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L'éclatement du château fort municipal



Louise Quesnel
Université Laval


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : La vie municipale et régionale



Depuis plusieurs années, les municipalités sont interpellées par les autorités provinciales au sujet de leurs responsabilités et de leurs territoires. S'il était souhaitable qu'un jour les rôles en arrivent à être clairement définis entre les instances fédérales, provinciales et municipales, cet Éden n'est pas à portée de vue en 1996-1997. Les pourparlers évoluent plutôt vers une impasse, empruntant des sentiers tortueux où les «nids de poule» typiques de la voirie municipale risquent à tous moments d'interrompre le parcours. En effet, dire que la vie locale et régionale a été mouvementée en cette année relève de l'euphémisme tant les secousses ont été variées et fortes. Commencée en 1996, la «crise» des 500 millions $ s'est prolongée au-delà du calendrier de cette année, pour dominer les relations provinciales/municipales et arriver même à miner de l'intérieur le château fort municipal. Cette question occupe la première partie de ce chapitre, rappelant ainsi aux lecteurs, comme elle l'a durement fait pour le monde municipal, que les municipalités sont les «créatures» du gouvernement provincial. Dans la même lignée, l'état du dossier des regroupements municipaux, amorcé en 1996, sera examiné, retenant par là brièvement notre attention sur le monde rural avant de nous arrêter sur la métropole montréalaise et ses importants problèmes d'intégration régionale. Nous terminerons en jetant un coup d'oeil sur la politique locale et les élections municipales de l'automne 1996.



Le côté imprévu de la décentralisation

S'agit-il de décentralisation ou de partenariat forcé dans le projet gouvernemental visant à atteindre l'équilibre budgétaire le plus rapidement possible et plus précisément avant les prochaines élections provinciales (prévues pour 1998)? L'air du temps n'est pas aux états d'âme pour les municipalités lorsqu'elles apprennent, avec le dépôt du budget du gouvernement du Québec, en mars 1997, que des coûts s'élevant à 635 millions $ leur seront transférés. À elles seules, les municipalités de toute dimension ont des dépenses de 9 milliards $ annuellement, sans compter les montants qu'elles reçoivent régulièrement de la part du trésor provincial qui utilise ainsi les ressources de l'ensemble des contribuables du Québec pour défrayer les coûts de certaines installations ou de certains services locaux.

Mais voilà que, compression aidant, les autorités provinciales décident de mettre fin à leur générosité et d'obliger les milieux locaux à assumer eux-mêmes des coûts jusqu'alors pris en charge par la province. Les épithètes pullulent dans la bouche des édiles municipaux: pelletage, opération délestage, bric-à-brac, cette «réforme Landry» (du nom de Bernard Landry, ministre des Finances et maître d'oeuvre du processus budgétaire provincial) est décrite comme un bouleversement majeur de la fiscalité municipale auquel les forces politiques locales s'opposent avec véhémence. Mais l'affrontement qui suivra verra intervenir plusieurs acteurs aux motivations diverses sinon opposées.

Lorsqu'il annonce le transfert des coûts jusqu'ici pris en charge par la province, des services locaux totalisant 635 millions $, le gouvernement précise que ces sommes pourront être récupérées à même les masses salariales et non sur la base d'une augmentation des charges fiscales pour les contribuables. L'annonce est encadrée par un énoncé des arguments qui ont guidé le gouvernement dans l'élaboration de cette politique de décentralisation: (1) le niveau de la rémunération des employés municipaux est de 27% plus élevé que celui des employés de l'État provincial; (2) les 91 régimes de retraite d'employés municipaux enregistrent des surplus actuariels de 222 millions $; (3) l'ensemble des municipal 1 tés disposent de surplus budgétaires de 684 millions $ (communiqué de presse du cabinet du ministre des Affaires municipales, 20 juin 1997). Du même coup, le ministre annonce également l'intention gouvernementale d'abolir les compensations tenant lieu de taxes pour les écoles primaires et secondaires, les centres d'hébergement de longue durée et les centres locaux de services communautaires (CLSC). Il appert donc clairement que la politique gouvernementale vise à faire des économies en réduisant les dépenses provinciales par le transfert de dépenses de l'ordre de 500 millions $.

Puisque l'argument attaque de front les forces syndicales, celles-ci ne tardent pas à faire connaître leur opinion, entraînant aussitôt une mise au point de la part du gouvernement qui annonce qu'il aidera les municipalités et les syndicats à conclure les ententes nécessaires.

