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L'administration publique: vivre avec le changement



James Iain Gow
Université de Montréal

André Guertin
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1995-1996

· Rubrique : L'administration publique



Pour l'administration québécoise, l'année 1995-1996 est marquée par un troisième changement de gouvernement en autant d'années. En effet, que ce soit à la suite d'élections générales, ou simplement dans la foulée d'un changement de premier ministre au sein d'un même parti, les conséquences pour l'administration sont nombreuses: nouveaux ministres, nouvelles priorités, nouveau personnel supérieur. Ainsi, l'administration a connu de nouveaux gouvernements en 1993 (celui de Daniel Johnson) et 1994 ( Jacques Parizeau) et au tout début de 1996 (Lucien Bouchard). Dans tous ces changements, une chose est demeurée constante: la volonté de réduction des dépenses et des effectifs.



Les structures

Le gouvernement de Lucien Bouchard, nommé le 29 janvier, met l'accent sur le changement et la coordination. Pour ce qui est du changement, sur les 22 membres de ce gouvernement, dix y accèdent pour la première fois. Le gouvernement témoigne d'une certaine complexité hiérarchique. Trois ministres sont aussi des ministres d'État: Bernard Landry, ministre d'État de l'Économie et des Finances, Louise Harel, ministre d'État de l'Emploi et de la Solidarité, et Guy Chevrette, ministre d'État des Ressources naturelles et ministre responsable du Développement des régions. Deux d'entre eux, M. Landry et M- Harel, président les comités ministériels du Conseil des ministres concernant respectivement le développement économique et social, tandis que la ministre de l'Éducation, Pauline Marois, préside le Comité de l'éducation et de la culture. Un quatrième ministre d'État, à la Métropole celui-là, Serge Ménard, dirige un nouveau ministère du même nom. En dessous des rôles de ministre, il y a celui de ministre délégué, du moins dans les trois cas où ils relèvent d'un ministre titulaire (Industrie et Commerce, Revenu et Terres et Forêts). Par contre, dans les trois autres cas de ministre délégué, il s'agit d'une façon de préciser les responsabilités d'un ministre titulaire (Réforme électorale, pour le leader parlementaire, administration, pour le président du Conseil du Trésor, affaires intergouvernementales canadiennes, pour le ministre des Transports). Pour compléter ce tableau déjà complexe, chaque région a son ministre désigné parmi les ministres en place, secondé par un député faisant office de secrétaire régional.

Pourtant, le premier ministre Bouchard affirme sa volonté de mieux coordonner les activités gouvernementales. À cette fin, il compte sur plusieurs instruments: son propre ministère, le Conseil exécutif, qui n'a dorénavant aucune responsabilité sectorielle et se consacre essentiellement à la coordination, les comités des priorités et de la législation ainsi que le Conseil du Trésor et les comités ministériels de coordination déjà nommés. Signe d'un gouvernement à plusieurs étages, le Comité des priorités, là où se font les arbitrages entre priorités sectorielles, est composé de pas moins de neuf ministres. De plus, certains ministres, par leurs poids au sein de ce gouvernement, assurent une coordination dans leurs domaines respectifs: Bernard Landry, vice-premier ministre et ministre d'État de l'Économie et des Finances et président d'un comité ministériel; Louise Harel, ministre d'État de l'Emploi et de la Solidarité, préside également un comité ministériel; Pauline Marois, simple ministre de l'Éducation, préside le troisième comité ministériel sectoriel, et est membre à la fois du Comité des priorités (avec M. Landry et Mme Harel) et du Conseil du Trésor.

Le nombre de ministères reste stable à 18 (19 si on compte le Conseil du Trésor). M. Bouchard a promis que désormais il y aurait moins de fusions de ministères, mais plutôt des regroupements permettant aux unités concernées de garder leur propre sous-ministre. Cette règle n'a pas été respectée dans le domaine de la gestion, où le Conseil du Trésor a absorbé les fonctions de l'ancien Office des ressources humaines et se propose de le faire dans le cas de la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurance des employés de l'État (CARRA). Le couperet est aussi tombé sur les délégations du Québec à l'étranger; sur les 21 qui existaient au début de 1996, seules 11 ont été maintenues. Par contre, en attendant de recréer la Commission de protection de la langue française, le gouvernement augmente les effectifs de l'Office de la langue française aux fins d'inspection et de contrôle.

