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La vie parlementaire



Louis Massicotte
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1997-1998

· Rubrique : La vie parlementaire



Le présent recueil offre une occasion de jeter un regard d'ensemble sur l'évolution en plus longue période des grands secteurs de la vie politique québécoise. Pour ceux qui espéraient des changements radicaux dans les us et coutumes de l'Assemblée nationale, la décennie s'est avérée plutôt décevante. Malgré une rotation importante du personnel politique et un rythme global d'activité indéniablement élevé, les règles du jeu parlementaire sont demeurées presque inchangées. Les réformes de 1984 n'ont guère affecté la logique du système. Les évolutions les plus inquiétantes -- mais à cet égard, qui osera dire que le Québec se distingue des sociétés voisines ? -- sont la multiplication des recours au bâillon et l'érosion du respect accordé par le public à la classe politique et aux institutions parlementaires.



La députation

L'Assemblée comptait 122 membres depuis 1981, chiffre porté à 125 en 1989. Le Québec n'a pas suivi par la suite l'exemple de plusieurs provinces canadiennes qui, dans le contexte de restriction budgétaire des années 1990, ont réduit le nombre de leurs députés. L'entrée en vigueur, en 1999 ou 2000, en Ontario, du Fewer Politicians Act, en vertu duquel l'effectif de l'Assemblée de Queen's Park tombera de 130 à 103 députés lors des prochaines élections, fera de l'Assemblée nationale l'assemblée la plus nombreuse du pays après la Chambre des communes. Comme partout ailleurs au Canada, c'est au niveau de l'exécutif que la cure d'amaigrissement s'est fait sentir, le nombre de membres du Conseil des ministres chutant de 30 sous Robert Bourassa à 22 sous Daniel Johnson et à 20 sous Jacques Parizeau, pour remonter à 23 avec Lucien Bouchard (26 après le remaniement pré-électoral de 1998).

Le bipartisme intégral qui avait caractérisé les législatures élues en 1981 et 1985 s'est légèrement effrité avec l'élection, en 1989, de quatre députés du Parti Égalité. Si ce dernier, victime de ses divisions internes et de la repolarisation référendaire, n'a été qu'un feu de paille, l'élection de Mario Dumont de l'ADQ en 1994 a maintenu à l'Assemblée un tiers parti, trop faible cependant pour être reconnu aux termes de la Loi sur l'Assemblée. Le jeu parlementaire québécois est donc demeuré foncièrement bipartisan, reflétant en cela le partage du suffrage populaire, les deux grands partis recueillant ensemble près de 90% des voix lors des élections de 1989 et de 1994.

Comme par le passé, la députation a connu un roulement spectaculaire. Des 122 parlementaires en fonction en 1988, seulement 27 siégeaient toujours en 1998. Six d'entre eux ont annoncé cette année-là leur intention de ne pas briguer à nouveau les suffrages, alors qu'un septième décédait en cours de campagne. Plusieurs députés, et non les moindres, sont morts à la tâche : on songe à Gérard D. Levesque, Gérald Godin, Denis Perron, Paul-Eugène Quirion, Yves Blais. Pour l'essentiel, cependant, c'est l'abandon de la carrière politique ou la défaite électorale qui a constitué la voie de sortie. Une étude comparative portant sur la période 1960-1997 a démontré que l'Assemblée québécoise avait le taux de roulement le plus élevé au pays2 ] . Le Québec est aussi la province qui, durant cette période, a changé de gouvernement le plus fréquemment (six fois, contre jamais plus de quatre dans les autres provinces). Ce phénomène prive l'Assemblée d'une expérience qui pourrait s'avérer précieuse. En contrepartie il favorise -- au moins en théorie -- la réforme des us et coutumes de l'institution.

Rapide, cette rotation n'a pas occasionné de changements majeurs dans la composition sociodémographique de l'Assemblée. Souvent voisins en termes d'âge, de niveau moyen d'instruction (l'un des plus élevés au pays), les députés des deux partis diffèrent principalement par les viviers d'où ils proviennent : le secteur public pour deux tiers des péquistes, le privé pour une proportion équivalente de libéraux.

On note toutefois une progression -- trop lente sans doute aux yeux de plusieurs -- de la représentation féminine. L'expérience a démenti les affirmations fantaisistes voulant que le scrutin majoritaire à un tour bloque irrémédiablement l'accès des femmes à l'Assemblée. Après la percée de 1985 (18 députées), le nombre de femmes est passé à 23 en 1989 et à 24 en 1994. À sa dissolution en 1998, l'Assemblée comptait 26 femmes, quelques-unes ayant été élues lors d'élections partielles. La progression a été plus marquée au niveau du Conseil des ministres, qui comptait quatre femmes sur 29 membres en 1988, et six sur 26 en 1998. On reste loin des chiffres enregistrés dans certaines autres provinces comme l'Ontario -- celle de de Bob Rae à tout le moins -- et surtout la Colombie-Britannique de Glen Clark (huit femmes sur 18 ministres).

