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Partenariat et fusion: défi ou impasse pour les municipalités?



Louise Quesnel
Université Laval


L'année politique au Québec 1995-1996

· Rubrique : La vie municipale et régionale



Encadrée par le scrutin référendaire sur la souveraineté du Québec à l'automne 1995 et la rencontre au sommet des représentants des municipalités et des autorités provinciales, au printemps 1996, la vie locale et régionale est d'abord animée par des préoccupations d'ordre institutionnel. Au centre des débats: le statut des gouvernements locaux et le modèle de relations souhaitables entre la métropole, les régions, la ville, le village, la communauté urbaine et la municipalité régionale de comté. Dans la recherche d'un nouveau contrat social, tous ces corps politiques sont interpellés par les projets de restructuration.

On est d'abord frappé par la continuité des tendances qui ont émergé au cours des dernières années: décentralisation, renforcement des municipalités et rationalisation de la gestion publique locale et centrale. Si le discours étatique est constant dans son orientation thématique, depuis quelques années, chaque période donne cependant l'occasion d'observer des enjeux qui, faute de faire preuve d'originalité ou de nouveauté, n'en atteignent pas moins les points sensibles de la vie locale et régionale.

Pour comprendre les questions qui seront abordées dans ce chapitre, il importe de les situer dans leur contexte. Que se passe-t-il au cours de cette période dans l'environnement immédiat des localités? L'élément le plus déterminant pour les populations locales concerne le ralentissement de l'économie qui s'accompagne d'un niveau élevé de chômage et d'un appauvrissement des ménages. Depuis plusieurs années, le prix des maisons et les programmes gouvernementaux d'aide à l'achat d'une résidence ont encouragé l'étalement urbain de sorte que l'urbanisation périphérique a progressé à un taux de beaucoup supérieur à celui de l'augmentation démographique (La Presse, 27 avril 1996, p. B 5). Les mises en chantier de nouvelles maisons sont extrêmement réduites dans toute la région métropolitaine de Montréal, et dans les villes-centres du Québec qui connaissent une stagnation de la croissance de leur base fiscale. Le problème des ménages en difficulté économique devient vite aussi celui des municipalités qui se ressentent fortement du marasme immobilier qui frappe dans tous les secteurs. À partir du moment où les locataires ne peuvent plus payer leur loyer, les propriétaires de logements locatifs sont acculés à la faillite. Un nombre record d'individus n'arrivent plus à payer l'hypothèque encourue pour l'achat d'une maison unifamiliale (Le Devoir, 4-5 mai 1996, p. A 1).

Si la pauvreté urbaine continue de marquer la vie locale sans, toutefois, constituer un facteur nouveau, il n'en va pas de même de la richesse urbaine qui adopte, récemment, des formes sans précédent. Nous voyons, en effet, apparaître au Québec le concept de «ville-forteresse» sous la forme d'ensembles emmurés d'édifices résidentiels de luxe auto-suffisants en services de base. En empruntant ce modèle notamment aux États-Unis et à certains pays d'Amérique latine, les villes québécoises importent en même temps une forme d'exclusion sociale et une manifestation de l'élargissement de la distance sociale dont les agglomérations urbaines sont les premières à témoigner. En fragmentant l'espace urbain, ce modèle d'habitat rend difficile l'implantation de la solidarité locale par ailleurs considérée comme souhaitable dans le contexte de l'émergence de partenariats.

Autre caractéristique marquante de cette période, le climat politique surchauffé par la tenue du scrutin référendaire en octobre 1995 et par la formation d'un nouveau gouvernement suite à la démission du premier ministre Jacques Parizeau et à son remplacement par Lucien Bouchard. Si ces événements ne peuvent être qualifiés de locaux, ils n'en sont pas moins inséparablement unis à la réalité régionale et locale à plusieurs égards: mobilisation des forces régionales, intégration des questions municipales dans les débats plus globaux et ancrage local des dynamismes partisans.

