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Volume 19, No3- 2000

 

  Agence de santé publique du Canada

Comorbidité et survie chez des hommes âgés ayant participé à l'Enquête Santé Canada : pertinence du dépistage et du traitement du cancer de la prostate

Libni Eapen, Paul J. Villeneuve, Isra G. Levy et Howard I. Morrison


Résumé

Cette étude a servi à évaluer la survie parmi un échantillon d'hommes âgés représentatif de l'ensemble du Canada, en tenant compte de facteurs de comorbidité courants. Un suivi de la mortalité a été effectué pour la période de 1978 à 1989 auprès des participants de sexe masculin à l'Enquête Santé Canada qui étaient âgés en 1978 d'au moins 60 ans. Le modèle des hasards proportionnels et les méthodes des tables de survie ont été utilisés pour examiner la survie en fonction des facteurs de comorbidité. Nous avons notamment examiné comme facteurs les antécédents d'accident vasculaire cérébral et/ou de cardiopathie, d'hypertension artérielle, de bronchite chronique ou d'emphysème, de diabète et de tabagisme, mais exclu le cancer, en raison du faible nombre en cause. Dans le cas des sujets âgés d'au moins 80 ans, la comorbidité n'était pas un prédicteur significatif de la survie. Une forte proportion d'hommes âgés de 60 à 79 ans - même parmi ceux qui présentaient une comorbidité préexistante - ont survécu au moins 10 ans après l'entrevue. En contexte clinique, il est possible d'obtenir plus de détails sur la comorbidité en vue de mieux estimer la survie à long terme. Nos constatations peuvent néanmoins avoir une incidence sur le recours à des interventions axées sur des populations données (p. ex., sur l'utilisation des dosages sériques de l'antigène prostatique spécifique [APS] pour assurer une détection précoce du cancer de la prostate). Nos résultats tendent plus particulièrement à démontrer qu'il y aurait peut-être peu d'avantages à restreindre l'accès au dosage de l'APS à la lumière des probabilités de survie, chez les hommes de moins de 80 ans.

Mots clés : Canada; chronic diseases; comorbidity; mortality; proportional hazards model; survival

Introduction


Les facteurs de comorbidité sont d'importants déterminants de la survie associés à la plupart des maladies chroniques. L'importance qu'il y a à effectuer un classement en fonction de ces facteurs chez les patients présentant de nombreuses affections chroniques, dont le diabète sucré1,2, l'insuffisance rénale terminale3 et le cancer du sein4 a déjà été démontrée. Il est de plus essentiel d'identifier tous les facteurs de comorbidité et d'en tenir compte dans l'exécution d'essais cliniques. En cernant correctement les troubles qui menacent la survie, il est possible d'effectuer un échantillonnage au hasard distinct pour les patients présentant un risque accru de décès à cause de facteurs de comorbidité5. Les études à court terme excluent souvent les patients présentant des facteurs de comorbidité, ce qui limite leur généralisabilité6,7.

Lorsqu'un cancer a été diagnostiqué, les cliniciens doivent souvent choisir entre un traitement susceptible de compromettre la qualité de vie et un traitement moins agressif de la tumeur. Ce choix prend une importance particulière chez les patients cancéreux plus âgés qui ont une espérance de vie réduite. Compte tenu de la prévalence accrue de la comorbidité chez les personnes âgées, il peut être utile de mieux connaître son influence sur la survie pour déterminer quel type de traitement anticancéreux convient le mieux.

Il peut être important d'évaluer les facteurs de comorbidité avant d'utiliser les outils de dépistage disponibles, tels que les dosages de l'antigène prostatique spécifique (APS) pour la détection précoce du cancer de la prostate. Par exemple, l'American Cancer Society recommande dans ses lignes directrices d'effectuer des dosages de l'APS chez les hommes ayant une espérance de vie d'au moins 10 ans8. Il se pourrait que ni un diagnostic précoce ni un traitement précoce ne soient nécessaires chez les hommes atteints d'un cancer de la prostate moyennement ou bien différencié et ayant une espérance de vie limitée9. Comme la grande majorité des cancers de la prostate sont diagnostiqués chez des hommes d'au moins 60 ans10, bon nombre de ces patients ont en même temps d'autres problèmes de santé importants qui peuvent contribuer davantage à déterminer leur longévité que le cancer de la prostate. À l'heure actuelle, les cliniciens n'ont pas l'habitude d'utiliser des méthodes rigoureuses pour prédire la longévité. Il est également important de tenir compte de la comorbidité dans les études cas-témoins sur l'efficacité du dépistage9.

