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Le mouvement syndical



Mona-Josée Gagnon
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : Le mouvement syndical



Après une année marquée par leur implication politique dans la campagne référendaire, les organisations syndicales sont revenues aux affaires, soit aux relations du travail, leur mission première, accompagnées d'une intense activité de concertation. Sommet sur l'économie et l'emploi, bien sûr, mais aussi consultations ciblées sur la fiscalité. Et, en aval et en amont de tous ces événements, des comités de préparation et de suivi... Si bien que l'ordre du jour gouvernemental a largement donné le ton à l'activité syndicale. Cependant, l'année syndicale 1996-1997 laissera surtout aux citoyens le souvenir de tremblements et grincements de dents dans le secteur public. Même la FTQ, peu avare de ses appuis politiques, a refusé, par une décision de son Conseil général, d'appuyer le Bloc québécois aux élections fédérales de Juin 1997; façon de calmer à bon compte la grogne de ses affiliés du secteur public, pour qui Bloc québécois rime encore avec Lucien Bouchard. Au point que les conflits dans le secteur privé de l'économie ou encore les dossiers traditionnels que sont l'emploi ou l'organisation du travail en ont subi quelque ombrage.



La présence syndicale

La répartition des effectifs syndicaux, pendant l'année de référence, est globalement restée 'inchangée; malgré fermetures, changements d'allégeance et campagnes de syndicalisation réussies, les positions respectives des organisations syndicales ne changent guère (Le marché du travail, janvier-février 1997). La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) tient toujours le devant du peloton avec 37,4% des salariés assujettis à une convention collective; la FTQ a haussé sa part de 2,2 points de pourcentage. Ces chiffres sont toutefois trompeurs puisqu'ils excluent les effectifs recensés en vertu de la compétence fédérale, secteur où la FTQ est hégémonique.

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) la suit de loin avec une modeste hausse de 0J point de pourcentage et 24,7% des salariés assujettis à une convention collective. La Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ), affaiblie de 3,1% point de pourcentage, représente 9,4% des salariés en cause. La Centrale des syndicats démocratiques (CSD), enfin, ferme la marche avec 3,7% des salariés en cause et une hausse modeste de 0,3 point de pourcentage. Quant aux effectifs des syndicats indépendants, ils comptent pour 29,7% de l'ensemble. La tendance à la baisse des effectifs syndicaux (taux de présence syndicale) semble s'être stabilisée, la baisse avoisinant le néant (0, 1 %) par rapport aux compilations préalables (septembre 1995), pour un taux de présence syndicale de 41,8%.

Las! Sitôt dévoilées, les statistiques ne sont qu'approximations passées... Et justement, pour colmater les brèches intervenues dans leurs bastions traditionnels, les centrales ont continué à syndiquer des travailleurs et travailleuses du tertiaire. La FTQ, par l'intermédiaire des Teamsters, a mené une campagne médiatique et fort juridicisée, pour emporter l'adhésion de 62 employés d'une succursale de MacDonald. Tant la CSN que la FTQ ont réussi à ébranler le secteur des employés des chaînes de cinéma, traditionnellement étudiants et précaires; il y eut grèves à Montréal et à Québec, ainsi que signature de conventions collectives qui, pour le secteur, étaient franchement révolutionnaires. Il n'est que de lire les rubriques «syndicalisation» dans les journaux syndicaux pour constater que la modestie a désormais préséance: 12 recrues ici, 24 là et encore sept à côté... Toujours davantage de petits groupes donc, ceux-là qui, autrefois délaissés, renouvellent à petites doses le membership syndical.




Pleins feux sur les autonomes

Assurément, le Code du travail a du plomb dans l'aile et ne permet pas de syndicaliser les incarnations, le plus souvent involontaires, des mutations du marché du travail. Cohortes d'occasionnels, temporaires, contractuels, autonomes vrais ou simulés, comment feront-ils pour faire partie des troupes syndicales?

