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Le patronat



Guy Bourassa
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : Le patronat



L'année 1996-1997 aura été pour le patronat québécois une année de continuité, de consolidation des acquis et même d'amélioration de son statut dans la dynamique économique et politique du Québec. Représenté principalement par le Conseil du patronat, fondé en 1969, lequel regroupe des entreprises qui embauchent 65% de la main-d'oeuvre québécoise, il trouve aussi un porte-parole puissant dans la Chambre de commerce du Québec qui englobe environ 5000 entreprises et constitue la fédération de 225 Chambres locales.

Les interventions des milieux patronaux ont été variées et influentes, que ce soit sur des aspects plus globaux comme le Sommet d'octobre 1996, le climat économique et politique, les politiques économiques telles que consignées dans les budgets gouvernementaux ou bien autour de thèmes précis comme l'équité salariale, la fiscalité, l'éducation.

Avant de cerner ces diverses stratégies et ces multiples enjeux, on ne saurait passer sous silence un changement majeur dans le leadership du patronat québécois survenu au début de l'année 1997. Celui qui avait contribué à la création du CPQ, en 1969, et qui en était le président depuis 10 ans, Ghislain Dufour, a quitté son poste le 1" février après y avoir laissé un héritage bien marqué. Sans faire de politique au sens partisan du terme mais en conservant avec l'ensemble des leaders de la société québécoise des liens privilégiés, il aura acquis au cours des ans une influence tout à fait exceptionnelle. «J'ai influencé autant que si j'avais été un ministre. J'en ai fait de la politique, plus que bon nombre d'entre eux, sauf qu'elle était non partisane» (Le Devoir, 21 janvier 1997), affirmera-t-il au moment de quitter officiellement son poste. La continuité sera assurée, avec d'inévitables ajustements, puisqu'il sera remplacé par Denis Beauregard qui a longtemps été administrateur et directeur du service de recherche au CPQ avant de créer sa propre firme-conseil en communications et relations publiques.

Deux autres facteurs aident à mieux situer les actions récentes du patronat dans la société québécoise: sa situation quelque peu privilégiée par rapport au mouvement syndical et sa liberté de manoeuvre en termes de lobbying.

Au sein du milieu syndical, l'un des principaux interlocuteurs du patronat avec la bureaucratie gouvernementale, les effectifs ont légèrement chuté même si le Québec connaît le taux le plus élevé de syndicalisation en Amérique du Nord, la situation financière s'est quelque peu améliorée en raison principalement de la baisse radicale du nombre de grèves depuis 20 ans mais, surtout, ses dirigeants sont confrontés à un double défi: le vieillissement de la main-d'oeuvre et la hausse du nombre de travailleurs autonomes, ce qui permet aux entreprises d'imposer leurs règles du jeu. Le temps des grandes batailles est révolu et selon les dires mêmes du secrétaire de la puissante Fédération des Travailleurs du Québec: «On a, au Québec, un patronat plus civilisé que dans le reste du Canada. La concertation favorise un meilleur climat dans les entreprises.» (Le Soleil, 26 octobre 1996)

Deuxième facteur favorable, le patronat québécois, pas plus que les syndicats d'ailleurs, n'est soumis aux règles qui pourraient encadrer son action, soit une législation sur le lobbying, comme celle qu'a élaborée le gouvernement fédéral. Le CPQ avait mené une lutte acharnée pour empêcher le gouvernement central à l'obliger à se soumettre à cet encadrement et il s'opposera sûrement à toute forme de contrôle par le gouvernement du Québec: «Ottawa n'est pas Washington et Québec est encore moins Ottawa>~, proclame G. Dufour qui ne voit pas l'utilité d'un tel contrôle dans une société comme le Québec où «tout le monde fait son lobbying» (Le Soleil, 10 octobre 1996).

De fait, le patronat «fera son lobbying» sur tous les fronts qui l'intéressent, toujours actif dans les grands dossiers, notamment lors de cet événement bien particulier que fut le Sommet d'octobre 1996.