Un mois plus tard, les enjeux se précisent lorsque le ministre des Affaires municipales annonce au congrès annuel de l'Union des municipalités du Québec (UMQ) que le transfert de coûts se fera dans le respect de l'équité entre villes-centres et banlieues, que les coûts transférés seront ceux du transport écolier, et que les municipalités devront faire connaître avant le début de septembre 1997 quelles mesures elles comptent adopter pour assumer ces nouvelles charges. Bien que le ministre des Affaires municipales tente d'établir des discussions avec les groupes municipaux et syndicaux, la réaction est vive de toute part.

Les villes de banlieue de la grande région de Montréal, qui ont lutté depuis longtemps contre les regroupements et à qui rebute l'idée de partager les dépenses de la ville-centre, réagissent sur deux fronts. D'une part, elles rejettent la proposition gouvernementale, et d'autre part, elles s'insurgent contre VUMQ, porte-parole de l'ensemble des municipalités urbaines auprès des autorités provinciales, s'estimant mal représentées. Les maires des banlieues montréalaises menacent de se retirer de l'Union, amorçant ainsi l'ouverture d'une brèche importante dans le front commun municipal contre la proposition gouvernementale.

En choisissant de faire porter le transfert de coûts sur le transport écolier, le gouvernement provincial provoque l'opposition de presque toutes les parties locales, autant les municipalités que les commissions scolaires et que l'Association des comités de parents. Seules les six villes-centres, Montréal, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Hull et Chicoutimi, bénéficiaires éventuelles de mesures d'équité en vertu desquelles elles devront convertir 3% de leur budget pour supporter les nouveaux coûts plutôt que les quelque 9% attendus des autres municipalités, ne s'opposent ni au principe des transferts ni à la modalité touchant le transport écolier. D'ailleurs, sur leur territoire, une grande partie du transport vers les écoles se fait par transport en commun. De plus, les villes-centres apprennent qu'elles recevront une compensation visant à amoindrir le fardeau fiscal lié aux transferts des coûts, et que les montants nécessaires à cet effet proviendront de la «taxe sur les entreprises de télécommunication, de gaz et d'électricité» (TGE), réduisant ainsi la taille de l'assiette restante de cette taxe auparavant redistribuée à l'ensemble des municipalités. La grogne s'amplifie donc du côté des laissées-pour-compte, soit les villes non considérées comme villes-centres, alors que les villes-centres se posent désormais comme alliées de la partie gouvernementale.

D'autres villes importantes, comme Gatineau, Sept-Îles, Baie Comeau, Sainte-Foy, Laval, Longueuil, se rallient aussi à la position gouvernementale suite à leur inclusion dans le groupe des villes-centres en juin 1997. Avec le privilège d'appartenir à cette catégorie, les villes obtiennent l'assurance de se voir imposer une contribution moins élevée à la prise en charge locale des transferts de coûts, et donc un accès aux mesures dites d'équité dans le partage des coûts de l'urbanisation et de l'étalement urbain.

Pendant l'été, les dirigeants des unions municipales n'ont pas pris de vacances, occupés à la préparation d'une réponse aux propositions de Québec. Un pas important a été franchi alors que la réflexion des parties en cause s'est déplacée, mettant de côté la question du principe des transferts, pour se centrer sur les modalités de prise en charge des coûts par les municipalités. Ce changement de cap très stratégique est occasionné par l'initiative gouvernementale de faire parvenir à chaque municipalité un estimé des coûts qu'elle devrait assumer, forçant ainsi un déplacement des discussions sur la situation individuelle plutôt que collective des municipalités.

La stratégie gouvernementale a pour effet de diviser les forces municipales en quelques blocs qui vont se structurer rapidement, soit celui des villes-centres, celui des villes de la banlieue de Montréal, celui des villes de la couronne montréalaise et celui des villes dites périphériques (à l'extérieur de la grande région métropolitaine et des villes-centres). C'est une fragmentation sans précédent qui montre bien les enjeux de l'étalement urbain au niveau du partage des responsabilités urbaines et métropolitaines.

Dans cette démarche, les représentants des milieux urbains (UMQ) et ruraux (UMRCQ) adoptent des voies différentes, amplifiant ainsi l'affaiblissement des forces municipales face au gouvernement. L'UMRCQ, déjà occupée à colmater les brèches de l'opération «fusions» qui ébranle une bonne partie de son membership, s'en tient à la remise en cause du principe des transferts, optant ainsi pour une stratégie de confrontation avec les autorités provinciales. À partir de ce moment, cette Union sera laissée de côté dans une négociation qui se déroulera entre le gouvernement et les représentants des villes (UMQ).

L'UMQ réaffirme son adhésion au principe de l'application d'un taux uniforme pour toutes les municipalités sur la base de la richesse foncière, sans égard au statut particulier des villes-centres. Sans revenir sur la contribution différenciée des municipalités, qui l'oppose à VUMQ, le gouvernement rejoint par ailleurs cette union en retirant son projet de transfert des coûts du transport écolier, apaisant du même coup le milieu scolaire et les associations de parents.

