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Demandes sociales et action collective: redéfinir les services publics



Pierre Hamel
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : Les mouvements sociaux



À l'instar de ce qui a été observé au Québec au cours des deux années précédentes, en 19961997 les organismes communautaires ont été à nouveau mobilisés par les réformes gouvernementales, la «crise» des finances de l'État et la redéfinition de la notion de service public. Dans ce contexte, il est apparu que si les anciens compromis et les anciens modèles d'action ne sont plus valables, en même temps, il peut être prématuré de leur substituer des arrangements improvisés qui ne tiennent pas compte des impacts négatifs des changements mis en branle pour les plus démunis. En d'autres termes, il vaut mieux parfois maintenir le statu quo que de proposer des transformations institutionnelles dont on mesure mal les retombées. De ce point de vue, les acteurs des mouvements sociaux et du milieu communautaire ont poursuivi au cours de l'année écoulée leur défense des acquis tout en acceptant d'explorer de nouvelles solutions pour répondre aux besoins sociaux et réfléchir sur ce que devraient être les services publics dans un contexte de modernité avancée.

Cela ne va pas sans soulever des questions fondamentales sur le rôle social et politique de l'État, sur ce que devraient être les responsabilités publiques par rapport aux responsabilités privées et aussi sur le partage des compétences et la définition de l'imputabilité. Comment maintenir les acquis tout en acceptant de participer à la redéfinition des formes et des modes d'intervention de l'État? Depuis qu'ils ont accepté, à diverses occasions et à partir du milieu des années 1980, d'être des partenaires de l'État, les mouvements sociaux ont-ils perdu leur crédibilité? Demeurent-ils des acteurs progressistes eu égard au changement social?

Dans les mobilisations et les actions menées par ces acteurs au cours de l'année écoulée, ces questions ressortent souvent, même si c'est d'une manière indirecte. En outre, la plupart du temps, elles se posent en relation à ce qu'est devenue ou à ce que pourrait devenir la notion de service public. C'est ce que nous proposons d'examiner d'une manière succincte en considérant les principaux enjeux qui ont retenu l'attention des acteurs des mouvements sociaux et du milieu communautaire: pauvreté et financement des services publics, réforme de la santé et de l'éducation, aménagement et environnement.



Pauvreté et financement des services publics

Depuis plusieurs années, le thème de la pauvreté est un thème récurrent. Il soulève des interrogations de fond en ce qui a trait aux valeurs de notre société et aux choix politiques qui sont mis de l'avant pour les conforter. Compte tenu de l'objectif poursuivi par le gouvernement provincial qui est d'éliminer le déficit pour l'an 2000, quelle place ou quelle priorité doit avoir l'aide aux plus démunis?

Depuis l'an dernier, cela a donné lieu à de nombreux arbitrages et à de nombreux affrontements avec l'ensemble des «partenaires» de l'État. Nous pouvons sans doute l'expliquer par les intérêts contradictoires en présence. Mais cela renvoie aussi à des conceptions différentes du rôle de l'État.

Chose certaine, alors que la croissance peut être dissociée de la création d'emplois, la pauvreté est devenue une réalité que nous ne pouvons plus ignorer. D'après le Conseil de la santé et du bien-être, il y aurait au Québec «20,2% de l'ensemble de la population qui vit sous le seuil de faible revenu» (La Presse, 24 avril 1997, 133). Derrière cette abstraction, on retrouve aussi bien des nouveaux pauvres (des victimes des licenciements et des rationalisations dans le secteur public et dans les entreprises privées, des travailleurs précaires ou des professionnels qui ne trouvent pas de contrat) que des bénéficiaires de l'aide sociale: dans l'ensemble du Canada, «certains assistés sociaux ont vu leur pouvoir d'achat réduit de la moitié au cours des dix dernières années» (La Presse, 11 février 1997, A22). Rappelons aussi que les femmes, et en particulier les chefs de famille monoparentale, subissent plus durement l'impact de la pauvreté que les hommes. Enfin, soulignons que c'est encore à Montréal que s'est manifestée la plus forte concentration de la pauvreté au Québec (voir «Profil du Québec»).

