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L'opinion publique québécoise ballottée entre des messages de solidarité et des promesses non tenues



Guy Lachapelle
Université Concordia


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : Les tendances de l'opinion publique



Au cours de l'année politique 1996-1997, l'opinion publique québécoise a navigué entre les méandres d'une reprise économique maintes fois annoncée, des réformes majeures au Québec en matière de santé et de services sociaux et un gouvernement fédéral au prise avec une crise d'identité post-référendaire. D'autres enjeux, tels que la politique linguistique du gouvernement du Québec, les négociations dans le secteur public, la déconfessionalisation des écoles, la loi antitabac, la fiscalité municipale, l'immigration, la privatisation et l'avenir de l'éducation post-secondaire ont aussi été à l'ordre du jour.

L'année politique a débuté sous le signe de l'économie. Le gouvernement du Québec a décidé de tenir à Montréal, pour la fin d'octobre 1997, un sommet économique sur l'emploi avec l'objectif précis de demander à tous les intervenants économiques et sociaux de mettre en branle divers chantiers devant aboutir à des objectifs précis de création d'emplois. Chacun des groupes de travail devait ainsi proposer des moyens concrets visant à diminuer le taux de chômage et à augmenter la croissance de l'économie québécoise. La solidarité sociale comme outil de développement économique et sociale est vite apparue comme l'élément central de la stratégie gouvernementale. Le sommet économique a également été un moment charnière pour plusieurs mouvements sociaux qui désiraient faire reconnaître l'importance de l'économie sociale, surtout dans le contexte économique de cette fin de siècle, comme un type d'activité économique non négligeable auquel participent de plus en plus de citoyens, en particulier ceux qui sont soumis à des situations d'emplois épisodiques. Le sommet économique a ainsi fait ressortir encore une fois la spécificité du modèle économique québécois où la social-démocratie se trouve constamment mise au pilori par les forces néo-libérales.

Si l'économique a occulté le débat public, le gouvernement du Québec cherchant par tous les moyens à équilibrer les finances publiques, le débat constitutionnel a continué de plus belle, le gouvernement fédéral adoptant carrément une stratégie de confrontation et d'affrontement avec le Québec. Il est devenu de plus en plus évident au fil des mois que le gouvernement fédéral avait clairement opté pour cette voie, que les analystes ont finalement qualifiée de «plan B», par opposition à celle de la conciliation et de la négociation. Le gouvernement canadien a donc d'ores et déjà pris pour acquis une victoire du OUI au prochain référendum québécois, son «plan B» étant tout au plus une position de négociation pour l'ap rès- référendum annoncé pour le début de l'an 2000. C'est pourquoi des questions comme la partition du territoire du Québec, la majorité nécessaire pour faire l'indépendance, la déclaration unilatérale d'indépendance et tous les aspects juridiques et légaux sont devenus le menu des Québécois fédéralistes.

En fait, tout le débat constitutionnel a continué, comme depuis 30 ans, d'être un débat entre Québécois oeuvrant sur la scène québécoise et canadienne. Le Canada anglais demeure complètement absent et silencieux sur la question québécoise. Le seul moment où la question du Québec alimente quelque peu l'opinion publique canadienne, c'est lors d'une élection fédérale. La campagne électorale de 1997 a ainsi été une autre occasion pour les Québécois d'entendre les politiciens du Canada venir faire leur apologie du fédéralisme canadien tout en dévoilant leur connaissance réelle de la situation québécoise. En déclenchant officiellement le début des hostilités, le 27 avril 1997, le premier ministre Chrétien cherchait à profiter des sondages qui lui étaient favorables pour se donner une majorité encore plus confortable. Toutefois, l'électorat canadien et québécois sera beaucoup plus critique de la performance du gouvernement libéral en le reportant au pouvoir par une faible majorité le 2 juin 1997. Les Québécois favoriseront encore une fois le Bloc québécois, ce parti obtenant 44 des 75 sièges (plus 26 libéraux et 5 conservateurs) et un peu plus de 38% des appuis populaires. Mais la chute de popularité du Bloc québécois, par rapport à l'élection de 1993, soit près de 12% et 10 sièges de moins, fera en sorte que le BQ laissera son siège d'opposition officielle aux membres du Reform Party.

Nous verrons donc dans ce chapitre comment l'opinion publique québécoise s'est façonnée au cours de l'année politique et comment les dimensions économique, sociale et constitutionnelle sont demeurées au centre de l'agenda public. Nous considérerons par la suite un certain nombre d'enjeux politiques qui furent également au centre des discussions publiques.



