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Les relations extérieures du Québec



Manon Tessier1 ]
Université Laval


L'année politique au Québec 1995-1996

· Rubrique : Les relations extérieures



S'inspirant de la reine Élisabeth Il qui, en faisant référence aux querelles au sein de la famille royale et à l'incendie du château de Windsor, avait qualifié l'année 1992 d'annus horribilis, l'observateur politique pourrait être tenté d'adapter le vocable royal aux relations internationales du Québec en 1996. S'amusant à pousser l'analogie, il retiendrait lui aussi deux «catastrophes» pour expliquer l'état critique de la situation, à savoir la fermeture de 13 délégations du Québec à l'étranger et la restructuration du ministère des Affaires internationales, dorénavant privé de toute dimension commerciale. Si l'analogie, bien qu'amusante, est peut-être exagérée, il n'en demeure pas moins que 1996 restera dans les annales de la politique extérieure du Québec une année lourde de conséquences.



L'avant-référendum: les derniers préparatifs

Dès son accession au pouvoir, le gouvernement péquiste avait renoué avec les partenaires étrangers du Québec, relancé ses échanges avec les États-Unis, revitalisé ses relations privilégiées avec la France et s'était repositionné au sein de la Francophonie. Le projet souverainiste avait eu pour principal effet un retour du Québec sur la scène internationale dominée par une activité politique accrue se démarquant nettement de la politique extérieure libérale précédente presque exclusivement commerciale. Non pas que le gouvernement péquiste ait cessé de privilégier les missions commerciales comme outils de politique extérieure - en 1995, le Québec a piloté 106 missions à l'étranger et en a accueilli 108 sur son territoire - mais la politique extérieure québécoise avait retrouvé un contenu multiple où se mariaient réflexion politique, action, stratégie et commerce.

L'échéance référendaire arrivant à grands pas, les préparatifs s'accélèrent et la teneur de la future politique extérieure se précise. On apprend notamment le 22 septembre 1995 que, dans le cadre d'un Québec souverain, le gouvernement péquiste fera de Montréal une place financière internationale et lui redonnera un statut de capitale économique. Le ministre des Affaires internationales détaille alors les grands axes de développement de ce projet à l'élaboration duquel ont travaillé trois ministères et collaboré Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et de placement. En octobre, trois objectifs de politique étrangère sont proposés; il s'agit (1) de la consolidation de la personnalité internationale économique du Québec, (2) du développement d'une personnalité internationale culturelle et (3) de l'émergence d'un e personnalité humanitaire internationale. Chacun de ces objectifs est assorti d'engagements précis. Il faudra être un partisan du libre-échange transatlantique, favoriser le rayonnement de la langue française au sein de la communauté internationale et se doter d'une politique d'aide à l'égard des populations moins avancées.

Et puisque tout contenu doit aussi se parer de moyens, le ministère des Affaires internationales élabore stratégies et synopsis dans lesquels il suppute les ressources correspondantes à chaque scénario. Par exemple, advenant la victoire du OUI, le Québec accentuerait sa présence à l'étranger en se dotant d'un réseau de 32 ambassades ou consulats généraux. Deux ans après l'accession à la souveraineté, il espère réussir à obtenir une représentation dans 107 pays et auprès de 12 organismes internationaux dont l'ONU, l'OTAN, I'OÉA et l'OCDE. Il planifie également de créer des organismes appelés à prendre le relais du fédéral tels qu'une Agence québécoise de développement international et une Société québécoise de financement des exportations2 ] .

Toute cette activité officielle et officieuse se double dans les dernières semaines de la campagne référendaire d'un ultime blitz de contacts et d'échanges auprès des partenaires étrangers du Québec. Dans ce contexte particulier, chaque visite ou accueil de dignitaires devient un prétexte pour expliquer, rassurer ou courtiser. il s'agit ici de compléter le travail effectué dès les premiers mois du mandat du gouvernement péquiste auprès de la France, des États-Unis et des États membres de la Francophonie.

Par exemple, en août 1995, la tenue à Québec de la 35e réunion annuelle de l'Eastern Regional Conference of Council of State Gouvernements et la présence de ses 1300 délégués américains devient une occasion pour le premier ministre Parizeau de rappeler que les liens avec les États-Unis ne seront pas affectés par la souveraineté du Québec. En septembre, la visite au Québec du président de l'Assemblée nationale française, M. Philippe Séguin, fait dire à M. Parizeau qu'il pourra compter sur M. Séguin pour accueillir le Québec lorsque celui-ci se présentera «à la table des nations». Invité à Londres en juillet dans le cadre des célébrations du centenaire de la London School of Economics où il a étudié, M. Parizeau prononce une allocution devant le Royal Institute of International Affairs au cours de laquelle il traite de la question du Québec souverain. Idem pour le vice-premier ministre et ministre des Affaires internationales, M. Bernard Landry, qui, en juillet, lors d'une mission commerciale au Mexique, explique au ministre mexicain des Relations extérieures la démarche de son gouvernement. En fait, peu d'activités officielles tenues lors de cette période, que ce soit discours, voyages ou missions, échapperont à cette tendance, ce qui n'est pas sans irriter le gouvernement fédéral.