En 1996, pour l'ensemble de la région métropolitaine de Montréal, plusieurs indicateurs de performance économique sont demeurés négatifs: la stagnation du taux d'emploi depuis 1994, l'augmentation du taux de chômage, la faible création d'emplois, etc. Il en résulte que «près de la moitié de la population active est dépendante de programmes sociaux» (La Presse, 11 juin 1997, Al). Ainsi, Montréal a peu bénéficié de la reprise observée dans l'ensemble du continent.

Dans ce contexte, la réduction des dépenses publiques devient un véritable tour de force. À la suite du Sommet sur l'économie et l'emploi de l'automne 1996, où le gouvernement était parvenu à obtenir l'assentiment de la très grande majorité de ses partenaires à l'égard de ses objectifs de «rationalisation» des dépenses publiques, plusieurs avaient néanmoins formulé des réserves, sinon des mises en garde. C'était le cas du mouvement syndical. C'était aussi le cas des groupes de femmes, du milieu communautaire et en particulier des groupes de défense des bénéficiaires de l'aide sociale. Ainsi, il n'est pas étonnant que ces derniers se soient mobilisés contre. le projet de réforme de la Sécurité du revenu piloté par la ministre Louise Harel qui implique des compressions et le recours à des mesures incitatives, voire à un accroissement des mesures de contrôle destinées à soutenir une intégration des bénéficiaires de l'aide sociale au marché de l'emploi, intégration reposant sur des parcours individualisés.

Plusieurs manifestations ont été organisées par les bénéficiaires de l'aide sociale afin de dénoncer un régime qui pénalise les prestataires aptes au travail mais qui n'acceptaient pas de s'inscrire à un programme de formation. En décembre 1996, plus de 200 assistés sociaux du sud-ouest de Montréal ont organisé une marche dans les rues du quartier Saint-Henri afin de manifester leur opposition au projet de la ministre.

Avant la tenue de la Commission des affaires sociales sur la sécurité du revenu, dès le mois de janvier 1997, le gouvernement a annoncé des compressions de plus de 200 millions $ pour les budgets de l'aide sociale. Cette décision a été vivement critiquée par le Front populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) qui a «accusé le gouvernement Bouchard de chercher encore une fois à atteindre son objectif de déficit zéro sur le dos des plus démunis» (La Presse, 16 janvier 1997, B1).

Pour le gouvernement, la thèse de l'appauvrissement zéro qui a été mise de l'avant pour la première fois par les mouvements de femmes lors de la Marche des femmes «Du pain et des roses» au printemps 1995, ne devrait s'appliquer «qu'aux personnes ayant des contraintes sévères ou permanentes à l'emploi» (Le Devoir, 28 janvier 1997, A5), alors que lés regroupements d'assistés sociaux, notamment le Front commun des personnes assistées sociales du Québec, réclament un revenu social garanti. Lors des audiences de la Commission sur le projet de réforme, les assistés sociaux ont reçu l'appui, entre autres, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de même que celui du Conseil national du bien-être social, organismes qui craignent une marginalisation accrue des prestataires de l'aide sociale qui ne réussissent pas à se trouver un emploi. Un même son de cloche émane de l'Organisation populaire des droits sociaux de la région de Montréal et de la Coalition régionale 04 qui représente l'ensemble des groupes communautaires de la région de la «Mauricie-Bois-Francs». Pour sa part, la Coalition sur l'aide sociale, qui regroupe 45 organismes populaires, a accusé le gouvernement de procéder à la pièce en implantant certains aspects de sa réforme «morceau par morceau» (La Presse, 2 avril 1997, A10). S'élevant contre l'appauvrissement des «plus pauvres», la Coalition a promis une journée de mobilisation nationale. De fait, la Coalition a mis sur pied une démarche en trois temps, dont le dernier prévoit une journée nationale de protestation. Auparavant, la Coalition rendra visite aux ministres afin de leur rappeler la précarité des conditions de vie que subissent les assistés sociaux. De plus, une pétition autour des principes essentiels que devrait respecter la réforme est aussi prévue.