Nous aurons l'occasion de revenir sur ces points en abordant quelques dossiers qui ont fait les manchettes en 1995-96, soit les propositions de décentralisation du gouvernement Parizeau, les projets de regroupements municipaux du gouvernement Bouchard, la coordination entre les aéroports de Mirabel et Dorval, et la création de la Commission de la Capitale nationale du Québec. Dans un bilan qui nous conduit à attacher beaucoup d'importance aux milieux urbains en 1995-1996, nous toucherons également les milieux régionaux et ruraux en abordant la question des élections municipales qui se déroulaient surtout en dehors des grands centres à l'automne 1995.



Deux propositions de décentralisation

À l'été 1995, les «commissions régionales sur l'avenir du Québec» se font les animatrices d'une vaste consultation dans l'ensemble des régions. Dans ce cadre et en s'accrochant à l'article 3 de l'avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec qui établit la décentralisation comme principe essentiel de la future constitution québécoise, les forces vives des régions -incluant les municipalités locales et régionales -manifestent fortement leur souhait de voir s'accroître leurs responsabilités dans le cadre d'un nouveau partage des ressources davantage favorables aux institutions municipales. La réflexion des instances centrales, cependant, montre moins d'unanimité, alors que deux plans parallèles sont élaborés, sous-tendus d'une part par une stratégie très englobante dans l'éventualité de l'accession à l'indépendance du Québec, et d'autre part par une stratégie de repli en cas de statu quo constitutionnel.

La première stratégie, qui pourrait être appelée «plan A», est exposée dans le Livre vert intitulé Décentralisation: un choix de société, dont la parution s'inscrit dans le contexte préréférendaire. C'est un document dont la partie essentielle (chapitres 4 et 6 du document) décrit, selon le mode de la prospective, le cadre d'un Québec souverain et l'articulation des composantes centrales et locales de l'«État souverain décentralisé». L'éventail des compétences jugées «transférables dans un nouveau pacte de décentralisation» est très large: développement économique, ressources naturelles, transports, santé et services sociaux, environnement. Forcé d'emprunter une approche qui devient rapidement technique et hermétique pour exposer les divers modèles de décentralisation tout en évitant de statuer clairement sur le modèle retenu, le Livre vert n'est pas du genre à passionner les élus locaux et encore moins les électeurs. Son impact sur le référendum est donc mitigé, en partie à cause du fait qu'il n'a pas montré clairement un régime subsidiaire qui aurait pu répondre à une attente réelle de la part des milieux locaux.

Les autorités provinciales ont tenu à diversifier leur mise en proposant un «plan B» comme stratégie de repli. Le document intitulé Proposition de décentralisation vers les instances municipales (désigné sous le vocable de «document Chevrette» du nom du ministre des Affaires municipales) est officiellement décrit comme le «volet municipal d'une démarche de décentralisation plus large, en ce sens qu'elles [les mesures proposées] portent sur des questions et des dossiers qui intéressent d'abord le monde municipal» (le ministre des Affaires municipales, Proposition de décentralisation vers les instances municipales, 1995, p. 4). Selon les termes du document, les mesures proposées, qui ont fait l'objet d'un consensus entre les représentants du ministère des Affaires municipales, de l'Union des municipalités du Québec (UMQ) et de l'Union des municipalités régionales de comté du Québec (UMRCQ), peuvent être appliquées à court terme sous la forme de décentralisation des responsabilités vers les instances municipales (incluant les municipalités locales, les MRC et les communautés urbaines) ou sous la forme d'expériences pilotes dont l'initiative est confiée au milieu municipal.

Le ton du document Chevrette est nettement optimiste lorsqu'il affirme qu'il serait «réaliste de procéder rapidement» à la décentralisation dans les domaines du développement économique, de la gestion du territoire et des équipements collectifs et, enfin, du développement socioculturel et communautaire.

En fait, ni le plan A ni le plan B ne réussissent à prendre la tête des enjeux référendaires alors que les modalités qui y sont exposées peuvent paraître plutôt techniques aux yeux des non-initiés. Ce sont les employés des ministères à Québec ou à Montréal qui en sont les lecteurs les plus attentifs puisqu'il en va de leur emploi ou de leur déplacement en région. Pour les dirigeants municipaux, c'est la continuation d'un mouvement entamé depuis au moins 15 ans - le gouvernement du Parti québécois n'a-t-il pas été l'auteur d'une série de livres verts sur la décentralisation en 1977? -, ce qui inspire une réserve à l'égard de l'utilisation qui est faite du projet dans la conjoncture référendaire. Mais pour les représentants des municipalités (l'Union des municipalités du Québec [UMQ] et l'Union des municipalités régionales de comté du Québec [UMRCQ]), il s'agit d'un contexte à exploiter puisqu'il est favorable à l'extension des pouvoirs de leurs membres et, implicitement, de leur propre organisation.