Le sommet d'octobre 1996

Ce qui est notable ici, c'est l'évolution dans le temps des positions du patronat autour de ce grand rassemblement. Plutôt craintif et inquiet de susciter de trop grands espoirs et croyant déceler une profonde déprime dans les milieux d'affaires, le CPQ avait dressé tout juste un mois avant la tenue de l'événement une liste de 12 demandes jugées essentielles comprenant entre autres le retrait des projets de loi sur l'équité salariale, sur la création d'une Commission de protection de la langue française, sur la réduction de la réglementation et une forte insistance pour que soit respecté le calendrier prévu par le gouvernement pour arriver au «déficit zéro». Dans les semaines qui suivirent et jusqu'à l'ouverture du Sommet, les avertissements se multiplient. Le président de la Chambre de commerce du Québec, Michel Audet, précise que ses membres lui «ont donné le mandat de s'opposer par tous les moyens à toute opération [sur l'équité salariale], c'est la dernière chose dont nous avons besoin» (La Presse, 8 octobre 1996). Les appels à la concertation lancés par le premier ministre, après ses rencontres avec patrons et leaders syndicaux, n'apaisent pas les oppositions et le ton monte entre eux à mesure que l'événement approche: la demande de déréglementation et celle de la diminution d'une fiscalité trop lourde (soit 29,4% de plus qu'en Ontario) sont à mettre en parallèle avec les exigences de la social-démocratie que les travailleurs ne manquent pas de rappeler. Un observateur attentif de la vie politique québécoise écrira une semaine avant le début de la rencontre:

«L'État dont il Jacques Léonard, président du Conseil du trésor] parle n'a pas grand chose à voir avec celui dont rêvent les militants péquistes. Sachant qu'il ne pourra imposer ses vues à son parti, c'est comme si M. Bouchard avait décidé de s'adresser directement à la population, par l'intermédiaire des participants au Sommet.» (Michel David, Le Soleil, 19 octobre 1996)

Puis, virage majeur dès le début des assises de la fin octobre 1996, «Les patrons sont ravis, les syndicats broient du noir», titre La Presse du 30 octobre. Pour le patronat, l'insistance sur la compétitivité et l'adaptation économique constitue des points de repère essentiels. «M. Bouchard a remis les pendules à l'heure. On vit dans une dynamique internationale, on ne peut plus se comparer seulement entre nous», souligne le président de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Du côté syndical, la crainte est vive de voir reprises ici les méthodes néo-libérales venues des États-Unis ou du Canada anglais. Les deux camps se rallient à la mise en place d'une économie sociale qui pourrait créer 13 000 emplois sur trois ans et si, pour le mouvement syndical, une certaine méfiance subsiste, plusieurs grandes entreprises québécoises ont accepté d'appuyer la création d'un tel réseau d'aide à l'entrepreneurship collectif. «Plusieurs partenaires privés sont prêts à collaborer au développement de ce secteur d'activité», affirme le président de la Chambre de commerce du Québec (Le Devoir, 30 octobre 1996).

Au terme des délibérations, «les patrons sont sortis heureux [de ce Sommet] où, très nettement, leurs préoccupations pour la croissance économique auront servi de toile de fond aux trois jours de délibérations» (La Presse, 2 novembre 1996). La création, prévue, de 105 000 emplois supplémentaires sur trois ans, la mise sur pied d'un Secrétariat à la déréglementation valent bien deux concessions que le patronat a dû faire: accepter que la semaine de travail passe de 44 à 40 heures au cours des quatre prochaines années, créer un fonds spécial de 250 millions sur trois ans, pour créer des emplois destinés aux assistés sociaux. Le président de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs, Gérald Ponton, résume bien l'opinion la plus répandue: «Le gouvernement a définitivement la confiance du milieu des affaires.» (Le Soleil, 2 novembre 1996)

Il n'en reste pas moins que quelques semaines plus tard, les patrons demandent une rencontre avec les autorités politiques craignant un «effritement» des consensus établis à l'approche des négociations avec le secteur public.

À la fin de ce processus, à sa quatrième réunion tenue en septembre dernier, le «Comité du suivi» du Sommet portait un jugement positif aussi bien sur la création d'emplois que sur les perspectives d'avenir. Si les objectifs fixés n'ont pu être entièrement atteints, il y a lieu d'être optimiste car «n'eût été du Sommet, la situation actuelle aurait été pire ou moins bonne [sic]», selon le président de la Banque Nationale qui propose que le «sentiment d'urgence [pour ce qui est de créer des emplois] devienne permanent» (Le Soleil, 27 septembre 1997). Du côté de l'économie sociale, le bilan est tout autant positif: 1000 emplois ont été créés.

