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Les relations extérieures · Retour sur la scène internationale



Manon Tessier
Université Laval


L'année politique au Québec 1994-1995

· Rubrique : Les relations extérieures



L'arrivée au pouvoir du Parti québécois a insufflé un vent de changement dans les relations extérieures du Québec. Le ministre Bemard Landry s'est activé sur plusieurs fronts, les liens avec la France se sont resserrés et les États-Unis ont fait l'objet d'une attention particulière.

Si la politique extérieure du Québec se résumait en 1993-1994 à un rayonnement international fondé sur des intérêts exclusivement économiques, l'arrivée au pouvoir du Parti québécois va signifier un retour de l'État québécois en tant qu'acteur politique international. Cela se traduira notamment par la fin du profil bas adopté à l'égard de la France et des États membres de la Francophonie. Échéance référendaire oblige, la politique étrangère péquiste sera tout naturellement liée à une quête d'appui pour son option.



Nouvelle équipe, nouvelle orientation

La politique internationale du Québec se retrouve entre les mains d'une nouvelle équipe mais les noms sont familiers : les Parizeau et Landry n'en sont pas à leurs premières armes en matière de relations internationales. Ils mettent rapidement en place leur équipe au sein de laquelle les représentants du Québec devront partager et défendre l'option politique du nouveau gouvernement. En conséquence, l'un des premiers gestes du gouvernement est de consulter ses délégués généraux à l'étranger; certains demeurent en fonction tandis que d'autres, comme Reed Scowen à NewYork, démissionnent. Geste significatif, le poste stratégique de délégué général à Paris est rapidement comblé, lui qui, sous les libéraux, avait souvent été laissé vacant ou administré par intérim. De plus, des conseillers spéciaux, M-, Anne Légaré et M. Yves Michaud, sont respectivement dépêchés à Washington et Paris pour appuyer les effectifs en place dans ces deux capitales.

Lorsque, le 14 octobre, le ministre des Affaires internationales Bernard Landry présente la politique de son gouvernement en matière de relations internationales, l'impulsion est clairement donnée et les éléments d'une nouvelle stratégie exposés. Il faudra, dira-t-il, redonner aux relations avec la France d'importance primordiale qu'elles méritent», faire de la participation du Québec aux institutions francophones multilatérales une vraie priorité» et demeurer «un partisan actif» de la libéralisation des échanges, tout en affirmant son identité et en inscrivant les relations internationales «dans une vision du développement qui intègre la dimension politique et socioculturelle au lieu de les réduire aux seuls impératifs du commerce» (Lettre du Québec, vol. 8, n, 3, novembre 1994, p. 1-3).




Revitalisation des relations franco-québécoises

Le Québec renoue d'abord avec la France. En huit mois, les dirigeants québécois effectuent trois visites importantes à Paris. Par ce rythme, ils veulent témoigner de leur volonté de mettre fin au flottement dans l'amitié franco-québécoise qui a marqué selon eux les derniers mois du gouvernement précédent. Le ministre Landry s'y rend, en éclaireur, du 14 au 19 novembre puis, après les élections françaises, du 12 au 14 juin. Pour sa part, le premier ministre Parizeau y effectue sa première visite officielle à l'étranger en janvier.

Par son voyage, M. Parizeau veut amorcer une reprise plus régulière des visites alternées entre premiers ministres français et québécois, symbole d'une relation privilégiée avec la France. L'importance significative de cette visite est de plus rehaussée par le faste de l'accueil et la symbolique de certains détails protocolaires. Par exemple, on dévoile, en présence de Me Corinne Côté-Lévesque, veuve de l'ancien premier ministre, une plaque commémorative rappelant le passage de René Lévesque en France en 1977 et M. Parizeau utilise, lors de son entrée à l'Assemblée nationale, la grille qui fait face au pont de la Concorde, un privilège qui n'avait pas été accordé à un dignitaire étranger depuis le président américain Wilson en 1919.