Les enjeux économiques et sociaux


Le sommet économique

Le sommet économique du 30 octobre 1997, regroupant des intervenants des milieux patronaux, syndicaux et sociaux, fut une occasion unique pour tous les acteurs sociaux de doter le Québec d'une stratégie de création d'emplois à la fois ambitieuse et mobilisatrice. Si ce sommet fut une démonstration des diverses solidarités et clivages au sein de la société québécoise, il a été également un outil de communication entre les classes les mieux nanties et les groupes les plus pauvres et un moyen unique de forger des solutions originales mettant à contribution tous les secteurs de l'économie.

Le sommet économique a surtout permis aux Québécois d'être relativement plus optimistes face à la morosité économique. Dans une enquête SOM réalisée au début de novembre 1996, 55% des Québécois estimaient que le sommet aurait une incidence positive sur le climat économique et 46% pensaient qu'il allait permettre la relance de l'économie. De plus, 57% des répondants affirmaient être d'accord avec l'objectif du gouvernement Bouchard de réduire et d'éliminer le déficit d'ici quatre ans. Toutefois, un plus grand nombre (45% contre 42%) estimait que le sommet nuirait aux efforts de réduction du déficit (M. Tremblay, La Presse, 6 novembre 1996, p. 131; SOM, 1" au 3 novembre 1996, N = 516). Une autre enquête, réalisée pour le Conseil du patronat du Québec au moment de l'après-sommet, indiquait que 74% des Québécois estimaient que les conditions économiques étaient mauvaises, une augmentation par rapport à 1995 (68%) et 1994 (67 %). Toutefois, les personnes interrogées semblaient plus optimistes, affirmant dans une proportion de 28%, qu'elles croyaient à une amélioration de l'économie au cours des six prochains mois (21% en 1995) (M. Vallières, La Presse, 6 décembre 1996, p. C9; CROP, 8 au 12 novembre 1995, N = 631).




La réforme de la santé

La réforme du système de santé québécois a aussi retenu l'attention du public. En septembre 1996, 71,5% des Québécois estimaient que le système de santé se détériorait depuis la mise en place des décisions gouvernementales visant à réorganiser les services de santé au Québec. En fait, 61% des personnes interrogées se disaient en désaccord avec les gestes posés par le gouvernement en matière de santé. L'une des questions intéressantes de ce sondage Léger et Léger fut de demander aux répondants s'ils estimaient qu'il y avait au Québec une médecine pour les riches et une pour les pauvres. À cette question, 48, 6% répondirent oui et 47,7% non. De plus, 71,7% des Québécois se disaient en faveur de la mise en place d'un ticket modérateur afin d'avoir un accès plus rapide aux soins de santé (M. Coudé-Lord, Journal de Montréal, 5 octobre 1996, p. 5; Léger et Léger, 20-29 septembre 1996, N = 1002).

Dans la foulée de sa réforme de la santé, le gouvernement du Québec décidait en septembre 1996 de réduire le remboursement pour frais d'hospitalisation à l'étranger de 509$ à 100$ par jour. Cette décision affectait surtout les personnes retraitées qui passent les mois d'hiver en Floride. Dans l'ensemble, la population appuyait à 54% contre 36% cette décision du gouvernement, l'appui chez les francophones étant de 58% mais de seulement 37% chez les anglophones. En fait, à la lumière de cette enquête, il faut se demander si l'opposition de la communauté anglophone aux politiques du gouvernement Bouchard n'est pas davantage liée à leur option fédéraliste qu'à une analyse plus fine des décisions gouvernementales (SOM, 1-6 novembre 1996, N = 1010).


La réforme de l'aide sociale

La ministre Louise Harel déposait à l'Assemblée nationale le 10 décembre 1996 le contenu de sa réforme à l'endroit des prestataires de l'aide sociale. Dans l'ensemble, les Québécois se disaient favorables, du moins à ce moment-là, aux mesures mises de l'avant. Ils estimaient de manière on ne peut plus forte, soit à plus de 90 %, que les assistés sociaux aptes à travailler devraient fournir des preuves qu'ils cherchent activement un emploi. De plus, 74% des répondants estimaient que les conditions d'accessibilité devaient être plus sévères pour les moins de 30 ans (P. Bellemare, La Presse, 13 décembre 1996, p. A19; SOM, 6 au 9 décembre 1996, N = 1004).

Par ailleurs, dans une enquête réalisée pour le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et dont les résultats furent dévoilés le 28 janvier 1997, au moment où la commission parlementaire entamait ses audiences sur le projet de réforme de l'aide sociale, on apprenait que les deux tiers des Québécois ne connaissaient pas la réforme proposée. On notait également qu'ils appuyaient l'idée d'un parcours personnalisé vers l'emploi et qu'ils étaient favorables à des démarches obligatoires pour les prestataires de 18 à 24 ans. Ils se montraient cependant plus timorés quant à l'obligation graduelle du retour au travail pour les chefs de familles monoparentales (M. Cloutier, Le Devoir, 29 janvier 1997, p. A5; Écho Sondage, 10 au 18 janvier 1997, N = 2000).




