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Les tendances du vote, 1985-1995



Pierre Drouilly
Université du Québec à Montréal


L'année politique au Québec 1997-1998

· Rubrique : Les élections et les référendums



La décennie 1985-1995 aura été marquée par le déclin du mouvement souverainiste après le référendum de 1980, puis par sa renaissance à partir du début des années 1990 suite à l'échec de réforme du fédéralisme canadien par l'entente du lac Meech et les accords de Charlottetown : cette crise aura abouti au référendum de 1995, au cours duquel le OUI fut battu par une infime majorité, tout en s'assurant d'un appui de 60% de la part des seuls électeurs francophones.



Les tendances globales 1 ]

Les élections de 1985 marquent le retour au pouvoir du Parti libéral, dirigé de nouveau par Robert Bourassa : pour le Parti québécois il s'agit d'un moment difficile, puisqu'il doit faire face aux contrecoups de la crise sociale de 1982 et de l'affrontement avec les employés du secteur public. Les élections de 1985 sont désastreuses pour le Parti québécois : il perd le pouvoir. René Lévesque avait quitté sa direction en 1984, et il avait été remplacé par Pierre Marc Johnson à la veille du déclenchement des élections.

Les élections de 1989 semblent être en continuité avec celles de 1985 : bien que Jacques Parizeau ait remplacé Pierre Marc Johnson à la direction, la performance du Parti québécois en 1989 est pratiquement identique à sa performance de 1985, et le parti se retrouve avec pratiquement le même nombre de voix (voir tableau 1). Le Parti libéral, par contre, se heurte à l'hostilité des anglophones, insatisfaits du traitement qu'il a réservé à la question linguistique après le jugement de la Cour suprême : une bonne partie des électeurs anglophones appuieront le Parti Égalité et le Parti Unité, affaiblissant d'autant le vote libéral.




Au cours du référendum de 1992 sur les accords de Charlottetown, le NON l'emporte avec une forte majorité : le camp du OUI se retrouve avec le même nombre de voix que le Parti libéral en 1989, mais comme il a récupéré les votes anglophones qui étaient allés au Parti Égalité et au Parti Unité, cela montre que des voix libérales de 1989 ont été dans le camp du NON. Ce dernier dépasse d'ailleurs les deux millions de voix.

Aux élections de 1994, le Parti québécois est reporté au pouvoir et obtient un nombre de voix substantiellement plus élevé qu'en 1985 et 1989, mais moins élevé cependant que le NON de 1992. Le Parti libéral, maintenant dirigé par Daniel Johnson, maintient ses appuis au niveau de ceux du OUI en 1992. Mais cette apparente stabilité cache des mouvements plus complexes des voix, résultant notamment de la présence de l'Action démocratique, dirigé par Mario Dumont, qui attire à lui des électeurs libéraux mécontents qui avaient voté NON en 1992.

Au référendum de 1995, enfin, les deux camps font le plein de leurs voix, pour un résultat proche de l'égalité, et à la faveur d'un taux de participation record de 93,5%. Le camp du OUI obtient pratiquement le même nombre de voix que le NON en 1992, tandis que le camp fédéraliste augmente son appui de plus de 600 000 voix par rapport au vote libéral de 1994.

L'examen des pourcentages, tant par rapport aux électeurs inscrits (tableau 3) que par rapport au vote valide (tableau 4), ne modifie pas les conclusions précédentes.

À cause de l'amplification produite par le mode de scrutin, les majorités parlementaires au moment des élections ou le nombre de circonscriptions remportées lors des référendums sont sans commune mesure avec les pourcentages de voix (tableau 2). On notera toutefois qu'en 1995 le OUI, bien que minoritaire, l'emporte dans 80 circonscriptions, du fait de la polarisation linguistique du vote.










