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Numéro en cours
No 23 -
juillet-août, 2005

Reproduction assistée au Royaume-Uni: la promotion d’un eugénisme individuel
Nicolas Rigaud

Sur les conditions d’exercice de la pratique médicale du traitement de l’infertilité et de la recherche connexe
Raymond D. Lambert
Marc-André Sirard

Entre assistance médicale à la procréation et adoption: risques et enjeux
Isabelle Le Brun

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Des articles un peu plus étoffés, présentant des synthèses ou des analyses. Une certaine manière de «centrer l’image» sur l’impact éthico-social.

Reproduction assistée au Royaume-Uni: la promotion d’un eugénisme individuel Imprimer
Un rapport de la Chambre des Communes britannique publié en mars dernier défend le primat de la liberté individuelle dans le domaine de la reproduction assistée. L’auteur décrit et commente les points les plus percutants de ce rapport.

Nicolas Rigaud*

«Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain.» Cette citation de JS Mill (1) semble être devenue à peu près inévitable dès qu’il s’agit de défendre certaines pratiques privées contre leur pénalisation par l’État (prostitution, usage de drogues, etc.). Le rapport Human Reproductive Technologies and the Law, publié en mars dernier par le Science and Technology Select Committee de la Chambre des Communes britannique, ne déroge pas à cette règle (2). Développant des propositions d’inspiration libertarienne, ce rapport bouscule une large part du cadre mis en place en 1990 au Royaume-Uni par le Human Fertilisation and Embryology (HFE) Act dans le champ de la reproduction assistée. Sélection des embryons humains et de leur sexe, thérapie génique, disparition de l’évaluation morale des candidats à une fécondation in vitro (FIV) et clonage reproductif font en effet l’objet d’une réflexion originale, inspirée par le primat de la liberté individuelle. Le document a suscité l’opposition scandalisée d’associations religieuses, médicales et citoyennes. Le Select Committee lui-même a terminé ses travaux dans la division, incapable d’adopter à l’unanimité ce que certains de ses membres ont nommé «le rapport Frankenstein». Toutefois, loin d’être incompréhensible, ce texte, tout en décrivant un monde possible, révèle un ensemble de tensions inhérentes à l’encadrement des techniques de reproduction assistée.

Le primat de la liberté individuelle

Le projet initial du rapport parlementaire était d’évaluer la pertinence du HFE Act dans le contexte contemporain, notamment le rôle de la HFE Authority, commission chargée depuis 1990 de veiller au bon respect des principes de l’Acte. Celle-ci rédige chaque année un code de bonne conduite à destination des chercheurs et praticiens, en fonction duquel ses Licence Committees délivrent, ou non, les accréditations demandées par les laboratoires. La rédaction du code confère à l’Autorité un pouvoir de discrétion assez important, lui permettant d’empêcher en pratique ce que l’Acte n’interdit pas explicitement, par exemple la sélection d’un embryon pour des raisons non médicales. Le rapport parlementaire, qui reconnaît l’utilité du code de bonne conduite pour guider la pratique et aider les Licence Committees, critique certaines décisions de ce code et s’oppose au glissement d’un pouvoir d’interprétation et d’application de la règle à un pouvoir de définition de celle-ci.

Le rapport ne relève pas seulement de l’évaluation technique ou administrative. Il propose un changement radical de perspective politique, au nom du primat de la liberté individuelle. Selon ce texte, celle-ci implique en effet de réduire l’intervention directe des agences d’État dans le domaine de la reproduction assistée, qui doit surtout demeurer du ressort des individus concernés, de leurs médecins et des chercheurs qui oeuvrent pour leur bien. Le primat de la liberté individuelle implique aussi d’inverser la logique du principe de précaution: la précaution consiste désormais à n’interdire que ce qui a été reconnu dangereux et scandaleux une fois mis en oeuvre. Il ne serait pas éthique, en effet, de limiter l’action des individus sans raison précise. «La prétention qu’une pratique fait du tort à la société ou à des patients doit être démontrée avant que davantage de progrès ne soit freiné sans justification» (3). Forte réduction de l’action de l’État et inversion de la charge de la preuve, telles sont les deux marques de l’inspiration libertarienne revendiquée par ce rapport.