Le gouvernement Bouchard accorde beaucoup d'importance aux régions. Non seulement a-t-il un ministre responsable de leur développement, mais le premier ministre lui-même préside le Comité ministériel des Affaires régionales et territoriales. Nous avons vu que chaque région a désormais son ministre responsable, assisté d'un secrétaire parlementaire. Néanmoins, le responsable de ce dossier, Guy Chevrette, n'a pas eu la vie facile. Au mois de décembre, il a défendu la structure des délégués régionaux mise en place par le gouvernement Parizeau afin de préparer le référendum, recommandation qui n'a pas été retenue par M. Bouchard. Au mois de février, il a soumis une proposition au Conseil des ministres préconisant la transformation du système des dépenses gouvernementales en une gestion par enveloppe régionale, proposition qui n'a pas non plus été retenue. Il a dû se rabattre sur une proposition demandant aux ministères d'ajouter la dimension régionale à leurs budgets. De tels voeux sont prononcés depuis trente ans, sans que l'on ait pu régler ce problème. Enfin, le ministre d'État à la Métropole suscitant des jalousies, M. Chevrette promet un ministre des Régions pour l'automne de 1996.

L'ambiguïté de l'approche du gouvernement actuel face à la décentralisation est évidente dans certains dossiers de l'éducation. Lors de sa rencontre du début de juin avec les délégués du conseil central de la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ), les inconvénients de la décentralisation ont été évoqués. Face aux critiques devant la façon dont certaines commissions scolaires gèrent les compressions budgétaires, la ministre déplore que certaines parmi celles-ci ne respectent pas les «balises» données par son ministère, mais elle ajoute qu'elle a peu de moyens d'intervenir, au delà de la persuasion. Au mois de juillet, M- Marois annonce un programme quinquennal de 328 millions $, afin de placer 100 000 ordinateurs dans les écoles québécoises, dans le but notamment de les brancher sur l'autoroute de l'information. Les observateurs ne manquent pas de relever la nature technocratique de ce plan, qui vient du centre sans qu'il y ait une demande clairement exprimée de la part des commissions scolaires. Ils évoquent l'échec passé de programmes similaires impliquant tantôt l'audiovisuel (fin des années 1960) et des micro-ordinateurs (deuxième gouvernement Lévesque).




Les employés de l'État

Dans le passé récent, les employés de la fonction publique et ceux des secteurs public et parapublic ont subi des compressions budgétaires de deux façons: ils ont été l'objet de différentes mesures destinées à réduire leurs effectifs, en même temps qu'ils ont dû accepter une baisse de traitement de 1% par an, sous forme de congés non payés, suivant les termes de la loi 102 de 1993. De nouvelles coupures, de l'ordre de 4500 emplois, sont annoncées pour l'année 1996-1997.

Diminution des effectifs. - Selon les chiffres du Conseil du Trésor, l'effectif global de la fonction publique a baissé pour la période du 31 mars 1995 au 31 mars 1996, d'un peu plus de 2%, passant de 66 692 à 65 251. Ce chiffre global cache cependant une tendance contradictoire: l'effectif permanent ou «régulier» est tombé de près de 3%, une baisse de 1543 personnes, tandis que l'effectif occasionnel a augmenté de près de 1%, ou 102 personnes. Les femmes sont toujours relativement plus nombreuses chez les occasionnels que chez le personnel régulier: elles composent 64,5% des occasionnels, mais 45,5% des réguliers. N'empêche que leur place au sein de l'effectif régulier continue sa lente mais constante progression, tandis que les hommes, qui composaient 62,4% de l'effectif régulier en 1986, n'y comptent que pour 54,5% en 1996. Au sein de la pyramide des emplois, la position des femmes s'améliore aussi. De 17,9% qu'elles étaient chez les professionnels en 1985, elles sont 30% en 1996; de 5,4% chez les cadres supérieurs, elles sont passées à 15% en 1996. On ne peut pas en dire autant des autres groupes cibles des programmes d'accès à l'égalité dans la fonction publique québécoise. Les membres des communautés culturelles ne fournissent que 4% de l'effectif régulier, les handicapés 1,4%, les anglophones 0,8% et les autochtones 0,4%.