Toutefois, le contexte politique dans lequel se déroule ce voyage diffère des précédents. D'une part, la campagne présidentielle française qui bat son plein mobilise l'opinion publique; d'autre part, la visite d'un dirigeant québécois en France soulève, 15 ans après l'échec de 1980, moins d'émotivité. Un survol de la presse française qui couvre l'événement nous apprend que M. Parizeau est un homme «plus pragmatique que romantique» à la ~(souveraineté tranquille» dont la visite ne devrait pas donner lieu à une nouvelle guerre des drapeaux. (Voir la revue de presse, Le Québec vu de l'étranger, février 1995)

Quoi qu'il en soit, l'ambassade canadienne à Paris suit de près la visite québécoise et les déclarations des autorités de l'Hexagone au sujet de la reconnaissance d'un éventuel Québec souverain. L'ambassadeur canadien Benoît Bouchard, reproche notamment à certains parlementaires et intellectuels français leur appui à la cause souverainiste et tente de minimiser l'importance de cette visite en notant que la majorité des politiciens rencontrés ne seront plus en poste dans quelques mois.




Rencontre des autorités politiques

Durant son séjour, M. Parizeau rencontre les titulaires de l'ensemble des instances politiques de la République française: les Mitterrand, Balladur, Séguin, Chirac, Juppé. Ces nombreux entretiens permettent de renforcer les rapports franco-québécois dans les domaines économique, technique, financier et culturel mais la question de la souveraineté domine régulièrement l'avant-scène. Le futur président, Jacques Chirac, déclare notamment qu'il n'appartient pas à la France de s'ingérer dans les affaires intérieures du Canada mais que, dans l'hypothèse d'un référendum positif, les nations francophones, en particulier la France, devraient immédiatement reconnaître cette nouvelle situation.

Par ces propos et l'accueil de M. Parizeau en France, le gouvernement péquiste obtient l'assurance qu'il recherche. L'élection de Jacques Chirac à la présidence vient confirmer ce sentiment faisant même dire au ministre Landry que l'arrivée au pouvoir de cet allié du Québec efface toute crainte de ce côté dans l'immédiat ou au lendemain du référendum. (Le Devoir, 12 juin 1995, p. A3) En conséquence, la visite que fait M. Landry en juin auprès des nouveaux dirigeants français ne vise plus tant à relancer une relation «en friche» qu'à la cultiver à son plus haut niveau.




Sensibiliser les États-Unis

Les États-Unis ont aussi constitué une destination très fréquentée par les dirigeants québécois, mais la diplomatie québécoise s'exprime devant des auditoires plus éloignés des sphères politiques qu'en France. En effet, les représentants québécois sont reçus principalement en tant qu'orateurs invités par des associations de politologues ou des gens d'affaires.

M. Parizeau, une semaine après avoir déposé son avant-projet de loi sur la souveraineté, se rend à New York le 12 décembre, tandis que M. Landry se déplace à Boston le 10 mars, à Chicago le 6 avril et à Washington les 10, 11 et 12 mai. Ce n'est qu'à cette dernière occasion qu'un représentant québécois peut rencontrer des sénateurs ou des hauts fonctionnaires américains mais à chacun de ces quatre voyages, l'objectif est le même: sensibiliser les Américains à la cause souverainiste. De plus, parallèlement à ceci et dans le but avoué de renforcer son action diplomatique, le gouvernement requiert les services de trois firmes américaines de lobbyistes pour informer les milieux politiques et commerciaux des positions du gouvernement quant à la démarche souverainiste et à l'avenir des relations entre le Québec et les États-Unis.

Au cours de leurs allocutions et rencontres politiques, les dirigeants québécois tentent de rassurer leurs interlocuteurs en développant notamment les thèmes de la capacité du Québec à s'assumer seul économiquement et son attitude libre-échangiste, deux facteurs qui feraient que le Québec maintiendrait des relations commerciales fructueuses avec son voisin du sud et l'ensemble des Amériques. Ils rappellent également à leurs vis-à-vis le caractère démocratique et pluraliste de la démarche politique québécoise.