Démêlés avec le fédéral

L'échéance du 31 octobre se rapprochant, la tension monte et les accrochages entre le fédéral et le provincial se multiplient. Plusieurs anecdoctes témoignent de cette tension. Par exemple, le 26 septembre, le ministre Landry accuse le ministre des Finances du Canada, M. Paul Martin, de faire «de la rhétorique émotive». M. Martin avait prédit quelques jours auparavant que le Québec éprouverait des difficultés à se faire accepter au sein de l'OMC et que l'ALÉNA devrait être réouverte, voire renégociée pour faire une place au Québec. Quelques jours plus tard, les journaux révèlent que M. Landry a écrit une lettre au secrétaire d'État américain, M. Warren Christopher, dans laquelle il attire son attention sur les impacts de ses déclarations au sujet du référendum. Là encore, le geste de M. Landry se veut une réaction à des propos tenus précédemment par M. Christopher. Ce dernier, à l'issue d'une rencontre avec son homologue canadien, a affirmé que l'organisation qui succéderait à la fédération canadienne ne devrait pas prendre pour acquis le maintien des liens positifs existant entre le Canada et les États-Unis.

C'est aussi à la même période que se tient l'épisode des cérémonies de l'inauguration de la Place de la FAO à Québec à laquelle assistent le secrétaire général de cet organisme et plusieurs délégués étrangers. L'inauguration tourne presque au débat référendaire: le discours du ministre André Ouellet contenait une brève apologie du fédéralisme canadien. Notons enfin une polémique fédérale-provinciale sur le thème de la liberté des contacts protocolaires du Québec. Le ministère des Affaires étrangères reproche au Québec d'avoir transgressé les règles protocolaires en matière diplomatique en écrivant directement aux ambassadeurs en poste au Canada pour les informer des enjeux du référendum, une interprétation que critique vivement M. Landry.




L'après-référendum: le couperet tombe

L'échec référendaire brise l'élan d'émancipation de la politique extérieure péquiste. Stratégies, initiatives et élaboration des politiques sont remisées. Ne pouvant organiser un second référendum sur la souveraineté au cours d'un même mandat, le nouveau premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, fait de l'assainissement des finances publiques et de la relance de l'emploi ses priorités. Ce changement de cap sonne le glas de la priorité de la reconnaissance à l'étranger.

À cela s'ajoutent une réorganisation de l'appareil de l'État et un changement ministériel qui frapperont de plein fouet le ministère des Affaires internationales. D'une part, ce dernier devient le ministère des Relations internationales (MRI)3 ] et un nouveau venu au Cabinet, M. Sylvain Simard, en prend la direction. D'autre part, on décide que M. Bernard Landry, qui a hérité de l'Économie et des Finances, continuera d'assumer certaines responsabilités qu'il détenait précédemment à titre de ministre des Affaires internationales. Puisque M. Landry est chargé d'élaborer et de soumettre au gouvernement les politiques relatives au développement économique du Québec, il aura aussi la tâche de piloter l'action gouvernementale en matière de développement du commerce extérieur et des investissements étrangers. Il s'agit, en regroupant les services, de réduire les délais et les formalités pour les exportateurs québécois et les investisseurs étrangers. Conséquemment, les activités, programmes et effectifs de l'ancien ministère des Affaires internationales dans ce secteur sont soumis à la tutelle de M. Landry et de M- Rita Dionne-Marsolais, ministre déléguée à l'Industrie et au Commerce.

À cette perte d'importance et d'influence du MRI se greffe un effort de redressement des finances publiques exigé par M. Bouchard. La contribution à l'effort budgétaire du gouvernement demandé au MRI s'élève à 16,7 millions $ et, dans un ministère où le réseau de représentations à l'étranger constitue près de la moitié du budget total, les coupures dans ce secteur deviennent inévitables.

À peine entré en fonction, le nouveau ministre procède à la pénible tâche d'annoncer la fermeture de treize représentations du Québec à l'étranger (Atlanta, Boston, Chicago, Los Angeles, Bogota, Caracas, Port-au-Prince, Düsseldorf, Rome, Milan, Hong Kong, Séoul et Le Caire). Seules les délégations générales de New York, Mexico, Paris, Bruxelles, Londres et Tokyo survivent afin d'assurer une présence sur trois continents4 ] . Cette décision porte un dur coup à la politique extérieure du Québec, l'une des provinces canadiennes les plus actives sur le plan international, mais c'est aussi une décision douloureuse pour le gouvernement péquiste et ses espoirs de promotion de son option politique à l'étranger.

