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Les relations extérieures du Québec* ]



Manon Tessier
Université Laval


L'année politique au Québec 1996-1997

· Rubrique : Les relations extérieures



Dans le contexte d'un Québec post-référendaire et économiquement fragile, les relations internationales du Québec ont été marquées de délicats équilibrages entre, d'une part, le maintien d'un statut international particulier et la nécessité d'en réduire les coûts et, d'autre part, la poursuite de la promotion de la souveraineté, source d'affrontements directs entre Québec et Ottawa. L'enjeu pour le gouvernement québécois consiste à ne pas perdre les acquis d'un espace politique international, unique mais somme toute précaire, aménagé aux limites de l'ordre diplomatique et de la fédération canadienne. Ce défi de même que l'apparition de nouveaux dossiers ont nécessité tout au long de l'année des réactions gouvernementales à la fois rapides et novatrices, mais il faudra encore attendre quelque temps pour savoir dans quelle mesure ce défi a été relevé avec succès et les acquis préservés.



Nouveaux modes de représentation

Ce délicat équilibrage est notamment visible dans les efforts du gouvernement québécois de mettre en place de nouveaux modes de représentation à l'étranger plus efficaces et moins coûteux. Si les résultats à long terme de ces décisions restent encore difficiles à évaluer, force est de constater que le gouvernement a fait preuve de créativité afin de contrebalancer rapidement les contrecoups du choc brutal causé par la fermeture de la majorité des délégations du Québec à l'étranger en février 1996. Le ministère des Relations internationales a mis en place de nouvelles structures à vocation essentiellement économique et a apporté des ajustements au réseau existant. Ce réseau s'appuie sur les six délégations générales ayant survécu aux coupures de 1996 qui sont secondées par une quinzaine d'antennes à vocation commerciale créées en partenariat avec de grandes institutions publiques ou privées. De telles antennes se situent soit à proximité des anciennes délégations soit dans des nouvelles régions, et l'on en retrouve en Colombie, en Argentine, en Thaïlande, en Chine, au Viêt-nam, en Indonésie, en Italie et aux États-Unis. De nouvelles antennes seront bientôt ouvertes à Séoul, à Manille et à Barcelone ainsi qu'au Moyen-Orient.

À cette présence s'ajoute le travail de six délégués «itinérants» ou «non résidents» qui couvrent un territoire géographique donné à partir du Québec. Ces chargés de mission bénéficient du même statut que les délégués généraux en poste à l'étranger et peuvent conduire des missions de coopération ou développer un réseau de contacts locaux dans le but de faire la promotion du Québec à l'étranger. Quatre de ces six délégués sont des personnalités reconnues qui ont accepté d'exercer leurs fonctions à titre bénévole tandis que les deux autres voient ces fonctions s'ajouter à celles qu'ils exercent déjà au ministère des Relations internationales. lis couvrent les régions suivantes: le Centre et l'Ouest américain; l'Amérique du Sud et les Antilles; l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse; la Russie et l'Ukraine; l'Asie (à l'exception du japon); l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

Des modifications ont aussi été apportées aux structures existantes. Par exemple, le mandat de la délégation générale du Québec à Londres a été élargi aux pays scandinaves, deux conseillers aux investissements ont été ajoutés à Paris, deux attachés commerciaux à Tokyo et un délégué aux affaires multilatérales a été nommé à la délégation générale du Québec à New York. De plus, deux nouveaux bureaux ont été inaugurés: l'un à Milan, l'autre à Munich, marquant ainsi un retour du Québec en Allemagne et en Italie après la fermeture des délégations de Düsseldorf, Milan et Rome. Dans le cas du bureau du Québec à Munich, la décision d'y installer une représentation permanente réduite est maximisée par le fait que celle-ci fera la promotion des intérêts commerciaux du Québec au-delà des frontières allemandes en incluant dans son mandat l'Autriche et la Suisse.