Fécondation in vitro: l’opposition au paternalisme médical

Dans le cadre conceptuel adopté par ce rapport, une «autorité experte» telle que la HFE Authority n’a pas à s’immiscer directement dans les choix de reproduction individuels et privés, pas plus qu’elle ne doit définir ce qui est désirable et ce qui ne l’est pas. L’individu doit pouvoir choisir en toute souveraineté tant que ses choix ne relèvent pas d’une infraction, d’un délit ou d’un crime. Des comités d’éthique médicale peuvent graduellement déterminer les bonnes pratiques et conseiller l’individu concerné, mais rien de plus. En ce sens, le rapport s’oppose fermement à toute évaluation du «bien-être de l’enfant» dans l’examen d’une demande de fécondation in vitro. Il considère que ces pratiques, qui relèvent de l’inquisition, cautionnent un système paternaliste, dans lequel le médecin juge de l’état normal ou anormal de la société et décide de la légitimité d’un individu à procréer, selon des principes aussi controversés que la nécessité pour un enfant d’avoir un père. Selon ce rapport, aucun individu, qu’il rentre dans la norme ou qu’il s’en écarte, ne peut être éthiquement jugé illégitime à procréer. L’évaluation du bien-être potentiel de l’enfant à naître par FIV n’est pas seulement techniquement irréalisable, c’est aussi un instrument de «discrimination» qui heurte notamment des «familles non-conventionnelles».

Sélection du sexe pour des raisons sociales

De même, selon ce rapport, et à l’encontre du code de bonne conduite de la HFE Authority, la sélection du sexe par diagnostic préimplantatoire (DPI) devrait être permise quelles qu’en soient les raisons. L’argument n’est pas médical: il ne s’agit pas seulement, comme le permet l’Autorité, d’éviter par exemple le développement de pathologies liées au chromosome X (hémophilie, myopathie de Duchenne et de Becker, syndrome de l’X fragile, etc.). Bien au contraire, ce n’est pas le rôle d’une commission étatique de se prononcer sur ce qu’une équipe médicale peut examiner par DPI. Il s’agit surtout d’affirmer la liberté de reproduction des individus et leur droit à utiliser les techniques actuelles dès lors qu’elles sont au point, y compris leur droit à choisir le sexe d’un embryon, par DPI ou par sélection du sperme, afin «d’équilibrer» une famille: «La charge de la preuve devrait incomber à ceux qui s’opposent à la sélection du sexe pour des raisons sociales (…). Nous ne trouvons pas de justification adéquate pour interdire l’usage de la sélection du sexe pour l’équilibre familial» (4).

D’autres pays comme l’Inde, la Chine, Israël ou la Corée du Sud autorisent ou pratiquent déjà la sélection du sexe pour des raisons non médicales. La proposition du rapport n’en a pas moins été vertement critiquée, notamment par la British Medical Association dans sa réponse publique au rapport: «Nous sommes particulièrement opposés à des propositions qui autoriseraient les parents à sélectionner le genre de leur enfant pour des raisons sociales. Il est important de conserver un équilibre entre les droits de la personne qui cherche un traitement, les intérêts du nouveau-né et les intérêts légitimes de la société» (5). De nombreuses associations se sont ralliées à cette opposition, notamment la Human Genetics Alert, pour laquelle «la sélection du sexe ne devrait pas être autorisée, car elle change les enfants en objets de consommation et laisse des stéréotypes sur les genres déterminer qui sera mis au monde» (6).

Eugénisme individuel

De manière intéressante, d’ailleurs, l’argument de la liberté individuelle ne contredit pas une certaine promotion de l’eugénisme dans ce rapport: «Si assurer que votre enfant soit moins à risque d’être confronté à une maladie débilitante au cours de sa vie peut recevoir l’appellation ‘eugénisme’, nous n’avons aucun problème avec son utilisation. Les programmes d’État qui imposent un modèle génétique sont une autre affaire. Ils devraient être mis hors-la-loi par toute régulation sur la reproduction assistée. Le mot ‘eugénisme’ ne doit pas être utilisé comme un terme émotif pour signifier un abus et obscurcir le débat rationnel» (7). Ce faisant, le rapport confond toutefois allègrement maladie débilitante, risque pathologique et handicap. Il suppose que les individus verront toujours toute condition ou tout risque pathologique comme un mal et soutient même leur droit à bénéficier d’une éventuelle thérapie germinale. La thérapie «germinale», par opposition à la thérapie «somatique», porte sur le code génétique des cellules sexuelles, qui se transmet de génération en génération. De nombreux textes de régulation, y compris le HFE Act, s’opposent à cette forme de modification volontaire de l’espèce humaine, notamment parce qu’elle risque d’appauvrir le génome humain ou même de le rendre moins résistant à un environnement changeant. Le Select Committee, pour sa part, défend le droit des individus à agir de la sorte sur leur propre descendance, quitte à brouiller, d’une part, la distinction entre «être porteur d’une mutation génétique» et «être effectivement atteint d’une maladie génétique», et, d’autre part, à négliger l’utilité de certaines mutations dans des climats ou des zones géographiques particulières. Selon le rapport: «Une thérapie germinale effective et sûre, pour traiter les maladies génétiques sérieuses, résulterait en une réduction de la mortalité et de la morbidité infantiles, et du nombre d’avortements et d’embryons détruits» (8). Dans ce rapport qui rêve à la modification de l’espèce selon un modèle d’être humain plus sain, et qui suppose que celle-ci sera la conséquence naturelle de volontés individuelles conjuguées, l’horizon est explicitement eugénique.