Alors que les élections de 1985 et de 1989 ont été marquées par un faible taux de participation (environ 75 %), dû en grande partie à l'abstentionnisme des partisans péquistes, le référendum de 1992, tout comme les élections de 1994, se traduit par une participation supérieure à 80 %, semblable au taux de participation aux élections québécoises depuis 1970. En 1992, le camp du OUI, et en 1994 le Parti libéral, n'ont pas vu leurs appuis augmenter, en pourcentage des électeurs inscrits, par rapport à 1985-1989, alors que le camp du NON, en 1992, et le Parti québécois, en 1994, progressent en nombre d'électeurs inscrits : cela confirme que la hausse du taux de participation est principalement due au retour des électeurs souverainistes qui s'étaient abstenus en 1985 et 1989.

Au référendum de 1995, l'exceptionnel taux de participation traduit la mobilisation des deux camps vis-à-vis d'un enjeu perçu comme particulièrement important par l'ensemble des électeurs.




Le vote linguistique

Le facteur principal d'explication des élections au Québec depuis un quart de siècle est l'extrême polarisation du vote sur une base linguistique. Tous les sondages montrent que la presque totalité des anglophones du Québec votent contre le Parti québécois ou le camp souverainiste lors des référendums, tandis que l'appui du Parti québécois auprès des électeurs allophones est extrêmement faible, certainement inférieur à 10 %. Cela est aussi confirmé par les analyses des résultats du vote2 ] , qui révèlent en particulier que dans la région du grand Montréal, le Parti québécois a obtenu sans interruption depuis 1973 des majorités absolues du vote francophone.

Comme, à toutes fins utiles, le vote combiné des anglophones et des allophones pour le Parti québécois et pour les options souverainistes est voisin de 5 %, on peut en première approximation obtenir le vote des seuls francophones pour le Parti québécois, en divisant son vote par le pourcentage de francophones : c'est ce que nous avons fait systématiquement dans la dernière colonne de tous les tableaux (à partir du tableau 4).

On voit d'emblée que, pour l'ensemble du Québec (tableau 4), l'appui francophone au Parti québécois est considérablement plus élevé que ce que les résultats globaux laissent entrevoir. En 1985, libéraux et péquistes arrivent pratiquement à égalité chez les électeurs francophones, avec environ 46 % des voix ; en 1989, le Parti québécois, avec 48 % du vote francophone, dépasse légèrement le Parti libéral. Enfin, depuis 1992, le Parti québécois, ou le camp souverainiste lors des référendums, a obtenu la majorité absolue du vote francophone. En ce qui concerne le Parti libéral, son vote francophone varie entre un peu plus du tiers (en 1994 par exemple), et un peu moins de la moitié (en 1985 et 1989).

Mais bien entendu, il s'agit là de moyennes pour l'ensemble du Québec, et même si le Parti québécois recueille plus de vote que le Parti libéral chez les francophones, cela n'est pas vrai pour toutes les circonscriptions, car le vote obtenu par chacun des partis politiques est aussi déterminé par la composition sociale des circonscriptions.

Le tableau 5 donne le résultat des consultations par circonscriptions regroupées selon leur pourcentage de francophones. On note la décroissance du vote péquiste lorsque le pourcentage de francophones diminue : ainsi, par exemple, dans les circonscriptions ayant moins de 50 % de francophones, le vote péquiste varie entre 20 % et 30 % seulement. Mais en termes de vote francophone uniquement, en règle générale le vote péquiste augmente lorsque le pourcentage de francophones diminue : c'est parce que les électeurs anglophones et allophones sont davantage présents en milieu urbain, et à Montréal notamment, et que le vote péquiste francophone est plus urbain que rural. Les circonscriptions rurales appartiennent pour la plupart au groupe des circonscriptions comprenant plus de 90 % de francophones, et celles-ci se situent généralement sous la moyenne de l'ensemble du Québec.




On notera qu'il n'y a pas de différences notables dans le taux de participation des circonscriptions selon leur composition linguistique : les divers groupes linguistiques votent dans des proportions assez semblables, les différences de participation relevant davantage des différences sociales que linguistiques.




