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La vie des partis



Jean Crête
Université Laval


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : La vie des partis



En 1996-1997, les trois partis politiques représentés à l'Assemblée nationale connurent une année difficile. Les deux grands partis, le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ), ont eu du mal à rajuster leur programme politique tandis que l'Action démocratique du Québec a paru relativement effacée. De plus, pour chacun des deux grands partis, le malaise ressenti dans l'orientation idéologique a eu des répercussions sur la capacité des chefs de mener leur action partisane.



Les programmes


Le Parti québécois

Après le référendum de 1995, le Parti québécois a amorcé, de façon plus ou moins désordonnée, une grande révision de son programme politique. D'abord sur la question de la langue, l'aile ministérielle a été confrontée aux militants sous plus d'un aspect. Lors de son élection en 1994, le Parti québécois prévoyait revenir à 1'unilinguisme français dans l'affichage commercial. Le bilinguisme avait été réintroduit en 1993 par le précédent gouvernement libéral à la suite d'un avis d'un comité des Nations unies qui recommandait qu'on laisse aux commerçants la liberté d'utiliser la langue de leur choix dans la publicité. La loi 86, adoptée le 17 juin 1993 par l'Assemblée nationale, donnait une forme juridique à la politique linguistique conçue par Claude Ryan, alors ministre responsable de ce dossier dans le cabinet libéral. Cette nouvelle loi avait eu pour effet d'amender et d'assouplir une trentaine d'articles de la loi en ce qui a trait à la législation, la justice, la langue de travail, la langue du commerce, la langue d'enseignement et la francisation des entreprises. On se rappellera que la loi est la loi qui définit la langue française comme langue publique au Québec. Plutôt que d'implanter le programme du Parti québécois et d'abroger la loi 86, la ministre responsable du dossier linguistique dans le cabinet Bouchard, Louise Beaudoin, proposa aux instances du parti une politique qui ne reprenait qu'une partie des exigences qu'avaient rappelées les militants des régions de Montréal-Centre et Montréal-Ville-Marie. À l'issue d'un débat tumultueux, le conseil national du Parti québécois avait finalement préféré, par une quinzaine de voix seulement, le compromis parrainé par le premier ministre Bouchard. Ce compromis réhabilite la Commission de protection de la langue mais ne modifie pas la loi sur l'affichage. Au congrès, les délégués, en session plénière mais non à l'atelier sur la culture où on débattit de ce sujet, ont appuyé le point de vue des ministériels qui, à toutes fins utiles, consistait à ne pas modifier la législation mise en place par les libéraux.

Au 13e congrès, les délégués ont voté une résolution favorisant l'enseignement de trois langues à tous les niveaux de l'école: au primaire, au secondaire et au collégial. Ils ont par ailleurs repoussé l'idée de rendre l'école française obligatoire, pour les non-francophones, au niveau collégial. Le PQ de la région de l'Estrie a quant à lui attiré l'attention en faisant savoir qu'il demandait au gouvernement de revoir la législation sur les services bilingues dans le domaine de la santé suite à diverses péripéties dans des hôpitaux de Sherbrooke. Tout au cours de l'année les ministériels ont dû se défendre contre l'aile militante du parti sur la question de la place du français dans la société québécoise.

Le chapitre sur la langue ne fut qu'un des volets du programme discuté lors de ce 13e congrès national tenu à Québec du 22 au 24 novembre 1996. En fait, un volumineux cahier de 380 pages contenant 1543 résolutions attendait les délégués dans la plus pure tradition péquiste. Depuis l'arrivée de Lucien Bouchard à la tête du parti et le virage en matière de sociale-démocratie, de souveraineté et de langue, plusieurs groupes de militants se sont montrés insatisfaits et le congrès était une des occasions de le faire savoir.