Régulation locale de la recherche, clonage reproductif et rôle du Parlement

La régulation de la recherche fait l’objet de la même perspective. D’une part, le rapport préfère nettement le système déjà bien en place des comités d’éthique locaux travaillant en réseaux à une supervision «d’en haut», jugée bureaucratique, assez abstraite et peu dynamique. D’autre part, le principe de précaution subit à nouveau une lecture inversée, notamment au sujet du clonage reproductif: «S’il doit y avoir une interdiction totale de toute forme de clonage reproductif, il est important qu’elle soit soutenue par des arguments (…) expliquant pourquoi une telle technique devrait être bannie (…). Sans de tels arguments, une interdiction absolue et indéfinie ne saurait être considérée rationnelle. Le refus du ministère d’entrer dans quelque discussion sur le clonage reproductif n’est pas un point de départ encourageant» (9). Enfin, critiquant la tendance de la HFE Authority à prendre des décisions de régulation et non pas simplement déduire des règles à partir du HFE Act, le rapport insiste sur le fait que seul le Parlement, parce qu’il est politiquement responsable, a le pouvoir légitime de définir les pratiques inadmissibles, en s’appuyant sur le débat public. Pour préserver la «confiance publique» dans ces domaines sensibles, il convient de ne pas abandonner un tel pouvoir à une commission technique.

Il est peu surprenant que les conclusions du rapport aient provoqué l’indignation, non seulement de la société civile, mais également de cinq membres du Select Committee. Pour peu qu’on associe ces conclusions aux argumentations éthiques et aux conceptions politiques qui les fondent, ce document a toutefois le mérite de permettre un débat précis et fructueux sur l’extension de la liberté individuelle, la répartition des compétences étatiques et le rôle du public dans l’encadrement des techniques de reproduction assistée.

*Nicolas Rigaud est professeur de philosophie en disponibilité et doctorant en science politique. Lauréat d’une Bourse Lavoisier, il mène à l’Université d’Oxford (Department of Politics and International Relations) une thèse comparative sur la diffusion des tests génétiques dans les domaines de l’assurance et de l’emploi au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France. Il collabore régulièrement à différentes revues.

Références

(1) «Over himself, over his own body and mind, the individual is sovereign». In: Mill JS. Utilitarianism & On Liberty, (ed. M. Warnock). Fontana Press, 1962.

(2) UK House of Commons Science and Technology Committee. Human Reproductive Technologies and the Law: Fifth Report of Session 2004-05. Volume I (Report, together with formal minutes). London: The Stationery Office Limited, 24 March 2005:
http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200405/cmselect/
cmsctech/cmsctech.htm


(3) Ibid, p. 22 (traduction libre).

(4) Ibid, p. 64 (traduction libre).

(5) «BMA response to the science and technology select committee report on human reproductive technologies and the law». Medical News Today 24 March 2005 (traduction libre):
http://www.medicalnewstoday.com/medicalnews.php?newsid=21763

(6) Human Genetics Alert. Human Genetics Alert comments on report on Reproductive Technologies and the Law. Media Release, 23 March 2005 (traduction libre):
http://www.hgalert.org/pReleases/pr23-03-05.htm

(7) UK House of Commons Science and Technology Committee. Human Reproductive Technologies and the Law: Fifth Report of Session 2004-05, supra note (2), p. 55 (traduction libre).

(8) Ibid, p. 39 (traduction libre).

(9) Ibid, p. 35 (traduction libre).

 
 

 

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