Satisfaction mitigée à l'endroit du gouvernement Bouchard, mais popularité du chef

Tous les efforts du gouvernement Bouchard s'inscrivent depuis le référendum de 1995 dans une stratégie qui vise à rejoindre le plus grand nombre d'électeurs avant le prochain référendum. Les données du référendum de 1995 ont clairement indiqué que trois facteurs, par ordre d'importance, avaient incité les «tièdes» à voter NON: la situation financière du Québec (facteur économique), le projet de société que les souveranistes proposaient aux Québécois (aspects sociaux) et la reconnaissance internationale d'un Québec souverain (la politique extérieure). D'ailleurs, le premier ministre du Québec reconnaissait que les coupures budgétaires avaient un impact sur sa popularité.

En effet, la popularité du gouvernement Bouchard chuta entre Juin et septembre 1996 de près de sept points, passant de 53,6% à 46,7%. Les intentions de vote pour le Parti libéral du Québec ont pour leur part augmenté, durant la même période, de 29,9% à 40,4% alors que l'appui à l'Action démocratique augmentait de 5,8% à 8,9% (Léger et Léger, 5 octobre 1996). Les principaux facteurs de cette baisse furent de manière générale la morosité des Québécois face à la détérioration de l'économie, les compressions effectuées dans le secteur public, les relations plus tendues avec le monde municipal et l'attentisme du gouvernement au sujet de dossiers comme ceux de l'équité salariale et de la langue.

C'est le même son de cloche dans un sondage SOM publié en novembre 1996. Entre mai et novembre, la satisfaction à l'endroit du gouvernement Bouchard subissait également une baisse appréciable chutant de 55% à 41%, une perte de 14 points. Toutefois, la majorité de la population continuait d'avoir davantage confiance en Lucien Bouchard, 41 % lui donnant son appui contre seulement 17% au chef de l'opposition, Daniel Johnson. Il faut cependant souligner que 31% des citoyens demeuraient discrets. Chez les francophones, l'appui à Lucien Bouchard atteignait 48% à la fin de 1996, pour seulement 12% au chef libéral (D. Lessard, La Presse, 7 décembre 1996, p. B5; SOM, 29 novembre au 4 décembre 1996, N = 1000).

Malgré tout, le premier ministre du Québec affirma à plusieurs reprises qu'il demeurait confiant quant à l'avenir de son gouvernement. À son avis, lorsque la situation financière sera meilleure «le Québec n'aura pas besoin du fédéral pour contribuer à ses ressources fiscales: le Québec ne sera pas à genoux devant le fédéral quand il négociera le partenariat parce que le déficit va être à zéro» (Normand, 20 décembre 1996). D'ailleurs un sondage CROP publié à la fin décembre indiquait que 52% de la population appuyait l'objectif de déficit zéro du gouvernement alors que 40% s'y opposait, seulement 18% des répondants se disant tout à fait en désaccord avec la démarche gouvernementale (A. Dubuc, La Presse, 27 décembre 1996, 132). Il faut souligner que malgré le fait que le gouvernement Bouchard a surtout cherché à être un bon gouvernement et qu'il mit volontairement son option en sourdine, tout au long de l'année 1996-1997, la souveraineté-partenariat demeura l'option politique la plus populaire des Québécois. En juin 1997, cette option recueillait 49% des appuis (Léger et Léger, Juin 1997), 1, indépendance se situant toujours autour de 35% et ce, malgré la stratégie post-référendaire du gouvernement fédéral (Conseil pour l'unité canadienne, CROP).




Le syndrome post-référendaire ou l'incapacité du gouvernement fédéral de proposer des réformes satisfaisantes aux yeux des Québécois

La première observation que l'on peut faire sur les suites du référendum de 1995, c'est que le gouvernement fédéral a été complètement désarçonné par le résultat. Au lieu d'une victoire à 6040, ce fut plutôt une décision des juges et ce par seulement quelques milliers de voix de différence. Comme en 1980, le gouvernement fédéral, par la voix du premier ministre jean Chrétien, faisait des promesses aux Québécois s'ils votaient NON. En 1995, il y en eut trois: l'enchâssement constitutionnel du caractère distinct de la société québécoise, la reconnaissance d'un droit de veto constitutionnel pour le Québec et une plus grande décentralisation des pouvoirs assortie de certaines modalités visant à encadrer le pouvoir fédéral de dépenser.