La confrontation entre l'aile militante de gauche du parti et les ténors ministériels, dont Jacques Léonard, président du Conseil du trésor, et Bernard Landry, ministre des Finances, s'est principalement déroulée lors de l'étude des propositions d'urgence, dont plusieurs exprimaient des points de vue diamétralement opposés sur la stratégie gouvernementale à l'égard des syndicats représentant les 440 000 employés de l'État. Les ministériels tentaient de convaincre les militants participant à l'atelier sur les finances publiques d'appuyer la démarche entreprise par le gouvernement pour réduire ses coûts de main-d'oeuvre de 1,4 milliard $ dans les secteurs public et parapublic. Les délégués ont finalement appuyé les ministériels pour l'objectif et pour les moyens à prendre pour y parvenir. Le gouvernement menaçait alors les syndicats d'imposer une solution non négociée alors que ceux-ci manifestaient à l'extérieur de l'édifice où se tenait le congrès du PQ. Par ailleurs, les délégués ont approuvé des résolutions demandant la création d'une taxe progressive sur les biens de luxe et d'un impôt minimum pour les sociétés.

Sur la souveraineté, les militants ont aussi accepté d'inclure dans le programme l'idée que l'indépendance ne devrait être réalisée qu'après avoir négocié une entente d'association avec le Canada. À leurs réunions, les jeunes péquistes avaient débattu l'idée de faire porter un prochain référendum exclusivement sur le projet de souveraineté, mais ils se sont ralliés à la position défendue par le chef du parti qui fut aussi celle endossée par le congrès.

Les jeunes péquistes ont demandé aux délégués du 13, congrès d'enjoindre le gouvernement d'accorder le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans. Le leader du gouvernement, Pierre Bélanger, et le ministre de la justice, Paul Bégin, ont eu beau s'opposer vigoureusement, les délégués réunis en plénière ont adopté une résolution en ce sens.

En dehors du congrès, les jeunes ont été particulièrement actifs. Réunis à Val D'or en mars 1997, ils ont demandé que l'État s'occupe davantage de la jeunesse en matière de création d'emplois, notamment pour les travailleurs autonomes. Ils suggéraient de créer un fonds d'aide financière pour les jeunes travailleurs. Ce fonds d'aide prévoirait notamment pour ces travailleurs autonomes un congé parental de 12 semaines, un revenu d'appoint d'une durée limitée et l'accès à la protection offerte par la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Ils souhaitaient aussi l'instauration d'un guichet unique pour la recherche d'emplois dans les grandes entreprises et les organismes publics, et l'adaptation des programmes gouvernementaux aux réalités des travailleurs autonomes. Ils voulaient également que le gouvernement applique des mesures limitant le temps supplémentaire des employés - avec l'objectif de partager l'emploi - et soutienne la création d'emplois par la formation professionnelle. Déjà à la fin août 1996, le président du Comité national des jeunes du PQ, Frédéric Dubé, avait demandé au premier ministre de consulter les jeunes et de définir une politique globale pour la jeunesse. Il s'opposait aussi à l'idée d'abolir le Conseil permanent de la jeunesse pour le remplacer par un conseil permanent du citoyen.

Le PQ a commencé de tenir, à l'occasion de réunions comme celle du conseil national d'avril 1997, des colloques pour réfléchir plus librement que lors des congrès bisannuels sur certains aspects de la souveraineté et de la place de l'État dans la société.


Parti libéral du Québec

De son côté, en juillet 1996, le Parti libéral du Québec annonçait qu'il entreprenait une grande consultation sur le contenu de son programme politique. La Commission politique du parti a alors soumis aux membres un document traitant de seize thèmes. Le thème sur la fédération canadienne, tout en prenant soin de ne pas ouvrir trop grandes les options possibles, soulevait une douzaine de questions. Le chef du parti indiqua clairement qu'il ne s'attendait pas à trouver dans son parti des militants qui appuieraient autre chose que le fédéralisme canadien. Les divers aspects de la vie politique étaient soulevés dans le document dont l'emploi, la qualité des services publics et l'équilibre linguistique.

En août, à leur congrès, les jeunes libéraux ont adopté des résolutions proposant de modifier le programme du parti sur la question constitutionnelle. Les libéraux devraient, selon les jeunes, proposer la création d'un conseil interprovincial réunissant les représentants des provinces et des territoires canadiens mais sans la présence des représentants de l'État fédéral. Ce conseil serait le lieu où les provinces et territoires pourraient s'entendre sur la répartition des pouvoirs entre les paliers de gouvernement., Le congrès a aussi mis de côté l'expression «société distincte» que le PLQ avait portée pendant toute l'ère de Robert Bourassa, pour privilégier plutôt l'expression «caractère unique». Le congrès réunissait environ 600 jeunes militants, soit un nombre bien inférieur aux congrès du début des années 1990 qui pouvaient regrouper jusqu'à 1500 jeunes.