Les régions géographiques

Le calcul des résultats électoraux par régions géographiques (tableau 6), permet d'étudier l'effet des cultures politiques régionales.




On note en premier lieu que les variations dans le temps du taux de participation suivent, dans chaque région, le mouvement général du taux de participation pour l'ensemble du Québec : faible participation en 1985 et 1989, hausse de la participation en 1992, légère diminution en 1994, et forte hausse en 1995. On notera aussi que la structure du taux de participation à travers les régions demeure stable pour toute la période. Les régions périphériques (Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Côte-Nord, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue) sont toujours les plus abstentionnistes, et les banlieues de Montréal (Montérégie-Rive-Sud, Laurentides-Lanaudière, Laval) sont les plus participationnistes.

Le tableau des votes par région fait ressortir celles qui sont fortement acquises au Parti québécois (Laurentides-Lanaudière, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Abitibi-Témiscamingue), auxquelles il faut ajouter, si l'on considère le vote francophone, les régions de Montérégie-Rive-Sud, de Laval et de l'île de Montréal. Le Parti libéral dispose aussi de régions acquises, soit du fait du vote non francophone (l'île de Montréal), soit auprès des seuls électeurs francophones : l'Outaouais, par exemple, se démarque du reste du Québec, le Parti québécois obtenant régulièrement dans cette région un vote francophone nettement au-dessous de sa moyenne québécoise (moins de 50 % des électeurs francophones pour toute la période, et à peine le tiers au référendum de 1995).

Dans le Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Côte-Nord, le Parti québécois obtient en règle générale des résultats supérieurs à sa moyenne provinciale, tandis qu'en Estrie, en Mauricie-Bois-Francs et dans la région Chaudière-Appalaches, ses résultats sont nettement moins bons, même auprès des seuls électeurs francophones. La région de Québec pose des difficultés au Parti québécois depuis 1985 : au cours de ces élections son vote n'a représenté que le tiers des francophones ; il s'est lentement relevé depuis, mais en restant sous la moyenne québécoise. On ne peut s'empêcher de relier ce phénomène à l'affrontement entre l'État québécois et ses fonctionnaires au moment de la crise de 1982.

Bien entendu, ces variations régionales ne sont pas uniquement dues aux variations de la composition linguistique des régions, ni à la seule existence de cultures politiques locales qui favoriseraient l'un ou l'autre parti. Il faut aussi les rattacher à la composition sociale qui diffère dans chacune des régions.




L'espace social

Le tableau 7 présente les résultats des consultations de 1985 à 1995 selon des régions de l'espace social. La région de Montréal est découpée en plusieurs sous-régions (Ouest plus anglophone, Est plus francophone, Nord-Est plus allophone et couronne de banlieues), auxquelles s'ajoutent la partie métropolitaine de Québec, les six autres circonscriptions entièrement urbaines (Chicoutimi, Jonquière, Trois-Rivières, Sherbrooke, Hull et Chapleau), les 22 circonscriptions à composante urbaine dominante (généralement une ville représentant plus de 50 % de l'électorat) et les 35 circonscriptions à composante rurale dominante (n'ayant pas généralement de pôle urbain important).




Dans la grande région de Montréal, l'Est de l'île de Montréal et le Nord-Est, si l'on considère seulement le vote péquiste francophone, demeurent les bastions du Parti québécois, même si la composition linguistique des circonscriptions accorde peu de députés élus au Parti québécois. La couronne de banlieues suit de près, et même dans l'Ouest de l'île de Montréal le Parti québécois a de très bons résultats auprès des électeurs francophones, résultats qui sont entièrement masqués par la présence d'un électorat non francophone très majoritaire. La participation électorale est évidemment plus faible dans l'Est et le Nord-Est, zones défavorisées par excellence, tandis qu'elle est particulièrement élevée dans la couronne des banlieues et dans l'Ouest de Montréal.