Pour ménager les susceptibilités des uns et des autres, le gouvernement prend bien soin de ne pas trancher l'épineuse question des structures d'accueil des responsabilités à déplacer vers les régions et s'engage à partager ses ressources. Il agit comme si les dirigeants municipaux se trouvaient dans la cohorte des sympathisants indépendantistes dont il faut renforcer les convictions pour s'assurer de leur soutien lors du référendum. Mais, les résultats du référendum étant ce qu'ils sont, on peut maintenant constater que les propositions de décentralisation n'ont pas réussi à faire emporter la mise au principal joueur gouvernemental.




Le partenariat Québec-municipalités

Quelques mois après le référendum d'octobre 1995, les négociations tripartites ont repris de plus belle sur la question des regroupements municipaux, sujet qui contrarie sérieusement tous les élus locaux. La démarche s'inscrit dans un appel sans équivoque de la part du chef du gouvernement et du ministre des Affaires municipales qui appellent les milieux locaux à la rescousse des intérêts gouvernementaux.

À la faveur du discours inaugural de la session parlementaire de l'hiver 1996, le premier ministre Lucien Bouchard identifie les grandes priorités gouvernementales: «l'assainissement» des finances publiques, le développement économique et la création d'emplois, et la «relance» de l'éducation. À l'occasion des assises annuelles de l'UMQ, le premier ministre réitère ses priorités et propose un «partenariat» avec les municipalités comme condition d'atteinte de ses objectifs. «Bien que les grands moyens d'action soient entre les mains des gouvernements fédéral et provincial, dit-il aux élus locaux, les municipalités peuvent apporter une contribution de plus en plus substantielle à la création de la richesse et à la création d'emplois.» («Notes pour une allocution du premier ministre monsieur Lucien Bouchard à l'occasion des Assises annuelles de l'UMQ», 2 mai 1996, p. 3)

On doit souligner l'insistance avec laquelle les autorités provinciales tiennent à associer les municipalités à ce qui est présenté comme une préoccupation commune dont la conséquence sera l'imposition de mesures visant à rendre les autorités locales plus aptes à assumer ces responsabilités. Parmi ces mesures, le gouvernement provincial privilégie les fusions de municipalités locales.

La décentralisation implique également un renforcement des institutions municipales et à ce titre, il est donc devenu nécessaire de développer une politique de regroupement plus incitative et plus cohérente.

J'entends donc rendre publique une politique de consolidation des municipalités visant à mieux faire correspondre les structures municipales aux communautés de base et à renforcer le pouvoir local.

En s'adressant en ces termes aux délégués municipaux réunis au congrès de VUMQ en mai 1996, le ministre des Affaires municipales annonce une stratégie en deux étapes: d'abord des mesures visant le regroupement des petites municipalités de villages et de paroisses et les municipalités situées dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants et, ensuite, des mesures pour les villes de dimension plus considérable comme celles qui se trouvent dans les régions de Montréal et de Québec.

Encore une fois, le discours ministériel, cognant sur le clou de la rationalisation institutionnelle, rencontre une résistance aussi forte que lors des tentatives précédentes. Levée de boucliers de la part des municipalités rurales via l'UMRCQ et les préfets des MRC (Le Devoir, 8-9 juin 1996, p. A 7), et attitude de non-recevoir de la part de l'UMQ. Le ministre maintient alors sa proposition de regroupement «volontaire» avec aide financière provenant des autorités provinciales pour un ensemble de quelque 400 petites municipalités et agglomérations de moins de 10 000 habitants. Quant aux villes et aux agglomérations urbaines, elles sont invitées par le ministre à formuler leurs propres propositions (Le Devoir, 31 mai 1996, p. A 4).