À la fin septembre 1996, au conseil général de son parti, réunissant quelque 400 délégués, Daniel Johnson a annoncé qu'une ébauche de programme politique serait publiée en janvier 1997 pour être soumise à la discussion et au vote des congressistes en mars 1997. M. Johnson évoquait alors la possibilité de réduire la taille de l'Assemblée nationale de 125 députés à moins d'une centaine, d'abolir totalement les subventions aux entreprises, de rendre obligatoire le vote secret des syndiqués avant de déclencher une grève, de suspendre le permis de conduire de ceux qui font défaut de payer leur pension alimentaire, de modifier le rôle des Collèges d'enseignement général et professionnel (cégeps) pour ne leur attribuer dorénavant que l'enseignement professionnel et de modifier les conventions de travail des enseignants.

Au début décembre 1996 le PLQ rendait public le document préparé par un comité du parti sous la présidence d'un professeur de l'Université d'Ottawa, Yves de Montigny, sur la question constitutionnelle. Le document proposait de revenir aux propositions du lac Meech: reconnaissance du caractère distinct du Québec, enchâssé dans la constitution du Canada; trois des neuf juges de la Cour suprême devraient être désignés par le Québec conjointement avec Ottawa; droit de veto du Québec sur les matières constitutionnelles; plein contrôle de l'immigration; droit de retrait des provinces des programmes fédéraux avec pleine compensation financière. Contrairement à l'entente du lac Meech, la proposition du comité libéral ne fixe aucune échéance pour la réalisation de ce programme.

Sur le fond, la proposition fut très bien accueillie par les représentants du Parti libéral du Canada (PLC) qui soulignèrent le rapprochement du PLQ vers le PLC même si le document référait encore au gâchis de la réforme constitutionnelle de 1982. Cette réforme, on s'en souviendra, avait été pilotée par le tandem Trudeau-Chrétien. Depuis la publication de son programme constitutionnel, M. Johnson a discuté avec les représentants des partis politiques des provinces canadiennes pour qu'ils endossent ce programme. Sans trop s'engager sur le fond de la question, la plupart des premiers ministres des provinces appuient M. Johnson. Ils ont même été jusqu'à se réunir spécialement pour préparer une déclaration, dite Déclaration de Calgary, qui vise à donner à M. Johnson un argument qu'il pourrait utiliser lors d'une prochaine campagne électorale. La Déclaration de Calgary du 14 septembre 1997 n'endosse cependant aucune des demandes spécifiques formulées dans le programme du PLQ de modifier la constitution. Par ailleurs, à plusieurs reprises au cours de l'année, Daniel Johnson a rappelé que le programme de son parti reconnaît le droit des Québécois de se prononcer par référendum sur la question nationale et que par conséquent il l'appuyait aucunement la guérilla judiciaire menée par ]'État fédéral contre ce droit des Québécois. Il a aussi à plusieurs reprises réaffirmé que le projet de partition du Québec selon des lignes ethniques, une idée très populaire dans la clientèle électorale libérale de l'ouest de Montréal et de la région de l'Outaouais, allait totalement à l'encontre du programme du parti.

Le PLQ a publié un document, Garantir l'avenir, présentant un ensemble de positions et de propositions que le parti voudrait mettre de l'avant s'il était élu lors des prochaines élections générales. Puis, à l'été 1997, les jeunes libéraux qui avaient flirté au cours des années précédentes avec les idées de la droite américaine revenaient plus au centre en traitant des dossiers relatifs à la famille. C'est ainsi que la Commission jeunesse proposa la création d'un congé pour personnes à charge. Ce congé permettrait à un parent de prendre une journée de congé, le temps de trouver quelqu'un pour garder un enfant malade, par exemple. La Commission suggéra aussi de créer un crédit d'impôt universel pour la garde des enfants de moins de 12 ans, de rendre obligatoire la fréquentation de la maternelle à mi-temps mais de rendre facultative la fréquentation de la maternelle à temps plein.