Certes, la nécessité de réduire les dépenses publiques est à l'origine de ces fermetures mais, en cette ère de mondialisation des marchés et de l'inforoute électronique, les relations internationales prennent une coloration commerciale accentuée. Le Québec n'échappe pas à cette tendance. D'ailleurs, le gouvernement de l'Ontario avait déjà pavé la vole en 1993, en décidant de fermer la totalité de ses délégations et en préférant poursuivre la réalisation de ses objectifs internationaux par le biais de visites ponctuelles aux buts précis. En ce sens, le gouvernement québécois a bénéficié de près de trois ans de recul pour observer la stratégie ontarienne. Il a aussi profité de deux ans pour évaluer la stratégie de «commis voyageur» employée par le premier ministre fédéral au cours de vastes missions commerciales surnommées Team Canada.

Mais, contrairement à l'Ontario, le Québec a décidé de conserver ses délégations les plus importantes, gardant ainsi le seuil minimal d'une représentation internationale autonome. Les délégations restantes, bien que diminuées en personnel, seront appelées à prendre le relais des bureaux fermés, mais cet éloignement géographique, doublé d'une surcharge de travail, n'est pas sans inquiéter certains partenaires du Québec. Par exemple, la région de la Bavière qui entretient un partenariat privilégié avec les Québécois a, sans succès, demandé au gouvernement de revoir sa décision de fermer la délégation de Düsseldorf qui lui servait de point de contact. Elle devra maintenant faire transiter ses dossiers de coopération par Bruxelles ou Paris.




Des répercussions difficiles à évaluer

Le Québec entend demeurer présent à l'étranger malgré la fermeture de la majorité de ses représentations. Pour ce faire, il entreprend dès le mois d'avril de signer des projets de partenariat avec l'entreprise privée lui permettant, par exemple, de loger des attachés commerciaux dans les bureaux de la Caisse de dépôt et de placement du Québec à Hanoi ou dans ceux de la Banque nationale du Canada à Atlanta, Boston et Chicago. Des projets similaires sont prévus en Allemagne, en Italie et en Amérique latine, mais il faudra attendre plusieurs mois avant de juger de l'efficacité de ces nouveaux modes de représentation.

D'autant plus qu'en tronquant ainsi la valise diplomatique pour la valise économique, le gouvernement québécois devra éviter le piège du repli vers une logique exclusivement marchande. La fermeture de l'Office du tourisme du Québec à Paris est éloquente à cet égard. Là encore, le Québec a préféré suivre la voie du partenariat avec le secteur privé et miser sur l'autoroute de l'information pour promouvoir son potentiel touristique auprès de la clientèle française. Dans un milieu aussi concurrentiel que le tourisme, la disparition de cette vitrine pourrait avoir des effets néfastes.

Quant au Secrétariat à l'action humanitaire sur lequel le gouvernement péquiste misait beaucoup - c'était l'une des trois priorités de la nouvelle politique extérieure québécoise -, le départ de son titulaire en janvier ne contribue certainement pas à la croissance de ce champ d'action dans la politique québécoise. Fait assez significatif à cet égard, on ne notera aucune activité officielle dans ce secteur après janvier 1996.

Qui plus est, on imagine assez difficilement comment assumer la défense des dossiers culturels et humanitaires, ou même la promotion de la langue française, à partir de bureaux commerciaux privés ou de locaux situés dans des ambassades canadiennes. Si cela s'avère vrai pour ces secteurs d'activité, ce le sera aussi pour la défense des intérêts politiques distincts du Québec. D'ailleurs, la vice-première ministre du Canada, Mme Sheila Copps, n'a pas tardé à le rappeler: seuls les agents d'immigration québécois seront tolérés dans les ambassades canadiennes, la promotion de la souveraineté ou des échanges commerciaux du Québec devra emprunter un autre canal.

Les répercussions seront aussi difficiles à juger au niveau des relations bilatérales. Il y eut d'abord les activités tenues aux lendemains de la défaite référendaire. Le seul déplacement à l'étranger d'un membre du gouvernement péquiste survenu lors de cette période a été réalisé par le ministre Bernard Landry. Ce dernier, en route vers le Sommet francophone, s'est en plus arrêté à Paris. Reçu par Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, Hervé de Charette, ministre des Affaires étrangères et Jacques Chirac, chef de l'État français, M. Landry a consacré ses entretiens de haut niveau à l'analyse de la situation politique au Québec et au resserrement des relations franco - québécoises. Le niveau des relations France-Québec a alors été comparé à celui prévalant «sous la présidence gaulienne».

