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Volume 20, No 3- 2000

 

  Agence de santé publique du Canada

Commentaire
Questions d'éthique liées à l'utilisation des bases de données informatisées pour la recherche en épidémiologie et en santé

Wilfreda E. Thurston, Michael M. Burgess et Carol E. Adair

 


Résumé

L'informatisation des bases de données a suscité des craintes quant au risque de violation de la vie privée. Cet article vise à faciliter la recherche effectuée dans le respect des principes de l'éthique, qui augmente par le fait même le sentiment de sécurité de la population et réduit la nécessité d'imposer des lois limitant l'accès aux bases de données. Nous examinons comment l'informatisation a avivé les inquiétudes et abordons des exemples d'analyse éthique dans les recherches publiées s'appuyant sur des bases de données. Si l'on fait abstraction de certaines positions extrêmes, le consensus général qui se dégage chez les chercheurs est que la curiosité scientifique et la commodité de la recherche avec des bases de données ne nous autorisent pas à faire fi de la vie privée et de la confidentialité. Les préoccupations de la population et des professionnels peuvent influer sur l'élaboration des politiques; les méthodes prises pour protéger la vie privée et la confidentialité doivent donc être décrites systématiquement dans les projets de recherche et les rapport publiés, en même temps que les avantages de ces projets. Il faut davantage tenir compte du fait que plus l'information est délicate plus grande est la responsabilité morale de respecter la vie privée.

Mots clés : bases de données; couplage; épidémiologie; éthique; lignes directrices; ordinateurs; politique publique; recherche en soins de santé

 


Introduction

Dans cet article, nous étudions l'application de principes d'éthique aux recherches qui font appel à des bases de données informatisées. Toute base de données, qu'elle soit ou non informatisée, rassemble des informations sur des individus. Une bonne façon d'éviter de recourir à des lois qui limitent l'accès aux bases de données1 consisterait à respecter les inquiétudes en matière d'atteinte à la vie privée que suscite la technologie au sein de la population2. Ces inquiétudes ne sont pas liées à la connaissance personnelle d'usages abusifs de données, à des variables démographiques ni à des reportages dans les médias3. L'informatisation renforce simplement certaines inquiétudes historiques4. Or, la façon dont les chercheurs en santé réagissent à ces inquiétudes peut avoir un impact majeur sur l'élaboration des politiques visant les recherches effectuées à partir de bases de données.


Principes de l'éthique en recherche et informatisation

Toute recherche chez des sujets humains doit d'abord respecter le principe de non-malfaisance, ce qui signifie que le processus de recherche, l'intervention ou les méthodes évaluées ou utilisées dans l'étude ou encore, que l'usage fait des données doivent éviter de causer du tort aux sujets. L'information sur la santé qui n'est pas protégée et qui sert à d'autres fins peut nuire à la vie professionnelle et faire perdre des prestations5. L'informatisation a soulevé de nouvelles questions en matière de sécurité, y compris la capacité de déplacer de vastes quantités de données sans être physiquement à proximité de ces données et de modifier des enregistrements sans laisser de traces6. En raison de la vitesse et de la capacité de stockage des ordinateurs, des politiques ont été élaborées pour protéger la vie privée7.

L'obligation de préserver la confidentialité et de respecter la vie privée, un autre principe de l'éthique, tient à la nature même de la relation dans le cadre de laquelle l'information est divulguée. Cette obligation peut être plus essentielle lorsqu'il est raisonnable de s'attendre à ce que l'information - par exemple, des diagnostics de nature délicate - demeure confidentielle. On a attribué aux progrès technologiques «une érosion progressive de la notion de confidentialité des archives médicales»8.

La fidélité aux relations thérapeutiques ou autres au sein desquelles l'information est divulguée est un engagement implicite à respecter la nature de cette relation. Les patients partagent l'information en croyant qu'elle est liée aux soins qui leur sont prodigués ou sert à des fins cliniques directes ou utilisées pour la facturation. Les cliniciens peuvent être encouragés à ajouter de l'information à un dossier en vue d'une recherche ultérieure, peu importe son importance clinique. Il est relativement facile d'ajouter des variables à une base de données longitudinales; l'espace de stockage ne pose pas problème et quelques champs n'augmenteront pas considérablement le délai d'entrée des données. La vie privée et la confiance des patients peuvent toutefois être compromises si les patients ignorent que la relation dans le cadre de laquelle les données ont été recueillies s'est modifiée.