Action démocratique du Québec

À la mi-septembre 1996, le chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ), Mario Dumont, publiait un document, intitulé Un virage essentiel pour un Québec en marche, devant être soumis aux membres du parti lors du congrès d'octobre. Le document, après avoir suggéré un moratoire sur les questions constitutionnelle et linguistique, propose de centrer l'attention sur deux domaines de politique. D'abord, la relance de l'économie à travers une modernisation du rôle du gouvernement et une fiscalité allégée puis une réforme complète des programmes sociaux, afin de les rendre plus efficaces et de valoriser le travail en tout temps.

Pour atteindre ces deux grands buts, l'ADQ propose aux électeurs de circonscrire le rôle de l'État québécois à celui d'un État facilitateur ou catalyseur, consistant à n'intervenir que pour favoriser la mise en place de conditions propices à l'éclosion de projets économiques et sociaux souhaitables pour l'ensemble de la collectivité, faisant appel à une synergie optimale des partenaires du secteur privé. De même, l'État québécois ne devrait offrir des biens et services publics que si un net avantage à se substituer au secteur privé était démontré. Il faudrait, par exemple, examiner les programmes de la Société d'assurance-automobile du Québec et de la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST), pour les modifier de façon à n'en conserver que l'essentiel. Il faudrait aussi abolir maints organismes, notamment ceux responsables de la réglementation, et autant que possible procéder par sous-traitance. UADQ propose de fixer un objectif de réduction de la taille de l'État et de réduction graduelle de la fonction publique de l'ordre de 25% par rapport au niveau actuel, mais sans toucher aux services directs en éducation et en santé. La réduction de la taille du secteur publie serait accompagnée de mesures de transition pour le personnel affecté mais il y aurait d'abord un réaménagement des conventions collectives des employés du secteur public pour mettre fin à la sécurité d'emploi dans le secteur public.

S'agissant des taxes et impôts, l'ADQ suggère d'harmoniser le système fiscal et le système de sécurité du revenu en vue d'assurer une incitation au travail; de réduire le niveau moyen d'imposition et de taxation; d'appliquer un taux d'imposition uniforme sur le revenu des particuliers; de donner une exemption de base de 15 000$ à chacun des contribuables adultes en remplacement de toutes les autres déductions et de tous les autres crédits; d'examiner le recours aux taxes sur la consommation, en appliquant des taux variés en fonction de la nécessité, ou non, des biens et services, en contrepartie d'une baisse de l'impôt sur le revenu des particuliers; d'abolir la majorité des dépenses fiscales ou des abris fiscaux et de recourir davantage à la tarification des produits et services. Pour les entreprises et les fiducies, l'ADQ établirait un impôt minimum mais reverrait à la baisse les taux des charges sociales payées par ces entreprises, en commençant par celles qui sont jugées les plus dommageables pour l'emploi comme l'assurance obligatoire imposée par la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST). L'évasion fiscale serait davantage combattue par des mécanismes accrus de vérification.

Pour réduire la dette de l'État, l'ADQ envisage la possibilité de vendre certains actifs ou de privatiser certaines sociétés d'État en tenant compte de leur rôle stratégique. De plus, un impôt ou une taxe spéciale serait dédié à la réduction de la dette. Du côté de l'emploi, la politique de l'ADQ prévoit intégrer les divers programmes de soutien du revenu en un seul et assurer tous les citoyens d'un revenu minimum en appliquant une formule d'impôt négatif. En même temps, on instaurerait le principe de la responsabilité partagée pour les personnes disponibles à l'emploi et bénéficiaires du revenu minimum. La responsabilité serait partagée entre le gouvernement qui devrait contribuer à fournir des occasions réelles de formation ou de retour à l'emploi et le citoyen qui devrait saisir les occasions offertes à moins de motifs clairement valables.

L'ADQ propose aussi de revoir le fonctionnement des instituions parlementaires en proposant par exemple de tenir des élections à date fixe tous les cinq ans et de permettre plus facilement des votes libres à l'Assemblée nationale, en mettant en place un mode de scrutin susceptible de mieux refléter les choix électoraux des citoyens et citoyennes.