À la fin de l'été, les parties présentes dans la confrontation sont circonscrites au milieu municipal, impliquant les dirigeants municipaux et les syndicats d'employés. La date butoir du 15 septembre 1997 pour faire connaître la réponse municipale au projet de transfert de coûts est reportée, et la négociation continue à une table où siège le premier ministre lui-même, et où les représentants urbains et ruraux discutent séparément avec les autorités provinciales. La date prévue pour la mise en application des mesures de transfert demeure le 11, janvier 1998, date à laquelle le gouvernement continue malgré tout de vouloir réduire ses dépenses de 500 millions. Le temps passe...

Ce rappel des événements les plus marquants dans les relations provinciales-municipales au cours des dernières années montre que le gouvernement cherche une solution à son problème de déficit structurel et qu'il hésite profondément à imposer des mesures contre le gré des municipalités. Les priorités des uns et des autres ne se rejoignant pas, la discussion continue à propos des stratégies à privilégier. Le transfert de coûts représentant entre 3 et 9% des budgets municipaux pourrait être supporté de différentes façons: soit par les salariés municipaux s'il s'agit de réduire la masse salariale, soit par les contribuables s'il s'agit d'augmenter les revenus provenant des taxes pour faire face aux coûts transférés, soit, moins directement mais néanmoins réellement, par l'ensemble des résidents qui devront faire face à une augmentation des logements locatifs et à une réduction de la qualité des services locaux.

Mais peut-on se demander si, en filigrane, ces débats ne seraient pas hautement politiques? La réponse se trouve à plusieurs niveaux. Premièrement, la proposition gouvernementale intervient dans une conjoncture politique marquée par l'approche des élections provinciales, prévues pour 1998, moment où le gouvernement sortant souhaitera sans doute afficher une «bonne» performance en gestion budgétaire. Le transfert de coûts aux municipalités est un moyen parmi d'autres pour atteindre cet objectif. Deuxièmement, la question de la décentralisation des responsabilités et des coûts qui leur sont reliés demeure à l'ordre du jour, dans l'attente d'une volonté politique prête à assumer les risques de désaveu qui ne manqueraient pas de s'ensuivre de la part des élites politiques locales. Les intérêts politiques des uns et des autres nuisent à la construction d'une solidarité qui permettrait la mise en place de nouvelles pratiques municipales et d'un nouveau «pacte» entre les municipalités et les autorités provinciales. Troisièmement, le débat de l'été 1997, il ne faut pas l'oublier, s'insère dans la période préélectorale pour plusieurs des principaux protagonistes du monde municipal: à Québec, le maire L'Allier, à Laval, le maire Vaillancourt, à Sainte-Foy, la mairesse Boucher, sont tous en ligne pour un renouvellement de mandat en novembre 1997. De là à voir dans leurs interventions respectives dans le dossier du transfert des coûts l'occasion de faire valoir leur talent de défenseur des intérêts locaux ne demande pas beaucoup d'imagination... De même en est-il pour le maire Pierre Bourque de Montréal dont la fin de mandat est prévue pour 1998.

La question du transfert des coûts vers les municipalités est posée dans un contexte chargé, où le contentieux Québec-municipalités est tendu depuis quelques années. Les dossiers des fusions municipales, du développement local et régional, et de la gestion de la métropole montréalaise, encore très actifs, ont pu colorer les débats.




Les fusions municipales

Dans la suite de la politique des regroupements des municipalités de moins de 10 000 habitants annoncée en 1996, plusieurs étapes sont franchies. D'abord une Commission de consultation est mise sur pied pour recueillir les réactions à la politique dans les régions, puis le premier ministre Bouchard réaffirme, en septembre 1996, la détermination du gouvernement devant le congrès de l'UMRCQ dont les membres sont directement touchés par le projet; enfin, un sondage d'opinions est réalisé sous la commandite du ministère des Affaires municipales. Ce processus, qui relève de la consultation et de la conviction politique, montre un appui majoritaire des populations régionales à l'égard du principe des regroupements qui sont perçus comme moyens efficaces de partage des coûts et d'amélioration de la qualité des services locaux. Les sources officielles ne disent pas si, dans le cadre de ce même sondage, le ministère a testé les appuis à sa politique de transfert des coûts, mais il y aurait fort à parler que cela fut fait.