La présente étude avait pour objectifs d'évaluer l'influence individuelle et collective des facteurs de comorbidité sur la survie des hommes de 60 ans et plus et de concevoir un score de comorbidité qui pourrait être calculé rapidement et facilement pour déterminer en gros les probabilités de survie d'un homme âgé, en se fondant sur les données de l'Enquête Santé Canada11.


Méthodes

Enquête Santé Canada

L'Enquête Santé Canada (ESC), menée en 1978 et 1979, visait à examiner les habitudes de vie ainsi que les risques biomédicaux et environnementaux pour la santé future afin de faciliter la planification des soins de santé et des activités de promotion de la santé et de prévention des maladies. Elle a été conçue de manière à représenter la population canadienne ne résidant pas en établissement, à l'exception des quelque 3  % de la population habitant dans les territoires, les réserves indiennes et les régions éloignées définies par l'Enquête sur la population active du Canada. L'échantillon a été stratifié par province, puis par région (grande ville, région urbaine et région rurale)11.

En tout, 12 218 ménages ont été sélectionnés pour participer à l'ESC; 86  % d'entre eux ont participé au volet des entrevues de l'Enquête11. Un volet de mesures physiques a été appliqué à environ 25  % des ménages admissibles et il a consisté à recueillir des mesures de la tension artérielle, de la condition cardiorespiratoire, de la taille et du poids.

Trois formulaires ont été utilisés pour le volet des entrevues. Le premier, la Fiche de ménage, servait à noter les caractéristiques du domicile et de ses résidents. Le second, le Questionnaire rempli par l'interviewer (QRI), servait à poser des questions qui, en général, obligeaient l'interviewer à demander des précisions. À cette fin, on a recueilli des renseignements par personne interposée, soit un membre du ménage en mesure de répondre.

Le Questionnaire sur les habitudes de vie et la santé (QHVS) servait à réunir de l'information un peu plus personnelle que seul l'individu concerné était vraiment en mesure de fournir. En raison de son contenu, ce troisième questionnaire a été utilisé uniquement auprès des personnes d'au moins 15 ans. Le taux de non-réponse au QHVS a été de 16  % et ce, à cause de personnes qui ont répondu au QRI, mais n'ont pas fourni de réponse valide à au moins une question obligatoire du QHVS.

Suivi de la cohorte

Nous avons déterminé les antécédents de mortalité au sein de la cohorte en faisant le lien entre le fichier de l'ESC et la Base de données nationale sur la mortalité tenue par Statistique Canada. Nous avons effectué un couplage des données sur les décès survenus entre 1978 et 1989 en utilisant une méthode itérative de pondération probabiliste12. Nous avons vérifié manuellement les liens douteux en consultant les certificats de décès. Des études antérieures ont démontré que ces techniques de couplage de dossiers permettent de déterminer l'état civil dans des études longitudinales13,14.

Sélection des sujets

Notre examen de la mortalité a porté uniquement sur les hommes âgés d'au moins 60 ans au moment de l'entrevue. En tout, 1 939 participants à l'ESC répondaient à ce critère. Quatre-vingt-quatre personnes chez lesquelles on avait déjà diagnostiqué un cancer (à l'exception d'un cancer de la peau sans présence de mélanome malin) ont été exclues de l'analyse. Nous avons estimé qu'il était impossible d'évaluer l'influence du cancer en tant que facteur de comorbidité, en raison du faible nombre de cas et de l'absence d'information sur le siège du cancer.

Nous avons notamment examiné comme facteurs de comorbidité les antécédents d'hypertension artérielle, de cardiopathie, d'emphysème ou de bronchite, d'accident vasculaire cérébral et de diabète. Nous avons obtenu cette information pour chaque sujet dans les réponses au QRI et au QHVS de l'Enquête. Chaque facteur de comorbidité a été codé au moyen d'un indicateur.

