d'élection au poste de maire, ce dernier étant élu par acclamation. Dans 60,2% des cas, soit dans 118 municipalités, les électeurs ont élu 60 nouveaux maires tandis que 58 maires ont été reportés au pouvoir.

Des élections municipales ont eu lieu dans la moitié des villes de l'île de Montréal, de même qu'à Longueuil, Sherbrooke, Trois-Rivières, Lévis, etc. (tableau 2). Dans bon nombre des villes de la région montréalaise, les maires sortant de charge ont été réélus sans opposition, comme à Dorval et à Saint-Léonard. À Montréal-Nord, le maire sortant a été réélu pour un neuvième mandat.




Les élections les plus spectaculaires ont eu lieu à Montréal, autant à cause des dispositifs qu'à cause des résultats (tableau 3). Parmi les cinq partis qui se sont fait la lutte, deux partis nouvellement formés ont attiré l'attention: Vision Montréal, fondé par Pierre Bourque en avril 1994, et le Parti des Montréalais, fondé par Jérôme Choquette. Pour le Rassemblement des citoyens et des citoyennes de Montréal (RCM), le candidat à la mairie était jean Doré, maire sortant de charge. Pour le front commun formé par la Coalition démocratique et le parti Montréal écologique, la candidate à la mairie était Yolande Cohen. Michel Bédard portait à nouveau les couleurs du Parti éléphant blanc de Montréal, comme il l'avait fait en 1990. À ces cinq candidats de parti s'en sont ajoutés six sans identification partisane.




La lutte a donc été longue et très serrée à la mairie de Montréal. Six mois avant le scrutin, Jean Doré était considéré comme gagnant, malgré une insatisfaction certaine à l'égard des politiques de l'administration RCM. I2évolution des positions relatives des différents candidats entre avril et novembre 1994 s'est faite sur deux tableaux. D'abord auprès des citoyens, les sondages effectués entre avril et octobre ont montré une montée constante de l'image de Pierre Bourque pour atteindre l'égalité avec jean Doré vers la mi-octobre. Par contre, sur le tableau des médias, jean Doré a maintenu une position préférentielle, notamment à cause de son expérience et des faiblesses de son principal adversaire au niveau de la communication. Toutefois, en appuyant unanimement la candidature de Jean Doré, la presse écrite francophone et anglophone n'a pas réussi à infléchir l'appui accordé par les électeurs montréalais à Pierre Bourque le «géant vert».

Le nouveau maire a été élu par 22,1 % des électeurs, alors que 52,5% ont préféré ne pas voter (tableau 3). Mais compte tenu du nombre très élevé d'électeurs, soit 613 425 inscrits sur la liste électorale, une participation au scrutin de 47,5% peut être considérée comme assez élevée selon les critères de comparaison nord-américains et par rapport à la tradition montréalaise. Par rapport aux votes exprimés, Pierre Bourque a obtenu 47%, Jean Doré 32%, Jérôme Choquette 13%,Yblande Cohen 4%. Michel Bédard 1% 1,6% des voix étant accordés aux candidats indépendants.

Le grand intérêt des élections à Montréal tient aussi, pour une bonne part, à la vivacité des luttes de quartier. Au total, 247 personnes se sont disputé les 51 postes de conseiller, la grande masse étant sous la bannière de l'un des cinq partis politiques. Vision Montréal a fait élire 39 candidats, surtout dans les districts à prédominance francophone, alors que les six conseillers élus du RCM représentent les districts centraux et que les quatre élus du front CD-ME représentent les districts anglophones de l'ouest de la ville (tableau 4).




Les élections de 1994 à Montréal ont mis fin à huit ' années de pouvoir pour le RCM, précipitant ce parti dans une réflexion qu'un passage dans l'opposition devrait favoriser. Pour sa part, Jean Doré a décidé de quitter la scène politique locale, préférant ne pas occuper le poste de chef de l'opposition et le siège de conseiller que lui réservait l'élection de sa colistière.

Les premiers mois de Pierre Bourque à la mairie ont été marqués par des changements importants. Le nouveau maire a apporté un style de leadership très personnalisé et une gestion centralisée qui rappelle celle du maire Jean Drapeau, dont il a d'ailleurs reçu les félicitations et les conseils au lendemain de son élection. Dans l'administration municipale, le nombre de services a été doublé et les organismes de consultation publique ont été abolis. Novembre 1994 semble donc avoir apporté une rupture significative dans la vie politique montréalaise.




Conclusion

En rétrospective, deux mouvements ressortent clairement des diverses expériences observées en 1994-1995. D'une part, une affirmation des régions comme réalité politique, comme partenaire du développement et comme possibilité de solution à la dépendance locale. Force est de constater que cette nouvelle donne de la vie politique au Québec est très étroitement liée à la conjoncture économique et politique. D'autre part, une affirmation de la place incontournable des petites régions (les MRC) et des municipalités qui ne se désaisissent pas de leur espace de pouvoir traditionnel tout en montrant un intérêt nuancé pour de nouveaux champs d'intervention.