Quelques mois après le lancement de l'opération, 40% des quelque 400 municipalités visées par le projet gouvernemental ont entamé des études préparatoires, avec un support financier de la part du MAM. Les pressions sont fortes puisque, faute de se rallier à cette politique, les municipalités risquent de se voir fermer l'accès aux subventions conditionnelles qui sont liées à certains programmes gouvernementaux. Les stimulants d'ordre financier ne viennent toutefois pas à bout de la résistance de la plupart des municipalités et de l'UMRCQ. Alors qu'approche la date butoir pour la conclusion des travaux préparatoires aux fusions, le gouvernement annonce le report de cette date jusqu'en janvier 1999. Le temps passe et les observateurs astucieux constatent que le MAM semble déjà appliquer effectivement sa politique dans le financement des programmes d'assainissement des eaux, d'aqueducs et d'égouts et même dans les travaux d'infrastructures dont le financement est tripartite. L'UMRCQ proteste, mais l'UMQ se réjouit de voir se réduire la dépendance des petites municipalités à l'égard des ressources provinciales tandis qu'elles sont contraintes à puiser davantage dans leurs ressources locales. La question des fusions montre ainsi un autre objet de discorde opposant les milieux urbains et ruraux, qui vient s'ajouter aux tensions soulevées par le dossier du transfert des coûts.

Les arguments présentés par le premier ministre aux maires dans le cadre du congrès de septembre 1996 s'appuyaient sur une argumentation audacieuse en regard des activités habituellement restreintes des municipalités rurales. Ils n'ont pas ébranlé la position des milieux ruraux, malgré leur sagesse apparente.

Dans le cas des petites communautés, le regroupement permet aux municipalités d'améliorer leur capacité administrative et financière en vue d'offrir les services minimums [nous soulignons] attendus par leurs contribuables - que l'on pense à l'eau, la protection de l'environnement, la sécurité des biens et des personnes, l'urbanisme, le contrôle des constructions, les loisirs et la culture - et ce, au meilleur coût. Il leur permet aussi de se donner les moyens de s'impliquer dans le développement de leur région et de contribuer à la création d'emplois. Autrement dit, les conseils municipaux qui entreprennent un regroupement visent davantage qu'à réaliser des économies d'échelle. (Notes pour l'allocution du premier ministre Lucien Bouchard, au congrès annuel, UMRCQ, 5 septembre 1996.)

En fait, le portrait des services décrits ici correspond peu à la réalité locale des villages et des paroisses du Québec, et l'implantation du modèle proposé demanderait plus qu'une adaptation structurelle. C'est un changement dans le rôle traditionnellement minimaliste des municipalités rurales qui est annoncé dans ce discours, servant de prolégomènes à l'ouvrage de la décentralisation. Les visées de Québec dépassent le paradigme traditionaliste pour s'orienter, au-delà des cadres institutionnels habituels, vers une implication des milieux locaux dans le développement.




Le développement local et régional

Les milieux locaux ne sont-ils pas déjà engagés dans cette vole du développement local? Nombre de municipalités ont eu pendant longtemps un commissaire industriel, d'autres ont créé une corporation de développement, etc. La proposition gouvernementale de 1997 vise à mettre en place une nouvelle instance à l'échelle des territoires des «petites» régions (celles des MRC) dont la fonction serait de prendre en charge l'application locale des décisions gouvernementales d'investissement dans le développement local et, éventuellement, de se substituer aux autres formes de promotion du développement économique et industriel. Dans le contexte créé par le Sommet sur l'économie et l'emploi d'octobre 1996, le gouvernement vise à élaborer une «stratégie locale liée au développement de l'entrepreneuriat et des entreprises, incluant les entreprises de l'économie sociale» (Gouvernement du Québec, Politique de soutien au développement local et régional, 1997).

Pour remplir cette tâche, le gouvernement propose de créer des «centres locaux de développement» (CLD) dont les mandats et les responsabilités seront énoncés dans une entente de gestion, désignée comme un «cahier des obligations», portant la signature du conseil d'administration du CLD, des autorités de la MRC et du ministre responsable du développement des régions.

Il apparaît ainsi que la création des CLD relève d'une double logique. D'une part, la politique vise à intégrer et à coordonner les actions municipales de promotion économique, avec une forte main mise de la part des autorités centrales. Ainsi, il est dit que «le CLD voit à intégrer [ ... ] les mesures d'aide et de soutien à l'entrepreneuriat définies au préalable [nous soulignons] par le Secrétariat au développement des régions et les ministères et organismes concernés» (Gouvernement du Québec, Politique de soutien au développement local et régional, 1997). La voie est tracée pour un renforcement de l'encadrement des mesures de promotion industrielle et économique par le gouvernement provincial. D'autre part, la Politique de développement local et régional énonce explicitement des objectifs de réorganisation de l'action gouvernementale, dans le but d'intégrer les services offerts par les différents ministères et de les placer sous la responsabilité des CLD. Cette réorganisation pourra avoir un impact important sur les mandats ministériels qui devront tenir compte de la «dimension locale et régionale comme élément fondamental de la structure organisationnelle des services gouvernementaux». C'est ainsi un transfert vers le niveau local des services de première ligne au démarrage et à l'expansion de l'entreprise qui est envisagé, pouvant impliquer par la même occasion un transfert de coûts.