L'évaluation des modifications apportées au réseau du Québec à l'étranger n'est pas terminée, notamment en ce qui concerne la réduction du personnel dans les délégations et l'efficacité des délégués «itinérants». Le coeur de cette réforme, les antennes économiques situées dans des locaux partagés avec une banque ou une chambre de commerce, répond quant à lui exclusivement à des besoins commerciaux tels que la prospection des investissements et l'expansion de marché. Si seul ce dernier volet de la réforme s'avère efficace à moyen terme, le piège d'une politique extérieure dominée par une logique marchande n'aura pas été évité. Pour l'immédiat, la réforme semble plaire au gouvernement puisqu'un an après les coupures de 1996, le ministre des Relations internationales dresse un premier bilan positif de ces réajustements. Lors de la présentation des crédits de son ministère pour 1997-1998, le ministre Sylvain Simard a qualifié de «succès» la réorganisation du réseau qui couvre stricto sensu un territoire plus vaste qu'avant la restructuration.




Nouveaux champs d'action

Tiraillé entre ses capacités financières et son devoir de solidarité internationale, le gouvernement québécois a également innové en créant un fonds d'aide à l'action humanitaire internationale. Si l'idée d'un tel fonds n'est pas nouvelle en soi, l'originalité se situe surtout au niveau du mode de financement qui ne fait pas appel à un apport d'argent neuf proprement dit. En effet, ce fonds sera financé au moyen d'un prélèvement de 1% des bénéfices d'exploitation des casinos de Loto-Québec, une mesure qui devrait générer 2 millions $ en 1997-1998. De plus, cette action humanitaire se veut pragmatique puisque la gestion se fait par des organismes de coopération travaillant directement sur le terrain. Cette initiative devrait refaire de l'aide internationale l'une des priorités de la politique extérieure du Québec, une promesse qui jusqu'ici n'a jamais été pleinement remplie.

Un autre champ d'action devrait lui aussi se trouver à l'avant-plan de l'action internationale du Québec durant les prochains mois. En effet, le gouvernement a décidé de lancer une offensive de communication publique à l'étranger pour redorer une image ternie par des campagnes négatives dans la presse nationale de certains pays. Cette offensive sera clairement inscrite au Plan gouvernemental d'action internationale pour 1997-2000. Dans ce cas-ci, il s'agit à la fois de corriger les fausses perceptions et de consolider une réputation internationale, ne serait-ce que pour la promotion touristique. Pour le gouvernement péquiste, l'image du Québec à l'étranger devient un objectif d'autant plus important qu'il ne peut compter sur le gouvernement fédéral pour véhiculer un message reflétant ses aspirations politiques. Dans ce contexte, la campagne de communication vise à contrebalancer le parti pris «pro-unité canadienne» des correspondants ou des journalistes étrangers essentiellement informés par des sources anglophones du Québec ou par le gouvernement canadien.

L'image internationale du Québec demeure somme toute assez bonne, mais la publication durant l'hiver 1997 d'articles peu flatteurs sur le nationalisme québécois dans deux journaux allemands a incité le ministère des Relations internationales à se pencher sur ce phénomène et à réagir. Une stratégie en trois volets est née de cette réflexion. Dorénavant, le ministère demandera à ses représentants de répliquer de façon systématique à la parution d'articles négatifs ou mensongers en publiant des droits de réponse. En second lieu, le site Internet du MRI sera bonifié pour offrir les traductions en anglais d'articles de la presse francophone alors que des données socio-économiques, culturelles et historiques seront disponibles en anglais, en espagnol et en allemand. Enfin, les réseaux universitaires d'études québécoises à l'étranger seront encouragés à faire circuler une image plus objective de la réalité politique québécoise.