La possibilité de coupler des bases de données en l'absence d'un identificateur unique est une autre raison d'ajouter des champs. Pour améliorer les capacités de couplage, il se peut qu'on inclut «le nom au complet, le nom de fille, l'adresse, la date complète, le lieu de naissance et le sexe»9. Certains chercheurs dans le domaine de la santé veulent l'accès aux types suivants de dossiers : soins médicaux, études, organismes sociaux, organisme fédéral, crédit, emploi, recensement, sécurité sociale et revenu, «lorsque les exigences de confidentialité appropriées sont remplies»10. Les préoccupations d'ordre éthique s'accentuent en raison de la disponibilité d'un éventail d'informations qui, à l'origine, ne devaient pas être reliées à l'individu. De plus, la personne touchée peut ne pas avoir été informée que d'autres auraient accès à cette information agrégée.

Enfin, la perte du contrôle de l'utilisation de l'information personnelle s'accompagne d'une perte d'autonomie individuelle ou de libre disposition rationnelle de soi-même, ce qui peut ébranler les valeurs personnelles. Par exemple, l'information diagnostique est de nature délicate et sa divulgation pourrait être limitée aux cliniciens ou à un groupe choisi de connaissances. Le principe d'autonomie individuelle doit aussi être respecté en ce qui concerne le choix d'une collectivité ou d'une appartenance sociale11, comme un groupe à risque.


Autres questions morales

Le maintien de l'équilibre entre les principes déjà mentionnés soulève trois autres questions morales - le consentement éclairé, l'intérêt public et le principe du moindre mal. Le consentement éclairé est une directive qui réalise un équilibre entre l'autonomie individuelle et les risques courus pour accomplir un bienfait quelconque. En recherche, le bienfait n'est pas nécessairement personnel, mais les risques sont assumés personnellement. Si un sujet consent en toute connaissance de cause à l'inclusion de l'information dans une base de données de recherche, il n'y a alors aucune violation de son autonomie. Le consentement individuel à l'utilisation des données n'est pas toujours dicté par une politique12 si la protection de la confidentialité individuelle est assurée. Kluge13 adopte toutefois une position extrême quand il déclare qu'en l'absence d'un consentement éclairé, l'utilisation des données sur les participants à une étude équivaut à une agression électronique. Une position plus modérée établit un équilibre entre les questions d'anonymat et de consentement et les notions de probabilité et de l'ampleur des torts causés. Les projets récents d'un code de déontologie destiné aux professionnels de l'information sur la santé14 et de directives canadiennes en matière de recherche servent de mise en garde, sans pour autant fournir d'orientation précise aux chercheurs qui utilisent des bases de données15.

Lorsqu'il s'agit de servir des intérêts publics de premier plan (p. ex., lutter contre une épidémie), on peut se trouver justifié de porter atteinte à la confidentialité, à l'autonomie individuelle ou à la fidélité à la relation. Mais, lorsqu'on doit causer un préjudice moral pour servir un intérêt moral supérieur, le principe du moindre mal précise que seul le moindre mal nécessaire pour y arriver est justifié. Entre deux méthodes possibles pour atteindre un objectif de recherche, il faut choisir la méthode qui cause le moins de préjudice moral. Il peut être difficile de parvenir à un équilibre entre la protection de l'autonomie des individus et les avantages de la recherche sur le plan collectif 10,14,15. L'histoire nous enseigne toutefois que l'abandon automatique des intérêts de la société au profit de l'individu est rare et qu'il est généralement prescrit par la loi8.

Le coût et la commodité deviennent des questions moralement pertinentes lorsque la protection complète de la confidentialité, de l'autonomie individuelle ou de la fidélité à la relation a un coût prohibitif par rapport à l'intérêt moral. Selon le principe du moindre mal, si un préjudice moral se justifie par un intérêt moral supérieur, on doit se limiter au moindre préjudice moral nécessaire pour servir cet intérêt. Par exemple, la perte de confidentialité est moindre si les personnes qui abrègent les données du dossier médical auraient eu accès à cette information de toute façon.


Application de l'analyse éthique dans des études publiées

Nous avons choisi plusieurs exemples d'études publiées faisant appel à des bases de données pour illustrer les principes de l'éthique en recherche. L'analyse et les arguments se fondent entièrement sur l'information fournie dans ces articles.