Il n'apparaît donc pas déplacé de voir en cette politique une ramification de la démarche plus générale entreprise par les autorités provinciales pour améliorer leur «performance» budgétaire. Il importe alors de voir quelles seront les sources de financement des CLD pour confirmer l'hypothèse du transfert des coûts.

Malgré l'emphase discursive qui caractérise le document énonçant la Politique de soutien au développement local et régional de 1997, on y trouve très peu de précision à propos du financement des CLD. Les nouvelles instances régionales, ayant à leur tête un conseil d'administration composé de représentants des milieux d'affaires et du travail, municipal, coopératif, communautaire et institutionnel, recevront une part de leurs ressources des enveloppes provinciales consacrées aux programmes d'aide aux entreprises et aux entrepreneurs et des programmes de support à l'économie sociale. Le contenu de ces enveloppes n'est pas connu à ce jour, et l'adhésion à la politique représente un risque pour les milieux locaux qui devront assurer par leurs contributions l'autre part du financement, sans connaître pour le moment l'étendue de la contribution gouvernementale. De plus, l'ambiguïté entourant l'arrimage des ressources liées à cette nouvelle politique provinciale et celles qui relèvent des programmes fédéraux via la Société d'aide au développement et à la concertation (SADC) est loin d'être levée.

Comme dans le cas des conseils régionaux de développement (CRD) et des Régies régionales de la santé et des services sociaux (RRSSS), les municipalités se voient une fois de plus partie prenante à une structure nouvelle, impliquant des responsabilités additionnelles dans un cadre centralisé qui établit les orientations, et exigeant une contribution financière dont l'étendue demeure indéterminée pour le moment. Cette implication, qui place les municipalités dans une situation de partenariat obligé avec d'autres intervenants du milieu, représente un défi de taille. Elle contraste avec le rôle traditionnel de la municipalité, en l'obligeant à aligner ses prestations dans le cadre plus directif des politiques gouvernementales et dans le respect de la pluralité des points de vue dans la région. Les municipalités ont jusqu'au mois d'avril 1998 pour réfléchir à la façon dont elles s'inséreront dans ce nouveau moule de la centralisation/décentralisation, en établissant les paramètres visant à mettre en place le CLD de leur petite région. Comme il s'agit d'ouvrir un robinet donnant accès au financement des projets de développement économique sans connaître les qualités thérapeutiques des eaux qui en couleront, on comprend que la démarche paraisse difficile localement.

Alors que l'ensemble des MRC fêtent leur 15' anniversaire en 1997, l'observation de la Politique de soutien au développement local et régional et la mise en place des CLD, auxquelles s'ajoutent d'autres mesures touchant les cours municipales et la mise en place de corps de police dans les MRC, amène à constater un accroissement des responsabilités locales à l'échelon de la petite région. Mais de quelle petite région s'agit-il? Si le premier ministre constate, en mai 1997, que la référence territoriale du gouvernement, c'est la MRC, il n'en ajoute pas moins qu'une révision de la carte territoriale est à prévoir pour le printemps 1998 («Il y a trop de MRC, selon Bouchard», La Presse 3 mai 1997, A17). Décidément, ce gouvernement se prépare aux prochaines élections en ayant à son compte un remue-ménage important dans le portefeuille de sa mission locale et régionale. Mais là ne s'arrêtent pas ses réflexions, puisque la région métropolitaine de Montréal fait aussi l'objet de propositions majeures.




Les affaires métropolitaines

Lorsqu'en septembre 1996, le ministre d'État à la métropole annonce que de nouveaux modèles de concertation seront discutés au cours de l'automne, plusieurs se demandent s'il faut encore consulter. Dans la foulée des discussions qui ont suivi la parution du Rapport Pichette, la problématique portant sur la région de Montréal a considérablement évolué mais les consensus quant aux solutions possibles demeurent ténus.

Ayant d'abord fait porter le travail de concertation sur la recherche de solutions aux problèmes de l'étalement urbain, de l'infini étirement des banlieues et de l'évasion fiscale ainsi rendue possible pour ceux qui fuient vers les villes-dortoirs et les villes périphériques, le ministre Ménard «osera-t-il la métropole» (on ne parle plus de «ville-région») selon le slogan qu'il lance lui-même pour encadrer sa campagne de consultation, ou restreint-il ses ambitions? Pour trancher cette question, il s'en remet à une consultation dont les résultats lui dicteront une approche plus modérée, résultant des résistances posées par Montréal, par les banlieues immédiates et par les villes de la périphérie montréalaise.