La stratégie ministérielle se scinde donc en deux volets, avec un volet urbain qui semble plus ouvert à une variété de formules de partenariat, et un volet rural où les voles de sortie passent toutes par la fusion. Dans son analyse du «dilemme municipal», Claude V Marsolais décrit bien ce qui peut expliquer la démarche gouvernementale.

Le ministère des Affaires municipales a très certainement un intérêt à mousser son programme de fusion municipale. En effet, à cause de la structure très centralisée de l'État québécois qui oblige ses vassaux (les municipalités) à lui rendre des comptes, le ministère est littéralement submergé par des montagnes de documents de toutes sortes.

Qu'on en juge: le ministre Chevrette a reçu en 1995 plus de 18 000 lettres. Il a envoyé pour sa part 38 000 lettres. Pendant ce temps, les fonctionnaires de son ministère traitaient 480 000 documents divers et signaient 240 000 certificats de validité autorisant des règlements d'emprunts. En 1995, le ministère a aussi ouvert 8892 nouveaux dossiers et en révisaient 6567 autres encore actifs. Bref, à Québec, on aspire seulement à pouvoir respirer. (La Presse, 20 janvier 1996, p. B4)

À travers la démarche « d'assainissement» des finances publiques pourrait poindre la possibilité d'une réduction des contrôles centraux sur les décisions locales. Voilà bien ce que réclament les municipalités dans leurs négociations avec le gouvernement provincial. Mais la voie proposée pour rendre les autorités municipales plus aptes à assumer pleinement leurs responsabilités, advenant une réduction des contrôles, semble sans issue si elle doit passer obligatoirement par la fusion alors que celle-ci est rejetée par les municipalités. Nous n'assistons donc pas à une solution du dilemme municipal en 19951996, et encore moins à une simplification des enjeux qui, derrière la décentralisation, laissent voir celui de la réduction du pouvoir central. Sur ce point, les positions du gouvernement demandent elles-mêmes à être clarifiées et débattues en vue d'en arriver, si possible, à un nouveau contrat social dont il est difficile à ce moment-ci de dire s'il sera inspiré par le néolibéralisme ou par un courant plus favorable à une présence étatique stratégique. En constatant qu'il serait impertinent de dissocier le débat entourant les fusions des discussions plus larges concernant le partage des pouvoirs, voire la place de l'État dans la société, nous soulignons aussi l'indissociabilité des enjeux locaux et des enjeux plus globaux.

Dans cette perspective, il devient possible de comprendre pourquoi les projets de décentralisation se contractent en peau de chagrin lorsque nous en cherchons les produits concrets. En 1995-1996, ces derniers se résument à une quarantaine de projets pilotes déposés sur la table ministérielle, notamment pour transférer aux municipalités la responsabilité de vérifier la qualité des eaux de baignade. Pour la réalisation d'un véritable «pacte de la décentralisation», il faudra repasser.




Dans la région de Montréal

Montréal fait l'objet de préoccupations particulières en 1995-96 à plusieurs égards. Premièrement, c'est le début du régime Bourque à l'hôtel de ville, suite à l'élection du maire Pierre Bourque et d'une majorité de conseillers de son parti Vision Montréal en novembre 1994. Les ruptures avec le régime antérieur apparaissent à plusieurs niveaux : réorganisation qui conduit à une augmentation importante du nombre de services administratifs (dont la création d'un «service de la propreté») et au remplacement d'une partie du personnel supérieur; création du poste de «médiateur de Montréal», poste confié à un élu municipal chargé d'enquêter et de «tenter de résoudre» les plaintes déposées par les citoyens concernant l'administration municipale; formation de «comités de citoyens» dans les districts électoraux chargés de la réalisation des programmes «écoquartiers» visant à promouvoir la protection de l'environnement. Au plan de la gestion publique, le nouveau maire envisage la mise en place de partenariats avec différents organismes (soit à but lucratif, soit communautaires, soit à but non lucratif) dans les domaines des services à la circulation, des loisirs et même de l'approvisionnement en eau. Ce maire, qualifié de «maire-jardinier» ou même de maire «Post-moderne», affiche un style innovateur qui n'est pas sans provoquer des critiques liées à l'absence de consultation qui caractérise l'élaboration de plusieurs de ses projets, l'apparence improvisée de certains d'entre eux, et l'autocratisme dont il fait preuve.