L'information sur le tabagisme a été tirée des données du QHVS. Environ 15  % des 1 939 sujets qui ont répondu au QRI ont été exclus de l'analyse en raison du fait qu'ils n'avaient pas fourni de réponse valide au QHVS. Les sujets pour lesquels on ne disposait pas d'information concernant les habitudes tabagiques ont également été exclus de l'analyse, ce qui a occasionné une perte de 9,7  % des sujets restants. Les 1 417 autres sujets ont été inclus dans toutes les analyses statistiques.

Analyse statistique

Nous avons utilisé le modèle des hasards proportionnels15 pour évaluer l'influence de la comorbidité sur la survie. Ce modèle repose sur l'hypothèse que les patients atteints de plusieurs affections courent un plus grand risque de mourir et que ce risque demeure constant pendant la période de suivi. Dans nos analyses, l'hypothèse de la proportionnalité a été officiellement vérifiée au moyen d'un examen des courbes de survie produites à l'aide de la table de survie actuarielle et d'une vérification de la signification d'une covariable de temps dans le modèle de régression.

Nous avons classé les sujets comme étant des personnes qui fumaient, qui avaient déjà fumé ou n'avaient jamais fumé. Tous les autres facteurs de comorbidité ont été codés sous forme de variable binaire (0 = absent, 1 = présent). Deux séries d'estimations du risque ont été produites à l'aide du modèle des hasards proportionnels. Les risques relatifs non rajustés ont servi à évaluer le risque de mortalité d'un patient présentant un facteur de comorbidité donné, indépendamment des autres facteurs de comorbidité. La deuxième série d'estimations du risque a aussi été rajustée pour tenir compte de l'influence de tous les autres facteurs de comorbidité et du tabagisme. Nous avons de plus rajusté les deux séries d'estimations du risque pour tenir compte des différences d'âge au moment de l'entrevue, en incluant une variable de catégorie, correspondant à des groupes d'âge de cinq ans, dans le modèle des hasards proportionnels.

Les risques relatifs rajustés, estimés à l'aide du modèle des hasards proportionnels, ont été utilisés pour créer une variable résumant l'influence globale de la comorbidité sur la survie. Cette variable sommaire a ensuite été intégrée au modèle des hasards proportionnels, avec l'âge, pour créer un indice de survie qui tient compte à la fois de l'âge et de la comorbidité. Les courbes de survie ont ensuite été tracées en fonction du score mixte de l'âge et de la comorbidité, à l'aide de la méthode de table de survie actuarielle.

Résultats

Les sujets inclus dans l'analyse étaient âgés en moyenne de 68,6 ans, et 80  % d'entre eux étaient soit des fumeurs soit d'anciens fumeurs (tableau 1). La proportion des patients âgés de 60 à 69 ans, 70 à 79 ans et 80 ans ou plus qui ont signalé au moins un facteur de comorbidité autre que le tabagisme était de 48  %, 58  % et 68  %, respectivement.

 

TABLEAU 1

Caractéristiques des sujets de l'étude, hommes
de 60 ans ou plus choisis parmi les participants
à l'Enquête Santé Canada

Nombre de sujets

1 417  

Âge moyen

68,6 (6,64)a

Personnes-années de suivi

12 542  

Nombre de décès observé

603  

Antécédents autodéclarés de comorbidité
     Cardiopathie

23,0 %  

     Hypertension artérielle

36,6 %  

     Emphysème/bronchite chronique

9,3 %  

     Diabète

6,6 %  

     Accident vasculaire cérébral

4,2 %  

Tabagisme
     N'a jamais fumé

19,7 %  

     Fume

37,7 %  

     A déjà fumé

42,6 %  

Proportion de sujets présentant un facteur de comorbidité autre que le tabagisme  
     Âge 60–69

48,0 %  

     Âge 70–79

58,0 %  

     Âge 80+

68,2 %  

     Âge 60+

55,2 %  

  a Erreur-type (entre parenthèses)

   