Dans la foulée des discussions sur le transfert des coûts de 500 millions $, nous avons vu que le gouvernement du Québec a gagné l'appui des maires des villes-centres, dont Montréal, en leur accordant un statut particulier. Dans le cas de la Ville de Montréal, l'appui du maire Bourque a été obtenu en échange de l'octroi d'un fonds de développement spécial s'échelonnant sur plusieurs années. Face au projet de mise en place d'un organisme chapeautant la grande région de Montréal, les intérêts de la ville-centre y trouvant rapidement leur compte, le soutien de Montréal était assuré. De même en était-il de l'appui des banlieues immédiates, membres de la CUM, qui voyaient d'un bon oeil que la responsabilité des fonctions métropolitaines soit élargie à la grande région. Bien différente était cependant l'attitude des banlieues lointaines et des MRC de la grande région qui refusaient la création d'un organisme aux pouvoirs décisionnels avec prérogative dans des secteurs de politique très proches des leurs, comme l'aménagement du territoire et le développement économique.

Suite à un débat entre partisans d'un support à la métropole et régionalistes dont les échos ont retenti hors de l'enceinte close du Conseil des ministres, le projet de loi présenté en février 1997 a été sanctionné en juin de la même année. Au cours des prochains mois, les membres du conseil d'administration de la Commission de la métropole seront nommés, pour le tiers par le gouvernement du Québec, et pour les deux tiers par les municipalités. Personne n'ose dire ouvertement que les milieux municipaux s'en sortent relativement bien, ayant échappé au traitement à la «Harris» (du nom du premier ministre ontarien) qui vient d'imposer une fusion complète des six villes de la communauté urbaine de Toronto pour former une «Mégacité» de 2,3 millions d'habitants, allant ainsi contre les voeux exprimés par référendum par les citoyens des six villes. La Commission de la métropole reçoit le mandat de se pencher sur le développement économique, le transport et l'aménagement du territoire, dans un territoire couvrant 107 municipalités locales, 12 MRC et 5 régions administratives, alors que d'énormes enjeux secouent la région.

Ceux qui soutiennent que, lorsque Montréal va, tout va au Québec, ont eu raison de s'inquiéter à la vue des nombreux bouleversements qui ont secoué Montréal et ses alentours. Voyons d'abord la scène politique montréalaise avec la nouvelle direction du maire Pierre Bourque.




La scène politique montréalaise

Élu en 1994 avec une confortable majorité de conseillers municipaux de son parti, Vision Montréal, le maire Bourque a dû faire face à des problèmes fort importants dans la première partie de son mandat. Son projet de privatisation d'une cinquantaine de services municipaux -dans des domaines tels que la distribution de l'énergie électrique, la sécurité des immeubles, le nettoyage des rues, les préposés au stationnement, et même l'aqueduc municipal - s'est buté à une résistance invincible non seulement de la part des syndicats municipaux, mais aussi de la part du milieu. Malgré cette difficulté, la Ville a réussi, avec une aide de la part du gouvernement provincial, là où l'administration antérieure avait échoué, en réglant la convention collective avec les quelque 4000 cols bleus en décembre 1996.

Les déboires du maire et de son parti ont pris des dimensions considérables avec le dévoilement par le directeur général des élections du Québec d'irrégularités dans le financement du parti, à l'automne 1996. Contrevenant à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, Vision Montréal a accepté des contributions de la part d'entreprises et des contributions individuelles dépassant les limites permises par la loi. Même si le maire et chef du parti a attribué ces gestes à des erreurs de ses collaborateurs dues à la méconnaissance des dispositions juridiques, les médias ont largement fait écho à ces maladresses et l'opinion publique a sanctionné le maire en faisant voir une baisse sensible des appuis dans les sondages.

Les mésaventures se sont également étendues à l'administration municipale, dans le dossier des dépenses d'investissement, alors que le budget d'immobilisation était dépassé en 1996, que la vente de l'ancienne gare Jean-Talon soulevait des protestations énormes dans le quartier et dans l'ensemble de la ville, et que la question de la vente de l'hippodrome, approuvée par le comité exécutif mais non sanctionnée par le conseil municipal, a provoqué de fortes dissensions au sein même des élus de Vision Montréal. Ces tensions ont conduit à la démission de quelques représentants du parti majoritaire, qui ont ensuite siégé à titre d'indépendants au Conseil municipal. Après avoir tenté d'expulser deux de ses ex-supporteurs du Comité exécutif de la Ville, le maire a dû faire marche arrière suite à un jugement de la Cour supérieure statuant que la Charte de la Ville ne donne pas le droit au maire de destituer les membres du Comité exécutif. En conséquence, les conseillers démissionnaires furent réintégrés au Comité exécutif, qui prit alors une forme pluraliste sans précédent dans l'histoire récente des institutions municipales québécoises.