Cette première année de régime à Montréal est marquée par un problème qui s'est éternisé. L'affrontement de la municipalité avec ses employés cols bleus a débuté en 1994, sous l'administration du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal. Pierre Bourque s'était engagé à trouver une solution dans les six mois suivants son entrée à la mairie. La mésentente tient surtout à l'obligation, pour la municipalité, d'assurer un plancher d'emplois permanents et à l'organisation de la semaine de travail, soit plus précisément le recours au temps supplémentaire de travail, à l'horaire flexible et à la semaine de quatre l'ours. Le rapport de forces qui oppose les parties patronales et syndicales dans cette affaire touche des services dont l'impact se fait directement sentir dans la vie quotidienne, tels que le déneigement des voles de circulation et la collecte des ordures ménagères.

Le problème plus large des relations de travail se pose dans un grand nombre de municipalités qui souhaitent un assouplissement des dispositions du Code du travail reliées au recours à des services d'entreprises commerciales et une refonte des procédures de détermination des conditions de travail de leurs employés. Elles remettent en cause les critères utilisés par les arbitres appelés à trancher les mésententes concernant les conditions de travail. Du point de vue des municipalités, le recours à la comparaison avec d'autres villes pour déterminer les conditions salariales dans une ville donnée a conduit à une escalade dont les résultats sont à l'effet que les employeurs municipaux offrent des conditions de travail supérieures à celles des fonctions publiques provinciales et fédérales. Ce constat acquiert un poids considérable aux yeux du public, faute de toucher pareillement les élus municipaux qui souhaiteraient par ailleurs disposer d'instruments tels que les décrets et les lois spéciales pour mettre fin aux conflits de travail dans leur municipalité. Les amendements nécessaires au Code du travail n'ont pas été apportés au cours de cette année par l'Assemblée nationale. Le premier ministre Lucien Bouchard se montre par ailleurs particulièrement sensible à la situation montréalaise dans la formation de son Conseil des ministres. La nomination du ministre d'État à la métropole et responsable de la région de Montréal constitue en effet un précédent remarquable. Comme deuxième élément retenu pour soutenir le point de vue à l'effet que la région de Montréal s'est démarquée en 1995-1996, cette nomination laisse croire que le gouvernement Bouchard entend accorder un statut particulier à la région métropolitaine, comme d'autres avant lui ont accordé une priorité aux régions.

Montréal et sa région métropolitaine présentent un cas à part. La démographie montréalaise, la complexité de son tissu de villes et de banlieues, son rôle économique et culturel, l'ampleur des problèmes qui l'assaillent démontrent amplement que le Montréal métropolitain doit être doté d'un levier politique à sa mesure.

Le nouveau ministre responsable de la région métropolitaine de Montréal aura le mandat de promouvoir la métropole dans la définition d'actions gouvernementales spécifiques et dans la concertation des initiatives venant du milieu montréalais. (Extrait du discours d'assermentation prononcé par Lucien Bouchard, le 29 janvier 1996, Le Devoir, 30 Janvier 1996, p. A 5)

En recevant le mandat immédiat de former un organisme consultatif régional de développement, le ministre de la métropole fait face à une tâche très difficile à cause de la résistance à la construction d'une solidarité pluraliste incluant les milieux municipaux, communautaires et d'affaires. Le peu de suites au Rapport Pichette sur Montréal et sa région, qui proposait la création d'un organisme métropolitain de concertation dans la «ville-région», fait preuve des distances qui séparent les différents acteurs métropolitains. Si la mesure de relance du Grand Montréal rallie les milieux patronaux et syndicaux (Le Devoir, 30 janvier 1996, p. A 5), il n'en va pas de même des municipalités de banlieue qui montent aux barricades comme le titre Le Devoir (8 février 1996, p. A 1). Selon les maires et les préfets des MRC de la grande région métropolitaine, il n'est pas question que les municipalités de banlieue fassent les frais des difficultés économiques de la ville centrale. Ce à quoi le maire de Montréal rétorque: «Il faut que les gens comprennent que Montréal, c'est un coeur, pas un trou de beigne.» (Le Devoir, 25-26 mai 1996, p. A 3)