Cette expérience unique de concertation qu'a été le Sommet de 1996 a permis au patronat de mettre en évidence son statut d'acteur essentiel et écouté dans la société québécoise, ce qui contribuera pour beaucoup à l'amener à porter un jugement favorable sur l'avenir du Québec actuel malgré, bien sûr, d'inévitables points de friction.




Le climat économique et politique: l'optimisme prédomine

Aussi bien en ce qui a trait au climat politique qu'économique, le patronat québécois a entretenu globalement, au cours de l'année de référence, des perspectives plutôt optimistes.

En matière économique, quatre thèmes ressortent: les deux premiers sont bien connus mais les deux autres ouvrent des voles moins explorées jusqu'ici. Bien sûr, le «lourd fardeau fiscal» des entreprises québécoises et des réglementations trop contraignantes sont vus comme des obstacles majeurs. Dans la même veine, le CPQ ne prévoyait qu'une croissance modeste au cours de l'année écoulée et un taux de chômage élevé, au-dessus de 11%, ce que les faits n'ont pas contredit.

Néanmoins, selon un sondage du CPQ, on considère chez ses membres que le climat économique s'est amélioré par rapport à l'année précédente aussi bien en ce qui a trait aux contextes québécois que canadien. Il est intéressant de noter que les dirigeants d'entreprises placent en tête les politiques du gouvernement du Québec pour influencer l'activité économique alors que les politiques fédérales n'arrivent qu'au huitième rang.

Dernier facteur positif à mettre en évidence: le faible nombre de conflits de travail en 1996, 98, soit un total parmi les plus bas des 20 dernières années, ce qui amène le président du CPQ à voir là «un facteur positif aux yeux des investisseurs potentiels» (La Presse, 19 décembre 1996).

C est sensiblement la même évaluation globale qui se dégage en matière politique. Pour la première fois en trois ans, moins de la moitié des membres du CPQ considéraient le climat politique québécois comme mauvais ou très mauvais en Juillet 1997 alors que le pourcentage des pessimistes s'élevait à 64% six mois plus tôt et à 80% au début de 1996. Le président du CPQ attribuait cette remontée aux bonnes relations que le gouvernement actuel a établi avec le monde des affaires et aux efforts poursuivis pour assainir les finances publiques (Le Devoir, juillet 1997). Du même souffle, il s'oppose tout à fait à l'idée de s'engager dans de nouveaux pourparlers constitutionnels privilégiant les solutions administratives plutôt que politiques pour accroître la décentralisation dans le système politique canadien.

Le patronat québécois a également voulu voir dans les résultats des élections de juin 1997 un «geste de sagesse» de la part des électeurs en élisant un parlement où la répartition est mieux équilibrée entre cinq partis mais aussi un gouvernement majoritaire qui sera en mesure de prendre les décisions qui s'imposent sans trop d'entraves. Ombre majeure dans ce tableau: l'élection du Reform Party comme opposition officielle: «l'appui des milieux patronaux aux réformistes doit être nuancé [a commenté le CPQ] pour qui une déréglementation débridée ou totale du marché du travail ne serait pas nécessairement souhaitable... nous sommes favorables à une certaine réglementation si elle est bien faite» (Le Devoir, 4 Juin 1997). Les milieux d'affaires voient aussi dans cette élection du Reform Party une mauvaise nouvelle en matière de réconciliation et d'unité canadienne. Pour le président du CPQ, le morcellement et la balkanisation du gouvernement fédéral rendent bien improbables une solution politique à la question de l'unité nationale. Il faudra s'y prendre autrement: «Nous croyons que l'on peut parvenir à une décentralisation, à une réorganisation du Canada sur le plan fonctionnel. Nous allons travailler à développer des modèles qui sauront démontrer que l'on peut continuer à fonctionner ensemble.» (Id.)




Des orientations économiques encourageantes

En matière de politiques économiques, du moins telles que les révèlent les budgets gouvernementaux, les réactions patronales témoignent aussi d'une grande satisfaction.