Au cours de l'année politique 1996-1997, le premier ministre Chrétien a renié ses promesses en affirmant qu'il ne s'agissait somme toute que de «petites Promesses». L'idée d'enchâsser dans la constitution canadienne le concept de «société distincte» pour définir l'identité propre du Québec continua de faire couler beaucoup d'encre au Canada anglais. Pendant ce temps, les Québécois demeuraient insensibles aux visées et à la portée réelles de cette reconnaissance. De plus, la stratégie légaliste du gouvernement fédérale n'a pas suscité de manière générale de très forts applaudissements de la part de la population. La majorité des Québécois ont démontré qu'ils se posaient de nombreuses questions quant à la légitimité d'une telle démarche dont l'objectif avoué est de nier au peuple Québécois le droit de pouvoir décider lui-même de son avenir.

Parmi les autres éléments de cette stratégie, il faut mentionner la demande à la Cour suprême du ministre fédéral de la justice, Allan Rock, d'un avis sur la légalité d'une démarche unilatérale de sécession du Québec. Fait intéressant, même les alliés traditionnels des fédéralistes, comme le chef conservateur Jean Charest ou le leader du Parti libéral du Québec, Daniel Johnson, dénoncèrent ce choix affirmant qu'il s'agissait d'une perte de temps et d'un autre exemple de l'improvisation du gouvernement fédéral (H. Young, La Presse, 28 décembre 1996, p. A 16).

L'opinion publique québécoise était d'ailleurs d'avis que le gouvernement fédéral avait été incapable de proposer un projet rassembleur; 68% des Québécois se disaient en décembre 1996, un an après le référendum, largement insatisfaits de l'action fédérale et ce, quels que soient leurs options constitutionnelles: 75% des souveranistes, 65% des fédéralistes et 56% des non-francophones étaient insatisfaits. Aucune proposition concrète de renouvellement du fédéralisme n'ayant été présentée aux Québécois et aux Canadiens, nous y reviendrons, la popularité du gouvernement fédéral s'est elle aussi effritée.

Par ailleurs, la question de la reconnaissance du «statut particulier» du Québec dans la fédération canadienne a continué d'alimenter les débats. Après avoir flirté avec la notion selon laquelle le Québec était le «foyer principal» de la culture française au Canada, le Parti libéral du Canada donnait son aval, en octobre 1996, au principe d'inscrire dans la constitution canadienne une clause reconnaissant le Québec comme «société distincte». Le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales Stéphane Dion devra toutefois s'avouer vaincu, suite à son incapacité de vendre cette idée aux Canadiens de l'Ouest. Cet échec amènera d'ailleurs les milieux d'affaires torontois, dès le début de 1997, à chercher un autre concept. C'est ainsi que, peu à peu, ils réussiront à convaincre Ottawa de larguer la «société distincte» au profit de la reconnaissance du «caractère unique» de la société québécoise. Ces efforts mèneront le gouvernement fédéral à endosser la déclaration de Calgary des premiers ministres provinciaux de septembre 1997 en faveur à la fois d'une reconnaissance constitutionnelle du Québec en échange de l'acceptation du principe de l'égalité de toutes les provinces.




Les élections fédérales. cinq explications des résultats au Québec

L'année 1996-1997 nous a également fourni un autre moment intéressant du combat électoral que se livrent souverainistes et fédéralistes pour obtenir l'appui des électeurs québécois. En déclenchant la campagne électorale, le 27 avril 1997, le premier ministre du Canada estimait encore une fois que la victoire serait facile. Toutefois, l'opinion publique québécoise et canadienne lui servira à nouveau une leçon. Au Québec, bien que le Bloc québécois ait perdu plus de 10% en terme d'appui populaire, il est demeuré de loin le seul parti pouvant rallier la population francophone. Toutefois, cette baisse de popularité s'explique à la fois par des facteurs liés à la conjoncture particulière de l'élection de 1997 et par des facteurs d'ordre politique. Cinq explications ont prévalu pour expliquer le comportement de l'électorat québécois et les soubresauts de l'opinion publique au cours de la campagne. Le tableau 1 présente d'ailleurs l'évolution des tendances durant les trois périodes de l'année de référence, la longue campagne, la précampagne et la courte campagne, menant à l'élection du 2 juin 1997.