Suite à ces bouleversements dans les allégeances partisanes des élus, l'équilibre des forces au sein du conseil municipal prit une allure imprévisible alors que le maire avait été élu avec une forte majorité en 1994. En 1997, Vision Montréal compte désormais 24 conseillers sur 51, soit 47% des sièges, tandis qu'une opposition divisée est formée de 7 élus du RCM, 2 élus de la Coalition démocratique/Montréal écologique, 15 élus démissionnaires de Vision Montréal siégeant comme indépendants avec 3 autres conseillers sans allégeance partisane officielle. Le maire et les conseillers de Vision Montréal ne jouissent donc plus d'une majorité assurée lors des votes qui sont pris au conseil municipal, et les forces de l'opposition ont beau jeu de s'entendre pour forcer les ajustements désirés dans les propositions qui leur sont soumises. Le bateau de Pierre Bourque est-il en train de couler? Même si le gouvernement du Québec s'est montré sévère à son égard, en refusant d'amender la Charte de la Ville comme le maire le lui demandait, il n'est pas assuré que le gouvernement ne supportera pas le maire de Montréal au cours des prochains mois, dans l'attente de la réélection d'un maire dont les sympathies nationalistes sont connues.

Le support du maire de Montréal est d'autant plus précieux pour le gouvernement du Québec que les appuis se font rares ailleurs dans la région. En effet, sur le territoire de l'île de Montréal, les communautés anglophones de l'Ouest sont mobilisées autour de la question constitutionnelle, dans le courant du projet partitionniste qui remet en cause leur rattachement au Québec. À première vue, cela ne concerne pas directement l'analyse de la politique locale et régionale puisque les préoccupations relèvent du débat constitutionnel. Mais lorsqu'en novembre 1996 la «coalition des groupes pour l'unité» demande à certains conseils municipaux dans les villes où l'on trouve une proportion importante de population anglophone d'appuyer leur revendication, le débat se transporte sur la scène municipale. Bien que le geste soit essentiellement symbolique, il n'en colore pas moins les volontés gouvernementales, les incitant à se montrer plus conciliantes à l'égard des municipalités du West Island. De là à identifier une partie de la logique qui a mené à redéfinir les mandats de la commission de la métropole, il n'y a qu'un pas, vite franchi.

Les tensions métropolitaines ont atteint un niveau exceptionnel avec la crise de Mirabel, au printemps 1997. Quand la gestion des deux aéroports de Montréal a été confiée par les autorités fédérales à Administration de Montréal (ADM), on était loin de se douter que cette corporation aurait un jour à décider du transfert des vols internationaux de Mirabel à Dorval et, à toutes fins utiles, de la fermeture de l'aéroport de Mirabel. Ce dossier très complexe a pris un rythme accéléré au début de 1997 avec la mobilisation des opposants au transfert qui a mené à un affrontement devant les tribunaux. Une première décision en Cour supérieure, ayant pour effet de suspendre les travaux préparatoires au transfert des vols à Dorval, a été cassée par la Cour d'appel en avril 1997. Le transfert des vols a été fait le 15 septembre 1997, mettant ainsi fin à une saga incroyable qui avait débuté il y a presque 30 ans, quand les expropriations avaient frappé la population de la région de Sainte-Scholastique.

Cette expérience pourrait se prêter à une réflexion sur les difficultés de la gestion en période de rationalisation et de redéploiement des ressources, domaine où les milieux locaux commencent à avoir un vécu peu enviable. Dans de pareilles situations, nous constatons que les communautés locales écopent plus souvent qu'à leur tour, et qu'elles occupent en bout de ligne une position où il n'est pas possible de passer le problème à quelqu'un d'autre. Ce qui les place régulièrement dans une position de «victimes du progrès» plutôt que du côté de ceux qui en profitent.

Deuxièmement, l'expérience de Mirabel-Dorval peut aussi être vue comme un épisode dans l'immense champ de bataille fédéral-provincial. On se souvient de l'opposition des résidents de la région et du gouvernement du Québec au choix de Mirabel à la fin des années 1960. Malgré un mouvement déterminé à l'époque, le gouvernement Trudeau s'était entêté à aller de l'avant avec une stratégie qui exigeait un niveau d'investissement public considérable en même temps qu'elle exigeait le sacrifice de ressources locales précieuses dans le domaine de l'agriculture. Le temps aura donné raison aux populations locales.