Les femmes font-elles mieux ou moins bien que les hommes en politique ? La réponse serait : ni mieux ni pire. N'est-ce pas cela, justement, l'égalité des sexes ? À côté de quelques députées qui n'ont guère impressionné, et d'autres qui se sont situées dans l'honnête moyenne, on a vu des femmes occuper avec grand succès des postes de premier plan : Lise Bacon, Thérèse Lavoie-Roux, Pauline Marois, Louise Harel. La liste des portefeuilles majeurs occupés au moins une fois par une femme inclut désormais la Santé depuis 1985, les Finances depuis 1993 et l'Éducation depuis 1996. On est loin du temps des femmes alibis confinées à des ministères mineurs.

Après la hausse décidée en 1987 sur recommandation d'un comité extra-parlementaire, l'indemnité versée aux députés est demeurée à l'un des niveaux les plus élevés au pays. De 52 788 $ en 1988, elle a grimpé à 55 058 $ en 1989, 57 260 $ en 1990, 60 123 $ en 1991, 61 626 $ en juin 1992 et 63 475 $ en 1993. Par la suite, elle est demeurée à ce niveau, sauf en 1997-1998 où elle a été réduite à 59 661 $ dans le cadre des compressions imposées à l'ensemble des agents du secteur public. En juillet 1998, elle s'établissait à 60 860 $. Le supplément salarial versé aux ministres (égal aux trois quarts de l'indemnité parlementaire) n'a pas varié durant la période et s'établissait à 45 645 $ en 1998. Contrairement à ce qui fut observé dans d'autres parlements, les avantages matériels afférents à la fonction parlementaire n'ont pas suscité de controverse majeure.







Le règlement

Le règlement a peu évolué après la refonte majeure de 1984. Les modifications ont été relativement mineures. Presque toutes ont été mises à l'essai, souvent pour de longues périodes de temps, par voie de règlements temporaires. La plus féconde est survenue à l'initiative du président Charbonneau en avril 1997, lorsque l'Assemblée a supprimé la période de travaux intensifs du mois de décembre et surtout les tristement célèbres séances de nuit pendant la période des travaux intensifs de juin. Le nombre des commissions permanentes, qui avait oscillé avec une fréquence inquiétante de 1969 à 1984, est demeuré fixé à huit (compte non tenu de la commission de l'Assemblée nationale) jusqu'en 1997, date à laquelle deux nouvelles commissions ont été créées.







Les activités de l'Assemblée

L'examen du régime des séances de l'Assemblée révèle des tendances intéressantes. Le nombre et la durée des séances tendent à décliner. En ne retenant que les années non électorales, on compte une moyenne de 82 jours de séance en 1986-1988, de 79,2 en 1990-1993, et de 75,7 en 1995-1997. Les séances tendent à durer un peu moins longtemps. Ce déclin, qui accrédite la thèse d'un État « réduit », n'a rien d'exceptionnel : en 1991, la Chambre des communes a adopté un nouveau calendrier parlementaire réduisant de 175 à 134 le nombre annuel de ses jours de séance.

La même tendance se constatait au niveau du travail en commission durant les 33e et 34e législatures, mais l'année 1996-1997 a occasionné un redressement marqué.







Les commissions

Plus que jamais, les commissions demeurent les chevaux de labour de l'Assemblée. Un indice : de 1988 à 1998, le nombre total d'heures de séance des commissions a excédé trois fois celui des séances plénières. Autrement dit, près des trois quarts du temps global est passé en commission. Ce constat confirme l'opportunité des réformes de structure des années 1969-1972 : sans le transfert massif aux commissions de tâches qu'elle se réservait jusque-là, l'Assemblée aurait dû siéger de façon presque ininterrompue pour expédier les affaires relevant de sa compétence. Si les commissions n'ont pas exaucé tous les espoirs annoncés, elles ont certainement permis au parlement de fonctionner d'une façon bien plus efficace en fractionnant le travail à accomplir entre plusieurs sous-assemblées mieux outillées pour le faire.

Le travail législatif est demeuré le plat de résistance des activités des commissions (près de 49 % des heures de séance, consacrées en très grande majorité aux projets de loi publics). Bien que le recours à la commission plénière pour l'étude détaillée des projets de loi demeure possible en théorie et courante dans les faits, les commissions permanentes restent le cadre habituel de cette étape. Les crédits budgétaires, autre activité classique, ont occupé 15 % du temps, et un nombre d'heures toujours inférieur au maximum ùannuel de 200 heures imposé par le règlement. Les autres mandats de l'Assemblée, à savoir les tâches confiées par le leadership de la chambre aux commissions, ont consumé 17 % du temps disponible. La portion plutôt congrue réservée aux activités de contrôle parlementaire proprement dites est révélatrice des priorités parlementaires : 6,8 % aux engagements financiers, 1,9 % à la surveillance d'organismes, 1,5 % aux interpellations, 0,8 % à l'imputabilité et 0,2 % à la législation déléguée. Quant aux mandats d'initiative qui avaient suscité tant d'espoirs, ils n'ont occupé que 3 % du temps disponible.