Il vaut la peine de signaler que, pendant l'année-référence, toutes les organisations syndicales ont fait des pas pour recruter ces dits «autonomes». Certes, cela n'est pas entièrement nouveau puisque, depuis des lunes, tant la CSN que la FTQ regroupent des groupes de non-salariés cotisant, soit sur une base volontaire, soit en vertu d'un système semblable à celui de l'atelier fermé, afin de se doter de services collectifs. C'est ainsi que la CSN regroupe des praticiens des médecines alternatives, des journalistes-pigistes, pour ne nommer que ceux-là, sur une base volontaire. Dans ces cas, il s'agit de se doter de services collectifs, mais aussi de profiter de l'audience d'une grande organisation pour faire mousser une cause de reconnaissance professionnelle. La FTQ, de son côté, a toujours compté dans ses rangs l'Union des artistes de même que quelques autres regroupements liés au domaine du spectacle: musiciens, éclairagistes par exemple, tous des travailleurs qui, par définition, sont autonomes mais qui, allant d'un contrat à l'autre, ont avantage à se faire représenter par un syndicat qui joue le rôle d'un syndicat de métier, fixant des tarifs minimaux, et négociant avec les employeurs sectoriels, forts de leur représentativité garantie par l'obligation d'adhésion.

Mais les temps changent, puisque maintenant on vise à regrouper d'autres types de travailleurs, qui n'ont d'autonomes que le nom, subalternes parmi les subalternes. Des gens dépendant d'un seul ou de plusieurs employeurs, dépourvus de toute sécurité d'emploi et de revenu. Des gens n'ayant rien à voir avec les travailleurs également dits «autonomes» oeuvrant par exemple dans des professions libérales. C'est ainsi que la FTQ (Métallos) a tenté de former une association professionnelle de chauffeurs de taxi locataires de leur véhicule, selon une formule originale mêlant sécurité financière, liberté de changement d'allégeance et représentation syndicale. À ce jour, en vain. De même, des camionneurs indépendants ou s'étant faits «autonomiser» ont été recrutés du côté de la FTQ. La CSD, pour sa part, a identifié deux créneaux d'autonomes : chauffeurs propriétaires de leur camion et distributeurs de lait. Un affilié d e la FTQ, le SCEP (Syndicat des communications, de l'énergie et du papier) a de son côté mis sur pied un «syndicat» large pour recueillir l'adhésion de tous les «autonomes» quels qu'ils soient. Ce regroupement entend fournir des services juridiques, assurantiels, comptables et de représentation, en plus de constituer un lieu d'échange.

La CSN a continué de recruter des groupes d'autonomes, comme les producteurs et techniciens de la télévision ethnique. Et même la CEQ faisait savoir, à l'automne 1997, qu'elle recrutait maintenant des «travailleuses autonomes» des agences de garde en milieu familial, en fait les propriétaires de mini-garderies indépendantes.

Parallèlement, un comité de travail mis sur pied par le gouvernement et auquel participent les parties intéressées, planche sur la question. Plusieurs problèmes sont en effet soulevés par cette tendance manifeste au transfert d'emplois salariés dans le quasi-vide juridique de l'autonomie. Le salariat, espérons-le, n'est pas à l'agonie comme on le dit parfois. Mais espérons tout de même que les organisations syndicales mettront autant d'énergie à empêcher son érosion qu'à recruter les autonomes.




Du côté des structures syndicales

La FTQ a fêté sans trop d'éclat son 40' anniversaire d'existence, anniversaire trompeur car les origines de ses affiliés font d'elle l'ancêtre plus que centenaire du syndicalisme québécois. Dirigée par le même tandem, la FTQ peut continuer légitimement à s'enorgueillir du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ), parvenu à près de deux milliards d'actifs nets. Raymond Bachand a remplacé à sa direction Claude Blanchet, retourné au secteur parapublic. Signalons enfin la poursuite tranquille des fusions de syndicats, tendance lourde à l'échelle nord-américaine. On attend pour l'an 2000 la conclusion de la plus importante de ces fusions, soit celle des Métallos et des Machinistes (Association internationale des), laquelle se fera à l'échelle du continent, puisqu'il s'agit de syndicats nord-américains. Ces fusions entraînent souvent des changements de noms; ainsi du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, amalgame des facteurs et postiers d'autrefois.

La CSN a refêté son 75e anniversaire par l'intermédiaire d'un colloque à elle consacré et organisé par l'UQAM. Un vent de nostalgie a soufflé parfois. Sa principale fédération, la FAS (Fédération des affaires sociales) est devenue la FSSS (Fédération des services sociaux et de la santé), s'adaptant à la nomenclature en vigueur au gouvernement et à l'identité de ses effectifs. Mais, au-delà d'un changement de nom, il s'agissait aussi d'enclencher une meilleure reconnaissance des catégories socioprofessionnelles qui la composent ainsi que de redéployer pouvoirs et ressources en direction des régions. Fondaction, l'équivalent CSN du Fonds de solidarité, continue à grandir et l'on prévoit un actif de 25 millions $ à la fin de 1997. Comme, en son temps, le Fonds de solidarité (FTQ), Fondaction a reçu une contribution de démarrage de 10 millions $ de la part du gouvernement de Québec. Fondaction n'a pas encore commencé à faire des investissements.