Explication 1: l'impact des leaders politiques

La première explication qui semble rallier bon nombre de politologues, les sondages confirmant cette hypothèse, est que plusieurs électeurs bloquistes de 1993 ont préféré appuyer en 1997 le parti de Jean Charest, frappés qu'ils étaient par sa performance lors des débats télévisés. Une autre explication qui va dans le même sens veut que l'élection de Gilles Duceppe à la tête du Bloc québécois n'a pas fait l'unanimité chez les bloquistes, plusieurs d'entre eux préférant toujours Yves Duhaime. il ne faut pas non plus oublier que la situation politique demeurait très différente de 1993 même si la très grande partie des électeurs estimaient que le Bloc québécois était le plus apte à défendre les intérêts du Québec. En effet, le Parti conservateur a réussi à augmenter ses appuis au Québec de 13,5% à 22% et à faire élire 5 députés.

Par ailleurs, d'autres ont émis l'hypothèse que c'est la position constitutionnelle du Parti conservateur qui a favorisé ce dernier, ce qui lui aurait permis d'aller chercher des appuis chez les souverainistes «mous». Ainsi, durant la campagne électorale, les conservateurs se sont prononcés contre le renvoi à la Cour suprême et en faveur de la reconnaissance d'un OUI à majorité simple si la question était claire. Le Parti conservateur proposait également dans sa plate-forme électorale la conclusion d'un Pacte canadien portant sur le commerce interprovincial, la santé, l'éducation et la formation de la main-d'oeuvre. Plusieurs observateurs ont noté les nombreuses similitudes du programme conservateur avec l'idée de partenariat proposé par ce parti lors de la campagne référendaire de 1995. Les résultats de l'élection démontrent d'ailleurs qu'environ 25% des électeurs Québécois francophones ont appuyé le Parti conservateur (P. Drouilly, La Presse, 7 juin 1997, p. B6). De plus, la dernière enquête Léger et Léger de la campagne électorale indiquait que 45,9% des personnes interrogées affirmaient avoir l'intention de voter OUI à un référendum si la question était la même qu'en 1995 alors que seulement 36% d'entre elles s'apprêtaient à voter pour le BQ (Léger et Léger, 26 au 28 mai 1997). En d'autres termes, près de 40% des électeurs conservateurs seraient des souverainistes qui sont sensibles à toute proposition visant à réformer le fédéralisme canadien. Jean Charest a donc réussi à incarner cette vision des choses.


Explication 2: l'impopularité de Jean Chrétien au Québec

L'autre facteur non négligeable tiendrait à la chute de popularité du premier ministre Chrétien tant au Québec qu'au Canada, alors qu'en mai 1995, à quelques mois du référendum québécois sur la souveraineté - partenariat, jean Chrétien avait établi un record Gallup pour un premier ministre, avec 68 % d'appuis. Pour l'ensemble du Canada, seulement 49% de la population approuvait sa manière de gouverner en janvier 1997 et à peine 44% en février et mars 1997, sa plus faible cote depuis l'élection fédérale de 1993. Au Québec, la popularité du premier ministre Chrétien est demeurée très faible; en octobre 1996, un an après le référendum, 46% des Québécois n'approuvaient pas la manière dont il s'acquittait de sa tâche et seulement 35% l'approuvaient (Gallup, 31 septembre au 5 octobre 1996, N = 268). En janvier 1997, l'insatisfaction à son endroit augmentait à 47% puis à 51% en février 1997 pour retomber à 48% en mars (Gallup, 16 au 21 Janvier 1997, N = 268- 13 au 18 février 1997, N = nd; 10 au 16 mars 1997, N = nd).


Explication 3: les stratégies libérales et réformistes

Par ailleurs, on ne peut passer sous silence la déclaration du premier ministre jean Chrétien durant la campagne électorale, qui affirmait qu'il refuserait de reconnaître le OUI et qu'il ne se sentirait pas lié par une majorité simple en faveur du OUI lors du prochain référendum au Québec. Par ces déclarations, le premier ministre Chrétien avait fouetté l'ardeur des souverainistes. De plus, la stratégie anti-québécoise du Parti réformiste, confondant tous les politiciens issus du Québec, qu'ils oeuvrent sur la scène fédérale ou québécoise, aurait permis au Bloc québécois de raffermir son vote en fin de course et de reprendre quelques sièges qui s'apprêtaient à tomber aux mains des conservateurs. De l'avis des organisateurs du Parti conservateur, ces deux sorties publiques n'auraient eu qu'un seul but: polariser le vote au Québec afin que les appuis au PC s'effritent et permettre ainsi au Parti libéral de demeurer majoritaire à la Chambre des communes. Si cette hypothèse s'avérait exacte, le recul du Bloc québécois aurait peut-être été plus important.