Les organisations


Le PQ et son chef

Lors du 13' congrès du PQ, le vote de confiance à l'endroit du chef n'a été que de 76%. Lucien Bouchard s'est alors retiré du congrès sans donner d'explication. Des rumeurs ont alors circulé à l'effet qu'il démissionnerait du parti. Le lendemain matin, cependant, il réapparut à l'assemblée plénière où il fut chaleureusement applaudi par les militants. Monsieur Bouchard devait admettre qu'il avait reçu un choc mais qu'il n'avait pas pensé à démissionner même si le résultat du vote l'amenait à réfléchir. De toute évidence, le nouveau chef n'obtient pas l'appui inconditionnel qu'il aurait souhaité des militants. Lors du congrès, un tract mettant en doute la conviction souverainiste du chef circulait parmi les délégués. Plusieurs délégués avouaient publiquement qu'ils ne considéraient pas le leadership de M. Bouchard comme nécessaire à la cause souverainiste.

À quelques reprises au cours de l'année l'ancien chef du PQ, Jacques Parizeau, est intervenu sur la place publique et à chaque fois le chef en titre du PQ s'est vu forcé de préciser sa propre position. Les interventions ont porté sur les objectifs de réduction du déficit budgétaire, sur le lien à faire entre souveraineté et association économique avec le Canada et, en pleine campagne électorale fédérale, il publiait un ouvrage1 ] qui reprenait les thèmes qu'il avait développés au cours de sa carrière politique pour promouvoir la souveraineté du Québec. Cependant, avant le lancement du livre, un journaliste, Michel Vastel, avait publié dans Le Soleil un extrait de l'ouvrage en laissant entendre que si le OUI l'avait emporté au référendum de 1995 Jacques Parizeau n'aurait pas vraiment agi comme il avait dit qu'il agirait. Il s'ensuivit un quiproquo de déclarations qui fusèrent de toutes parts. Ce n'est finalement que lors du lancement de son ouvrage, où on nota l'absence des ministres du cabinet Bouchard, que le point de vue de l'ancien chef péquiste put être entendu et les rumeurs de duplicité démenties.

La décision du gouvernement péquiste d'en venir à un compromis avec les libéraux sur la question du droit de vote lors des élections scolaires selon une division linguistique devait amener la démission de l'exécutif de Montréal-centre qui s'opposait à tout élargissement de l'accès à l'école anglaise. Les militants de Montréal-centre avaient aussi élevé des critiques sur la tiédeur des dirigeants péquistes face à la social-démocratie et à la cause de la souveraineté. Au total, la ligne de pensée du nouveau chef semble s'imposer peu à peu au PQ mais, en même temps, il semble y avoir une diminution de la ferveur partisane.


Le PQ et le Bloc québécois

Les 19 et 20 avril 1997, les militants du Parti québécois réunis en conseil national ont discuté de stratégie électorale fédérale. En effet, le PQ entendait se mettre au service du Bloc québécois, le parti fédéral qui défend le programme souverainiste à la Chambre des communes canadienne. En 1993, les bloquistes avaient participé en masse pour soutenir le PQ sous la direction de Jacques Parizeau.

Par ailleurs la course à la direction du Bloc québécois, après la démission de Michel Gauthier, a créé quelques remous dans le PQ. Les deux principaux candidats, Gilles Duceppe, premier député élu à Ottawa sous la bannière du Bloc et favori de Lucien Bouchard, et Yves Duhaime, un ancien ministre dans le cabinet de René Lévesque, plus près de la mouvance indépendantiste qu'associationniste, ont recherché des appuis dans le PQ. Les critiques du candidat Duhaime sur l'état peu reluisant de l'organisation bloquiste en vue des prochaines élections ont été plutôt mal reçues. Selon le candidat Duceppe, le Bloc était prêt pour les élections. Les autres candidats, Francine Lalonde, Rodrigue Biron et Daniel Turp, ont été moins visibles et ont reçu moins d'appuis au PQ.

Du côté strictement organisationnel, il ne fut jamais question que le PQ finance le Bloc. L'organisation du PQ a fait savoir que des prêts de personnes étaient possibles mais que ceux et celles qui voudraient prêter main-forte au Bloc devraient d'abord obtenir un congé sans solde de la permanence du PQ. De plus, les listes de membres ne seraient pas mises à la disposition du Bloc. Les deux organisations devraient continuer à être relativement distantes. En cours de route cependant, le chef du PQ a incité les membres de son parti à appuyer le Bloc, entre autres en participant à son financement, car le Bloc manquait alors de ressources.