L'ambassade surveille

Comme cela fut le cas en France, l'ambassade canadienne observe de près l'ensemble des activités du Québec aux États-Unis. Par exemple, elle craint que l'envoi d'un conseiller politique au bureau touristique du Québec à Washington dénature la mission de cette antenne à l'étranger. Quelques échanges peu diplomatiques entre M. Landry et l'ambassadeur Raymond Chrétien ponctuent à ce sujet l'année 19941995.

Somme toute, en l'espace de quelques mois, les relations américano-québécoises se parent d'un caractère politique subtil dont l'objectif est de soupeser la neutralité américaine dans le débat constitutionnel canadien et de rassurer les États-Unis sur la continuité qui suivrait un référendum gagnant. Mais la stratégie diffère de celle utilisée en France: les arguments invoqués sont de nature essentiellement économique et l'on mise sur l'engagement du Québec à respecter les accords commerciaux internationaux et à assumer ses responsabilités liées à la globalisation des marchés.




Une participation active au sein de la Francophonie

Les relations avec la Francophonie perdent de leur caractère routinier et les péquistes utilisent pleinement les possibilités de ce tremplin sur la scène internationale. Fait révélateur, le ministre Landry précède d'une journée son homologue fédéral à la Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF) à Ouagadougou en décembre. Cette arrivée hâtive lui donne l'occasion de rencontrer le président burkinabé sans supervision canadienne. De plus, au cours de cette conférence, le Québec profite de l'occasion pour prendre ses distances à l'égard du projet canadien de créer un mécanisme de diplomatie préventive au sein de la Francophonie.

Puis, en mars, lors d'une session spéciale de la CMF sur l'avenir institutionnel de la Francophonie, le Québec participe à la construction d'un consensus sur les délicats dossiers du rôle politique du Conseil permanent et du choix des programmes de coopération francophone. À cette occasion également, le Québec fait entendre sa voix. Le communiqué de presse du gouvernement qui rapporte cet événement ne laisse planer aucun doute: M. Landry est celui des ministres participants qui a le plus insisté sur l'approche multilatérale et c'est grâce à l'intervention québécoise que le développement économique est devenu l'un des axes de la programmation multilatérale francophone.

Les dirigeants québécois profitent aussi de toutes les activités, rencontres, dîners ou cérémonies protocolaires, qu'elles soient à l'étranger ou au Québec, pour faire le point avec les membres de la Francophonie sur la situation politique du Québec. À l'égard de ce partenaire, le Québec tente de contrer les craintes de certains États du Sud en soutenant que la souveraineté ne se fera pas au détriment des rapports existant entre les États francophones et le Canada puisque, ont-ils affirmé, le Québec gardera de bonnes relations avec le Canada.




S'inspirer de l'Europe communautaire

L'Europe communautaire est la dernière cible d'importance de la diplomatie péquiste. Le ministre Landry rencontre en décembre les représentants de l'Union européenne, dont le Commissaire à la politique commerciale et aux relations avec l'Amérique du Nord, puis s'adresse en juin aux membres de deux commissions du Parlement européen. À cette occasion, un représentant politique du Québec peut pour la première fois faire entendre son point de vue devant la Délégation du Parlement européen pour le Canada, qui est l'instance officielle chargée des relations avec Ottawa.

Pour expliquer la démarche péquiste, M. Landry dresse à chacune de ces occasions un parallèle entre l'actuel processus d'intégration européen et l'association économique qui existerait entre le Canada et un Québec souverain. «Nous ne faisons, dira-t-il, rien de plus et rien de moins que les peuples d'Europe qui, tout en cherchant à multiplier les ponts et les passerelles entre eux, tentent d'établir leur originalité culturelle et politique.» (Gouvernement du Québec, Communiqué de presse, 5 décembre 1994) À quelques détails près, cette explication est reprise régulièrement devant les auditoires européens. En plus de souligner ce partage d'une vision économique commune, le ministre québécois joue également la carte des récentes tensions commerciales qui ont marqué cette année les relations canado-européennes. Citant le cas du différend sur le flétan noir au cours duquel le Canada arraisonna un bateau espagnol, M. Landry a tenu à préciser à ses interlocuteurs qu'un Québec souverain agirait différemment avec ses partenaires économiques.