La difficile conciliation des points de vue périphériques et centraux apparaît de façon dramatique à l'hiver 1996 avec la décision de transférer les vols transcontinentaux de Mirabel à Dorval. Ici aussi, c'est la région de Montréal qui est au centre des débats opposant les forces vives de la Rive-Nord de Montréal, pour qui «faire mourir l'aéroport de Mirabel, c'est mettre une croix sur notre avenir» (page publicitaire parue dans Le Devoir, 17-18 février 1996, p. A 2), et les représentants du centre de la région, ceux de l'île de Montréal, que le renforcement du transport aérien à Dorval réjouit tout à fait.

Si la région de Sainte-Scholas tique a été secouée au début des années 1970 lorsque le gouvernement fédéral a décidé d'exproprier les fermes et d'exiger la consolidation des municipalités pour former la ville de Mirabel pour y accueillir le nouvel aéroport intercontinental du même nom, elle a fini par croire que l'activité aéroportuaire représentait sa principale vole de développement. Lorsque, 20 ans plus tard, la société à but non lucratif du nom de Aéroports de Montréal (ADM) décide de rapatrier les vols transcontinentaux à Dorval et de conserver les vols nolisés et le transport par cargo à Mirabel, tout le nord de Montréal se mobilise au sein de la «coalition pour la sauvegarde de l'aéroport de Montréal-Mirabel». Ce regroupement des députés provinciaux et fédéraux des Basses- Laurentides, des dirigeants des MRC et de la ville de Mirabel, des sociétés locales de développement économique et des chambres de commerce de la région, obtient une reconsidération de la décision d'ADM. Le conseil des ministres est divisé en deux camps avec, d'une part, les représentants de la métropole, incluant le ministre responsable de la grande région de Montréal, favorables au projet d'ADM, et d'autre part des ministres plus favorables à la sauvegarde de Mirabel. En choisissant une position «mi-figue mi-raisin», selon l'expression du Devoir (31 mai 1996, p. A 8), le gouvernement Bouchard laisse passer sa chance de reconnaître concrètement la priorité au développement de Montréal et de freiner l'étalement urbain vers les Basses-Laurentides au détriment du centre de la grande région. Ce qui n'empêche pas ADM de maintenir sa décision.




Le développement régional

La faiblesse du gouvernement dans le dossier de l'aéroport de Mirabel soulève le voile sur sa politique de développement régional. En fait, plusieurs événements permettent de constater un affaiblissement de la priorité aux régions au cours des premiers mois du régime Bouchard. D'abord, le portefeuille des Affaires municipales et la responsabilité du développement régional sont dissociés lors de la formation du nouveau gouvernement en janvier 1996, entraînant un affaiblissement de la coordination entre ces deux secteurs. Deuxièmement, la responsabilité du développement des régions est accordée au ministre des Ressources naturelles, Guy Chevrette, qui, tout en se partageant entre ses divers dossiers, ne réussit pas à convaincre ses collègues du gouvernement du bien-fondé de son projet de régionalisation budgétaire (Le Devoir, 23-24 mars 1996, p. C 5), c'est-à-dire du transfert d'une partie des budgets ministériels vers les conférences administratives régionales qui regroupent les cadres du gouvernement dans chaque région.

Troisièmement, les délégués régionaux que le premier ministre Parizeau s'était rattachés directement avec grande emphase, sont remplacés par des secrétaires régionaux. Ce nouveau titre est attribué aux députés occupant le poste d'adjoint parlementaire aux ministres à qui revient la tâche de représenter leur région spécifique. Ce qui semble un «enchevêtrement de structures plus ou moins efficaces» aux yeux du critique de l'opposition parlementaire (Le Soleil, 8 février 1996, p. A 18), a le mérite de camper les principes de la responsabilité régionale au niveau ministériel, au risque de la perdre dans l'ensemble des autres dossiers plus sectoriels. Quatrièmement, la question du financement des MRC continue de susciter beaucoup d'inquiétude au niveau régional, pendant que le gouvernement menace de mettre fin à ses transferts de ressources. En contrant fortement la tentative gouvernementale d'appropriation d'une partie des revenus de la taxe sur les communications, le gaz et l'électricité, les porte-parole des municipalités (UMQ et UMRCQ) arrivent à protéger la part de ce fonds qui va aux MRC pour assurer une partie de leur fonctionnement (Le Devoir, 25-26 mai 1996, p. A 1). N'eût été de la vigilance des forces municipales, les MRC auraient dû subvenir entièrement à leur financement pour leurs opérations régulières à l'instar des autres municipalités.