Explication 4: 20% des souverainistes veulent que le Québec demeure une province du Canada

L'un des débats entre sondeurs fédéralistes et souverainistes est de savoir si en bout de piste les Québécois ne seraient pas des Canadiens qui s'ignorent et les Canadiens peut-être des Québécois dans l'âme. La première thèse est souvent évoquée par les chantres du fédéralisme qui n'hésitent pas à souligner les beautés et les mérites de ce «beau pays» qu'est le Canada comme si le Québec n'était pas lui aussi un «beau pays». Le professeur Maurice Pinard de l'université McGill affirmait d'ailleurs que la seule manière de mesurer l'attachement des Québécois au Canada est de leur poser directement la question: «Voulez-vous que le Québec demeure une province du Canada?» À cette question, les données du professeur Pinard indiqueraient que, lors du référendum de 1980, 70% des électeurs avaient répondu par l'affirmative alors qu'au référendum de 1995 ce chiffre avait baissé à 63%. L'objet de la démonstration est de souligner qu'un cinquième des électeurs souverainistes, essentiellement des Québécois francophones, désirent que le Québec demeure une province du Canada. Toutefois, les résultats de cette question ne nous permettent pas de savoir si ces électeurs voudraient que le Québec soit une province «égale» aux autres provinces. En fait, ce qu'il faudrait savoir, c'est pourquoi ces électeurs sont souverainistes (M. Pinard, La Presse, 28 juin 1997, p. B3). Selon le sociologue Pierre Drouilly, ce que les Québécois veulent essentiellement, c'est «une nouvelle "union canadienne" dans laquelle le Québec obtiendrait un statut d'État associé avec plus de pouvoirs et une reconnaissance de sa spécificité au sein du Canada» (P. Drouilly, La Presse, 7 juin, 1997, p. B6).


Explication 5: le taux de participation

Une autre hypothèse serait le faible taux de participation des souverainistes aux élections fédérales. Avec l'arrivée à Ottawa du Bloc québécois en 1993, le taux de participation des Québécois aux élections fédérales était passé à 77%, le plus fort taux de toutes les provinces. En 1997, le Québec enregistrait à nouveau le taux de participation le plus élevé, mais cette fois avec 70%. L'hypothèse la plus plausible est que ces 7% d'électeurs en moins sont en fait des souverainistes qui estimèrent, peut-être de manière stratégique, que voter BQ en 1997 constituait un geste moins utile qu'en 1993, certains pensant peut-être qu'il serait plus opportun de laisser le siège d'opposition officielle au parti de Preston Manning ou tout simplement que le Bloc n'avait plus sa place à Ottawa.




Les autres grands débats de l'année politique 1996-1997


Le français au Québec

Les Québécois demeurèrent fort inquiets en 1996 quant à la place du français au Québec et en particulier à Montréal. Dans une enquête publiée au début de septembre 1996, on apprenait que 84,5% des Québécois se déclaraient très favorables ou favorables à ce que les commerces continuent d'afficher dans les deux langues dans la mesure où le français avait une nette prédominance. En d'autres termes, la très grande majorité des Québécois étaient favorables au maintien de la loi 86 et à la réglementation concernant l'affichage commercial. Par ailleurs, 79,7% des répondants se disaient favorables à toute action visant à renforcer les lois protégeant le français s'il s'avérait que l'anglais occupe une plus grande place dans l'affichage. De plus, 85% souhaitaient la création d'une coalition d'organismes francophones afin de demander aux grandes chaînes de magasins du Canada anglais d'afficher également en français là où le nombre de francophones le justifie. De plus, 55,3% estimaient que la prolifération de raisons sociales en anglais ne menaçait pas le visage français du Québec (P. O'Neill, 3 septembre 1996) (Enquête SONDAGEM, 23 août au 1" septembre 1996, N = 1003).


Les négociations dans le secteur public

Le début de l'année 1997 coïncide avec la négociation entre le gouvernement et les employés du secteur public. Dans la foulée du sommet économique, le premier ministre du Québec Lucien Bouchard a exhorté les syndiqués à faire preuve de solidarité avec la population affectée elle aussi par diverses coupures budgétaires. Au moment où le gouvernement du Québec proposait une série de mesures afin de faciliter des retraites anticipées pour des employés de la santé et de l'éducation, il demandait aux syndiqués non pas de mettre une croix sur leur sécurité d'emploi, mais certains assouplissements aux conventions collectives. Le monde de l'éducation est demeuré quant à lui le plus réticent à ces demandes.

La population demeurait cependant partagée entre la position du gouvernement et celle des syndiqués. En effet, 37% des répondants d'une enquête SOM réalisée au début de mars 1997 indiquaient qu'ils appuyaient la position syndicale contre 35% en faveur de celle du gouvernement. De plus, 57% s'opposaient à l'abolition de la sécurité d'emploi dans le secteur public. Cependant, 63% des citoyens estimaient que les employés du secteur public constituaient une classe de travailleurs relativement privilégiés par rapport à l'ensemble des travailleurs québécois et ils estimaient dans une proportion de 48% que le gouvernement du Québec devrait adopter une loi spéciale afin d'atteindre ses objectifs budgétaires dans le cas d'un échec des négociations (P. Roy, La Presse, 14 mars 1997, p. B1; SOM, 12-13 mars 1997, N = 625).