Cette pétition a rassemblé 46 000 noms et a été déposée à l'Assemblée nationale lors de la journée mondiale pour l'élimination de la pauvreté, le 17 octobre dernier. Cette journée a donné lieu à diverses manifestations de la part des syndicats, des groupes d'aide aux démunis ainsi que des groupes de défense des droits sociaux. Plus de 1000 personnes ont marché dans les rues du quartier Saint-Michel à Montréal afin de manifester leur solidarité aux exclus et aux démunis. Dans le même esprit, une marche au flambeau a été organisée à Thetford Mines. Enfin, au cours de cette même journée, une dizaine de manifestants de l'Association de défense des droits sociaux ont occupé le bureau de la ministre d'État à l'emploi et à la solidarité.

Si la problématique de la pauvreté interpelle au premier chef les bénéficiaires de l'aide sociale, ils ne sont pas les seuls concernés. Comme il a été souligné plus haut, les nouvelles formes de pauvreté affectent aussi celles et ceux qui ont des emplois lorsque ces emplois sont précaires ou mal rémunérés, ou lorsqu'il s'agit de travailleuses ou de travailleurs autonomes. C'est l'une des raisons qui a conduit la Coalition de la marche des femmes contre la pauvreté à demander au gouvernement d'investir dans l'économie sociale. Leur but était «de consolider et de développer les ressources communautaires et parapubliques pour, en bout de ligne, contrer la montée de la pauvreté et créer de véritables emplois durables pour les femmes1 ] ».

À la suite du Sommet sur l'économie et l'emploi, le gouvernement a accepté de financer le Chantier sur l'économie sociale. Pour l'instant, selon les groupes de femmes rattachés aux Comités régionaux d'économie sociale, il se dégage un bilan mitigé de l'opération. Dans certaines régions, à cause d'un sous -financement, une majorité de projets n'ont pu être soutenus. Il n'en reste pas moins que pour plusieurs, l'expérience mérite d'être poursuivie, même si c'est avec une vigilance accrue. À ce chapitre, les projets et la démarche en cours s'inscrivent dans le prolongement de l'action des Corporations de développement économique communautaire qui, à partir du milieu des années 1980 dans les quartiers urbains, se sont engagées sur le terrain de l'aide à la création d'emplois, notamment par une participation active à la formation de la main-d'oeuvre et diverses initiatives dans le but de soutenir l'entrepreneurship local. C'était là un changement majeur d'orientation de la part des mouvements urbains et du milieu communautaire, qui visaient avant tout à étendre la démocratisation du politique aux enjeux économiques.




Réforme de la santé et de l'éducation

Pour le gouvernement, la lutte au déficit doit être menée sur tous les fronts. C'est pourquoi elle s'est également poursuivie dans le domaine de la santé et de l'éducation. À ce sujet, les revendications et les manifestations de la part de groupes de citoyens et des syndicats ont été nombreuses. Sans fournir un relevé exhaustif de toutes les revendications et de tous les affrontements, quelques événements majeurs méritent d'être rappelés.

Dans le domaine de la santé, même si le ministre de la Santé et des Services sociaux «trace un portrait positif de la réforme entreprise il y a 18 mois par son ministère» (Le Devoir, 26 février 1997, A7), il n'appréhende pas moins les négociations à venir dans le secteur public. Sur une période de trois ans, le gouvernement vise l'abolition de 17 000 postes dans le réseau de la santé et des services sociaux. Ces coupures ne peuvent se réaliser sans revoir les modes d'organisation et de gestion des services concernés et sans conséquences pour les citoyens. Ainsi, l'insatisfaction à l'égard de la réforme provient aussi bien des professionnels de la santé - récemment, en novembre 1997, dans quelques hôpitaux de la métropole, plusieurs professionnels de la santé ont eu recours à des journées de débrayage afin de dénoncer les lacunes qui résultent des restructurations en cours - que des citoyens.