Le PLQ : un chef habile

Le chef du PLQ, Daniel Johnson, a continué son travail d'organisation en vue des prochaines élections générales. En janvier 1997, on apprenait que le vice-président de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, Pierre Cléroux, se joignait à l'équipe libérale en vue de se présenter aux prochaines élections. Les thèmes développés par M. Cléroux sont ceux de la déréglementation, de la réduction des charges sociales payées par les entreprises, de l'allégement du fardeau fiscal des contribuables, de l'abolition de la sécurité d'emploi dans les organisations publiques. Les élections partielles qui ont eu lieu à l'automne 1997 ont confirmé les sondages d'opinion quant à la popularité relative des partis (voir la rubrique «l'opinion publique»). Le PLQ maintient sa position juste derrière le PQ mais il est plus solidement implanté dans les circonscriptions qu'il représente que le PQ dans les siennes. Du moins tant que les anglophones restent fidèles au PLQ.

Les relations dans la famille libérale ont continué d'être tendues même s'il n'y a pas eu d'escarmouches comme on en avait connues au cours des dernières années. Le vice-président du parti, Denis Therrien, a émis des critiques à l'égard du chef avant le congrès de mars 1997. Lors du congrès, il fut remplacé à son poste au bureau de direction du PLQ par Claude Béchard qui a travaillé au bureau de MM. Bourassa et Johnson lorsque les libéraux étaient au pouvoir. Denis Therrien était considéré comme un des vétérans de l'aile nationaliste du PLQ. Son départ du bureau de direction permet de renforcer la ligne de Daniel Johnson. Au congrès, 80% des délégués réitéraient leur appui au chef. La barre des 80% était devenue importante pour pouvoir se comparer avantageusement au sort réservé au chef péquiste.

Lors des élections fédérales du 2 juin 1997, le mot d'ordre du chef du PLQ fut de travailler à faire battre les candidats du Bloc québécois en laissant les militants libéraux libres de choisir le parti fédéral qu'ils appuieraient. Toutefois, le président du PLQ, Jacques Lamoureux, donna officiellement son appui à un candidat du PLC, ce qui fit réagir les jeunes libéraux. Les jeunes libéraux s'en prirent au président de leur parti parce que, disaient-ils, eux travaillaient fort pour démontrer que le PLQ n'était pas qu'une simple succursale du PLC alors que la démarche de leur président créait des doutes à ce sujet. De façon générale cependant, et encore plus dans la région de Montréal et de l'Outaouais, les échanges au niveau des organisations locales fédérales et provinciales demeurent la règle dans la famille libérale.

Les rapprochements entre l'aile fédérale et l'aile provinciale de la famille libérale ne furent toutefois pas suffisants pour contrer une manoeuvre, relativement surprenante, du gouvernement péquiste sur la question de la gestion du système scolaire. Si l'aile parlementaire du PQ, et surtout le cabinet, avait eu des problèmes avec un groupe de militants sur la question de la réforme des commissions scolaires linguistiques et religieuses, le problème fut beaucoup plus aigu dans le PLQ. On s'attendait d'abord à ce que le gouvernement fédéral refuse d'une façon ou d'une autre tout projet de modification de la constitution de 1867 qui viendrait de Québec tant que le Parti québécois serait au pouvoir. Or il se trouve que le gouvernement libéral à Ottawa ne ferma pas vraiment la porte au gouvernement péquiste. Il fallait donc que le PLQ prenne, à Québec, une position sur le projet d'amendement. L'aile parlementaire se divisa, principalement sur un clivage linguistique, et ce n'est qu'après de multiples entourloupettes que le chef du parti a réussi à contenir les dégâts. En 1988, le PLQ, alors au pouvoir, avait été déchiré sur la question linguistique. Des ministres avaient démissionné et des citoyens insatisfaits de la représentation des libéraux avaient formé deux nouveaux partis politiques qui avaient, aux élections suivantes, grugé des votes au PLQ et même des sièges de député. Cette fois-ci les dégâts furent bien moindres. Cependant, ce nouvel épisode est venu renforcer la grogne de citoyens qui résident dans les circonscriptions captives du PLQ dans l'ouest de Montréal.

En avril, le remaniement du cabinet fantôme a été interprété comme une façon pour le chef de consolider son emprise sur le parti. Daniel Johnson aurait promu les députés qui sont ses alliés dans le parti et démis, au moins partiellement, ceux qui se permettent des écarts de conduite par rapport à la ligne définie par M. Johnson.