Le climat chaleureux de l'accueil réservé par l'Élysée et le Quai d'Orsay, de même que celui obtenu au Sommet de Cotonou, a fait dire à M. Landry que le Québec est maintenant perçu comme un «État presque souverain». Selon lui, la faible marge du référendum a donné une «crédibilité immense» à l'option péquiste et les partenaires du Québec considèrent que «la souveraineté n'est qu'une question de temps». Quoi qu'il en soit, le Sommet de Cotonou n'aura pas été le théâtre d'un affrontement constitutionnel ou diplomatique entre le Québec et le Canada et c'est dans la discrétion que se sont réglées quelques rares anicroches fédérales-provinciales. La délégation québécoise a présenté séparément et en grandes pompes ses principaux projets de coopération: le financement d'un centre socio-culturel et le dévoilement d'une vitrine sur le réseau Internet pour le Bénin.

Puis, ce furent les activités bilatérales tenues après la passation du pouvoir entre MM. Parizeau et Bouchard et la nomination de M. Simard. Durant cette période, les relations bilatérales ont été plus intenses mais elles ont été accompagnées d'une dimension commerciale nettement accentuée. M. Simard s'est rendu à Bordeaux et Paris pour d'autres rencontres francophones puis en Colombie pour une visite officielle; quant à M. Bouchard, il a choisi le Nord-Est américain comme lieu de sa première visite à l'étranger. Le Québec a de plus accueilli le ministre du Commerce extérieur français, le président du Sénégal et le ministre chinois du Commerce intérieur.

Même la reprise de la tradition des rencontres annuelles alternées entre premiers ministres français et québécois, à l'occasion de la visite officielle du premier ministre Juppé au Québec, les 10 et 11 juin 1996, s'inscrit dans cette tendance. Bien que s'agissant de la première visite officielle d'un premier ministre français depuis 1987, la dimension politique de cet événement ne fut pourtant pas la plus apparente: les deux partenaires ont davantage misé sur l'approfondissement des relations économiques franco-québécoises. D'ailleurs, M. juppé était accompagné d'une quinzaine de chefs d'entreprises françaises et seuls les journalistes ont abordé le thème de l'avenir politique du Québec lors de points de presse durant lesquels les politiciens éludèrent la question. Par contre, il ne fut aucunement question du dossier de l'amiante lors de cette visite, alors que la France, peu de temps après cette visite, prenait des décisions lourdes de conséquences pour le Québec.

Même phénomène pour les relations américano-québécoises. La visite de M. Bouchard aux États-Unis en juin a d'abord servi à rencontrer des dirigeants d'entreprise, des investisseurs et des représentants d'institutions financières ou de courtage. Les quelque 400 gens d'affaires qui écoutent l'allocution de M. Bouchard devant la Foreign Policy Association à New York veulent entendre le premier ministre québécois déclarer qu'il ne tiendra pas un autre référendum à court terme et qu'il continuera sa lutte au déficit. C'est le message que livre le premier ministre tout en déclarant que, tôt ou tard, le Québec sera indépendant.

Un dernier indice illustre l'ancrage de plus en plus solide de la logique marchande dans la politique extérieure québécoise: le ministère des Relations internationales confirme en juin que le ministre Bernard Landry dirigera une mission économique en Amérique du Sud. La formule Team Québec vient immédiatement à l'esprit.




En guise de conclusion

En somme, si au plan rationnel ou financier et compte tenu du contexte post-référendaire, les décisions de politique extérieure prises en 1996 semblent justifiées, plusieurs interrogations persistent. Par exemple, la période d'ajustement des nouveaux outils de politique extérieure se fera-t-elle sans heurt? Quels seront les effets des coupures dans la représentation du Québec à l'étranger? Le MRI restructuré tiendra-t-il encore les rennes de la politique extérieure québécoise? Les impératifs économiques domineront-ils l'action internationale du Québec au détriment de la langue ou de la culture? Au cours des 30 dernières années, le Québec s'était doté d'une doctrine, d'un appareil de gestion et d'un réseau de représentations qui le plaçait aux premiers rangs des provinces canadiennes et des États non souverains dans le monde. En un mot comme en cent, les «catastrophes horribilis» de 1996 éroderont-elles ce statut privilégié?




Note(s)

1.   Sauf indication contraire, ce texte tire ses références de la chronique des relations extérieures du Québec, publiée chaque trimestre dans la revue Études internationales.

2.  Ces données proviennent d'un document interne de MAICC qui sont rapportées dans l'article de Donald Charette, Le Soleil, 18 mai 1996, p. AI-A2.

3.  Rappelons que la dénomination «ministre des Relations internationales» rétablit un usage disparu depuis 1988.

4.  Le poste du représentant du Québec à l'ambassade du Canada à Abidjan est également maintenu.