Par exemple, le régime universel d'assurance-médicaments mis en place afin de faciliter le virage ambulatoire dans les hôpitaux a connu des ratés importants: «des relevés faits par des journalistes auprès de pharmaciens de quartiers défavorisés indiquent que des gens abandonnent, faute de moyens pour les payer, leurs médicaments» (Le Devoir, 11, et 2 février 1997, A10). Ainsi, la Coalition sur l'assurance-médicaments s'est mobilisée à plusieurs reprises afin de dénoncer cette situation. C'était le cas notamment en décembre 1996 alors qu'une manifestation a été organisée par celle-ci devant le bureau du premier ministre à Montréal. S'en prenant aux modalités du nouveau régime, la Coalition insiste sur le fait que «des personnes âgées et des assistés sociaux se privent actuellement de médicaments essentiels faute d'argent pour les payer» (La Presse, 12 décembre 1996, A14). C'est aussi la liste des médicaments couverts par l'assurance qui pose problème. Ainsi, les 10 000 Québécois atteints de sclérose en plaques ne pouvaient pas se faire rembourser l'interféron bêta, le seul médicament considéré efficace pour le traitement de cette maladie. En novembre 1996, la Société canadienne de la sclérose en plaques a également organisé une manifestation devant le bureau du premier ministre à Montréal, pour réclamer que le médicament soit couvert par l'assurance.

Dans le domaine de l'éducation, l'intervention du gouvernement a été semée d'embûches, même si le projet de réforme déposé par le gouvernement en février 1997 comportait un certain nombre de mesures progressistes, en particulier en ce qui concerne la petite enfance. Cela s'explique aussi bien à cause du nombre d'intervenants, de la nature des enjeux, des valeurs en présence, que des intérêts en cause. En voulant réduire le nombre de commissions scolaires -les faisant passer de 156 à 70 -, en harmonisant en bonne partie leur territoire à celui des MRC et en transférant des ressources et des responsabilités aux écoles afin d'en accroître l'autonomie, la ministre de l'Éducation, Pauline Marois, s'est engagée dans une démarche qui peut être associée, par certains côtés, à une perspective de décentralisation. Toutefois, d'aucuns, à juste titre, lui ont reproché de laisser de côté les secteurs collégial et universitaire où des changements apparaissent tout aussi urgents (voir Le Devoir, 6 février 1997, A8). Il reste que les oppositions à certaines mesures ont fait ressortir la nécessité de mieux tenir compte des attentes et des résistances.

Anticipant l'annonce du démarrage du programme de maternelles à temps complet pour les enfants de cinq ans, dans plusieurs écoles des parents se sont mobilisés afin de réclamer de nouveaux locaux scolaires. Cela a été le cas, par exemple, à l'école Saint-Clément à Mont-Royal où il manque déjà des places et où on craint que l'ouverture des maternelles à temps plein ne vienne rendre la situation encore plus problématique.

Cependant, les oppositions les plus virulentes sont venues de la part de parents qui refusent le principe de la maternelle à plein temps, lui préférant l'option d'une maternelle à mi-temps, avec une possibilité de choix devant leur être garantie. À ces oppositions s'est ajouté le conflit avec les garderies et en particulier avec les garderies privées, dont les usagers ne seront plus subventionnés avec la nouvelle politique.

Les parents qui ne partagent pas le point de vue de la ministre au sujet de la maternelle à temps plein ont constitué un «Mouvement d'opposition». Leur objectif n'est pas que le projet soit abandonné mais plutôt que les garderies à mi-temps demeurent possibles. Cette opposition n'a pas réussi à inquiéter le gouvernement dans la mesure où «94% des enfants de cinq ans sont maintenant inscrits à la maternelle à temps plein» (La Presse, 25 août 1997, A4).