Comme on pouvait s'y attendre, les taux de survie à long terme diminuaient avec l'âge (tableau 2). Les taux de survie des hommes de 80 ans et plus étaient particulièrement faibles; seulement 26  % étaient toujours en vie après 10 ans. Nous avons également constaté des taux de survie plus faibles chez les sujets ayant signalé des facteurs de comorbidité. Chez les hommes de 60 à 79 ans, le risque de mortalité de ceux qui fumaient était de 1,57 par rapport à ceux qui n'avaient jamais fumé (tableau 3), lorsqu'on tenait compte de la présence d'autres facteurs de comorbidité. De même, les risques de mortalité des sujets ayant des antécédents de cardiopathie, de bronchite chronique ou d'emphysème, de diabète, d'hypertension artérielle et d'accident vasculaire cérébral étaient de 1,52, 1,57, 1,17, 1,28 et 1,53, respectivement, par rapport à ceux qui n'avaient pas les antécédents correspondants (tableau 3).

TABLEAU 2

Taux de survie actuariels après 10 ans, par facteur de comorbidité et groupe d'âge,
Enquête Santé Canada, 1978–1989

Facteur de comorbidité

60–69 ans

70–79 ans

80+ ans

Sujets

Taux de survie après
10 ansa

Sujets

Taux de survie après
10 ansa

Sujets

Taux de survie après
10 ansa

Tabagisme
    N'a jamais fumé

148

0,82 (0,03)

92

0,61 (0,05)

39

0,26 (0,07)

    A déjà fumé

348

0,74 (0,02)

207

0,52 (0,03)

49

0,20 (0,06)

    Fume

371

0,65 (0,02)

141

0,52 (0,04)

22

0,41 (0,10)

Antécédents cardiopathie
    Non

685

0,75 (0,02)

327

0,58 (0,03)

79

0,29 (0,05)

    Oui

182

0,57 (0,04)

113

0,52 (0,04)

31

0,16 (0,07)

Antécédents d'hypertension artérielle
    Non

556

0,73 (0,02)

273

0,58 (0,03)

69

0,28 (0,05)

    Oui

311

0,68 (0,03)

167

0,42 (0,05)

41

0,20 (0,06)

Diabètes
    Non

810

0,72 (0,02)

414

0,55 (0,02)

100

0,27 (0,04)

    Oui

57

0,67 (0,06)

26

0,34 (0,09)

10

0,20 (0,13)

Emphysème ou bronchite chronique
    Non

793

0,73 (0,02)

395

0,55 (0,02)

97

0,23 (0,04)

    Oui

74

0,49 (0,06)

45

0,44 (0,07)

13

0,23 (0,12)

Accident vasculaire cérébral
    Non

842

0,72 (0,02)

415

0,56 (0,02)

101

0,29 (0,05)

    Oui

25

0,52 (0,10)

25

0,28 (0,09)

9

0,00 (0,00)

TOUS LES SUJETS

867

0,71 (0,02)

440

0,54 (0,02)

110

0,26 (0,04)

  a Erreur-type de l'estimation du taux de survie (entre parenthèses)

 

TABLEAU 3

Risque relatif de mortalité par facteur de comorbidité chez 1 417 participants de sexe masculin
âgés de 60 à 79 ans, Enquête Santé Canada, 1978–1989

Facteur de comorbidité

Nombre de sujets

Risque relatif non rajustéa

Risque relatif rajustéb

Tabagisme
   N'a jamais fumé

512

1,00        ––        

1,00        ––        

   A déjà fumé

555

1,37 (1,09–1,73)

1,27 (1,01–1,60)

   Fume

240

1,65 (1,31–2,08)

1,57 (1,24–1,99)

Antécédents de cardiopathie
   Non

1012

1,00         ––       

1,00        ––        

   Oui

295

1,66 (1,39–1,98)

1,52 (1,27–1,83)

Antécédents d'hypertension artérielle
   Non

829

1,00         ––       

1,00         ––        

   Oui

478

1,40 (1,19–1,64)

1,28 (1,08–1,52)

Diabètes
   Non

1224

1,00        ––        

1,00        ––        

   Oui

83

1,24 (0,92–1,66)

1,17 (0,87–1,58)

Bronchite chronique ou emphysème
   Non

1188

1,00        ––        

1,00        ––        

   Oui

119

1,60 (1,26–2,04)