La CEQ a tenu en juin son 35e congrès, qui en fut un d'orientation et de débats passionnés. La CEQ possède une particularité dont on n'a pas commencé à mesurer les conséquences: dans un délai de six ans, 40% de son membership sera renouvelé, sous les effets combinés du vieillissement du corps enseignant, des retraites et préretraites. Déjà, au dernier congrès, 15% des délégués avaient moins de 35 ans. Pour le reste, la CEQ continue à rêver à voix haute de devenir une centrale des services publics et prévoit, en conséquence, en l'an 2000, de changer de nom. Lorraine Pagé ne doit qu'à un fil son maintien à la présidence (52% des voix). Elle est en effet fait accabler de reproches sur le «bon-ententisme» pratiqué par cette centrale avec le gouvernement et État-employeur. Madame Pagé ne dut sans doute sa victoire sur son adversaire, Nicole Frascadore, donnée gagnante depuis quelque temps, qu'au fait qu'elle a effectué une volte-face en forme d'autocritique aussi radicale qu'habile devant les congressistes. La légitimité personnelle de Mme Pagé ne peut toutefois qu'être atteinte par ces événements,

À la CSD, le 13, congrès a fait place au renouvellement du leadership. Pour la première fois, les membres de l'exécutif ne sont que des «enfants de la CSD», et non pas aussi des «anciens de la CSN». François Vaudreuil, élu en juin, n'a que 42 ans et caresse beaucoup de projets avec son équipe, dont celui de normaliser ses relations avec les autres organisations syndicales et, au premier chef, avec la CSN. La CSD n'hésite plus, selon les dossiers, à s'impliquer avec d'autres syndicats; ce fut le cas, notamment, dans le secteur municipal, ainsi que pour la défense du décret du bois ouvré et pour la protection des emplois dans le secteur de l'amiante. La CSD entend aussi se donner une meilleure visibilité, y compris au plan international. Le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre (CCTMO), traditionnel aréopage patronal-syndical, lui a ouvert ses portes. En pleine restructuration et en pleine effervescence, la CSD se veut plus ouverte que par le passé mais tout aussi désireuse de conserver son originalité.

Si l'on considère les rapports plus généraux entre organisations syndicales, nous revenons à l'ordinaire, avec peut-être une hostilité un peu plus manifeste entre la CSN et la FTQ, les rivales de toujours: désaccord sur des dossiers majeurs, querelles de représentation... Rien de nouveau. Des accrochages existent aussi entre la CEQ et la CSN, qui se disputent en partie les mêmes effectifs, la dernière n'appréciant pas l'ambition de la première de s'identifier aux «services publics».




La concertation, prise deux

Pour comprendre les discours, stratégies et états d'âme qui ont entouré, pendant l'année de référence, les exercices de concertation, il faut nous reporter dans le passé récent, en mars 1996 (cf. L'année politique au Québec. 1995-1996, p. 82). C'est à l'occasion d'une Conférence fort médiatisée que les participants, ministres, patrons et gens d'affaires, chefs syndicaux et groupes populaires, ont entériné le principe du déficit zéro légiféré. Le projet initial du gouvernement était d'amortir ce dernier sur deux années; il se laissa convaincre par les syndicats de l'amortir sur quatre ans, afin «d'épargner la population». C'était la victoire du moindre mal, mais à dire vrai l'idée d'un objectif de déficit zéro à court terme et surtout celle d'une législation antidéficit était loin de recueillir l'unanimité dans le mouvement syndical. Ce consensus de 1996 sur le déficit devait finalement se révéler, pendant l'année-référence, une pomme pourrie. Les organisations syndicales et communautaires se sentirent, pour plusieurs, flouées, car tous les considérants et conditions qui avaient motivé leur adhésion au déficit zéro semblèrent fort peu pris en compte par le gouvernement Bouchard.