Si les crédits demandés par l'exécutif ont été intégralement accordés par les commissions, celles-ci ont souvent altéré les projets de loi publics qui leur étaient renvoyés : les services de l'Assemblée ont calculé que le tiers des articles de ces textes ont fait l'objet d'une proposition d'amendement, adoptée dans 92 % des cas. Il reste bien sûr à établir un bilan plus qualitatif de ce peaufinage, et notamment de la provenance des amendements.

Le niveau d'activité des commissions s'est avéré inégal. La commission des aménagements et des équipements (et ses deux remplaçantes après 1997) vient en tête, suivie de la commission des affaires sociales, de la commission des institutions et de la commission de l'économie et du travail.







Le comportement législatif

L'initiative législative est demeurée, dans les faits, un privilège gouvernemental. Entre 1988 et 1998, les simples députés ont été à la source de 5,1 % (49 sur 957) des projets de loi publics présentés, et de seulement 2,5 % (21 sur 845) des projets de loi publics sanctionnés. En ce qui a trait à la discipline parlementaire, la période d'après 1985 marque la fin de la floraison de la dissidence observée sous l'égide de René Lévesque. On n'est pas revenu au conformisme total d'avant 1969, mais presque. Le cas de dissidence le plus spectaculaire a été la dissidence, suivie de la démission, de trois ministres libéraux anglophones, en décembre 1988, sur la question de l'affichage. En comparaison, la Chambre des communes et l'Assemblée législative de Toronto ont connu un degré de dissidence bien plus élevé.




La clôture

La banalisation du « bâillon » constitue un autre des « acquis » de la période. Rappelons que l'Assemblée dispose de trois techniques à cet égard : la motion de mise aux voix immédiate (autrefois la question préalable), dont l'origine se perd dans la nuit des temps et qui n'a pas été utilisée au cours des dix dernières années, la suspension des règles pour raison d'urgence, et la motion de clôture de l'étude en commission, introduite en 1972. Avant les années 1970, de tels procédés étaient rarissimes. Durant les années 1970, leur utilisation croissante à l'égard de projets de loi fort controversés comme la nouvelle carte électorale, la Charte de la langue française, ou de projets de loi mettant fin à des conflits de travail, suscitait des réactions outrées dont se gaussaient souvent les habitués du sérail, et qui font de nos jours figure de folklore dépassé. Aujourd'hui, en effet, on ne s'indigne même plus, alors que se multiplient de telles motions, souvent à l'égard de textes secondaires. Le nombre des motions adoptées constitue maintenant un indicateur imparfait. Les libéraux ont en effet instauré la pratique, reprise par la suite malgré les objections qu'elle avait suscitées, des motions d'urgence « omnibus » visant non plus un seul texte, mais un bloc de textes d'un seul coup. La paternité de cette innovation -- et le championnat dans son exercice -- reviennent à Michel Pagé, leader parlementaire du gouvernement, en juin 1992 : une seule motion d'urgence régla alors le sort de 25 projets de loi publics et de trois textes d'intérêt privé. Ses successeurs, MM. Bélanger et Jolivet -- mais non M. Chevrette --, ont également recouru à ce procédé par la suite. L'année 1994 est la seule à avoir été exempte de toute utilisation de l'une ou l'autre procédure.







Un parlement de moins en moins pertinent ?

Tout au long de la période se sont manifestés des signes à l'effet que le parlement n'est pas perçu comme un forum approprié aux grands débats de société. En confiant le dossier constitutionnel à une commission (Bélanger-Campeau) composée pour moitié de non-parlementaires, l'Assemblée a en quelque sorte admis les limites de sa propre représentativité. De même, le débat pré-référendaire de 1995 a été animé par des commissions régionales et sectorielles (boycottées par l'opposition) au sein desquelles les députés faisaient figure d'intervenants parmi bien d'autres. Et lorsqu'il a voulu légitimer ses orientations budgétaires, c'est à des sommets économiques réunissant les groupes d'intérêt que Lucien Bouchard s'est adressé. On a entendu un président de l'Assemblée dire publiquement à ses collègues que l'image collective des députés était à peine meilleure que celle des praticiennes du plus vieux métier du monde, ce qui n'empêche pas de larges sections du public d'afficher à l'égard de quelques (rares) politiciens une confiance confinant à la crédulité.

Discréditée, la classe politicienne ? Oui, et plus que bien d'autres élites sociales, mais pas plus au Québec qu'ailleurs en Occident. Endémique sous certaines latitudes, la corruption du personnel politique ne semble pas avoir pris au Québec les proportions scandaleuses observées ailleurs. Pour ceux dont le regard va plus loin que la période des questions, exercice que beaucoup jugent parfaitement infantile, et qui ne fait pas justice à l'intelligence de ceux qui s'y adonnent, le Parlement continue pourtant d'abattre une besogne considérable, alors que les députés retrouvent dans le cadre de leur bureau de comté l'impression de jouer un rôle indispensable, de même que le sentiment de leur propre importance.




Note(s)

2.  Gary F. Moncrief, « Terminating the Provincial Career : Retirement and Electroral Defeat in Canadian Provincial Legislatures, 1960-1997 », Revue canadienne de science politique, vol. 31, no 2, juin 1998, p. 359-372.