1,57 (1,23–2,01)

Accident vasculaire cérébral
   Non

1257

1,00        ––        

1,00        ––        

   Oui

50

1,99 (1,43–2,76)

1,53 (1,09–2,14)

 a Risque relatif calculé à l'aide du modèle des hasards proportionnels et rajusté par tranche d'âge de cinq ans; intervalle de confiance (IC) à 95 %
(entre parenthèses)
  b Risque relatif calculé à l'aide du modèle des hasards proportionnels, rajusté en fonction de la présence d'autres facteurs de comorbidité et par tranche d'âge de cinq ans; IC à 95 % entre parenthèses



   

Comme la comorbidité n'était pas un prédicteur significatif du risque chez les hommes de 80 ans et plus, nous avons calculé les scores âge-comorbidité uniquement pour les hommes de 60 à 79 ans. Un indice pondéré a été créé à partir des estimations rajustées du risque relatif pour les hommes de 60 à 79 ans. Dans le cas des facteurs dont le risque relatif était inférieur à 1,5, nous avons attribué au sujet un coefficient de pondération de un pour la présence d'une comorbidité et de zéro pour l'absence d'une comorbidité. De même, dans le cas des facteurs dont le risque relatif était supérieur ou égal à 1,5, nous avons attribué un coefficient de pondération de deux ou zéro. Les coefficients de pondération attribués pour chacun des facteurs de comorbidité sont énumérés dans le tableau 4. Nous avons additionné les coefficients de pondération de tous les facteurs de comorbidité, pour chaque sujet, en vue d'obtenir une mesure sommaire de comorbidité s'échelonnant entre zéro et huit.


TABLEAU 4

Coefficients de pondération attribués pour le
calcul de l'indice âge-comorbidité, participants
de sexe masculin âgés de 60 à 79 ans,
Enquête Santé Canada, 1978–1989

Coefficient de
pondération
Facteur de comorbidité/âge
1 A déjà fumé
1 Antécédents d'hypertension artérielle
1 Antécédents de diabète
2 Accident vasculaire cérébral
2 Fume
2 Antécédents de cardiopathie
2 Antécédents de bronchite chronique ou emphysème
2 65–69 ans
4 70–74 ans
6 75–79 ans

   

Nous avons ensuite effectué une analyse de régression des hasards proportionnels en utilisant les mesures sommaires de la comorbidité et de l'âge comme covariables. Le risque associé à chaque tranche additionnelle de cinq ans d'âge était environ 1,8 fois plus élevé que le risque associé à une augmentation de un de l'indice de comorbidité. Un indice de survie en fonction de l'âge et de la comorbidité a été créé, à l'aide de la technique de Charlson4. Nous avons supposé que chaque tranche de cinq ans après l'âge de 60 à 64 ans ajoutait deux points au risque. Le score âge-comorbidité équivalait à la somme des scores individuels associés à l'âge et à la comorbidité (tableaux 4 et 5). Par exemple, un fumeur de 77 ans obtenait un score de comorbidité de deux, un score d'âge de six et un score âge-comorbidité de huit.

Nous avons pu constater une diminution de la survie parallèlement à une hausse des niveaux de comorbidité chez les sujets de 60 à 69 ans et 70 à 79 ans (figures 1, 2). Aucun gradient évident n'était associé à la comorbidité chez les sujets de 80 ans et plus. Les taux de survie à 10 ans des hommes de ce groupe d'âge se situaient entre 14  % et 35  %, pour toutes les catégories de comorbidité (figure 3).

Le taux de survie à 10 ans de ces mêmes sujets ayant un score âge-comorbidité de zéro était de 94  % (tableau 5). Le risque relatif de mortalité augmentait radicalement à mesure que les scores âge-comorbidité grimpaient. Les sujets qui avaient un score âge-comorbidité d'au moins neuf risquaient environ 15 fois plus de mourir pendant la période de suivi (tableau 5). Des courbes de survie de Kaplan-Meier sont fournies à la figure 4 pour les catégories de scores âge-comorbidité.