Les «chantiers», ou groupes de travail multipartites, s'activèrent tout l'été pour préparer le «Sommet sur l'économie et l'emploi», qui se tint les 30, 31 octobre et le 1er novembre 1996. Parallèlement, une Commission sur la fiscalité, représentative des parties, parcourait les régions avec mandat de faire rapport à temps pour le Sommet; pour les organisations syndicales, l'intérêt présenté par la Commission était que cette dernière pourrait travailler le volet «revenus», comme moyen d'améliorer la situation financière de l'État, minimisant ainsi les compressions budgétaires. Les trois principales centrales (CSN, FTQ, CEQ) travaillèrent de concert dans la préparation du sommet et des propositions concrètes qu'il s'agissait de défendre. En outre, elles organisèrent à l'automne la plus grande campagne médiatique de leur histoire, dont le thème était «L'urgence, c'est l'emploi!»; cette campagne valut aux centrales une reconnaissance inattendue: le Coq d'or de la meilleure campagne publicitaire catégorie «causes humanitaires». Enfin, le 28 septembre 1996, un Forum de la solidarité sociale mettait en présence syndicalistes et acteurs des milieux communautaires, afin de dégager des revendications en vue du «Vrai» sommet.

Le sommet fut l'occasion d'annoncer de nombreux projets créateurs d'emplois, tant dans le secteur marchand que dans celui de l'économie sociale. Le gouvernement s'y engagea à mettre en vigueur la Loi sur l'équité salariale, autre cheval de bataille des centrales. De même, le principe, proposé par la Commission sur la fiscalité, d'un Fonds de solidarité contre la pauvreté par la réinsertion au travail de 250 millions $ fut adopté.

Malgré l'opposition patronale, il fut de même convenu de ramener de 44 à 40 heures la durée normale de la semaine de travail, ce qui n'était guère qu'éliminer une vieillerie. Qu'importe, le tout s'étalera sur quatre ans; nous en sommes, automne 1997, à 43 heures. Quelques congés inscrits à la Loi des normes du travail furent bonifiés. Les centrales échouèrent toutefois à engager le gouvernement dans la poursuite d'un objectif chiffré de réduction du taux de chômage.

Cela dit, la pièce de résistance du sommet, à en juger par le discours unanimement laudatif des participants au sommet, fut l'adoption d'une «Déclaration pour l'emploi». Il s'agissait d'un texte ficelé rapidement, contenant une suite d'énoncés de principe répondant aux sensibilités des uns et des autres, et pour cette raison même plutôt inconsistant. Admirable exercice de synthèse ou tissu de banalités confinant au néant? Cela se discute. Quoi qu'il en soit, on n'a guère plus entendu parler de cette «Déclaration pour l'emploi». C'est plutôt de coupures de postes et de pertes d'emploi dont il fut question par la suite.

Après une période d'autocongratulations sur les progrès dont le Sommet avait été l'occasion, les esprits devinrent plus chagrins. Les compressions budgétaires dans les services publics commençaient à indisposer les syndiqués, et cela se répercuta sur les discours des dirigeants syndicaux. Dès décembre 1996, la CEQ annonçait qu'elle n'adhérait plus au principe du déficit zéro, suivie par la CSN en mars 1997. En mai 1997, les dirigeants de la FTQ eurent toutes les peines du monde à empêcher les participants à un colloque sur l'emploi d'imiter les autres centrales.

Les exercices de concertation se poursuivirent toutefois. En février, une consultation pré-budgétaire réclamée par les centrales permit aux acteurs habituels de donner leur point de vue. «Un dialogue de sourds», titra Nouvelles-CEQ. Une dernière grand-messe réunit les participants du Sommet 1996, histoire d'en évaluer les retombées, le 26 septembre 1997. Les évaluations furent de part et d'autre positives. «Bilan d'une dynamique de groupe», titra Jean-Robert Sansfaçon, du Devoir, qui se moqua des méthodes de calcul gouvernementales pour évaluer les créations d'emplois.

Mais, depuis la reprise de l'automne 1997, il était bien évident que le ton montait. Les déclarations syndicales dénonçant les effets des coupures s'additionnaient; le gouvernement avait perdu sa cote d'amour, quelque part entre le virage ambulatoire et la facture aux municipalités. C'est pourquoi il convient maintenant d'aborder le sujet des négociations et des compressions subséquentes dans les services publics.




Des négociations houleuses

La ronde de négociations impliquant les affiliés de la FTQ (sauf exceptions), de la CSN et de la CEQ dans le secteur public, de même que les deux syndicats d'employés de l'État et celui des infirmiers-ères s'engagea le 30 novembre 1996. Elle fut haute en couleur, marquée par ce que les syndicats ont dit être un reniement de signature de la partie patronale; le premier ministre s'était en effet déjà engagé à ne pas revenir avec des demandes de concession salariale. Du côté syndical, on mesura la fragilité de l'alliance, la fédération principalement concernée de la CSN se retirant très tôt du processus.