En ce qui concerne le budget québécois, deux lignes directrices se dégagent. Avant tout, disent les patrons, il ne faut pas déroger à la ligne adoptée au Sommet d'octobre pour ramener le déficit à zéro en l'an 2000. Le CPQ en fait la recommandation expresse au ministre des finances deux semaines avant le dépôt du budget. La Chambre de commerce du Québec allait dans le même sens un peu plus tôt: «Il faut maintenir le cap sur le déficit zéro d'ici deux ans. L'atteinte de cet objectif est essentielle pour assurer une reprise de la croissance économique», affirme son président (Le Soleil, 14 février 1997).

Les réactions seront donc largement favorables lors du dépôt de ce budget fin mars. Le président du CPQ exprime clairement une opinion reprise par d'autres leaders du monde des affaires en soulignant son approbation de mesures jugées cruciales: «L'approche globale de création d'emplois, la réforme de la fiscalité, le maintien de l'objectif déficit zéro, le congé de taxes et d'impôt de cinq ans pour les nouvelles PME et le remboursement de 1200$ sur la masse salariale.» (La Presse, 26 mars 1997)

Cette satisfaction ne doit pourtant pas masquer certains aspects que les milieux d'affaires critiquent sévèrement: la hausse de la TVQ de 1 % et surtout le non-remboursement des 500 millions de la taxe sur les intrants dans les grandes entreprises. Diverses mesures contraignantes, notamment pour les petites entreprises telles que la responsabilité de percevoir les pourboires et l'entrée en vigueur, en 1997, de la taxe de 1% sur la formation, soulèvent aussi des critiques. Bref, la démarche gouvernementale dans son ensemble suscite approbation et satisfaction mais les dirigeants patronaux demeurent attentifs à ce que leurs revendications classiques, en matière de fiscalité par exemple, ne soient pas laissées de côté.

Selon les mêmes points de référence, le budget fédéral déposé en février 1997 reçoit également un accueil très favorable: «Ce budget sera bien accueilli par les marchés financiers parce que le ministre livre la marchandise annoncée en termes d'assainissement des finances publiques sans toutefois porter atteinte à la croissance économique», déclare le président du CPQ (La Presse, 19 février 1997). «C'est un bon exemple pour le ministre des Finances du Québec», renchérit le président de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec (Le Devoir, 19 février 1997). Pour faire bonne mesure, les présidents du CPQ et de la Chambre de commerce du Québec mettent en relief la trop faible baisse des cotisations payées par l'employeur pour l'assurance-emploi. Il faudra aller plus loin pour améliorer l'état des finances publiques et relancer l'emploi, ajoutent-ils tous deux. Là encore, le ton dominant est nettement favorable mais la vigilance reste de mise pour assurer que la «cause patronale» continue de s'améliorer.




Quelques thèmes particuliers

Outre cette évaluation somme toute positive du sommet d'octobre 1996, du climat économique et politique et des budgets provincial et fédéral, le patronat québécois s'est intéressé de plus près au cours de la dernière année à quatre autres questions.


L'équité salariale

Sujet bien controversé que celui-là qui implique l'adoption de mesures gouvernementales pour rétablir avant tout l'équilibre entre les salaires versés aux femmes et ceux versés aux hommes. Les milieux d'affaires étaient évidemment hésitants et inquiets quant aux conséquences que d'éventuelles règles en la matière pourraient entraîner sur leurs propres profits. Essentiellement, ces milieux s'opposèrent farouchement à tout projet de loi qui voudrait imposer l'équité et, rare coïncidence, ont formé une coalition pour soumettre une proposition qui mettait plutôt l'accent sur l'incitation. L'ancien président du CPQ l'exprimait fort clairement avant que les travaux parlementaires en la matière ne se mettent en marche: «le nivellement des salaires va à l'encontre des lois du marché... il existe bien d'autres moyens [pour éliminer la disparité salariale]» (Le Devoir, 15 août 1996). De telles mesures, ajoute-t-il, peuvent nuire à la situation de l'emploi même chez les femmes et coûteront beaucoup plus cher que prévu. En somme, oui au principe de l'équité, non aux modalités de la loi qui voudrait l'imposer.