L'encadrement des activités des partis


Le financement

Dans son dernier rapport financier, le directeur général des élections, Pierre-F. Côté, relevait que la part de l'allocation aux partis qui vient des fonds publics avait encore augmenté en 1996. La participation de l'État au financement des partis - ils sont remboursés au prorata des votes obtenus aux élections précédentes - a atteint 69% en 1996. Des 10 millions $ de financement à l'ensemble des partis, 7 venaient des fonds publics. En 1995, cette proportion était de 60%. C'est l'année où on a doublé l'allocation par électeur pour tenir compte de la hausse du coût de la vie. Les années précédentes, la contribution publique totale était plus proche de 30 ou de 40%. Le Directeur général recommandait de ne pas dépasser ce nouveau seuil.

Les rapports financiers des partis, tels que publiés par le directeur des élections, montrent que le nombre de donateurs a diminué considérablement au PQ, passant de 86 471 en 1995 à 42 941 en 1996. La moyenne des contributions a toutefois augmenté, passant de 77 à 83$. Pour le PLQ, le nombre de donateurs fut de 27 057 en 1995 alors qu'il avait été de 20 219 en 1996, la moyenne des dons passant de 181$ à 110$. Le PQ a amassé 3,5 millions $ en 1996 et le PLQ, 2,2 millions $. Pour chacun de ces deux partis, le nombre de contributeurs est le plus petit des sept dernières années. Quant aux revenus totaux de toutes sources, le PQ déclarait un revenu total de 4 936 971$ pour 1996 ce qui se situe à la médiane des revenus pour ce parti depuis 1990. Le PLQ rapportait un total de 3 282 637$ soit le plus petit total, et de loin, des sept dernières années. À la direction du Parti libéral du Québec ou au sein de son aile parlementaire, on a refusé de faire porter au chef Daniel Johnson la responsabilité d'une campagne de financement qu'on a trouvée difficile.

Lors de la publication des rapports financiers, le directeur général révéla qu'on pouvait estimer, à partir des données financières sur les adhésions, le nombre de membres du PQ à 108 000 en 1996 et ceux du PLQ à environ 56 000. Plus tard, en 1997, le chef du Parti libéral affirmait que son parti comptait désormais 100 000 membres.

Le PLQ a recommencé à tenir des activités politiques à plus de 200$. Le parti de Daniel Johnson a organisé en 1996 neuf cocktails dont les billets coûtaient entre 500$ et 1000$ par personne et huit à plus de 1000$. Le PQ, qui avait flirté avec ce genre d'activités il y a quelques années, les a abandonnées. Au cours des années 1986-1988, cette méthode de financement avait été utilisée avec grand succès par le PLQ. Plusieurs personnes croient que cette méthode de financement pourrait permettre à des entreprises de contribuer à la caisse des partis en contrevenant ainsi à l'esprit de la loi sur le financement des partis.




Le directeur se retire

Le directeur général des élections, Pierre-F. Côté, aura été à son poste pendant 19 ans. Nommé à vie, il a choisi de se retirer à l'âge de 70 ans. Son successeur, conformément à la loi qui a été amendée il y a quelques années, sera nommé pour un mandat de sept ans renouvelable une fois. Il y a probablement très peu de pays où un directeur d'élections aura autant eu une image publique. C'est que M. Côté s'était donné pour mission de faire connaître aux citoyens les vertus des institutions électorales et la sagesse d'exercer un contrôle sévère sur le financement des partis et des campagnes électorales.

En quittant son poste de directeur général des élections (DGE), Pierre-F. Côté a suggéré que le Québec se dote d'un tribunal électoral, une instance qui pourrait traiter plus rapidement et à meilleur coût les procès touchant les élections et le financement des partis politiques. Cette nouvelle instance pourrait être formée de juges de la Cour du Québec, tout comme le Conseil du référendum, le Tribunal du travail ou le Tribunal des professions. Il se disait convaincu que les affaires électorales devraient être jugées de façon expéditive, exclusive, finale et sans appel. L'utilité d'une telle cour est apparue lu DGE devant les péripéties judiciaires survenues dans la circonscription électorale de Bertrand. Les verdicts sont tombés deux ans et demi après les élections contestées et tout le processus aura coûté plusieurs centaines de milliers de dollars alors que, selon l'ex-DGE, un tribunal électoral aurait pu agir plus rapidement et à meilleur compte. Dans sa présentation publique, M. Côté précisait même quelques règles de base. Ce nouveau tribunal pourrait siéger à trois membres pour des cas de contestations d'élections. Un seul juge pourrait être nécessaire pour les cas de recomptage. Selon le nombre de magistrats qui y seraient nommés, ce tribunal pourrait se voir doter de compétences en matière pénale, pour les contraventions à la Loi électorale ou à la Loi sur la consultation populaire. Il n'y aurait pas d'appel possible au système judiciaire général, mais les prévenus pourraient y recourir s'ils estiment que le tribunal électoral excède ses compétences.