Modification des conditions de travail. - L'entente intervenue à la mi-septembre entre le Conseil du Trésor et les syndicats des secteurs public et parapublic (350 000 personnes) a mis fin au régime de réductions décrétées par la loi 102. Au 1er avril 1996, les employés recevaient un montant forfaitaire de 0,5% pour compenser l'argent perdu en 1995-1996, suivi, les 1er janvier 1997 et 1998, d'une hausse de 1%. Loin de tenter d'acheter la paix avec les syndicats, la présidente du Conseil, Pauline Marois, affirme que ce contrat permettra aux employés de ces deux secteurs d'atteindre la parité avec les salariés du secteur privé en 1998.

Les négociations ont aussi porté sur l'intégration éventuelle de près de 79 000 fonctionnaires fédéraux à l'administration québécoise advenant une victoire du OUI au référendum du 30 octobre. Les deux principaux syndicats de fonctionnaires provinciaux, ceux des fonctionnaires (SFPQ) et des professionnels (SPGQ), ont obtenu par entente avec le gouvernement que le transfert ne signifierait pas de mise en disponibilité chez le personnel régulier (les «permanents») ni le non-rappel des employés contractuels, saisonniers ou occasionnels. Par ailleurs, les mêmes syndicats ont empêché la signature d'une entente sur ce su)et entre le gouvernement Parizeau et l'Alliance de la fonction publique du Canada, car la Loi sur la fonction publique du Québec leur donne le droit exclusif de représenter les fonctionnaires québécois de leurs catégories respectives.

Sur le plan des salaires, le 12e rapport de l'Institut de recherche et d'information sur les rémunérations (IRIR) de mai 1996 montre qu'en effet, les employés des secteurs public et parapublic accusent un retard de 3,5% par rapport aux autres salariés québécois. Cependant, si on tient compte des heures de présence moins nombreuses, sur le plan de la rémunération globale, c'est la parité entre les deux groupes. Si l'on s'en tient aux seuls salariés du secteur Privé, l'IRIR trouve que les employés de l'administration québécoise ont un avantage de 12,8% par rapport aux non-syndiqués sur le plan de la rémunération globale, tandis qu'ils accusent un retard de 6,6% par rapport aux employés syndiqués du secteur privé.

Le gouvernement s'engage à respecter l'équité salariale entre hommes et femmes, objet de deux versions d'un projet de loi pendant l'année dont l'adoption est reportée à l'automne. C'est un dossier complexe et pénible. En juin 1996, Le Devoir publie les conclusions d'une enquête menée pour le compte de la Commission des droits de la personne dans une affaire de 51 plaintes déposées dans le secteur santé par des syndicats de la CSN en 1987. Cette enquête trouve une discrimination systématique entre les traitements accordés aux emplois à plus de 60% occupés par des femmes et ceux dominés de la même façon par des hommes. Pour corriger cette situation, peut-être faudra-t-il ajuster les salaires de plus de 100 000 femmes.

Les nouveaux défis dans la gestion du personnel. - Il reste des points d'interrogation quant à la gestion du personnel sous le gouvernement Bouchard. Certains sont d'inévitables effets pervers d'une période de compressions budgétaires. Les droits acquis peuvent faire en sorte qu'un fonctionnaire cadre intermédiaire dont le poste est coupé puisse se retrouver professionnel, avec un traitement plus élevé par suite des bonis qui récompensent ses responsabilités de gestion. Aussi, après avoir laissé entendre qu'il agirait autrement, le président du Conseil du Trésor annonce le 25 avril qu'on ne reconnaîtra pas le droit d'intégrer la fonction publique des 4aux occasionnels» lorsque leurs postes sont requis pour placer des fonctionnaires en disponibilité. Le SGPQ estime à 360 le nombre des personnes qui sont restées en poste bien au-delà des trois ans qui définissent les postes occasionnels et qui, à ses yeux, sont des employés réguliers déguisés. Le Conseil du Trésor trouve plus impératif d'assurer la mobilité des fonctionnaires que de reconnaître ce droit aux «faux occasionnels».