À ce propos, il semble de plus en plus évident que les autorités provinciales tendent à délaisser la formule de financement de base pour privilégier des transferts de ressources encadrés par des projets spécifiques. Ainsi, suite à la planification stratégique qui a mené à la signature d'ententes entre les régions et le gouvernement du Québec, les organismes régionaux de concertation et de développement (ORCD) reçoivent un financement leur permettant de réaliser de nombreux projets en région.




Pour la Capitale

Au chapitre des relations entre les autorités provinciales et le milieu municipal, il convient de mentionner la création, en 1995, de la Commission de la Capitale nationale du Québec. Cet organisme, dont les dirigeants sont nommés par la Conseil des ministres, reçoit comme mandat de «consacrer la présence politique et administrative de l'État dans la capitale», de mettre en valeur le paysage de la capitale et de «faire entrer la capitale dans l'esprit et le coeur des Québécois» (Commission de la Capitale nationale du Québec, Les trois missions de la Commission de la Capitale nationale du Québec, 1995, p. 1-3). Dans l'immédiat, la CCNQ gère six parcs urbains et s'occupe de l'embellissement de la colline parlementaire, à Québec, tâche directement reliée au deuxième volet de son mandat.




La politique locale

Après avoir constaté à quel point les propositions de politiques sont colorées par l'atmosphère référendaire, force est de souligner que les élections municipales de novembre 1995 n'y échappent pas elles non plus. Tenues une semaine à peine après le scrutin référendaire dont la date a été fixée afin d'éviter une coïncidence de deux événements -, les élections municipales se tiennent dans un peu moins de la moitié des municipalités locales. Plusieurs candidats et candidates constatent le peu d'intérêt des médias pour les élections municipales qui sont perdues dans la foulée des débats référendaires. Dans 267 des 675 municipalités où il y a élection, les mandats des maires sont échus, tandis que dans les autres seuls les conseillers font face à l'élection.

Quatorze villes de 20 000 habitants et plus sont mises en cause par ces élections qui se tiennent surtout dans les municipalités de dimension réduite dont très peu se situent dans la région de Montréal. Comme le remplacement des conseillers en milieu rural se fait selon le principe de la rotation, c'est-à-dire que la moitié des conseillers font face à l'élection en même temps, l'impact des élections sur la scène locale peut être moins marqué. Quoi qu'il en soit, nous constatons que 47,2% des postes de maires ou de mairesses sont comblés sans opposition, comparativement à 67% huit années auparavant, et que la très grande majorité des maires élus «par acclamation» sont des maires ou des mairesses sortant de charge. Très peu de nouveaux maires ou de nouvelles mairesses ont le «plaisir» d'être portés au pouvoir sans opposition, privilège qui est surtout réservé aux politiciens locaux expérimentés.

La dominante plutôt rurale des élections municipales en 1995 explique le peu d'implication des partis politiques municipaux et leur remplacement par des équipes, sortes de coalitions électorales regroupant les candidats sur la base d'expériences et de points de vue communs. Le modèle des équipes se retrouve dans les trois villes de l'Outaouais (Hull, Gatineau et Aylmer) dont la dimension pourrait Justifier la formation de partis (tableau 1).







Les situations électorales sont très variables d'une localité à l'autre, avec un, deux, trois ou quatre candidats, la présence ou l'absence dans la lutte du maire ou de la mairesse sortant de charge, ou bien encore l'existence d'enjeux locaux plus ou moins mobilisateurs. Tout en gardant bien en mémoire cette grande variation, nous pouvons tirer quelques caractéristiques générales de ce scrutin.