L'enjeu était bien sûr financier. On n'annule pas un déficit sans trouver de l'argent quelque part... et pourquoi pas dans la masse salariale? En décembre, après quelques échanges de textes et mandats de débrayage, les syndicats déposaient une contre-proposition qui, pour l'essentiel, fut la base du règlement final, lequel n'intervient toutefois qu'en mars 1997, car plusieurs voies latérales furent aussi explorées. Essentiellement, il s'agissait d'utiliser une partie des excédents actuariaux des régimes de retraite centralisés des employés de l'État pour financer des bonifications de retraite susceptibles de susciter des départs accélérés en pré-retraite. Les économies résulteraient de l'effet combiné du moindre coût salarial des nouveaux embauchés... et du non-remplacement de plusieurs. Cette idée n'était pas inédite; elle avait été la base de l'entente intervenue un peu plus tôt à Hydro-Québec, avec pour conséquence non prévue un recours collectif des retraités de la société d'État, que l'on avait négligé de consulter (mai 1997). L'objectif numérique était de 15 000 départs dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l'éducation, de même qu'au sein de l'appareil gouvernemental.

Ce qui se résume en un paragraphe fut toutefois un processus douloureux, marqué d'ultimatums, incluant la menace d'adoption d'une loi spéciale, de nouvelles demandes patronales, de bouderies, avec moult rencontres au sommet où le premier ministre Bouchard lui-même intervint plus souvent qu'à son tour. Un processus paradoxalement ponctué de nombreux «appels au peuple» (les syndiqués) mais aussi de nombreux compromis négociés fort rapidement, en groupe restreint et de préférence de nuit.

Les centrales ne pavoisèrent pas. Ce n'était pas exactement une victoire, mais à coup sûr une lourde contribution à la baisse du déficit. La CEQ parla d'un «compromis pour éviter le pire»; cette centrale avait en effet in extremis réussi à sauvegarder le ratio maîtres/élèves, ratio que d'entrée de Jeu le gouvernement avait proposé d'augmenter.

Pendant tout l'été 1997, les journaux, en mal d'informations, tinrent une comptabilité des départs assurés et possibles. Le thermomètre montait régulièrement. Solde final: 30 464 salariés directs ou indirects de l'État ont quitté, soit deux fois plus que prévu. Les offres étaient-elles donc si irrésistibles? Ou était-on si malheureux au travail? Le premier ministre exulta (27 août 1997). Il annonça la «plus grande vague d'embauches depuis la Révolution tranquille» et beaucoup d'économies récurrentes sur les 16 prochaines années. Les déclarations syndicales pondérèrent cet enthousiasme; beaucoup de postes ne seraient pas comblés et de nombreux autres occupés par la cohorte d'employés à temps partiel ou occasionnels déjà insérés dans les structures d'emploi. En fait, les situations varient selon les secteurs.

Dans l'éducation (réseaux primaire, secondaire et collégial), les enseignants disparus (8400 aux primaire et secondaire, 802 au collégial) seront remplacés en vertu des ratios négociés; au collégial toutefois, les baisses d'effectifs étudiants ont un effet négatif. Pour les autres catégories socioprofessionnelles, les remplacements se font au jugement des administrations locales. Des syndicats dénoncent déjà l'effondrement de certains services de soutien scolaire et, dans des commissions scolaires, l'apparition d'une vague de sous-traitance pour remplacer des travailleurs, voire des services tout entiers disparus.

Dans les services de santé et sociaux, l'hémorragie est telle (près de 10% des effectifs) qu'il faudra remplacer. Où? Quand? Combien? Fin septembre, le ministre Rochon annulait une partie des compressions prévues. Le secrétaire général de la CSN, centrale principalement concernée, estimait au tiers le (futur) taux de remplacement dans les établissements. Des syndicats d'établissements, de leur côté (ex: Hôpital Rivière-des-Prairies), dénonçaient des fermetures de postes. La FSSS (CSN) affirmait (Nouvelles-CSN, 26-09-97, n', 429) que, sur cinq établissements enquêtés, seuls 12 postes sur 662 devenus sans titulaires étaient affichés. Et les syndicats de crier aux remplacements, de regretter que le processus n'ait pas été plus graduel... Reste qu'ils ont entériné cette formule d'allégement des dépenses publiques. Et, pendant ce temps, les médias montent en épingle tout incident ou anomalie dans les services de santé. Pour l'heure, on ne saurait guère conclure sur cette opération.