Les élections municipales

L'année 1996-1997 a connu de gros dossiers touchant le développement local et régional de même que les responsabilités municipales. Si plusieurs d'entre eux n'ont pas connu d'aboutissement au moment d'écrire ces lignes, il est possible qu'ils aient été influencés par la relative stabilité de la scène politique locale où il y a eu peu d'élections cette année. Parmi les quelque 1400 municipalités locales du Québec, seulement 150 tenaient des élections, dont neuf comptant au moins 20 000 habitants. Ce sont donc surtout des élections en milieu rural, et il n'y a pas lieu de se surprendre en constatant que 50% des maires ont été réélus ou élus sans opposition. Là où des scrutins ont été tenus, la participation électorale a oscillé entre 38,3% (dans la région de l'Outaouais) et 64,4% (dans la région du Saguenay- Lac -Saint-Jean).

Dans les villes de 20 000 habitants et plus, exception faite de la ville de Saint-Hyacinthe, un ou plusieurs partis politiques se sont fait la lutte et aucune élection par acclamation n'est à signaler. À Charlesbourg, le maire sortant et président de PUMQ a été réélu avec tous les conseillers de son parti. Il a défait Jean-Marc Jacob qui s'était fait connaître comme député du Bloc québécois à Ottawa.

Arrêtons-nous brièvement sur le cas particulier de la ville de Beauport, en banlieue de Québec. Dans cette ville de 72 260 habitants, six candidats se sont fait la lutte à la mairie, parmi lesquels se trouvaient le maire sortant, Jacques Langlois, et un député provincial siégeant comme indépendant à l'Assemblée nationale, jean Filion. Quatre des cinq partis politiques présents ont affiché une liste complète de candidats, constituant ainsi le seul cas au Québec avec un tel nombre de partis locaux, exception faite de Montréal qui compte au-delà d'un million de résidents.

Une telle mobilisation des ressources locales s'explique par le désir de favoriser l'ouverture des débats par l'élection d'un groupe d'opposition à l'Hôtel de Ville, après quatre années d'hégémonie du maire et de son parti. La liste impressionnante de candidats à la mairie montre l'impossible ralliement de ces leaders au sein de quelques formations plus soucieuses d'intégrer les différents points de vue locaux. Le maire sortant a été réélu pour un quatrième mandat, ainsi qu'une majorité des candidats de son parti. Six femmes (soit 43%), parmi un conseil comptant 14 membres, ont été élues, ce qui représente une situation exceptionnellement favorable pour la représentation féminine, les femmes occupant en moyenne autour de 18% des postes de membres des conseils municipaux au Québec. 52% des électeurs se sont présentés aux urnes, contre 45% lors des élections précédentes, en 1992.

Cette expérience de Beauport, bien qu'elle ne permette pas de généralisation, nous indique que deux facteurs particuliers liés au système politique local étaient présents, soit un nombre élevé de partis politiques locaux, et l'absence d'opposition au conseil sous l'administration sortante. Ces facteurs ont été propices à une participation électorale plus élevée qu'à l'accoutumé, à une mobilisation sans précédent des ressources locales, à l'élection d'un nombre exceptionnellement élevé de femmes au conseil municipal, à une discussion des enjeux locaux (particulièrement de développement économique, de taxes municipales et de certains projets locaux) et, enfin, à la formation d'un conseil municipal équilibré où la majorité et la minorité auront un rôle à jouer.

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Dans un espace social structuré par les objectifs de la rationalisation et du redéploiement des ressources, le monde municipal n'occupe pas la position de contrôle. On a plusieurs fois observé que les réformes touchant les municipalités sont conçues au niveau provincial, et que ces dernières jouent souvent un rôle réactif. Le dossier du transfert de 500 millions $ montre, en effet, que le monde municipal s'est trouvé sur la défensive, faute de réussir une contre-offensive qui l'aurait placé en meilleure position face aux changements prévus dans le partage des responsabilités pour les services locaux. Dans ses efforts pour définir une stratégie d'attaque, le monde municipal s'est fractionné plutôt que de développer une solidarité indispensable à la formation d'un front commun pour affronter l'offensive gouvernementale. Il a réussi à ralentir et à perturber le processus de réforme, mais non à altérer l'éventail des options.

Y a-t-il lieu de croire que les multiples échanges et discussions récents vont conduire à ce que les élus locaux appellent un «pacte» dans lequel les paramètres des relations provinciales-municipales seront établis pour un certain temps? La prochaine année apporte des enjeux politiques très importants, dans le cadre des élections provinciales et des élections municipales dans la région de Montréal. Il appert que les préoccupations des responsables municipaux et de leurs grandes associations continueront d'être dominées par les problématiques institutionnelles et budgétaires, sur un fond de réflexion quant à la place à réserver aux communautés locales dans les prises de décision qui les concernent.