La région du Québec métropolitain (les 11 circonscriptions urbaines de Québec) se démarque de Montréal, comme nous le signalions plus haut. De même pour les six autres circonscriptions entièrement urbaines du Québec, mais dans ce cas, cela est dû au fait que, parmi ces six circonscriptions, on retrouve Hull et Chapleau dans l'Outaouais, dans lesquelles le Parti québécois est particulièrement faible, même chez les électeurs francophones.

Enfin, l'opposition des circonscriptions à composante urbaine dominante avec celles à dominante rurale dominante montre que le taux de participation est toujours moins élevé en milieu rural, ainsi que les appuis au Parti québécois, même si ce dernier se retrouve majoritaire depuis 1992 en ce qui concerne le vote francophone. C'est en 1985 et 1989 que l'écart entre régions urbaines et rurales est le plus grand, ce qui explique notamment les très nombreuses victoires libérales dans ces circonscriptions au cours de ces élections.




L'urbanisation

Afin de mieux cerner cette opposition urbain/rural, nous avons calculé les résultats des consultations électorales depuis 1985 de deux façons : d'abord, nous avons repris la classification de Statistique Canada qui distingue les régions métropolitaines de recensement, les agglomérations de recensement et le reste ; ensuite, nous avons calculé les résultats par municipalités regroupées selon leur taille (nombre d'électeurs en 1995)3 ] . Ces calculs ont été effectués à partir d'une banque de données électorales au niveau de chacune des municipalités et de chacun des secteurs de recensement des régions métropolitaines de recensement, pour les consultations de 1970 à 1995. Il s'agit donc ici de données qui recouvrent exactement les différentes régions métropolitaines et les différentes agglomérations de recensement. Les données pertinentes sont fournies dans les tableaux 8 et 9.







On note dans ces tableaux que la performance du Parti québécois est d'autant plus élevée que l'on se situe dans des grands centres urbains. Ainsi, c'est dans les régions métropolitaines (à l'exception de celle de Hull), en particulier celles de Montréal et de Chicoutimi-Jonquière, que le vote francophone pour le Parti québécois atteint ses plus hauts niveaux. Les agglomérations de recensement sont comparables, de ce point de vue, aux régions métropolitaines de recensement de Québec, Sherbrooke ou Trois-Rivières. Le Québec rural traîne de l'arrière pour le Parti québécois, même si globalement le Parti québécois y dispose depuis 1992 d'une majorité absolue du vote francophone.

Le caractère urbain du vote péquiste se confirme lorsque l'on classe les municipalités par ordre décroissant de population. C'est dans les municipalités de plus de 100 000 électeurs (Montréal, Laval et Québec) que le Parti québécois obtient ses meilleurs résultats auprès des francophones tout au long de la décennie 1985-1995 : il y bénéficie d'une majorité absolue du vote francophone. À mesure que la taille des municipalités diminue, indiquant qu'on s'éloigne des grands centres urbains pour s'enfoncer dans le Québec rural, les appuis au Parti québécois ne cessent de décroître tout en demeurant néanmoins majoritaires auprès des francophones : ainsi, au référendum de 1995, les petites municipalités (moins de 1000 électeurs) ont appuyé le OUI mais de justesse, le vote francophone pour le OUI atteignant tout juste 55 %. Dans les grand centres urbains par contre, le OUI francophone dépasse largement les 60 %.

Les différents indicateurs retenus pour cerner la réalité métropolitaine, urbaine et rurale illustrent de manière claire le caractère urbain du vote péquiste francophone.




Le vote des Amérindiens

Le vote des Amérindiens du Québec est assez méconnu. Aucune enquête électorale ne s'occupe d'une population aussi peu nombreuse, et la seule façon de savoir comment votent les Amérindiens est d'examiner les résultats électoraux dans les réserves indiennes (et les villages nordiques). Celles-ci regroupent environ les trois quarts de la population d'origine amérindienne, et 83 % des Amérindiens qui y habitent déclarent une langue amérindienne comme langue maternelle (tableau 10).