Enfin, dans la fonction publique, 3676 départs sont enregistrés et personne, a-t-on annoncé, ne sera remplacé. Dure ponction financière pour les syndicats concernés (Syndicat de la fonction publique du Québec et Syndicat des professionnels-es du gouvernement du Québec). Et c'est d'ailleurs l'ensemble des syndicats du secteur public et parapublic qui, au moment de boucler leur budget, mesureront de façon on ne peut plus concrète que les économies publiques se répercutent en pertes d'effectifs syndicaux et en manque à gagner.




La conflictualité dans le secteur privé

Les excellents dossiers du Marché du travail (Gouvernement du Québec, CRSMT, janv./fév. 1997 et mai 1997) nous tiennent régulièrement au courant de l'évolution de la conflictualité et des relations du travail. Ainsi apprenons-nous, sans surprise, que les premières conventions collectives émanent à 70% du secteur tertiaire. Et, sans plus de surprise, nous apprenons que l'année 19961 ] fut une année paisible, ponctuée de fort peu de conflits de travail. Même les lock-out ont diminué, c'est dire. Litige le plus fréquent: les salaires, ce qui ne saurait étonner.

Chaque année traîne sa charrette de fermetures et de pertes d'emplois. Parmi les plus importantes, citons: l'entrepôt Zellers (Montréal) où la CSN perdit 325 membres; Bell Canada qui, de compression en compression, allège sa masse salariale: 2200 salariés de moins en Ontario et au Québec (FTQ-SCEP); la chaîne de restaurants Red Lobster, qui annonça brutalement sa fermeture, laissant 780 non-syndiqués sur le carreau; enfin, Lab Chrysotile, mine d'amiante à propriété étrangère, a poussé 300 mineurs (CSN) au chômage en novembre 1997. Et, si l'on pouvait en rire, il faudrait apprécier le sens de l'humour de American Air Filter, succursale d'une multinationale américaine située à Boucherville qui, en septembre 1997, annonçait qu'elle allait fermer l'usine et licencier les 45 travailleurs, à moins que le syndicat (TCA-FTQ) ne l'autorise à faire main basse sur les excédents de la caisse de retraite... Mais le mauvais exemple était venu de haut!

Passons aux conflits qui ont connu un règlement pendant l'année de référence. En mai 1996, le conflit entre la Banque Laurentienne et ses employés syndiqués à la FTQ (SEPB) se soldait, après cinq mois de grève, par une entente arrachée par le syndicat de haute lutte: sécurité d'emploi pour les syndiqués pendant la durée de la convention collective, baisse des heures d'ouverture des guichets, et entente relative au fait que le groupe des «conseillers financiers», ex-syndiqués promus, ferait l'objet d'une nouvelle requête séparée en accréditation plutôt que d'être désyndiqués d'office. Ce dernier détail a fait l'objet de discussions bien des mois après le règlement. Ce conflit revêt un intérêt particulier car il s'agit de la seule Institution financière québécoise entièrement syndiquée.

La CSN trouva à se réjouir du règlement des conflits au Holiday Inn Crown Plaza et à l'hôtel Méridien (Montréal), deux conflits reliés à une question de vente à de nouveaux intérêts. Dans le premier cas, l'employeur rendit les armes suite à une guerre d'usure, et réembaucha les syndiqués. Dans le second cas, avant qu'il fût nécessaire d'utiliser un moyen de pression, les nouveaux acquéreurs s'inclinèrent.

La CSN eut aussi l'occasion de fêter une victoire syndicalo-juridique dans le cas des camionneurs autrefois à l'emploi de Métro-Richelieu. De Cour d'appel en Cour suprême, l'employeur persista à invoquer son droit de sous-traiter certaines opérations comme la livraison par camions à ses succursales ou franchisés. En vain; il fut renversé par la Cour suprême à la fin de l'année-référence. Métro-Richelieu, qui entre-temps avait modifié toutes ses structures opérationnelles, se voyait contrainte de réembaucher les 150 camionneurs dont elle s'était délestée cinq années plus tôt... avec compensation à la clé.

Les travailleurs de General Motors, à Boisbriand, ont mené quant à eux, au sein d'un cartel pan-canadien, une grève de trois semaines sans histoire à l'automne 1996, qui se termina par un règlement satisfaisant pour le syndicat. Et le mouvement syndical québécois s'est tout entier réjoui de la victoire des travailleurs américains de United Parcel Service (UPS) qui, en août 1997, marqua tant la renaissance du syndicalisme américain que la victoire de travailleurs contraints au «temps partiel». Ce conflit fut aussi considéré comme une première brèche dans le discours néolibéral dominant les États-Unis, dans la mesure où il proclama la légitimité du partage avec les salariés des gains de productivité.