La déconfessionalisation des écoles

L'un des grands enjeux de l'année politique 1996-1997 fut celui de la déconfessionalisation des écoles au Québec. Dès le mois de septembre 1996, 58,9% des Québécois souhaitaient la mise sur pied d'un réseau de commissions scolaires linguistiques et 71,8% des répondants estimaient que chaque école devrait offrir une éducation morale et civique permettant une initiation aux traditions religieuses; seulement 16,6% estimaient qu'il faudrait offrir un enseignement religieux uniquement aux catholiques et aux protestants. Autres données intéressantes, 71,9% des personnes interrogées croyaient que l'école publique n'avait pas à véhiculer les croyances d'une religion; 68,9% estimaient que les parents préfèrent voir leurs enfants fréquenter des écoles ouvertes aux enfants de toutes origines et religions; 55,2% considéraient que le statut religieux ne devrait pas être un critère de sélection de l'école (P. O'Neill, Le Devoir, 5 septembre 1996, p. Al et A8; Enquête SONDAGEM, 23 août au 11, septembre 1996, N = 1003).

Toutefois, une enquête réalisée un mois plus tard par la maison SOM donnait des résultats contradictoires. À la question: «Doit-on sortir complètement la religion des écoles québécoises?» 74% des personnes interrogées répondaient non et 19% oui (M. Ouimet, La Presse, 11 octobre 1996, Al et A2; SOM, 4-8 octobre 1996, N = 1000).


La loi antitabac

L'une des décisions du gouvernement fédéral qui a particulièrement été à l'agenda public durant l'année 1996-1997 concerne la réglementation de la publicité des compagnies de cigarettes, notamment lors d'événements culturels. Alors que le Québécois Jacques Villeneuve filait vers son premier titre mondial, le ministre fédéral de la Santé, M. Dingwall, proposait à l'automne 1997 d'interdire toute commandite d'événements sportifs ou culturels aux compagnies de tabac. Deux enquêtes réalisées à ce moment indiquaient que 68% (SOM) et 63% (Insight Canada Research) des Québécois étaient plutôt en faveur du parrainage des événements culturels et sportifs par les compagnies de tabac. L'enquête SOM montrait d'ailleurs que la loi antitabac était un coup d'épée dans l'eau pour le gouvernement fédéral puisque 81% des Québécois ne croyaient pas que le projet de loi empêcherait les jeunes de fumer. Ils sont toutefois d'accord, dans une proportion de 49% contre 39 %, pour une hausse des taxes sur le tabac, même s'ils estiment à 84% que cela n'aura aucun effet dissuasif (É. Clément, La Presse, 7 décembre 1996, p. A6; SOM, automne 1996, 29 novembre au 4 décembre 1996, N = nd; Insight Canada Research, 16 septembre 1996, N = nd).


La fiscalité municipale

Autre dossier chaud de l'année 1996-1997, l'enjeu de la fusion de plusieurs municipalités. En fait, l'objectif du ministre des Affaires municipales du Québec, Rémy Trudel, était de demander à quelque 416 municipalités, villages ou petites agglomérations de moins de 10 000 habitants de se fusionner. Dans une enquête rendue publique par le ministre au début de septembre 1996, une majorité de Québécois se disaient favorables à la politique gouvernementale, 60% estimant que la consolidation de municipalités permettrait de diminuer ou de partager le coût de certains services et 27% qu'une telle mesure améliorerait la qualité des services. Toutefois, un nombre important de contribuables (41 %) s'inquiétaient de devoir partager le coût de la dette de certaines municipalités (J. Pichette, Le Devoir, 5 septembre 1996, p. B1; Léger et Léger, 15-19 août 1996, N = 1005).

La question du transfert d'une facture de 500 millions aux municipalités du Québec a aussi occupé, notamment à l'automne de 1997, une place de choix dans les débats, soit à quelques mois de janvier 1998, date à laquelle elles auraient à hériter de la facture. À Montréal, la population était relativement résignée, 68% estimant en août 1997 que la somme de 47 millions qui allait leur échoir était inévitable (K. Lévesque, Le Devoir, 4 septembre 1997, p. Al et A8; SOM, 22 au 26 août 1997, N = 500).