Les départs assistés posent aussi des problèmes d'éthique nouveaux. Un programme de ce genre est annoncé le 23 mai 1996: aux employés ayant moins de 25 ans de service et qui prendront leur retraite avant le 1er octobre, on offre 18 mois de salaire. Ces personnes, qui recevront leur pension d'anciens fonctionnaires, devront s'engager à n'accepter aucun autre emploi dans le secteur public au sens large pendant les quatre années subséquentes.

Le phénomène appelé la «double rémunération» ou le cumul des rémunérations arrive en effet à l'ordre du jour politique avec les retraites hâtives et les indemnités de départ. Ainsi, le pro)et de loi 131, introduit sous le gouvernement Parizeau en décembre 1995 mais non encore adopté, devait interdire aux grands commis (les «administrateurs de l'État») de cumuler une indemnité de départ et un nouvel emploi dans le secteur public. Le problème du pensionnaire est cependant plus délicat; l'ancien fonctionnaire qui a cotisé pendant toute sa carrière considère que sa pension est un droit et non un privilège. Le premier ministre Bouchard, qui a renoncé à une pension de la Chambre des communes à laquelle il avait droit, a commandé une étude sur cette question et a fait procéder à des consultations à l'été de 1996. Sans doute le sort de cette opération sera connu à l'automne.

Côté nominations, le premier ministre Bouchard innove en nommant cinq femmes sous-ministres au mois de juin. En portant le total des femmes sous-ministres à huit sur un ensemble de 23, la part des femmes, avec un tiers de ces postes au sommet de l'appareil administratif, atteint un niveau inégalé dans le passé. Par contre, les nominations de trois anciens députés à des postes de direction d'organismes autonomes ont soulevé des critiques: Denis Lazure redevient président de l'Office des personnes handicapées, à la place d'une femme handicapée nommée par le précédent gouvernement libéral, M`- Lise Thibault; Claude Filion devient président de la Commission des droits de la personne, et Richard Holden est nommé régisseur à la Régie du logement.

Enfin, le sort de la gestion du personnel au sein du gouvernement québécois est posé par l'intégration de l'Office des ressources humaines au sein du Conseil du Trésor. Depuis 30 ans, on cherche la juste place de cette fonction qui a été politisée par l'introduction de la négociation collective des conditions de travail en 1965. L'Office, successeur du ministère de la Fonction publique, était un organisme spécialisé au service du Conseil, et non un organisme autonome, comme la Commission de la fonction publique, organisme de conseil et de contrôle. La dernière évaluation de la Loi sur la fonction publique, conduite par la Commission Lemieux-Lazure en 1990, est arrivée à la conclusion que le Conseil du Trésor était trop préoccupé par la gestion financière pour bien gérer la politique du personnel du gouvernement. Elle recommandait la création d'un poste de ministre délégué à la Fonction publique, rattaché auprès du premier ministre. C'est donc tout un défi que soulève la gestion des ressources humaines par le Conseil du Trésor.

Les sociétés d'État Radio-Québec et Hydro-Québec ont montré cette année les signes évidents de la nécessité pour le gouvernement de procéder à une reprise en main fondamentale de leurs activités. Malgré l'impressionnante succession de responsables, l'absence de véritable réforme a plutôt laissé place à l'improvisation.