Exemple 1 : Couplage d'archives médicales gouvernementales et d'un registre de cas d'une maladie

Notre premier exemple porte sur cinq articles publiés dans le Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes. Le premier de ces articles16 décrit la création d'une base de données longitudinales sur des patients atteints du sida à New York et en Californie, au moyen des dossiers de Medicaid, d'un registre sur le sida et des certificats de décès. La nouvelle base de données portaient sur plusieurs années et renfermait les informations suivantes : un enregistrement pour chaque cas, les données démographiques et de Medicaid, l'utilisation des services de santé et les dépenses ainsi que les codes de la CIM-MC (Classification internationale des maladies, modifications cliniques).

Étant donné que les patients pouvaient utiliser plus d'un numéro de Medicaid, les cas ont été reliés au moyen du numéro de Medicaid, du numéro de sécurité sociale, de la date de naissance et du nom du patient. Des algorithmes diagnostiques différents applicables au sida ont été créés pour la Californie et New York. Le pourcentage de personnes répertoriées par les algorithmes et dans le registre variait entre 25 % et 80 %, selon le sexe et l'âge. De plus, des variables substitutives ont servi pour désigner des groupes à risque : consommateurs de drogues, hémophiles, personnes ayant reçu des produits sanguins, enfants, autres femmes (non incluses précédemment) et autres hommes. On a présumé que cette dernière catégorie «équivalait approximativement au groupe à risque des homosexuels de sexe masculin»16. La base de données a été utilisée ensuite pour étudier l'admissibilité à Medicaid, certaines caractéristiques de l'épidémie chez les patients couverts par ce régime, l'utilisation de Medicaid et les dépenses connexes au cours de toute la vie du patient ainsi qu'un indice de sévérité basé sur la survie17-20. Les questions d'éthique et de sécurité n'étaient pas mentionnées dans les articles, mais la lecture de ces rapports en a suscité quelques-unes dans nos esprits.

Lorsqu'un diagnostic de sida, les types de traitement et les infections secondaires de personnes précises sont divulgués à des fins de recherche, sans le consentement des sujets, l'autonomie de ces personnes est réduite. Le principe de non-malfaisance peut avoir été violé, puisque la création d'une liste de sujets atteints du sida qui peuvent être identifiés comporte un certain risque de traitement préjudiciable. Certains sujets n'étaient pas répertoriés dans le registre des cas de sida, peut-être parce que ces personnes ou leurs médecins ont estimé que ce serait imprudent. La base de données a recensé nombre de ces cas comme des personnes atteintes du sida ainsi que certains cas faussement positifs. De plus, puisque les patients ont divulgué des informations qu'ils estimaient nécessaires pour recevoir les soins couverts par Medicaid, on peut aussi y voir une violation de la fidélité à la relation clinique. Ces questions ne se poseraient pas si toutes les personnes répertoriées dans la base de données avaient donné leur consentement éclairé pour participer à la recherche. Rien n'indique dans l'article que tel a été le cas et, compte tenu de la taille et de la nature de la population visée, nous présumons que cela n'était pas possible.

D'un autre côté, l'étude aurait pu être approuvée par un comité d'examen des sujets humains à deux conditions : (1) toutes les personnes répertoriées dans la nouvelle base de données auraient librement consenti à faire partie des bases dont les données sont tirées à des fins de recherche et (2) des mesures de sécurité auraient réduit au minimum le risque de divulgation de l'information par inadvertance ou malveillance. Si les chercheurs avaient accédé aux données sans utiliser de noms ou de numéros personnels, le risque de préjudice ou d'atteinte à la vie privée et à l'autonomie individuelle aurait été considérablement réduit. Il est évident toutefois que les noms ont été utilisés dans cette étude comme un des identificateurs uniques. On pourrait aussi démontrer que cette étude procuraient des avantages moraux qui n'auraient pas été possibles d'obtenir sans abandonner le principe du respect de la confidentialité.

Selon nous, cette étude a quatre avantages moraux possibles. L'avantage moral le plus direct serait une diminution de la souffrance si les ressources pour les personnes atteintes du sida couvertes par Medicaid devenaient plus facilement disponibles. De façon moins directe mais plus controversée, si le coût des traitements contre le sida est exorbitant et que, par conséquent, moins de ressources leur sont attribuées, la réaffectation des ressources à des personnes atteintes d'autres maladies peut entraîner une diminution de la souffrance chez ces personnes, laquelle peut avoir des effets négatifs chez les sujets dont la vie privée a été compromise. La diminution de la souffrance et des préjudices à l'égard des personnes atteintes du sida, obtenue grâce à la prévention de cette maladie, offre un autre avantage, qui est beaucoup moins direct.