Les difficultés avec les garderies ont été plus sérieuses. De fait, c'est avant tout avec les garderies à but lucratif que le gouvernement a eu de la difficulté à s'entendre, même si dans un premier temps il y avait des désaccords avec les garderies à but non lucratif sur le financement des places de garde. Pour leur part, 40% des garderies privées ont refusé de signer l'entente proposée par le gouvernement. Ce qui s'est traduit par un manque de 4000 places de garde. Selon le porte-parole de l'Alliance pour les garderies privées du Québec, «plusieurs garderies ont refusé d'adhérer au programme parce que les règles du jeu ne sont pas claires» (Le Devoir, 29 août 1997, Al).

De leur côté, dès le mois d'octobre 1996, les étudiants se sont mobilisés d'une manière dynamique afin de contester les compressions budgétaires du gouvernement dans leur ensemble et exiger un gel des frais de scolarité à l'université ainsi qu'un gel d'une éventuelle hausse des frais afférents au cégep. Amorcé par le Mouvement pour le droit à l'éducation implanté dans trois cégeps, la lutte s'est étendue à plusieurs autres établissements. Divers moyens de pression ont été utilisés par les étudiants, y compris l'occupation des bureaux de la Direction générale de l'enseignement collégial et le recours à une grève générale. Au début du mois de novembre, près de 3000 étudiants provenant de 26 cégeps ont manifesté devant le Parlement de Québec. En outre, le mouvement s'est développé avec une vigueur que le milieu étudiant n'avait pas connue depuis plusieurs années: «le front commun universitaire a affiché une unanimité présentée comme une "première historique"» (Le Devoir, 18 novembre 1996, A3), lors d'une conférence de presse organisée par la Fédération étudiante universitaire du Québec.

Si la mobilisation étudiante semble avoir fait reculer le gouvernement - la ministre de l'Éducation a finalement annoncé qu'elle respecterait la promesse électorale du Parti québécois de ne pas hausser les droits de scolarité -, il reste que plusieurs questions demeurent en suspens. Pensons à la dette étudiante, au régime actuel de prêts et de bourses qui est plus «généreux» que celui des autres provinces et, plus globalement, au financement des études postsecondaires. En effet, les compressions budgétaires prévues pour l'année 1997 dans le réseau de l'éducation se situaient entre «600 et 700 millions» (Le Devoir, 19 novembre 1996, Al). Des choix difficiles s'annoncent à l'horizon.




Aménagement et environnement

Dans le domaine de l'aménagement et de l'environnement, la question des compressions budgétaires et l'enjeu de la notion de service public ont aussi été à l'ordre du jour. Le nouveau «pacte municipal» que le ministre des Affaires municipales a tenté de conclure avec les municipalités consiste en un transfert de responsabilités assorti d'une facture de 500 millions. En même temps qu'il relance le débat sur les relations entre le gouvernement et les municipalités, il pose des questions cruciales sur le financement des services publics et sur l'équité. Comment répartir le fardeau fiscal à l'intérieur des agglomérations urbaines? Est-ce que les municipalités doivent recourir plus fréquemment à une tarification des services? Est-ce que la taxe foncière est le meilleur moyen pour financer les services urbains?

En proposant un nouveau partage des coûts qui, dans une certaine mesure, avantage les villes-centres, le ministre a pu constater combien les alliances à l'intérieur du monde municipal étaient fragiles, qu'il s'agisse de l'UMQ versus l'UMRCQ ou encore des six villes-centres versus les municipalités de la banlieue. Ces dernières ont d'ailleurs refusé la proposition de PUMQ de partager au prorata de la richesse foncière municipale la facture du gouvernement. Par la suite, la Conférence des maires de banlieue de l'île de Montréal a même décidé de ne plus être représentée par l'UMQ dans ce dossier.

Alors que se poursuivent les pourparlers entre le gouvernement, les maires des municipalités et le milieu syndical, afin d'évaluer les compromis possibles face au transfert des responsabilités gouvernementales, la Ville de Montréal fait face à une véritable crise fiscale. Au moment d'écrire ces lignes, en dépit d'un «pacte fiscal» transitoire avec le gouvernement provincial, l'administration municipale ne sait toujours pas comment combler un trou de 125 millions. Une situation qui, de plus, risque de s'aggraver dans les années à venir.