Des innovations dans les champs d'action de nature économique sont aussi apparues. Le premier ministre Bouchard a, par exemple, discuté avec son homologue ontarien de la possibilité de mener des missions commerciales conjointes Ontario-Québec, une première dans les annales de la collaboration entre ces deux provinces. Deux missions sont à l'étude: l'une en Turquie, l'autre en Malaysia. Le premier ministre Bouchard a également mis fin à la «tradition» de non-participation du Québec aux équipes commerciales pan-canadiennes dirigées par le premier ministre Chrétien et a dit vouloir reprendre la formule à son compte en dirigeant personnellement, en 1997-1998, des missions d'importance en Chine et en Amérique latine. De fait, la mission en Chine a eu lieu au début de novembre 1997 à la satisfaction de tous les participants.




Dossiers chauds

Trois nouveaux dossiers ont particulièrement retenu l'attention cette année. Premièrement, la croissance fulgurante du réseau Internet dominé par la langue anglaise a fait naître une préoccupation de plus en plus aiguë à l'égard de la place du français sur l'inforoute. Sensibilisé par cette problématique depuis 1994, le Québec, dont la population représente 2% de l'ensemble francophone tout en étant responsable de 30% de la production en français sur les inforoutes, a redoublé d'efforts cette année en faisant de ce thème son cheval de bataille au sein de la francophonie. La ville de Montréal a notamment accueilli en mai 1997 la première conférence des ministres francophones chargés des inforoutes. Un plan d'action issu de cette conférence a été présenté au Sommet de la francophonie de Hanoï et le Québec s'est engagé à verser 1 million $ au Fonds multilatéral de soutien à la production de contenu en langue française, au coeur de ce plan d'action. Le plan global est de l'ordre de 10 millions de dollars.

L'immigration a également généré sa part de nouveaux dossiers. En effet, le Québec a dû faire face à une vague d'immigration algérienne sans précédent qui n'a eu de comparable que celle ayant suivi la guerre civile libanaise. Plus de 9000 demandes de ressortissants de ce pays ont été produites pour les quatre premiers mois de 1997, ce qui représenterait sur une base annuelle plus de 50 000 personnes pour une province qui a accepté l'an dernier 28 400 immigrants dont 1700 Algériens. Même si le taux d'acceptation de ces nouvelles demandes demeure faible (une candidature sur dix), de tels événements exercent une pression importante sur la capacité d'accueil du Québec et exigent des ressources accrues en matière de gestion d'immigration.

Cependant, le dossier qui a reçu en 1997 le plus de publicité de la part des médias est sans contredit celui de l'amiante chrysotile, un produit dont la France a décidé de bannir dès janvier 1997 toute forme d'utilisation sur son territoire. Principal exportateur de ce produit dont dépendent 5000 emplois, le Québec a rapidement réagi en mettant sur pied un plan d'action de 2J millions $ pour s'assurer que la décision française n'aurait pas d'effet d'entraînement sur d'autres pays utilisateurs d'amiante. Le ministère des Ressources naturelles a mené des missions dans huit pays et auprès de l'Union européenne afin d'expliquer les fondements scientifiques de l'usage contrôlé et sécuritaire de l'amiante. Ces missions ont notamment permis de conclure des ententes de coopération avec des pays du Maghreb. Plusieurs efforts - rencontres d'experts, échanges de lettre, dépôt de rapport, contacts diplomatiques - ont aussi été consentis pour assouplir la position française mais, si le gouvernement québécois a réussi à contrer un possible effet domino chez ses autres partenaires commerciaux, les efforts de sensibilisation auprès des représentants du gouvernement français ont moins de chance de porter fruit en raison du caractère éminemment politique de leur décision. La défense de ce dossier se poursuivra probablement encore au cours de la prochaine année, d'autres pays dont le Royaume-Uni ayant évoqué la possibilité d'enclencher à leur tour un processus de bannissement.