Plus près de nous, l'année de référence a marqué le point final de la saga Kenworth. Ce fut d'abord une grève (TCA-FTQ), puis une négociation pour la réouverture. Les deux gouvernements s'en mêlèrent, tentant de percer les projets de la multinationale américaine Paccar. L'usine ouvrira-t-elle, n'ouvrira-t-elle pas? Le suspense s'est poursuivi jusqu'au 4 septembre 1997. Eh! oui, elle rouvrira, et en plus gros que prévu. Kenworth fera travailler 840 personnes et produira 30 camions par jour.. dans un avenir prochain. Paccar, qu'on savait riche mais radine, y mettra elle-même des sous et, avec le soutien des deux gouvernements, il s'agira d'un investissement de plus de 100 millions $. Paccar a finalement refusé la contribution du Fonds de solidarité (FTQ), ayant trouvé ailleurs meilleure affaire... et n'étant peut-être pas intéressée à rendre des comptes à ce dernier.

Mais il n'y a pas que des conflits réglés. N'en mentionnons que deux, qui alimenteront nos réflexions pendant la future année de référence. Au MacDonald de Saint-Hubert, rien n'est réglé; la requête déposée en mars 1997 par les Teamsters (FTQ) vogue sur fond de salariés menacés et d'arguties juridiques. Enfin, au moment de conclure ce bilan, le conflit aux Postes n'est toujours pas réglé. Un arbitre a été nommé, contre le souhait de la partie syndicale.




Dossiers chauds et moins chauds

Plusieurs dossiers ont retenu l'attention pendant l'année- référence, et n'ont certainement pas fini de faire des vagues. Nous en traiterons sept.

Le premier dossier est celui des municipalités. L'année 1997 avait bien commencé pour les Montréalais; les intraitables cols bleus (FTQSCFP) avaient enfin signé une convention collective dont ils avaient l'air satisfaits. Le soulagement fut de courte durée. Début juin, l'intention gouvernementale de couper les budgets des municipalités de 500 millions $, dans le cadre d'une réforme plus globale, ramena l'attention sur les salaires des employés municipaux, en moyenne plus élevés que ceux des autres secteurs (mais les moyennes déforment les réalités, comme chacun sait!). La «facture», comme on l'appelle désormais, a défrayé la chronique tout l'été. Pendant que les organisations municipales se déchiraient sur la place publique, que des voix s'entêtaient à réclamer une «loi spéciale» pour rouvrir les conventions collectives et baisser les coûts salariaux, les employés municipaux formaient la Coalition québécoise des secteurs municipal et transport (sic), laquelle réunit neuf organisations syndicales. Pour l'heure, c'est un conflit «appréhendé» et rien de plus, et la situation des relations du travail varie beaucoup selon les municipalités. À Montréal, une sentence d'emprisonnement prononcée à l'encontre de deux dirigeants des cols bleus (SCFP-FTQ), en octobre 1997, épilogue d'une émeute orchestrée à l'Hôtel de Ville quelques années plus tôt, ranima les passions syndicales. Le seul conflit en cours et non réglé dans le secteur municipal est celui opposant les pompiers montréalais à leur employeur. Sabotage, congédiements, agressions à coups de lance d'incendie... et inévitable judiciarisation. Le litige, relié au nombre d'emplois au Service des incendies, est entre les mains d'un arbitre.

Autre conflit appréhendé mais qui n'aura peut-être pas lieu: il s'agit de toute l'agitation autour des 18 500 infirmières-auxiliaires qu'une coalition syndicale large (FTQ-CSN-CSD-UQIA2 ] ) craint de voir disparaître au profit d'infirmiers -ères licenciés. Manifestations préventives.

La priorité syndicale, l'emploi, s'est matérialisée dans les discussions du Sommet et de nombreuses interventions publiques. La FTQ organisa un colloque sur l'emploi en mai 1997 où en furent traités tous les aspects (partage du travail, précarité, sous-traitance ... ), dans le cadre d'une incitation à la mobilisation syndicale active. Les cas de groupes importants ayant négocié une réduction de la durée du travail assortie d'une réorganisation du travail demeurent encore exceptionnels (par exemple: Alcan, Sico, les cols bleus montréalais ... ).