Autres partenaires

Cette attention privilégiée accordée à ses principaux partenaires traditionnels n'émousse cependant pas la diversité de la politique extérieure québécoise et le Québec maintient une activité intense dans le domaine de la conclusion d'ententes internationales.

Du 2 au 7 décembre, au cours d'un voyage officiel en Belgique, le ministre québécois des Affaires internationales et son homologue étudient la possibilité de conclure des ententes de promotion des investissements et de réciprocité en matière juridique. Plus tard en janvier, de passage au jura, en Suisse, M. Landry et son hôte relancent l'entente sur la formation professionnelle. Lors de ce même voyage, le Québec renouvelle aussi une entente de coopération environnementale avec la Bavière. Enfin, en octobre, une entente de coopération économique est signée avec la région Rhônes-Alpes en France.

En Asie, la Chine demeure un pôle d'attraction important. Si le premier ministre ne participe pas à «Équipe Canada», l'imposante mission commerciale pilotée par le gouvernement fédéral en Chine, M. Parizeau reçoit néanmoins au Québec les gouverneurs de deux provinces chinoises en octobre. Le Québec et la province du Hubei signent à ce moment une entente de coopération économique, scientifique et technologique. Enfin, la vice-présidente exécutive de la Commission d'État à la Science et à la Technologie de la Chine, lors d'un séjour au Québec en juin, paraphe une entente sur le développement de co-entreprises et les transferts de technologie.

Quant aux relations bilatérales avec l'Afrique, elles se développent en fonction des liens tissés grâce à la Francophonie et aux projets d'aide au développement. Par exemple, le président du Bénin - dont le pays sera l'hôte du prochain Sommet francophone - effectue au Québec, du 19 au 21 octobre, une visite officielle au cours de laquelle le dossier francophone mobilise une part importante des discussions. La visite du président du Burkina Faso en juillet vise également à préparer cette rencontre multilatérale. Autre exemple, le Québec aide certains pays africains, dont le Gabon et la Côte d1voire, dans la formation de son personnel électoral. Enfin, le premier ministre du Rwanda s'arrête au Québec en octobre et l'on évalue alors la participation québécoise à la réouverture de l'Université de Butaré.

En Amérique latine, ce sont surtout au Chili, au Mexique et en Haïti que le gouvernement péquiste concentre ses efforts. Il dépêche à deux reprises son conseiller à l'action humanitaire, M. Réjean Thomas, en Haïti afin d'y déterminer la forme que prendra l'aide québécoise dans ce pays. Le Québec choisit alors de s'impliquer dans les domaines de la santé et de l'éducation et détache des consultants auprès de la Commission nationale de Vérité et de Justice mise sur pied par le gouvernement de ce pays.

D'autre part, le nouveau comité mixte Québec-Maule (Chili) tient sa deuxième réunion au Québec en avril et l'on décide d'en élargir les avenues de coopération, dont les transferts de technologie. De plus, le Québec appuie sans réserve la candidature du Chili comme quatrième partenaire de l'ALENA, l'Accord de libre-échange nord-américain, dont il souhaite faire partie une fois devenu souverain. Enfin, le gouvernement québécois signe en octobre avec le Mexique une entente de coopération universitaire, puis le ministre Landry accompagne en juillet une quinzaine de gens d'affaires à Mexico pour y tisser des liens économiques dans les secteurs des télécommunications et du gaz naturel. Il s'agit de la première prise de contact officiel entre les deux gouvernements depuis leur élection respective.




Conclusion

Un changement de gouvernement aurait sans doute provoqué à lui seul un renouveau de l'activité internationale québécoise mais l'engagement souverainiste a contribué encore plus à reléguer au second plan l'équation réduisant les affaires internationales au commerce. Le message livré à l'étranger par les péquistes aura partout été le même, bien que sur le plan stratégique, les arguments invoqués aient quelque peu varié selon les pays visités, leurs intérêts ou leurs interrogations. Dans ce contexte particulier, la politique étrangère des péquistes s'est exprimée sur un ensemble de tribunes, géographiquement et politiquement variées, ce qui a permis au Québec de jouer, dans la pleine mesure de ses capacités, un rôle international actif.