Les séjours à l'étranger

Depuis deux ans, des circonstances telles que les élections provinciales et la tenue du référendum avaient retenu au Québec plusieurs ministres et diminué le nombre des voyages à l'étranger qui n'étaient pas directement reliés à la promotion de la souveraineté. Cependant, la fin de cette conjoncture, doublée de la fermeture des délégations à l'étranger, va accroître en 1996-1997 le nombre des voyages ministériels. Citons les visites du ministre d'État de l'Économie et des Finances au Brésil, au Chili, au japon et en France, de la ministre déléguée à l'Industrie et au Commerce, en Espagne et en France, au Sénégal, en Côte-d'Ivoire et en Chine, du ministre des Ressources naturelles au Mexique, au Costa Rica, en Turquie et en Chine, du ministre de l'Agriculture au Viêt-nam, du ministre de l'Environnement au Maroc et du ministre de la Santé en France. La ministre responsable des mines effectuera, rappelons-le, quatre missions pour défendre le dossier de l'amiante qui l'amèneront respectivement en Algérie, en Tunisie, au Pérou, en Colombie, au Mexique, en France, en Malaisie et au Viêt-nam.

La liste de ces pays indique un rééquilibrage par rapport à l'an dernier tant à l'égard de la diversité des pays visités que du nombre de ministres impliqués. Le carnet de voyage du titulaire des Relations internationales est également un indice révélateur de ce phénomène. M. Simard maintient les contacts avec les partenaires européens traditionnels français, belges, allemands et italiens mais effectue aussi la plus importante mission réalisée à ce jour par le Québec en Afrique lorsqu'il séjourne en mars 1997 au Sénégal et en Côte-d'Ivoire. En avril, son voyage au Moyen-Orient vise expressément l'accroissement des relations avec cette région traditionnellement marginale dans les relations internationales québécoises. Ce séjour se solde par la signature d'une entente de coopération avec Israël, une première dans l'histoire des relations internationales québécoises, et par la signature d'une entente avec l'Égypte qui se veut le premier pas vers l'instauration d'une collaboration plus étroite avec ce pays. Cependant, le contenu du carnet de voyage du ministre Simard montre également une perte d'influence inquiétante en faveur notamment des deux ministres de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie qui ont pris en charge les principaux dossiers économiques internationaux du Québec. La majorité des missions économiques ministérielles à l'étranger n'ont pas été menées par M. Simard et le rôle du ministre dans l'important dossier de la défense de l'amiante n'a pas été de premier plan.

Quant à lui, le premier ministre Bouchard s'est rendu à deux reprises dans le Nord-Est américain - pour une réunion des gens d'affaire du Maine et du Québec et pour la conférence annuelle des gouverneurs des États de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'Est du Canada - en plus de prendre part à la tournée d'Équipe Canada en Corée du Sud, aux Philippines et en Thaïlande. La participation du premier ministre québécois au sein d'Équipe Canada s'est déroulée somme toute dans un climat de solidarité économique autour d'un objectif de promotion partagé par l'ensemble des participants.

L'appréhension entourant cette visite a surtout prévalu, dans les semaines précédant le départ, du côté de fédéralistes inquiets de voir la question de la souveraineté évoquée publiquement à l'étranger. Me Bouchard s'est conformé au programme officiel de la mission à l'exception de la portion finale du voyage qu'il écourta de deux jours et de quelques rencontres bilatérales destinées à appuyer spécifiquement les efforts d'entreprises québécoises. Le premier ministre a annoncé à l'issue de ce séjour qu'il dirigera lui-même des missions québécoises similaires et qu'il n'excluait pas la possibilité de participer à d'autres missions canadiennes. Ces deux décisions devraient rendre son carnet de voyage plus substantiel en 1998. Mais sa participation à de nouvelles missions pan-canadiennes laisse songeurs plusieurs observateurs inquiétés par le prix politique à payer d'une telle normalisation du Québec, tant au sein de la fédération canadienne qu'au niveau de la définition d'une politique extérieure québécoise alignée sur la conception fédérale d'une politique étrangère presque exclusivement utilitaire et économique.




Un plan B pour les relations internationales?