L'adoption en novembre 1996 de la loi qui prévoit la mise en place de l'équité salariale fut dès lors un coup très dur... même si l'opération doit s'échelonner sur une longue période qui va jusqu'en 2005. Le CPQ reprocha alors vivement à l'opposition libérale d'avoir «rapidement voté avec le gouvernement» à l'occasion d'une rencontre avec celle-ci et dans une lettre «vitriolique» envoyée à tous ses membres quelques semaines plus tard. Cette loi est «Une mauvaise loi [et sera] très coûteuse [en plus de constituer] un frein à la création d'emplois [et de risquer] d'avoir un impact négatif sur les emplois des femmes», résume-t-il dans un communiqué publié le lendemain du vote (Le Devoir, 23 novembre 1996).

Il est à noter que ce dossier est probablement le plus significatif de ceux où les milieux d'affaires ont échoué dans leur action contre des forces fermement décidées à promouvoir des aspects essentiels de la social-démocratie.


La fiscalité

L'autre préoccupation majeure du milieu patronal est la fiscalité. Devant la Commission sur la fiscalité et le financement mandatée par le gouvernement pour revoir le régime fiscal et en accroître l'équité et l'efficacité, le CPQ dénonça plus violemment que jamais les taxes sur la masse salariale qui contribuent à faire que le total des charges fiscales est plus élevé qu'ailleurs au Canada tout en s'attaquant au «mythe» selon lequel les mieux nantis et les entreprises ne paient pas assez d'impôt. Entre autres statistiques, il fera valoir que ceux dont le revenu dépassait 50 000$ (9,4%) versaient 41,2% des impôts: «c'est la classe moyenne, de même que les mieux nantis, qui ont supporté un fardeau fiscal de plus en plus lourd» (Le Soleil, 30 août 1996). Les Québécois sont déjà surtaxés et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante va dans le même sens dans un document publié le 12 septembre 1996.

Pour ce qui est des entreprises, le ministre des Finances, Bernard Landry, exprime une opinion radicalement opposée quand il affirme: «Contrairement à ce que prétendent [les présidents du CPQ et de la Chambre de commerce du Québec], la situation fiscale de l'ensemble des entreprises du Québec n'est pas désavantageuse lorsqu'on prend en considération tous les impôts et taxes payés par les entreprises.» (Le Soleil, 11 mars 1997)

Cette position avait d'ailleurs en quelque sorte été confirmée par le Rapport de la Commission sur la fiscalité, déposé le 23 octobre 1996, qui proposait à la fois une diminution majeure de la taxe salariale et une augmentation de l'impôt sur les revenus des entreprises. Il était alors prévisible que les milieux d'affaires réagissent avec beaucoup de prudence. Pour le CPQ, «c'est facile de faire des consensus quand on ne change pas fondamentalement la situation, qu'on n'allège pas le fardeau fiscal des entreprises... Le coffre à outils qu'on donne aux entreprises ne permettra pas de créer les emplois réclamés.» (La Presse, 24 octobre 1996)

Voilà sûrement un des enjeux, celui de la fiscalité dans son ensemble, sur lequel les leaders patronaux, les dirigeants politiques et les chefs syndicaux continueront à débattre et à s'opposer au cours des prochains mois dans la perspective d'un réaménagement en profondeur du système économique québécois. Les patrons répéteront certes avec beaucoup de force leurs convictions, à cette époque où les mots «mondialisation» et «compétitivité» sont en quelque sorte devenus des étendards brandis un peu partout.


La situation de Montréal

Les problèmes économiques et politiques de la métropole ne pouvaient manquer d'attirer l'attention des milieux d'affaires. C'est la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, division du Québec (cette fédération représente 87 000 PME dont 17 000 au Québec) qui apporte la contribution la plus significative après une étude comparative des situations de Montréal, Laval, Longueuil et Toronto. Constatation majeure: plus qu'ailleurs les PME fuient le centre-ville à Montréal (4000 l'ont fait entre 1990 et 1994). Les raisons sont diverses: fardeau fiscal trop élevé, mauvaise gestion de la ville: «La grande partie de nos problèmes vient de la gestion de la Ville, Montréal continue encore de vivre au-dessus de ses moyens.» (Le Devoir, 11 juillet 1997) La masse salariale des employés municipaux est beaucoup trop élevée (il faudrait la réduire de 140 millions pour atteindre la parité avec les fonctionnaires provinciaux), tout comme la dette accumulée. En conséquence, la FCEI demande aux autorités québécoises d'intervenir. On connaît la prudence de celles-ci en la matière. Quant aux autorités montréalaises, elles n'ont pratiquement pas apporté de réponses claires aux divers problèmes soulevés.