Sur un total de 468 personnes ayant posé leur candidature à la mairie, 13,2% seulement sont des femmes. Parmi les 267 postes de maire touchés par une élection, 10,9% sont occupés par des femmes suite au scrutin de 1995. Les mairesses sont élues ou réélues dans quelques villes moyennes, comme Drummondville, mais surtout dans les petites municipalités, comme Maria, Windsor ou Cookshire.

La proportion d'électeurs et électrices ayant voté oscille, selon les localités, entre 29% comme valeur minimale, et 93% comme valeur maximale. Règle générale, ce sont les petites localités qui connaissent le plus d'élections sans opposition. Mais lorsqu'il y a compétition à la mairie, c'est aussi dans ces milieux restreints que la mobilisation est la plus intense, ce qui provoque une participation électorale pouvant atteindre les 85 ou 90%.

Après avoir brossé ce portrait général, arrêtons-nous sur quelques cas particulièrement intéressants. À Outremont, trois partis s'affrontent, chacun sous la présidence d'un candidat à la mairie et conseiller sortant. Cette campagne très intense porte sur les finances municipales, la pertinence de l'occupation à plein temps du poste de maire, la critique des réalisations de l'équipe sortante et les mérites personnels des candidats. Avec trois nouveaux candidats à la mairie, le scrutin a mobilisé 55% des électeurs et fait élire l'un des maires les plus jeunes (26 ans) du Québec, Jérome Unterberg.

À Saint-Jean-Chrysostome, dans la région de Québec, le maire sortant, en poste depuis 1978 sans jamais avoir eu à faire face à un adversaire électoral, doit faire campagne contre un candidat désireux de changer de rôle après neuf ans d'échevinage. Dans ce cas, comme dans celui d'Outremont, des enjeux spécifiques suscitent l'intérêt des électeurs dont 55% se rendent aux urnes pour réélire le maire sortant. Quatre ans plus tôt, entre 41 et 44% des électeurs, selon les districts électoraux, s'étaient rendus aux urnes pour appuyer un candidat au poste de conseiller alors que le maire était réélu par acclamation. Dans cette ville, la tenue d'un scrutin à la mairie mobilise donc 10% de plus d'électeurs qu'en l'absence d'opposition à ce poste.

Il est intéressant de souligner que l'informatique fait son entrée dans le processus électoral à Hull où le scrutin électronique accélère le décompte des voix et permet de connaître les résultats trente minutes après la fermeture des bureaux de scrutin. De même, à Drummondville, les résultats électoraux sont diffusés sur Internet pour les adeptes de l'inforoute.




Conclusion

Les enjeux de la vie locale et régionale ne se sont pas simplifiés au cours de cette année 1995-1996, mais ils se sont clarifiés. Plus que Jamais l'étroite imbrication entre les questions locales et celles de la société et de la gouverne plus larges est manifeste. On peut, en effet, mesurer l'impact du scrutin référendaire sur l'ensemble du dossier de la décentralisation, comme on peut sentir l'importance des rapports de force désormais établis entre les représentants municipaux (UMQ et UMRCQ) et les autorités du Québec.

Plusieurs propositions majeures, concernant les transferts de pouvoirs et de ressources et les fusions, ont été déposées, mais peu de décisions ont été prises. C'est l'année des échanges et des pourparlers servant à mesurer les écarts entre les positions de chacun ou à constater les objectifs spécifiques de la nouvelle équipe gouvernementale à Québec. Deux questions majeures émergent de ce qui n'est en fait qu'un bref épisode dans le scénario plus vaste de la vie locale et régionale. D'une part, on continue de rechercher l'équilibre à établir entre la ville-centre et les banlieues, et entre l'espace métropolitain et l'espace régional. Comment concilier les privilèges et les obligations de chacun dans l'ensemble? D'autre part, dans la localité on commence à apercevoir le prix à payer pour être promu au rang de partenaire de l'État central. Beaucoup de questions se posent encore: s'il faut se renforcer (lire: se fusionner) pour accueillir plus de responsabilités, le leu en vaut-il la chandelle? Le défi peut paraître intéressant pour certains, alors que, pour d'autres, il s'agit d'une impasse. La solution n'est pas encore trouvée.