Les réserves indiennes comprennent environ 20 000 électeurs (excluant les Mohawks qui ne participent pas au processus électoral). Les Amérindiens, qui ont acquis le droit de vote en 1970, sont en règle générale très abstentionnistes. Le taux de participation des réserves indiennes se situe aux alentours de 30 à 40%. Une exception : au référendum de 1995, le taux de participation dans les réserves indiennes a atteint 74%.

Les populations amérindiennes sont défavorisées au plan socio-économique, et comme pour toutes les catégories défavorisées de notre société, une part de l'abstention est la conséquence de leurs mauvaises conditions sociales. Mais cela ne peut expliquer entièrement les faibles taux de participation observés régulièrement chez les Amérindiens. On ne saurait non plus expliquer la faible participation électorale des Amérindiens par des caractéristiques culturelles ou les interpréter comme un « retard » politique de populations ayant accédé depuis peu à la démocratie électorale. En effet, à l'occasion d'autres consultations les concernant plus directement (référendums, élections locales, etc.), les Amérindiens votent en grand nombre, atteignant des taux de participation élevés, semblables à ceux de la population québécoise en général. Ce fut aussi le cas en 1995.

Le faible taux de participation des Amérindiens semble plutôt traduire un faible intérêt pour les enjeux de la politique québécoise par laquelle ils se sentent sans doute moins concernés. En ce sens, les Amérindiens ont des comportements fort semblables à ceux des autres électeurs du Québec : ils participent d'autant plus que les enjeux les concernent. En fin de compte, la participation des Amérindiens aux élections québécoises est comparable à celle des Québécois aux élections municipales.

Le comportement des électeurs Amérindiens aux élections provinciales n'est pas aussi monolithique qu'on pourrait le penser, même si, en règle générale, le Parti libéral obtient d'eux un meilleur appui que de l'ensemble du Québec, et si, inversement, le Parti québécois obtient d'eux un appui plus faible.

Le Parti québécois a connu, de 1970 à 1981, une progression constante de ses appuis parmi les Amérindiens, tout comme dans l'ensemble du Québec, même si cet appui a toujours été modéré. Ce mouvement a culminé en 1985, alors que le Parti québécois obtenait un appui beaucoup plus considérable parmi les Amérindiens (47 %) que dans l'ensemble du Québec (39 %), l'appui des Amérindiens au Parti québécois étant alors semblable à celui des seuls électeurs francophones ! Le Parti québécois obtenait même à cette occasion un appui plus considérable parmi les Inuits (59 %), les Attikameks (56 %) et les Montagnais (49 %) qu'auprès des francophones (les Cris suivent avec 44 %). Trois réserves sur quatre à travers le Québec donnaient une majorité au Parti québécois en 1985.

En 1989, le Parti québécois obtient encore un appui plus fort que dans l'ensemble du Québec (40 %), auprès des Attikameks (45 %), des Inuits (43 %), des Cris (41 %) et des Montagnais (40 %). Une réserve sur deux à travers le Québec donnait encore une majorité au Parti québécois. Mais les appuis amérindiens au Parti québécois continueront de décliner, pour retrouver en 1994 leur niveau des années 1970.

L'appui au Parti québécois est toujours plus fort parmi les Amérindiens « francophones » (Abénakis, Attikameks, Hurons, Montagnais) que parmi les Amérindiens « anglophones » (Algonquins, Cris, Micmacs, Naskapis). Ce clivage linguistique n'est toutefois pas total, puisque les Cris ont déjà soutenu substantiellement le Parti québécois, et les Inuits encore plus.