En 1996-1997, les relations extérieures québécoises ont encore été ponctuées par une série de démêlés avec le fédéral et marquées par un climat de tension qui a cumulé à l'hiver 1997 avec les propos du ministre des Relations internationales. Dans une entrevue au quotidien Le Devoir, celui-ci a qualifié de «politique stricte, sectaire, rigide» et de «blocus» le comportement du gouvernement canadien qui, selon lui, entraverait l'action internationale du Québec à l'étranger et le séjour de dignitaires étrangers dans la province. M. Simard faisait alors référence à l'absence du Québec dans l'itinéraire du président chilien lors de sa visite au Canada et à la décision de faire présider par un ministre fédéral (au détriment du premier ministre québécois) un dîner offert en l'honneur du président italien lors de son séjour au Québec. En fait, rares sont les visites de dignitaires étrangers qui ont totalement échappé à ces tensions. Les moins touchées ont été la visite en avril du président brésilien, celle du président libanais également en avril, le séjour du gouverneur de la province chinoise du Shaanxi en décembre, celui du gouverneur de l'État du Minas Gerais (Brésil) en mars et le passage du gouverneur de l'État de Merida (Venezuela) en juin.

Le Québec s'est aussi plaint d'autres tentatives d'«isolement»: l'envoi par Ottawa d'une ordonnance adressée aux ambassades canadiennes et aux missions diplomatiques au Canada régissant les contacts officiels avec le Québec; des activités d'espionnage (démenties par Ottawa) dont aurait fait l'objet un employé de la délégation du Québec à Washington; et l'intervention personnelle du premier ministre Chrétien auprès du gouvernement français au sujet de l'émission d'un timbre commémorant le 30' anniversaire du passage du général de Gaulle au Québec.

De plus, d'autres ministres ont joint leur voix à celle de M. Simard pour critiquer les agissements du gouvernement canadien. Même le dossier de l'amiante qui a donné lieu à une rare solidarité entre Québec et Ottawa n'a pas échappé à ce phénomène. La ministre responsable de ce dossier, Denise Carrier-Perreault, a déploré en juin «un manque évident» de connaissance de la part de plusieurs ambassades canadiennes, lesquelles n'auraient pas assumé leur part de leadership dans la défense de ce dossier. En matière d'immigration, le ministre responsable de ce secteur, André Boisclair, a critiqué en septembre la lenteur du gouvernement fédéral dans le traitement des demandes de réfugiés, la double tarification imposée aux immigrants choisissant le Québec et la volonté d'Ottawa de modifier un programme d'immigrants investisseurs avantageux pour le Québec.

L'histoire des relations internationales du Québec nous avait habitués à de telles querelles, tantôt sérieuses tantôt amusantes, et à un manque de coopération en ce domaine, notamment lorsque les deux paliers du gouvernement sont occupés respectivement par le Parti libéral du Canada et le Parti québécois. Répétons-le, c'est à l'arraché qu'au fil des années le statut international particulier du Québec a été négocié et l'actuelle «crypto-diplomatie» québécoise oeuvre dans un espace fragilisé par la récente restructuration de la conduite des relations extérieures. Le présent contexte politique, à la fois post et pré-référendaire, accentue encore davantage le caractère particulièrement aigu de cette «nouvelle» guerre que plusieurs n'hésitent pas à inscrire dans les efforts plus larges de lutte contre la souveraineté menés par le gouvernement canadien.




Normalisation du Québec dans la francophonie?

Une autre sphère d'action des relations internationales du Québec pourrait voir ses bases fragilisées à moyen terme. Dans ce cas-ci, les conséquences seraient lourdes puisqu'elles se situeraient au coeur de la spécificité des relations internationales du Québec. En effet, la réforme institutionnelle de la francophonie qui s'est déroulée durant l'année et qui a débouché sur la rédaction de la Charte de la francophonie, visait à concrétiser les ambitions politiques de cette institution en la dotant d'un secrétaire général qui deviendrait le porte-parole politique de la francophonie.