Radio-Québec et Hydro-Québec

Présenté dans un climat tendu où planait déjà 1, incertitude, le plan de réorganisation du nouveau président de Radio-Québec, Jean Fortier, soumis à l'automne 1995, prévoyait l'abandon au secteur privé de toute la production d'émissions en raison d'une diminution dramatique des budgets et donc la mise à pied de la moitié de ses 600 employés, moyennant une prime de séparation de deux ans de salaire. La ministre de la Culture, Louise Beaudoin, en tant que responsable du dossier, n'a pas tardé à sommer le syndicat des techniciens récalcitrant d'accepter la proposition avant l'expiration du délai du 31 décembre 1996, sans quoi elle fermerait simplement Radio-Québec sans verser d'indemnités de départ.

La Commission parlementaire sur l'avenir de Radio-Québec, elle-même amèrement divisée (le député péquiste Michel Bourdon a vivement critiqué le manque de vision du gouvernement), en vint à convenir d'un simple encadrement de cette future production privée afin de maintenir une certaine expertise au sein de Radio-Québec de façon à limiter les licenciements et à assurer l'embauche ailleurs des employés licenciés. C'est au milieu de cette totale confusion de la mi-décembre 1995, où des employés ont perdu et retrouvé leur emploi en moins de 24 heures, que décède subitement jean Fortier, qui était à l'origine de cette redéfinition du mandat de la société.

Les syndiqués visés ont finalement accepté les conditions de licenciement offertes et formé aussitôt une coopérative de production apte à répondre aux appels d'offres de la nouvelle société au budget réduit, cette dernière fournissant même une aide dans la préparation des soumissions.

Le conflit redémarre néanmoins de plus belle en avril 1996. Cette fois autour de l'interprétation de l'article 45 du Code du travail qui stipule qu'un employeur doit veiller à ce que la convention collective en vigueur dans sa propre entreprise s'applique également chez le soustraitant. La ministre Beaudoin qui voit là disparaître les économies que devait procurer le recours au secteur privé menace à nouveau Radio-Québec de fermeture au grand dam du ministre du Travail, Matthias Rioux, pour qui le gouvernement ne doit pas se placer au-dessus des lois.

La menace a cependant porté fruit et le syndicat a renoncé à l'application de cette règle d'ordre public. Les milieux d'affaires ont été prompts à se joindre dans ce cas à l'État-employeur pour dénoncer l'«absurdité» de cette règle en contexte néo-libéral... L'avenir de cette société qui deviendra en septembre 1996 Télé-Québec semble pour l'instant assuré, bien que d'envergure réduite.

L'image d'Hydro-Québec, naguère si bonne, a encore souffert cette année de révélations quant aux traitements et dépenses somptuaires de ses dirigeants, à des profits en chute libre et à des programmes désastreux d'économie d'énergie. Par ailleurs, le mandat de la Commission Doyon chargée d'enquêter sur l'achat inopportun d'électricité auprès de petites centrales privées a été prolongé, de même que le suspense autour de ce scandale politique appréhendé, jusqu'au 31 octobre 1996.

La demande d'Hydro-Québec d'une augmentation des tarifs résidentiels de 4,7% (plus du double du taux d'inflation prévu) a soulevé un tollé dont le nouveau ministre responsable des Ressources naturelles, Guy Chevrette, s'est vite fait l'écho. Mais puisque le gouvernement tire d'importants dividendes d'un bénéfice net de 390 millions $ pour 1995 (en recul de 277 millions par rapport à 1994), une hausse fut cependant consentie à condition qu'Hydro-Québec réduise substantiellement ses dépenses. Un «comité d'accompagnement» fut même nommé pour conseiller le ministre dans l'atteinte des objectifs de compression, ce dernier se défendant bien de procéder ainsi à une mise en tutelle. Néanmoins, le plan d'action proposé par la direction et prévoyant entre autres des coupes de 70 millions aux conditions de travail des employés, est tombé comme une surprise. Après une nouvelle fausse colère, le ministre y a finalement donné son aval. Un système de gestion par centres de résultats est également préconisé, alors même que les conflits à la haute direction ne cessent de s'envenimer. Le congédiement du p.-d.-g., Benoît Michel, le 4 juillet 1996, est un fait marquant à cet égard.

Ce manque de transparence et de données fiables sur un tel monopole d'État aux revenus annuels de 7,6 milliards et à une dette cumulée de 42 milliards de dollars pose un problème grave que l'instauration d'une régie de surveillance viserait à régler.