C'est peut-être ce qui explique l'attitude du présent maire de Montréal qui tente d'attirer de nouveaux investissements de nature commerciale sur son territoire, sans tenir compte des impacts négatifs de ces investissements sur la mise en valeur du patrimoine ou sur la qualité du cadre bâti. Un bon exemple à ce sujet est le réaménagement de la gare Jean-Talon dans le quartier Parc-Extension. En dépit de l'opposition virulente de la part des citoyens au projet de la compagnie Loblaw d'implanter un hypermarché sur le site de la gare, il semble que l'administration municipale ait décidé de donner son aval au promoteur. Même si dans le plan d'urbanisme il était prévu que le site et la gare soient réaménagés à des fins communautaires, l'administration en a décidé autrement.

Afin de montrer leur bonne foi, les citoyens et les organismes communautaires du quartier avec l'aide de spécialistes, à l'hiver dernier, ont mis sur pied une Commission consultative et tenu une série d'audiences publiques dans le but d'évaluer les mérites du projet. Dans son rapport, la Commission explique que la présence d'un marché de grande surface entraînerait des impacts négatifs majeurs pour le site et pour l'immeuble. Au mois de novembre 1997, les citoyens ont à nouveau plaidé leur cause sans plus de succès devant la Commission de développement urbain, qui siège à l'Hôtel de Ville et dont le mandat est de «permettre aux citoyens de s'exprimer sur les projets de règlements liés à l'aménagement du territoire de leur ville».

Dans les plus petites municipalités, les administrations sont aussi tentées d'attirer des investissements afin de stimuler l'économie locale. Le cas de la municipalité de Franklin, située au sud-ouest de Montréal, est révélateur à cet égard. La municipalité avait accepté que la compagnie Aquaterra (Labrador) construise une usine de captage et d'embouteillage d'eau sur le territoire de la municipalité, tandis que les citoyens s'y opposaient. Aussi ont-ils demandé au tribunal d'appel de la Commission de protection du territoire agricole de réévaluer le projet en même temps qu'ils effectuaient une série de pressions sur le conseil municipal, lui demandant de réviser sa décision.

Compte tenu de la controverse suscitée par le projet, la compagnie d'exploitation a finalement décidé de se retirer. Ces derniers mois, la question de la gestion des eaux de surface et des eaux souterraines a soulevé de nombreux débats au Québec. Mentionnons, entre autres, les actions de la Coalition Eau Secours qui a organise plusieurs événements publics afin de sensibiliser la population aux enjeux de la privatisation des réseaux d'aqueducs municipaux et à l'exploitation des ressources naturelles. U n symposium organisé par le gouvernement au sujet de la gestion de l'eau aura lieu en décembre 1997 et devrait permettre de clarifier les positions du gouvernement à ce sujet.

Un autre exemple important de conflit environnemental est celui qui oppose les citoyens aux producteurs de porc. Il s'agit là d'un secteur agro-alimentaire en pleine croissance. En avril 1997, 12 000 agriculteurs ont manifesté devant l'Assemblée nationale afin de revendiquer le droit de produire. Cette pression a suffi à faire bouger le gouvernement qui a décidé d'assouplir les normes environnementales qui réglementaient l'épandage du lisier, le bruit et les poussières. D'une manière parallèle, les citoyens, comme dans le cas de l'Acadie, ont continué à faire pression sur leurs municipalités afin qu'elles adoptent des réglementations limitant l'implantation des mégaporcheries.

Sur le terrain environnemental, on retrouve des controverses qui remettent en question le rôle et la capacité de régulation de l'État. Même si ces enjeux sont bien différents de ceux qui relèvent du domaine de la santé, de l'aide sociale ou de l'éducation, ils n'en soulèvent pas moins des questions similaires sur le plan de notre capacité comme société et comme communauté à formuler des choix collectifs.




Note(s)

1.  Claire GAGNON et Isabelle RIVEST, «La déroute», La Gazette des Femmes, vol. 19, no 4, nov.-déc. 1997, p. 8.