Le premier avantage mentionné est la meilleure justification qui soit de cette étude. Mais, le fait de s'assurer du caractère adéquat des ressources qui seront consacrées dans l'avenir aux traitements du sida ne justifie la violation des règles normales de confidentialité que s'il n'existe aucun autre moyen éthique de servir cet intérêt moral. Dans ce cas particulier, le plan de l'étude ne visait pas à s'assurer de la disponibilité de ressources suffisantes dans l'avenir. Le coût et la commodité ne peuvent à eux seuls justifier l'abandon de principes moraux; par conséquent, si aucun argument ne démontre l'importance sur le plan moral de l'information recueillie, le plan de l'étude ne peut se justifier par le fait qu'une méthodologie différente aurait coûté plus cher et aurait été moins pratique.


Exemple 2 : Couplage d'archives médicales gouvernementales

Le deuxième exemple porte également sur le couplage de deux types d'archives médicales gouvernementales dans le cadre d'une étude pilote menée au Canada et visant à déterminer la faisabilité de cette méthode pour étudier d'autres maladies21. Les dossiers des congés des hôpitaux et les dossiers des demandes de règlement des médecins du Manitoba ont été reliés au moyen du numéro d'identification personnel unique (NIP) attribué à chaque résident de la province. Tous les cas d'infarctus aigu du myocarde ont été répertoriés; les affections connexes à l'infarctus et les interventions médicales ont été distinguées et analysées.

Il est improbable que les patients aient été informés de cette recherche ou aient accordé leur consentement éclairé. Par conséquent, la fidélité à la relation clinique et l'autonomie des patients peuvent avoir été compromises. En outre, l'information pouvait être reliée aux individus, puisqu'on avait utilisé leurs NIP. Toutefois, si les noms et les adresses étaient éliminés de la base de données après le couplage, le rattachement de cette information exigerait un certain travail ou savoir-faire ou encore, l'accès à la liste de contrôle. En d'autres mots, il est possible que la confidentialité ait été préservée et que le risque de préjudice causé par inadvertance aux sujets ait été réduit à un niveau acceptable.

L'information recueillie dans le cadre de cette étude était de nature moins délicate que l'exemple précédent; le risque de préjudice qui pouvait être causé aux sujets était donc moindre. Un vaste échantillon était nécessaire et, si l'obtention de consentements éclairés avait été prévue dans le plan de l'étude, cela aurait coûté très cher et aurait entraîné une perte de précision, puisqu'il aurait été impossible de retracer certains sujets ou parents de ceux-ci. L'examen de l'équité et de l'utilité des traitements a donc servi l'intérêt public; on a appris, par exemple, que les femmes subissaient moins de tests et qu'elles couraient davantage le risque de ne pas être hospitalisées et de mourir à l'hôpital. Ces constations permettent de penser qu'il serait souhaitable d'apporter des modifications à la prestation des soins de santé, ce qui procurerait des bienfaits à une partie des sujets étudiés.


Exemple 3 : Évaluation de programme

Une information plus exhaustive sur les sujets peut améliorer l'évaluation des interventions communautaires de promotion de la santé. On exige de plus en plus que l'efficacité des programmes soit mise à l'épreuve, mais cela coûte très cher de recruter suffisamment de sujets à des fins d'études dans une collectivité pour s'assurer d'un suivi adéquat et de la capacité de détecter des différences cliniques significatives entre des groupes. Une autre possibilité consisterait à évaluer ces différences à l'échelle de la collectivité ou du groupe.

Les chercheurs ont relié les certificats de naissances vivantes de 1988 et de 1989 aux demandes de règlement des hôpitaux pour des nouveau-nés couverts par Medicaid, afin de répertorier les naissances couvertes par ce régime et d'évaluer l'impact de la coordination des soins dispensés aux mères sur l'issue des grossesses22. On s'est servi du numéro d'assurance-maladie des bébés pour extraire toutes les demandes de règlement débutant dans les 60 jours suivant la naissance. Le nom et la date de naissance de la mère ont été reliés aux règlements versés au titre de la coordination des soins à la mère, avec le système d'information sur la clientèle du service de santé publique et les dossiers du programme spécial d'aide alimentaire destiné aux femmes et aux enfants. L'échantillon était composé de 15 526 femmes ayant reçu des soins coordonnés et de 34 463 sujets témoins.