C'est au cours des référendums que le vote amérindien se polarise contre les souverainistes. En 1980, le OUI n'a obtenu que 16,8 % dans les réserves indiennes ; en 1992, le NON à Charlottetown y a obtenu 29,1 % ; et en 1995, le OUI y a obtenu seulement 9,6 %. C'est évidemment peu, et moins que ce que le Parti québécois a régulièrement obtenu parmi les Amérindiens. Les meilleurs scores du OUI en 1980, du NON en 1992 ou du OUI en 1995 sont le fait, une fois de plus, des Amérindiens les plus proches, par la géographie et l'histoire, des Québécois francophones. Auxquels il faut ajouter, une fois de plus, les Inuits qui constituent un cas à part.

L'appui des Amérindiens au OUI en 1995 est néanmoins beaucoup plus fort que ce que les souverainistes ont obtenu parmi les anglophones ou les allophones du Québec. À titre d'exemple, si les anglophones et les allophones avaient autant appuyé le OUI au référendum de 1995 que les Amérindiens, le OUI aurait gagné avec environ 51 % des voix.

Les électeurs amérindiens ont montré qu'ils sont capables de nuances (un certain appui au OUI en 1995) et de distinguer les enjeux d'un référendum de ceux d'une élection (des appuis certains au Parti québécois à certaines élections). Ils démontrent ainsi que leur comportement électoral n'est pas toujours dicté par leur origine ethnique, contrairement aux anglophones et aux allophones.




Le Québec « mou »

Lorsque l'on étudie, sur une longue période de temps, le comportement des circonscriptions électorales, certaines constantes apparaissent que l'analyse d'une seule élection ne permet pas de dégager. C'est le cas, par exemple, si l'on s'intéresse aux circonscriptions qui ont accordé au Parti québécois un appui toujours inférieur au résultat qu'il obtenait dans l'ensemble du Québec.

Évidemment, du fait de la polarisation du vote non francophone contre le Parti québécois, les circonscriptions qui comprennent le moins de francophones se situent toujours sous le niveau obtenu par le Parti québécois dans l'ensemble du Québec. Mais même si l'on s'en tient au seul vote francophone pour le Parti québécois, un groupe de 27 circonscriptions se situe, tout au long de la période 1970-1995, sous la moyenne péquiste auprès des électeurs francophones dans l'ensemble du Québec. Certaines de ces circonscriptions sont dispersées à travers le Québec, et un bon nombre d'entre elles ont élu récemment un député péquiste ou voté OUI au référendum de 1995.

Depuis maintenant un quart de siècle, deux groupes de circonscriptions se détachent pourtant, qui ont un comportement électoral distinct de celui de l'ensemble du Québec du point de vue du vote francophone.

Le premier groupe de ciconscriptions comprend les circonscriptions de l'Outaouais (Argenteuil, Chapleau, Gatineau, Hull, Papineau et Pontiac), dont deux seulement ont élu un député péquiste à l'occasion des élections de 1976, et dont le vote péquiste francophone se situe toujours sous la moyenne de celui de l'ensemble du Québec : elles ont d'ailleurs toutes voté NON en 1995, et par de fortes majorités. L'explication de ce comportement tient certainement aux appréhensions suscitées par le projet souverainiste dans des régions à forte présence de fonctionnaires fédéraux que le projet souverainiste inquiète malgré les assurances fournies par le Parti québécois.

Mais un autre groupe de circonscriptions contiguës manifestent aussi une forte réticence au projet souverainiste, et ont, depuis 25 ans, donné au Parti québécois un appui toujours inférieur à la moyenne québécoise : il s'agit des circonscriptions de Rivière-du-Loup, Kamouraska-Témiscouata, Montmagny-L'Islet, Bellechasse, Beauce-Nord, Beauce-Sud, Frontenac, Mégantic-Compton et Richmond. On se trouve ici dans le Québec profond, et massivement français puisque la moins francophone de ces circonscriptions (Mégantic-Compton) comprenait plus de 90 % de francophones en 1996.