On peut s'étonner que les milieux d'affaires ne soient pas intervenus plus souvent dans ce domaine névralgique pour l'économie québécoise: d'une certaine manière, ils se comportent vis à vis de Montréal comme bien d'autres leaders majeurs dans la société québécoise: ils ont un sentiment d'inquiétude mêlé d'impuissance, de beaucoup de prudence et de réserve quant aux mesures précises à adopter pour redresser la situation.


L'éducation

Les politiques en matière d'éducation ont connu de profondes mutations au cours des derniers mois et le patronat québécois s'y est intéressé plus particulièrement sous deux angles. D'abord, à propos des programmes de formation professionnelle et technique offerts au secondaire pour en dénoncer la faiblesse, mais aussi sur l'ensemble du système d'éducation, sa qualité, la pertinence de ses programmes et des liens avec le inonde de l'entreprise. Ces doléances furent soumises à la ministre Marois lors d'une rencontre le 26 juin 1996.

On ne peut alors manquer de souligner que le CPQ s'est joint aux centrales syndicales et aux commissions scolaires pour applaudir les réformes proposées par la ministre quelques mois plus tard, plus précisément en octobre: «Le Conseil du patronat et l'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Québec ont [ ... ] salué l'intention de Québec de revaloriser la formation professionnelle, un dossier cher aux employeurs» (La Presse, 25 octobre 1996). Ils auraient bien souhaité une hausse des frais de scolarité pour résoudre en partie les frais de financement de l'éducation mais ils ont en fin de compte accepté de respecter l'engagement pris par le Parti québécois de ne rien faire en ce sens durant le mandat en cours.

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Une vue d'ensemble des derniers mois montre bien que le patronat a cherché, et largement réussi, à maintenir «un lien d'affaires» avec le gouvernement dans tous les dossiers et que les relations sont bonnes avec le gouvernement Bouchard «quand on ne parle pas de constitution», comme le soulignait Ghislain Dufour (La Presse, 13 juin 1996). Son successeur, Denis Beauregard, va plus loin et voit dans le partenariat «la voie à choisir plutôt que la confrontation comme celle des années 1978, 1980 et 1982» (Idem). La mission économique en Chine que le gouvernement du Québec a organisée du 1"' au 12 novembre 1997 et à laquelle ont participé 200 entrepreneurs, témoigne de façon bien pratique de la volonté de poursuivre la collaboration dans cette direction. «Cela aura cimenté des liens entre les gens d'affaires et le gouvernement», comme l'a souligné un des principaux participants, le président de la Banque Nationale du Canada (La Presse, 10 novembre 1997).

Cette stratégie a sans aucun doute porté fruit sur les grands enjeux (assainissement des finances publiques, révision du rôle de l'État et de sa réglementation) même si le patronat a dû consentir quelques concessions de poids, en matière d'équité salariale et de fiscalité par exemple. Mais certains «dossiers chauds» ne manqueront pas de revenir au coeur de l'actualité, tel l'article 45 du Code du travail qui stipule ce qui advient de l'accréditation syndicale et de la convention collective lors de la vente d'une entreprise ou dans les cas de sous-traitance, ce qui englobe de nombreux cas qui sont au coeur des négociations que devra poursuivre le gouvernement avec les centrales syndicales et les municipalités. Il y a là une dure bataille en perspective: «aussi longtemps que la sous-traitance va être à peu près impossible, on va avoir de la difficulté à aller au bout de l'assainissement des finances publiques. On a coupé des postes, on est arrivé à "comment on réinvente l'État", une des façons de le faire est de faire bien davantage appel au secteur privé», disait encore Ghislain Dufour en juin dernier en songeant aux débats prévus pour l'automne (La Presse, 13 juin 1996).

Au moment où l'on s'engage de plus en plus dans une période préélectorale, voilà certes le genre de débat qui va permettre de jauger jusqu'où le gouvernement actuel peut réussir à se rapprocher de ses alliés naturels tout en conservant, puisque tel semble être son voeu, ses «bonnes relations» avec les gens d'affaires dont il a certes besoin mais qu'il ne ralliera sûrement pas à son option politique.