L'idée de cette Régie de l'énergie, maintes fois annoncée, a fait l'unanimité, au printemps 1996, des signataires du rapport de la Table de consultation du débat public sur l'énergie regroupant les divers intervenants du secteur et reçu l'appui enthousiaste du ministre Chevrette.

On peut douter de la capacité de cette régie à contraindre Hydro-Québec aux restructurations nécessaires et à arbitrer des choix Politiques délicats. Elle aurait toutefois le mérite de baliser un débat urgent avant que, de guerre lasse, un fort courant ne se crée en faveur de la privatisation de la société. Déjà, la réorganisation par centres de profits permettra de mieux identifier les activités bénéficiaires et déficitaires en vue, peut-être, d'une privatisation sélective ou d'une sous-traitance encore plus poussée.




Revenu Québec

Dans son rapport annuel du 5 décembre 1995, le Vérificateur général, Guy Breton, déplorait le «Vol collectif» de 2 milliards $ de revenus non déclarés qui échapperaient annuellement à l'examen de Revenu Québec. Il dénonçait aussi les compressions budgétaires qui contraignaient l'organisme à réduire son effectif tout comme la sous-utilisation des renseignements disponibles. Le gouvernement tira profit de ces recommandations.

Ainsi, le ministre délégué au Revenu, Roger Bertrand, se déclarait récemment satisfait que les programmes spéciaux de récupération fiscale aient conduit à des entrées supplémentaires de 370 millions pour 1995 et fixait l'objectif de 1996 à 226 millions. Cette lutte contre le travail au noir est surtout menée grâce à une intensification des contrôles, notamment via le croisement de fichiers informatiques.

Cette méthode n'est pas sans soulever un débat éthique quant à la confidentialité des renseignements fiscaux et à la préservation de la vie privée des contribuables. L'ancien titulaire du ministère, Jean Campeau, a d'ailleurs déclaré que Revenu Québec avait encore beaucoup d'efforts à déployer pour gagner la confiance et le respect des contribuables en raison d'un service à la clientèle lent et maladroit. Limage de l'organisme risque également d'être affectée par son nouveau rôle dans la perception des pensions alimentaires.

D'autre part, l'entrée en fonction depuis juin 1995 de la nouvelle unité autonome de service qu'est le Centre de perception fiscale (CPF), issu de la mutation de la direction de la perception en agence gouvernementale, vise justement à contraindre les mauvais payeurs à payer leur dû une fois ceux-ci débusqués. Les récentes activités de vérifications ont en effet gonflé les comptes à recevoir du ministère aux environs de 3 milliards $ et incité le gouvernement à accorder au CPF une plus grande marge de manoeuvre et un budget de fonctionnement accru. Le Conseil des ministres a même accepté la création d'un Fonds de perception fiscale qui permettra au CPF de financer ses activités à même les sommes perçues. Cette «ristourne» vise sans doute à inviter le CPF à une plus grande célérité.

Suite au sommet socio-économique de mars 1996, la Commission sur la fiscalité et le financement des services publics a été formée en juin 1996, présidée par l'ancien sous-ministre du Revenu, Alban d'Amours, afin de réexaminer toutes ces questions dans une perspective visant à concilier efficacité bureaucratique et justice sociale.

Par ailleurs, le ministère du Revenu ne possédera vraisemblablement pas avant 1998 les moyens techniques de procéder à un véritable couplage de ses fichiers avec les quelque 1200 autres exploités dans les divers ministères et organismes comme l'autoriserait à le faire le projet de loi 32 présentement à l'examen.

Ce projet de loi prévoit aussi que la Commission d'accès à l'information exercerait un contrôle a priori et a posteriori, dans la mesure de ses moyens, de tels échanges de renseignements. Il demeure que ces modes de fonctionnement seront sans doute adoptés sans débat public et sans la certitude que les coûts engendrés seront largement compensés par un accroissement des recettes. Le Barreau du Québec estime que Revenu Québec réclame ainsi des pouvoirs plus étendus que ceux de la police.