En 1970, trois de ces neuf circonscriptions ont élu un député de l'Union nationale, et trois autres un député créditiste ; en 1973, l'une d'entre elles a élu un des deux seuls députés créditistes élus ; en 1976 enfin, trois de ces circonscriptions élisaient un député de l'Union nationale, alors que Beauce-Sud réélisait Fabien Roy sous l'étiquette du Parti national populaire.

Trois de ces neuf circonscriptions ont élu un péquiste en 1976, mais sur division du vote, grâce à la présence de l'Union nationale. Elles ont toutes élu des péquistes en 1981 sauf une, alors que le Parti québécois frôlait les 50 % du vote total, et donc les 60 % du vote francophone ; mais en 1985 et 1989, elles sont toutes redevenues libérales. En 1994, elles ont toutes élu des libéraux, sauf deux, l'une grâce à la présence de l'Action démocratique (Bellechasse), l'autre élisant pour sa part Mario Dumont (Rivière-du-Loup). Cinq d'entre elles, enfin, ont voté NON en 1995, les quatre autres donnant un faible appui au OUI (entre 53 % et 54 %), alors qu'ailleurs au Québec près de 60 % des francophones appuyaient le OUI.

Qu'est-ce qui caractérise ce Québec « mou », qui se situe toujours, du point de vue du vote nationaliste, derrière le reste du Québec francophone ? Lorsque la vague péquiste est très forte (comme en 1981), ces circonscriptions lui accordent un certain appui, mais moins prononcé qu'ailleurs au Québec, et le reste du temps cet appui est nettement plus tiède que dans l'ensemble du Québec.

Il s'agit là de circonscriptions essentiellement rurales, sans pôles urbains importants : mais cette explication n'est pas entièrement satisfaisante, car d'autres circonscriptions présentent cette caractéristique, ce qui ne les empêche pas de soutenir le Parti québécois assez régulièrement depuis 1976 (citons par exemple les régions d'Abitibi-Ouest, de Roberval, Charlevoix, Portneuf, Berthier, Matapédia, Matane, etc.).

Un début d'explication de l'appui plus tiède que ces neuf circonscriptions offrent au Parti québécois réside peut-être dans leurs caractéristiques sociales. En effet, sous certains rapports, elles se distinguent nettement du reste du Québec extérieur aux zones métropolitaines (Montréal, Québec, Chicoutimi-Jonquière, Sherbrooke, Trois-Rivières et Hull).

Ce sont d'abord des circonscriptions soumises à un exode rural important, d'où une plus forte présence de personnes âgées (ce sont les jeunes qui quittent les villages et les paroisses). Dans ce groupe de neuf circonscriptions, cinq sont parmi les dix circonscriptions qui ont le plus fort pourcentage de population âgée de 65 ans et plus (voir tableau 11).




Ce sont aussi des circonscriptions dont une part importante de la population est faiblement scolarisée : entre le quart et le tiers de leur population a moins de 9 ans de scolarité, alors que pour l'ensemble du Québec cette proportion est de 20 %.

Leur population active comprend aussi une forte proportion de cols bleus : alors que pour l'ensemble du Québec, la proportion de cols bleus est de 29 %, dans ces neuf circonscriptions cette proportion se situe entre 34 % et 51 %.

Ces circonscriptions se situent enfin, du point de vue des revenus, très au-dessous de la moyenne québécoise. Leur taux de chômage est cependant nettement plus faible que celui de la moyenne québécoise. Cela en fait une zone de faibles revenus, mais sans chômage chronique.

D'autres circonscriptions québécoises présentent l'une ou l'autre de ces caractéristiques (population âgée, faible scolarité, présence de cols bleus, faibles revenus), mais ces neuf-là les cumulent toutes. Un indice combiné de ces différentes caractéristiques situe ces circonscriptions en tête du peloton : Montmagny-L'Islet est en première position, Bellechasse en deuxième, Mégantic-Compton en troisième, Kamouraska-Témiscouata en quatrième, Richmond en cinquième. Beauce-Nord, Beauce-Sud, Frontenac et Rivière-du-Loup suivent un peu plus loin.