TABLEAU 5

Risque relatif de mortalité, en fonction du score
âge-comorbidité, participants de sexe masculin
agés de 60 à 79 ans, Enquête Santé Canada,
1978–1989

Score âge-
comorbidité

Risque
relatifa

Intervalle de
confiance à
95 %

Taux de
survie
après
10 ansb

Erreur-
type du
taux de
survie

0

1,00

––

0,94

0,04

1–2

2,69

(0,98–7,41)

0,83

0,02

3–4

5,75

(2,13–15,50)

0,66

0,03

5–6

7,19

(2,66–19,44)

0,62

0,03

7–8

10,03

(3,71–27,18)

0,49

0,03

9+

14,69

(5,34–40,39)

0,34

0,05

  a   Estimé à l'aide du modèle des hasards proportionnels
  b   Estimé à l'aide des estimations de survie de Kaplan-Meier

FIGURE 1
Estimations de survie de Kaplan-Maier, par score de comorbidité,
hommes âgés de 60 à 69, Enquête Santé Canada, 1978-1989

Figure 1

FIGURE 2
Estimations de survie de Kaplan-Meier, par score de comorbidité,
hommes âgés de 70 à 79 ans, Enquête Santé Canada, 1978-1989

Figure 2

FIGURE 3
Estimations de survie de Kaplan-Meier, par score de comorbidité,
hommes âgés de 80 ans et plus, Enquête Santé Canada, 1978-1989

Figure 3

FIGURE 4
Estimations de survie de Kaplan-Meier, par score âge-comorbidité,
hommes âgés de 60 ans et plus, Enquête Santé Canada, 1978-1989

Figure 4

   

Discussion

L'indice tiré de cette étude permet de classer les sujets en catégories de risque qui tiennent compte des facteurs de comorbidité courants, tels que le tabagisme et l'âge. Ainsi, dans le cas d'un homme âgé qui développe une maladie dont le pronostic est peu encourageant, la meilleure solution pourrait être de prescrire un traitement ayant pour but premier de maximiser la qualité de vie, en n'accordant qu'une importance secondaire à la réduction des conséquences à long terme de la maladie. Inversement, l'indice proposé permettrait de déterminer à quels patients des formes de traitement agressives conviendraient le mieux. Le modèle réussissait assez bien à prédire la survie, mais il faudra valider son utilité à cet égard en utilisant d'autres cohortes basés sur des populations.

Les scores de comorbidité pourraient également servir à évaluer le bien-fondé du dépistage ou du traitement de problèmes de santé particuliers. Par exemple, il est recommandé de laisser savoir aux hommes ayant une espérance de vie de moins de 10 ans que le dépistage et le traitement du cancer de la prostate sont peu susceptibles de présenter des avantages et qu'ils pourraient même amoindrir la qualité de vie8,17. Un nombre croissant de médecins prescrivent le dosage de l'APS pour les hommes qui ne manifestent ni signes ni symptômes de cancer de la prostate17.

Les données utilisées dans cette étude offrent plusieurs avantages par rapport à celles d'études antérieures relatives à l'influence de la comorbidité sur la survie. Les études préalables s'étaient fondées sur des données hospitalières ou cliniques. Comme l'ESC était conçue pour représenter la population canadienne, il ne devrait pas y avoir dans la présente étude de biais associable aux modes de sélection. Compte tenu de la grande taille de l'échantillon utilisé pour l'ESC, nous avons pu limiter les analyses aux hommes de 60 ans et plus. L'influence de la comorbidité sur la survie des hommes de ce groupe d'âge présente un intérêt particulier en ce moment, compte tenu de la prévalence beaucoup plus forte des maladies chroniques dans cette population, ajoutée aux controverses entourant actuellement l'efficacité du dosage de l'APS.

Même si l'Enquête Santé Canada était censée reposer sur un échantillon représentatif de Canadiens11, un nombre important de sujets ont dû être exclus de nos analyses en raison de l'absence de données. Le taux de survie après 10 ans était plus faible pour les hommes exclus des analyses que pour ceux qui y étaient inclus (55  % contre 63  %). Cette différence entre les taux peut en partie être attribuée à la différence d'âge. Les hommes exclus des analyses avaient en moyenne environ 1 1/2 an de plus que les hommes inclus. L'effet net de l'exclusion de ces sujets serait peut-être de surestimer légèrement, dans nos calculs des taux de survie, la mortalité des hommes âgés au Canada.