L'organisation du travail, autre priorité syndicale, a continué à mobiliser les énergies, surtout dans le secteur privé de l'économie. La CSN, notamment, a organisé un colloque sur la réingénierie des processus. La FTQ, de son côté, a publié début 1997 une brochure sur le travail en équipes et, plus largement, sur la démocratisation des milieux de travail. Dans le secteur public, les syndicats regroupant les employés directs de l'État, soit le Syndicat de la fonction publique du Québec et le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, ont formé une coalition pour encadrer la démarche patronale de réorganisation du travail.

La loi 79, qui modifie le processus d'appel des décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), parmi d'autres objectifs, a vu les centrales syndicales manifester entre elles des désaccords. La FTQ (et le patronat) soutenaient le projet, contre la CSN et la CSD, appuyées par la FATA (Fonds d'aide aux accidentés du travail), qui sollicitaient des amendements importants. Les débats se cristallisèrent sur deux éléments: le Bureau d'évaluation médicale, dont CSN et CSD dénoncent le fonctionnement, et la nouvelle structure de décision à juge unique, mais flanqué de deux «conseillers» (patronal et syndical). On verra si le pari du gouvernement de simplifier et d'accélérer les procédures tout en protégeant les victimes d'accidents du travail ou de maladies industrielles sera gagné. Pour l'heure, plusieurs sont sceptiques.

Le Code du travail québécois contient quelques centaines d'articles et aucun n'a fait couler autant d'encre cette année que l'article 45. L'objet de cet article était d'assurer le maintien de l'accréditation d'un groupe en cas de cession ou concession d'entreprises. Des querelles patronales-syndicales ou même syndicales-syndicales ont entraîné de si nombreuses interventions des tribunaux que l'article 45 est devenu avec le temps une coquille vide. Ce fut l'occasion pour les syndicats d'en demander une version plus costaude, le patronat profitant du moment pour faire l'apologie de la sous-traitance et de la flexibilité. Le rapport d'un groupe de travail (Mireault), déposé au printemps et censé déboucher sur un consensus, n'a fait que relancer le débat. L'affaire est en délibéré. Derrière l'article 45, c'est en fait toute la question de la représentation syndicale qui est en cause.

Dernier dossier: l'équité salariale. La loi entrera en vigueur bientôt. L'avenir donnera-t-il raison aux femmes et aux syndicats qui ont reproché au gouvernement d'avoir fait la part trop belle aux employeurs, en leur donnant presque une décennie pour analyser et pour corriger les situations discriminatoires?

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Deux méga-dossiers ont incontestablement dominé l'année de référence, pour ce qui est des syndicats. Il s'agit d'une part des multiples exercices de concertation ainsi que du débat public sur la fiscalité. D'ailleurs, même si l'on n'en entend guère parler, des comités multipartites dérivant des débats des partenaires sont encore au travail. D'autre part, les relations du travail dans le secteur public ont également mobilisé les énergies. Deux méga-dossiers qui, on l'a vu, ne sont pas sans liens entre eux.

Les hostilités, somme toute normales, entre parties patronales et syndicales, à l'occasion de négociations, ont aussi mis en relief, pour les observateurs attentifs, les difficultés d'ajustement entre un leadership syndical très médiatisé et familier des cercles politiques dirigeants, et une base qui n'est pas en possession de tous les renseignements stratégiques et dont la confiance envers les chefs s'érode. En effet, tant à la FTQ qu'à la CSN et la CEQ, la grogne des militants-es a forcé les directions syndicales à durcir le ton. Nombreux sont les militants syndicaux qui sont mal à l'aise face aux exercices de concertation à un moment où les relations du travail sont plutôt détériorées. Mais sans doute le ton est-il donné. Les organisations syndicales vont vraisemblablement être plus méfiantes à l'égard des «sirènes» concertationnistes.

Enfin, au moment où ces lignes sont écrites, les syndicats du secteur public sont en période de changement d'allégeance dite de maraudage (du 3 octobre au 3 novembre 1997). Il s'agit de la première depuis 1991, puisque les conventions collectives étaient toujours prolongées. Il s'agit cette fois d'un maraudage en terrain dévasté par les départs et par les restructurations. Des unités d'accréditation seront reconstituées mais aussi reconfigurées dans les établissements restructurés. Il en ira de même dans les établissements fusionnés (centres hospitaliers et plus tard commissions scolaires). La carte syndicale en sera inévitablement modifiée et les liens intersyndicaux quelque peu distendus... au moins provisoirement.




Note(s)

1.  L'année 1996 du Marché du travail devance l'année de référence de la présente publication.

2.  Union québécoise des infirmières-ers auxiliaires.