Or, depuis 25 ans, les sondages révèlent que les personnes âgées, les personnes faiblement scolarisées et les personnes à faible revenu sont plus réticentes à appuyer le Parti québécois ou les options souverainistes lors des référendums. La plus forte présence de ces catégories dans ces neuf circonscriptions explique donc que l'appui au Parti québécois y soit plus faible. L'on peut donc penser que ces caractéristiques font des populations plus précaires économiquement, bien que le chômage y soit moins élevé que dans le reste du Québec et que cela les différencie des circonscriptions de la Gaspésie, plus fragiles politiquement et plus craintives idéologiquement devant le projet souverainiste : d'où le fait qu'elles appuient plus mollement le Parti québécois ou les options souverainistes lors des référendums.

On comprendra dès lors l'ampleur de la tâche d'éducation politique et de persuasion à laquelle font face les souverainistes s'ils veulent convaincre ce Québec « mou » de se joindre au reste du Québec français dans leur projet collectif, qui concerne évidemment tous les Québécois. À défaut de faire ce travail politique, cette partie du Québec restera toujours un peu en retrait des débats et des choix du reste du Québec.

*    *    *

La prise en compte de la polarisation linguistique du vote permet de dresser un portrait plus précis des comportements électoraux : le vote anglophone et allophone étant, depuis un quart de siècle, hostile au Parti québécois ou au camp souverainiste dans les référendums, c'est comme s'il existait deux Québec du point de vue électoral. L'un, le Québec anglophone, appuie massivement le Parti libéral, et l'autre, le Québec francophone, se divise tout en appuyant majoritairement le Parti québécois. Le calcul du vote francophone pour le Parti québécois permet de rectifier les chiffres et de porter des jugements plus nuancés : ainsi le Parti québécois fait mauvaise figure dans la région de Montréal, mais cela est dû uniquement à la concentration du vote non francophone dans la métropole du Québec. Montréal demeure un bastion du vote souverainiste francophone.

Au-delà de ce fait incontournable, qui pousse la minorité linguistique à s'opposer unanimement au projet souverainiste, on constate que le vote francophone se divise suivant les paramètres sociaux relevés par la sociologie électorale dans toutes les sociétés normales.

Le vote au Parti québécois est plus urbain que rural, plus solide dans les classes populaires (Est de Montréal) et les classes moyennes (couronne des banlieues de Montréal ou de Québec) que dans les classes supérieures francophones (Ouest de Montréal ou circonscription de Jean-Talon à Québec par exemple). Les sondages nous apprennent régulièrement que les jeunes sont plus péquistes que les personnes âgées, que les personnes faiblement scolarisées sont moins péquistes que les personnes les plus scolarisées, que le Parti québécois rencontre des difficultés auprès des petits salariés et des cols bleus : le Québec « mou » illustre ce phénomène et montre quels sont encore les obstacles pour le Parti québécois.

Bref, autant de paramètres sociaux qui structurent les comportements électoraux comme dans toutes les démocraties avancées.




Note(s)

1.  Le lecteur trouvera dans les différentes éditions de L'Année politique des analyses détaillées de chacune des consultations électorales au Québec, fédérales et provinciales, depuis dix ans.

2.  Voir nos analyses du vote linguistique dans les différentes éditions de L'Année politique.

3.  Ces calculs ont été effectués à partir d'une banque de données électorales disponible pour chacune des municipalités et chacun des secteurs de recensement des régions métropolitaines de recensement, pour les consultations de 1970 à 1995. Il s'agit donc ici de données qui recouvrent exactement les différentes régions métropolitaines et les différentes agglomérations de recensement.