Une des lois que le Directeur général des élections avait beaucoup défendue au cours de son mandat, la loi sur les consultations populaires, sera déclarée, dans certains de ces articles, inconstitutionnelle quelques mois à peine après qu'il eut pris sa retraite. L'histoire commence en 1992, lorsque le chef du Parti Égalité, Robert Libman, voulait faire campagne mais sans devoir s'inscrire auprès du Comité du OUI ou du NON. Il aurait voulu faire campagne indépendamment de ces deux comités parapluie qui ont la responsabilité d'autoriser les dépenses encourues lors d'un référendum. La loi sur les consultations populaires le lui interdisant, il entreprit une démarche juridique pour faire déclarer inconstitutionnelle cette loi. Après avoir perdu aux deux premières instances, il eut finalement gain de cause en Cour suprême du Canada. L'esprit de la loi était de rendre les citoyens égaux autant que possible lors des référendums; aussi, elle limitait les dépenses non autorisées par les comités officiels, celui du OUI et celui du NON. Cette loi de même que celle sur le financement des partis étaient en quelque sorte des compromis entre les valeurs de liberté et d'égalité. La Cour suprême du Canada a rendu un jugement conforme aux valeurs dominantes au Canada et aux États-Unis en privilégiant la liberté.

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En avril 1997, le Québec comptait 16 partis politiques officiels. Au cours de l'année 1996, deux partis ont perdu leur autorisation: le Parti de la Souveraineté du Québec, qui avait été autorisé en 1993, et le Parti Développement Québec qui, lui, avait été autorisé en 1994. Par ailleurs, deux nouveaux partis ont été créés: le Parti du Peuple du Québec et le Parti pour le respect des droits et libertés individuels au Québec. Seulement deux des 16 partis ont des organisations dans chacune des 125 circonscriptions électorales. En 1996, l'Action démocratique du Québec s'est organisée dans cinq autres circonscriptions haussant son nombre d'organisations locales à 50. Un signe sans doute des progrès discrets de l'ADQ sur le terrain.

L'année 1996-1997 n'aura pas été une bonne année pour les partis politiques ni pour les institutions électorales. Plusieurs indicateurs, comme l'insuccès des campagnes de financement et la diminution du nombre de militants dans les trois partis représentés à l'Assemblée nationale, laissent croire que les partis politiques font présentement face au défi de canaliser la mobilisation des citoyens. Le déplacement vers la droite des deux grands partis a laissé les organisations de la gauche sans porte-parole efficaces à l'Assemblée nationale. D'autre part, la radicalisation des personnes qui vivent au Québec mais qui se définissent comme «Canadiens» rend la tâche du PLQ de plus en plus difficile. Pour pouvoir à la fois retenir cette clientèle et regagner des votes chez ceux qui se définissent d'abord comme «Québécois», le PLQ doit éviter constamment de se piéger lui-même dans le dossier constitutionnel. Finalement, la décision de la Cour suprême du Canada d'invalider une partie de la législation électorale québécoise est susceptible de rendre les institutions suspectes à une partie non négligeable de la population quoi qu'il arrive. En effet, si l'Assemblée nationale réussit à contourner le jugement et à rétablir l'équilibre liberté-égalité, certains, surtout du côté des anglophones, se sentiront floués. Si, d'autre part, l'équilibre liberté-égalité est définitivement rompu, ce sont tous ceux qui ont milité pour l'assainissement des moeurs politiques au Québec et pour l'égalité des citoyens qui se sentiront trahis. Une affaire à suivre.




Note(s)

1.  Jacques PARIZEAU, Pour un Québec souverain, VLB Éditeur, 1997.