Pour le Québec, l'enjeu de cette réforme est vital, puisqu'une réforme assurant la suprématie du nouveau secrétariat sur une Agence de la francophonie (nouveau nom de l'Agence de coopération culturelle et technique) aux pouvoirs diminués minerait les fondements du seul forum international où il détient un statut de gouvernement participant. Tenue en décembre 1996, la conférence ministérielle de Marrakech où fut proposée la nouvelle «redistribution des pouvoirs» au sein de la francophonie a suscité des échanges vigoureux, notamment entre le Québec et la France. 11 a été alors convenu que le secrétaire général serait «la clé de voûte du système institutionnel francophone» et l'unique porte-parole politique de la communauté francophone. Quant à l'Agence de la francophonie, elle sera «l'opérateur principal des programmes de coopération culturelle, scientifique, technique, économique et juridique» et sa gestion sera confiée à un administrateur général. Il faut de plus noter que, sous l'autorité immédiate du secrétaire général, on retrouvera un secrétariat des instances (un service assuré jusqu'ici par la direction générale des politiques et de la planification de l'Agence) et de deux autres services chargés de la prévention des conflits et de la coordination des opérateurs.

À l'issue de ces négociations, le ministre Simard s'est dit heureux de constater que les «acquis les plus précieux des 25 dernières années avaient été préservés» et que l'Agence gardait «son autonomie et sa liberté d'action». S'il est vrai que le statut du Québec a été préservé, il est plus que probable que la politisation souhaitée de la francophonie contribuera à diminuer le rôle dévolu à l'Agence et, conséquemment, à marginaliser la participation du Québec à certains dossiers francophones internationaux.

Un autre signe de la réduction de la marge de manoeuvre du Québec dans la francophonie est apparu dans le dossier de la candidature de la ville hôte du Sommet de 1999. Dans ce cas-ci, le Québec, engagé par son devoir de solidarité avec la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick, a appuyé la candidature canadienne tout en suspectant le gouvernement fédéral de vouloir utiliser cet événement pour promouvoir l'unité canadienne et banaliser le rôle international du Québec au sein d'un forum où les deux provinces détiennent le même statut. Le libellé de la motion adoptée par l'Assemblée nationale illustre d'ailleurs cet appui réservé en stipulant simplement que le Québec «accueille favorablement» la candidature de Moncton. La confirmation de la ville canadienne lors du Sommet de Hanoï ne pouvait être qu'une formalité, un consensus ayant émergé après le retrait de la candidature de la Roumanie.

Le Québec devra suivre de près l'évolution de la réforme institutionnelle de la Francophonie puisque dans le contexte actuel, c'est-à-dire celui d'un affrontement entre Québec et Ottawa, il est peu probable qu'un Québec insatisfait de son poids stratégique dans la gestion quotidienne des travaux de la Francophonie reçoive l'appui d'Ottawa pour renégocier les conditions de sa participation.

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Une année de transition a succédé à l'année noire de la fermeture des délégations et du changement de vocation du ministère des Relations internationales (MRI). Les efforts d'adaptation ont été nombreux, transformant ainsi profondément la conduite des relations internationales québécoises. On voulait parer celle-ci des atours de l'efficacité, de la souplesse, de la modernité et de la maximisation des ressources mais des nuages planent sur cette ambition pourtant pleine de bonne volonté. L'ambivalence entourant toujours le rôle du MRI, une nouvelle «guerre froide» avec Ottawa et l'incertitude concernant le rendement des nouveaux modes de représentation à l'étranger annoncent autant de facteurs porteurs d'instabilité pour des relations internationales déjà fragilisées. Cette transition ne devrait pas d'ailleurs être facilitée par l'éventualité d'une élection provinciale ou celle d'un autre référendum.




Note(s)

*  Ce texte tire ses références de la chronique des relations internationales publiée chaque trimestre dans la revue Études internationales.