La Sûreté du Québec

En novembre 1995, le ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, annonçait la présentation d'un projet de loi autorisant la SQ à offrir ses services aux villes de plus de 5000 habitants alors que la loi 145 obligeait jusqu'ici celles-ci à avoir leur propre corps policier. La mesure a pour conséquence immédiate d'offrir une alternative aux municipalités dans leur négociation avec les syndicats policiers locaux; rien là pour améliorer les relations parfois tendues entre corps policiers.

Le corollaire de cette concurrence désormais ouverte est un effort en vue d'instaurer une certaine vérité des prix. C'est pourquoi, en mai 1996, le gouvernement faisait part de son intention d'hausser de 40% le montant de la facture des services de la SQ payée par les municipalités de moins de 5000 habitants; celles-ci assumeraient donc 50% du coût réel plutôt que les 35% actuels.

Pour le milieu municipal, cette volonté de rétablir plus d'équité entre contribuables (alors que les grandes municipalités assurent 100% de leurs services policiers et subventionnent indirectement les autres) signifie que le gouvernement péquiste souscrit à la logique de la réforme Ryan à laquelle le Parti québécois s'était à l'époque opposé. Toutefois, pour le président de l'Union des municipalités (UMQ), le maire de Laval Gilles Vaillancourt, c'est encore nettement insuffisant quand l'on songe que ces petites municipalités ne sont pas nécessairement les plus pauvres.

En contrepartie, le ministre des Affaires municipales, Rémy Trudel, propose aux petites municipalités de s'entendre au sein des 96 municipalités régionales de comté (MRC) sur la modulation des services reçus et des coûts assumés, ces MRC étant dorénavant invitées à signer des ententes avec Québec et la Sûreté du Québec. Le gouvernement entend du même coup favoriser la fusion de quelque 500 municipalités conformément à sa proposition déposée en ce sens le 24 mai 1996.

Mais les MRC ne peuvent véritablement signer des ententes sans contrôle sur la gestion des services; c'est pourquoi l'Union des municipalités régionales de comté (UMRCQ) réclame un réaménagement des pouvoirs. L'idée de constituer des corps de policiers régionaux attachés aux MRC se heurte toutefois aux limites du désir de régionalisation du gouvernement, ou à ce que le nouveau ministre de la Sécurité publique, Robert Perreault, appelle «la nécessité et l'obligation de l'État du Québec d'avoir sur son territoire une police nationale».

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Les changements traités ci-devant viennent surtout de pensées et d'actions humaines. Parfois, cependant, c'est la nature qui s'en charge. À la suite du déluge qui a inondé à la mi-juillet les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de Charlevoix, de la Mauricie et d'autres encore, plusieurs ministères et organismes ont mis sur pied des programmes d'urgence. C'est ainsi que les ministères des Affaires municipales, de la Sécurité publique et des Transports, de même qu'Hydro-Québec ont dû mettre de côté les procédures bureaucratiques habituelles afin de distribuer de l'aide aux sinistrés, de réparer des routes, des barrages et des aqueducs, et de restaurer le service d'électricité. Bien que des services d'urgences aient été offerts dès le lendemain du désastre, il a fallu trois semaines pour nommer un coordonnateur de cette aide, en la personne de Pierre Gauthier, sous-ministre adjoint du Développement régional pour le Saguenay- Lac-Saint-Jean. Une question qui reste posée à la suite de ces événements est celle de la gestion des barrages publics et privés qui sillonnent la région. Elle fera sans doute l'objet d'une évaluation plus tard.

En somme, les gouvernements passent, l'administration demeure. Cependant, celle-ci est bousculée par des changements économiques, sociaux et politiques qui lui parviennent de toutes parts, surtout par la vole des gouvernements. Certes, le gouvernement Bouchard pousse plus loin encore les efforts amorcés par ses prédécesseurs pour amaigrir l'État et rendre l'administration plus dynamique et responsable. jusqu'à présent, l'administration n'est pas pour autant transformée dans sa nature.