On a constaté un impact significatif sur l'amélioration de l'issue des grossesses des femmes couvertes par Medicaid et la diminution du nombre de bébés ayant un poids très faible à la naissance. Les soins prénataux dispensés par les services de santé publique étaient meilleurs que ceux fournis par d'autres services. L'intérêt moral de cette étude réside dans son impact possible sur les politiques régissant la prestation de soins prénataux aux femmes défavorisées. Un échantillon important était nécessaire pour détecter les différences minimes mais significatives sur le plan clinique dans la prévalence de l'insuffisance pondérale à la naissance. Un essai randomisé prospectif aurait permis d'obtenir le consentement éclairé et de respecter l'autonomie des mères, mais il aurait coûté beaucoup plus cher. La méthodologie de recherche évitait les conflits au chapitre de la fidélité à la relation, puisque ni les participantes ni les professionnels de la santé n'étaient informés de l'étude. Les services des archives ont mis en péril la vie privée des patientes, mais l'étude semblait être la meilleure façon d'assurer le respect du principe moral de justice et de bienfaisance à l'endroit de la population. Certaines des femmes qui ont continué d'être couvertes par Medicaid peuvent en avoir bénéficié.


Exemple 4 : Utilisation de dossiers de sujets décédés

Les études qui font appel aux couplages de dossiers peuvent constituer la meilleure façon de servir l'intérêt moral lorsqu'il est impossible d'établir un contact. Une étude a relié les dossiers de décès de femmes de 10 à 49 ans et les dossiers de naissances vivantes afin de répertorier les femmes qui étaient décédées dans l'année suivant l'accouchement23. On s'est servi du numéro de sécurité sociale et du nom de la mère ainsi que du nom et de la date de naissance du bébé, des informations qui sont toutes du domaine public (à l'exception du numéro de sécurité sociale). Comte tenu du décès de la mère, le respect de la confidentialité du numéro de sécurité sociale n'est pas aussi important. Les dossiers médicaux des mères et des bébés ainsi que les rapports d'autopsie sur les mères ont été examinés afin de répertorier les femmes qui étaient décédées. L'identification du nombre de mères décédées a augmenté de 100 %, ce qui a des conséquences considérables pour les politiques en matière de soins périnataux et brosse un tableau plus précis des objectifs atteints en matière de réduction de la mortalité maternelle.

L'avantage moral de cette étude, même s'il est indirect, réside dans l'accumulation de données importantes à l'appui des changements en matière de politiques et de financement des soins de santé. Le groupe étudié ne pouvait bénéficier de la recherche. Cela aurait coûté très cher et il aurait été très difficile pour les chercheurs de communiquer avec les familles des femmes décédées afin d'obtenir la permission d'examiner leur dossier médical. Les familles auraient pu aussi être inutilement perturbées par le fait qu'on leur rappelle ce décès (et peut-être celui du bébé). Un plan d'étude différent, soit une vaste étude prospective, aurait coûté beaucoup plus cher et aurait été beaucoup plus dérangeant. Il aurait également fallu plusieurs années pour le mener à bien.


Exemple 5 : Rapports renfermant de l'information de nature délicate

La recherche éthique doit respecter la confidentialité, surtout lorsque la violation de ce principe n'est d'aucune importance pour les conclusions de la recherche ou pour le bien collectif. Cette notion est rarement oubliée, mais un rapport d'étude ayant couplé des certificats de décès où le sida figurait comme cause du décès avec un registre du cancer, afin d'étudier l'impact du sida sur «l'enregistrement du cancer»24, renferme un tableau où les 20 cas de sida répertoriés sont énumérés avec leur sexe, leur âge au moment du décès, le groupe à risque, l'année du diagnostic du cancer, le type de cancer et l'indication si le cancer était mentionné sur le certificat de décès et le sida, dans le dossier médical.

Cela nous apparaît être une violation possible de la confidentialité. Nous ne voyons pas la nécessité de fournir ces détails à l'appui des conclusions de l'étude. Compte tenu du nombre restreint de cas, on aurait pu aussi communiquer avec les familles pour obtenir leur consentement. Par ailleurs, on aurait obtenu les mêmes résultats si on avait communiqué avec un groupe de patients vivants, obtenu leur consentement et recueilli les données relatives au cancer de manière rétrospective et prospective. Cela semble un exemple de violation de la confidentialité, même si rien ne prouve que les patients ont subi un autre préjudice. Des cas aussi extrêmes et inhabituels reçoivent généralement une attention exagérée lorsqu'ils sont découverts et alarment le grand public.