La valeur pronostique des facteurs de comorbidité courants chez les hommes âgés de 60 à 79 ans est décrite dans cette étude. Chez les hommes de 80 ans et plus, les facteurs de comorbidité n'étaient pas des déterminants significatifs de la survie. Il aurait été possible de réaliser une caractérisation plus détaillée de la survie si d'autres caractéristiques de base avaient été incluses dans les analyses de régression. Par exemple, d'autres prédicteurs importants de la survie chez les diabétiques seraient notamment le type de diabète (c.-à-d. insulinodépendant ou non insulinodépendant) et l'apparition d'une néphropathie diabétique18. De même, le risque de mortalité chez les fumeurs est associé au nombre d'années de consommation, au nombre de cigarettes consommées par jour et au degré d'inhalation19. Cependant, nous avons démontré que même des scores dérivés de données autodéclarées simples et non validées sur les facteurs de comorbidité étaient des prédicteurs de survie significatifs.

Il est probable que les facteurs de comorbidité aient été sous-déclarés par les participants à l'ESC. De ce fait, les taux de survie indiqués sont probablement une surestimation des taux réels de survie des hommes présentant des facteurs de comorbidité et une sous-estimation des taux de survie des hommes sans facteur de comorbidité.

Les habitudes tabagiques de certains sujets ont sans doute changé au cours de la période de suivi. Cependant, l'effet de ce changement sur le risque de mortalité attribuable au tabagisme ne devrait pas être marqué. La grande majorité des fumeurs ont pris l'habitude de fumer à l'adolescence; les fumeurs plus âgés fument habituellement depuis plus longtemps et, par conséquent, ils sont moins susceptibles de changer leurs habitudes de consommation19. Des facteurs de comorbidité autres que le tabagisme sont peut-être aussi apparus au cours de la période de suivi. De tels changements n'ont pas d'effet sur les indices de comorbidité et d'âge-comorbidité, étant donné que leur valeur tient à leur capacité de prédire la survie en fonction de mesures de base uniquement.

Depuis que le suivi de l'ESC a été entrepris, bien des améliorations ont été apportées au traitement des maladies chroniques et des facteurs de comorbidité. Par exemple, de nouveaux hypotenseurs et des traitements améliorés ont atténué les complications à long terme des accidents vasculaires cérébraux et des cardiopathies20,21. Compte tenu des progrès constants dans la prévention et la lutte contre les maladies chroniques, les taux de survie à long terme des hommes actuellement âgés de plus de 60 ans devraient normalement être plus élevés que les taux des sujets de cette étude.

Même si l'Association canadienne d'urologie22 n'appuie pas le dosage de l'APS, cette forme de dépistage est maintenant répandue au Canada23. Une certaine controverse entoure le cancer de la prostate, en partie à cause du fait que certains cancers détectés lors d'un dépistage évoluent lentement et, surtout chez les hommes âgés présentant des facteurs de comorbidité, n'ont pas d'effet sur la survie. Toutefois, nos résultats montrent qu'un grand nombre d'hommes âgés de 60 à 79 ans, même parmi ceux qui avaient des facteurs de comorbidité préexistants, sont susceptibles de survivre au moins 10 ans. Par conséquent, des mesures visant à restreindre l'accès au dosage de l'APS qui se fondent sur la probabilité de survie risquent peu d'exercer un effet marqué sur le coût global du dépistage de masse.


Références

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Références des auteurs

Libni Eapen, Centre régional de cancérologie d'Ottawa, Ottawa (Ontario)
Paul J. Villeneuve, Department of Public Health Sciences, Faculty of Medicine, University of Toronto, Toronto (Ontario)
Isra G. Levy, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada; et Département d'épidémiologie et médicine sociale, Université d'Ottawa, Ottawa (Ontario)
Howard I. Morrison, Bureau du cancer, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, Pré Tunney, IA : 0601C1, Ottawa (Ontario) K1A OL2; Télécopieur : (613) 941-1732


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Dernière mise à jour : 2002-10-02 début