L'immigration

Une enquête réalisée en octobre 1996 pour le ministère des Relations avec les citoyens indiquait que les Québécois s'avèrent très ouverts à la diversité culturelle et se déclarent satisfaits du nombre d'immigrants qui arrivent au Québec: 67'/o sont ouverts à la diversité culturelle, 56% croient que les immigrants favorisent le développement économique et 72% les voient comme une richesse culturelle. Cette enquête classait d'ailleurs les Québécois en cinq catégories: 63% adoptent une attitude positive et dynamique à l'endroit des nouveaux venus, 13% sont négatifs ou ambivalents, 9% positifs mais passifs, 6% hostiles et 9% indécis. Selon le ministre André Boisclair, ces données démontrent que «l'immense majorité des Québécois rejettent les comportements négatifs à l'endroit des gens de cultures et de couleurs différentes. Les Québécois sont très tolérants et ne montrent pas de signes de xénophobie envers les minorités» (N. Delisle, Le Devoir, 29 octobre 1996, p. A4; Sondage JTD Inc., mars et avril 1996, N = 2203).

À la mi-avril 1997, au moment de l'étude de la loi 40 en commission parlementaire, 69% des Québécois, selon un sondage, se déclaraient en faveur d'un retour de la Commission de protection de la langue française. Mais si 78% des francophones étaient favorables à une telle commission, 66% des anglophones l'estimaient inutile. Par ailleurs, 63% des Québécois demeuraient plutôt indifférents concernant la prolifération de raisons commerciales à connotation anglophone au Québec. De fait, seulement 30% des répondants affirmaient que les noms français les incitaient à fréquenter davantage ces établissements (M. Cloutier, Le Devoir, 15 avril 1997, p. A5; Léger et Léger, avril 1997, N = nd).


La privatisation

Dans une enquête réalisée pour le compte des syndiqués de bureau et de magasin de la Société des alcools du Québec, les Québécois sont nettement partagés quant à l'opportunité de privatiser les succursales de la SAQ. En effet, 46% se disent d'accord avec la privatisation et 46% en désaccord. Toutefois, 62% des personnes interrogées estiment qu'un débat public est nécessaire. Fait intéressant, 57% des répondants estimaient que la SAQ, qui existe depuis 75 ans, constitue un élément du patrimoine québécois (R. Parent, Le Devoir, 30 octobre 1996, p. B2; 7-10 octobre 1996, N = 1200).


L'éducation post-secondaire

Une étude réalisée en 1994 démontre que les étudiants universitaires québécois s'inquiètent des perspectives d'emploi une fois leurs études terminées. Dans l'ensemble, 60% pensent qu'il leur sera difficile de dénicher un emploi dans leur domaine de formation; le pessimisme est encore plus grand chez les étudiants en sciences humaines (73%) et chez ceux en sciences de l'éducation (68%) (P. Cauchon, Le Devoir, 9 septembre 1996, p. Al et A8; Groupe CODAVIE/ SOM, automne 1994, N = 2400).

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Ce survol rapide des tendances de l'opinion publique québécoise démontre que l'action des gouvernements demeure tributaire de cette opinion s'ils veulent être élus et gouverner. La communication entre les citoyens et les gouvernements n'est pas toujours aisée même dans les sociétés les plus démocratiques. Pendant que le gouvernement Bouchard continue à imposer ses réformes afin d'atteindre son déficit zéro mais surtout d'avoir les coudées franches lors du prochain référendum, la population québécoise s'interroge sur les raisons profondes de tous les bouleversements en matière de santé, d'aide sociale et même en matière linguistique.

À Ottawa, le message référendaire fut rapidement oublié. Même si les citoyens du Québec ont lancé un avertissement très clair au gouvernement d'Ottawa que le fédéralisme canadien devait être réformé, les forces du statu quo demeurent maîtresses de la situation. L'insatisfaction des Québécois a trouvé également un écho dans l'Ouest canadien durant la campagne électorale fédérale si bien que le gouvernement Chrétien a frôlé de quelques sièges le statut de gouvernement minoritaire. On ne parle plus d'ores et déjà d'un gouvernement pan-canadien mais d'un gouvernement formé de blocs régionaux.

Les gouvernements ont de plus en plus de difficultés à écouter le message des citoyens. Telle est la principale conclusion qu'il faut tirer de cette année politique 1996-1997, une année où le citoyen-électeur a été malmené par l'agenda politique des politiciens en place. Si l'opinion publique est souveraine, il semble que les gouvernements font encore la sourde oreille à cette volonté populaire de changement. Les Québécois restent de ce point de vue fort critiques envers la classe politique, car ils ne sont ni dupes des promesses politiques non tenues ni des messages de solidarité qui ne se traduisent pas par des actions concrètes. En 1996-1997, les Québécois ont peut-être pris des décisions pendant que bien des politiciens regardaient ailleurs.