Préoccupations publiques et élaboration des politiques

Le public remplit un rôle important dans l'élaboration des politiques, car une recherche ne peut se faire que si les sujets sont disposés à fournir l'information25. En Grande-Bretagne, aux États-Unis et en République fédérale d'Allemagne, l'élaboration des politiques qui touchent la technologie est une source de conflits. La peur d'une ingérence dans la vie privée, le risque d'accroître le pouvoir de l'État, l'usage abusif de données personnelles et l'atteinte à la dignité humaine sont au nombre des préoccupations de la population. À l'opposé, la réaction de la Suède a été décrite comme étant «consensuelle, préventive et ouverte»7.

Les études canadiennes indiquent que le débat sur la recherche utilisant des bases de données risque d'être conflictuel, mais que ce risque peut être évité. Le groupe le plus vaste de personnes interrogées dans le cadre d'une enquête2 étaient instruites et possédaient des connaissances informatiques; la représentation de femmes, de résidents du Québec et de cols blancs y étaient la plus élevée. Ces répondants craignaient extrêmement tout empiétement sur leur vie privée et croyaient généralement que les mécanismes actuels de contrôle étaient inadéquats. Ils étaient aussi d'avis que l'obtention du consentement éclairé et que la réglementation devaient être accrues. Une autre étude3 a constaté que les gens évaluaient généralement les avantages liés à la collecte des données par rapport aux mécanismes de contrôle en place afin de déterminer si la menace d'atteinte à la vie privée était acceptable. Ces êtres pragmatiques n'avaient plus aucune inquiétude quand ils avaient la conviction que les méthodes appliquées étaient équitables et ils n'étaient pas enclins à exiger une réglementation gouvernementale. Il s'ensuit que si les chercheurs dans le domaine de la santé adoptent des pratiques éthiques et que le public en est témoin, la demande de restriction législative peut diminuer26 et l'utilité des données sur la santé pour le bien commun27 peut être mise en lumière.


Conclusions

Nous avons traité des questions d'éthique que soulèvent les recherches faisant appel à des bases de données et de la façon dont l'informatisation a accru les inquiétudes du public par rapport à certaines questions. Malgré les opinions extrêmes entourant les droits individuels et le bien commun, un consensus général se dégage selon lequel la curiosité scientifique et la commodité de la recherche dans des bases de données ne peuvent pas justifier l'abandon des questions morales liées au respect de la vie privée et de la confidentialité, lesquelles nous touchent tous à titre de patients et de citoyens. Toutefois, notre examen de la littérature sur le sujet conduit à penser que les questions d'ethique soulevées par la recherche fondée sur des bases de données méritent plus d'attention, car nous pensons qu'une discussion des détails pertinents sur le plan éthique peut être interprétée comme un témoignage de l'intérêt des auteurs et/ou des directeurs de publication pour ces questions.

Nous croyons que pour éviter que les bases de données et la recherche soient soumises à une réglementation restrictive, les épidémiologistes et les chercheurs dans le domaine de la santé doivent conserver la confiance du public en décrivant le volet éthique de leur plan d'étude dans leurs projets ou leurs publications (p. ex., en précisant comment la confidentialité de l'information a été préservée ou pourquoi l'accès aux données sans consentement était justifié). Les avantages de la recherche doivent être mis en lumière et les méthodes utilisées pour protéger la confidentialité et assurer le respect de la vie privée doivent être décrites systématiquement dans les projets de recherche et les rapports publiés. Plus l'information est délicate plus grande est la responsabilité morale de respecter la vie privée; or, cette question importante a retenu peu l'attention jusqu'à maintenant.


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Références des auteurs

Wilfreda E. Thurston et Carol E. Adair, Department of Community Health Sciences, Faculty of Medicine, University of Calgary, Calgary (Alberta)

Michael M. Burgess, Centre for Applied Ethics, University of British Columbia, Vancouver (Colombie-Britannique)

Correspondance : Dr. W.E. Thurston, Associate Professor, Department of Community Health Sciences, Faculty of Medicine, University of Calgary, 3330 Hospital Drive NW, Calgary (Alberta)  T2N 4N1; Télécopieur : (403) 270-7307; Courriel : thurston@ucalgary.ca

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Dernière mise à jour : 2002-10-18 début