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Commentaire
Questions d'éthique liées à
l'utilisation des bases de données informatisées pour la
recherche en épidémiologie et en santé
Wilfreda E. Thurston, Michael M. Burgess
et Carol E. Adair
Résumé
L'informatisation des bases de données a suscité des craintes
quant au risque de violation de la vie privée. Cet article vise
à faciliter la recherche effectuée dans le respect des principes
de l'éthique, qui augmente par le fait même le sentiment
de sécurité de la population et réduit la nécessité
d'imposer des lois limitant l'accès aux bases de données.
Nous examinons comment l'informatisation a avivé les inquiétudes
et abordons des exemples d'analyse éthique dans les recherches
publiées s'appuyant sur des bases de données. Si l'on fait
abstraction de certaines positions extrêmes, le consensus général
qui se dégage chez les chercheurs est que la curiosité scientifique
et la commodité de la recherche avec des bases de données
ne nous autorisent pas à faire fi de la vie privée et de
la confidentialité. Les préoccupations de la population
et des professionnels peuvent influer sur l'élaboration des politiques;
les méthodes prises pour protéger la vie privée et
la confidentialité doivent donc être décrites systématiquement
dans les projets de recherche et les rapport publiés, en même
temps que les avantages de ces projets. Il faut davantage tenir compte
du fait que plus l'information est délicate plus grande est la
responsabilité morale de respecter la vie privée.
Mots clés : bases
de données; couplage; épidémiologie; éthique;
lignes directrices; ordinateurs; politique publique; recherche en soins
de santé
Introduction
Dans cet article, nous étudions l'application de principes d'éthique
aux recherches qui font appel à des bases de données informatisées.
Toute base de données, qu'elle soit ou non informatisée,
rassemble des informations sur des individus. Une bonne façon d'éviter
de recourir à des lois qui limitent l'accès aux bases de
données1 consisterait à respecter les inquiétudes
en matière d'atteinte à la vie privée que suscite
la technologie au sein de la population2. Ces inquiétudes
ne sont pas liées à la connaissance personnelle d'usages
abusifs de données, à des variables démographiques
ni à des reportages dans les médias3. L'informatisation
renforce simplement certaines inquiétudes historiques4.
Or, la façon dont les chercheurs en santé réagissent
à ces inquiétudes peut avoir un impact majeur sur l'élaboration
des politiques visant les recherches effectuées à partir
de bases de données.
Principes de l'éthique en recherche et informatisation
Toute recherche chez des sujets humains doit d'abord respecter le principe
de non-malfaisance, ce qui signifie que le processus de recherche, l'intervention
ou les méthodes évaluées ou utilisées dans
l'étude ou encore, que l'usage fait des données doivent
éviter de causer du tort aux sujets. L'information sur la santé
qui n'est pas protégée et qui sert à d'autres fins
peut nuire à la vie professionnelle et faire perdre des prestations5.
L'informatisation a soulevé de nouvelles questions en matière
de sécurité, y compris la capacité de déplacer
de vastes quantités de données sans être physiquement
à proximité de ces données et de modifier des enregistrements
sans laisser de traces6. En raison de la vitesse et de la capacité
de stockage des ordinateurs, des politiques ont été élaborées
pour protéger la vie privée7.
L'obligation de préserver la confidentialité et de respecter
la vie privée, un autre principe de l'éthique, tient à
la nature même de la relation dans le cadre de laquelle l'information
est divulguée. Cette obligation peut être plus essentielle
lorsqu'il est raisonnable de s'attendre à ce que l'information
- par exemple, des diagnostics de nature délicate - demeure confidentielle.
On a attribué aux progrès technologiques «une érosion
progressive de la notion de confidentialité des archives médicales»8.
La fidélité aux relations thérapeutiques ou autres
au sein desquelles l'information est divulguée est un engagement
implicite à respecter la nature de cette relation. Les patients
partagent l'information en croyant qu'elle est liée aux soins qui
leur sont prodigués ou sert à des fins cliniques directes
ou utilisées pour la facturation. Les cliniciens peuvent être
encouragés à ajouter de l'information à un dossier
en vue d'une recherche ultérieure, peu importe son importance clinique.
Il est relativement facile d'ajouter des variables à une base de
données longitudinales; l'espace de stockage ne pose pas problème
et quelques champs n'augmenteront pas considérablement le délai
d'entrée des données. La vie privée et la confiance
des patients peuvent toutefois être compromises si les patients
ignorent que la relation dans le cadre de laquelle les données
ont été recueillies s'est modifiée.
La possibilité de coupler des bases de données en l'absence
d'un identificateur unique est une autre raison d'ajouter des champs.
Pour améliorer les capacités de couplage, il se peut qu'on
inclut «le nom au complet, le nom de fille, l'adresse, la date complète,
le lieu de naissance et le sexe»9. Certains chercheurs
dans le domaine de la santé veulent l'accès aux types suivants
de dossiers : soins médicaux, études, organismes sociaux,
organisme fédéral, crédit, emploi, recensement, sécurité
sociale et revenu, «lorsque les exigences de confidentialité
appropriées sont remplies»10. Les préoccupations
d'ordre éthique s'accentuent en raison de la disponibilité
d'un éventail d'informations qui, à l'origine, ne devaient
pas être reliées à l'individu. De plus, la personne
touchée peut ne pas avoir été informée que
d'autres auraient accès à cette information agrégée.
Enfin, la perte du contrôle de l'utilisation de l'information personnelle
s'accompagne d'une perte d'autonomie individuelle ou de libre disposition
rationnelle de soi-même, ce qui peut ébranler les valeurs
personnelles. Par exemple, l'information diagnostique est de nature délicate
et sa divulgation pourrait être limitée aux cliniciens ou
à un groupe choisi de connaissances. Le principe d'autonomie individuelle
doit aussi être respecté en ce qui concerne le choix d'une
collectivité ou d'une appartenance sociale11, comme
un groupe à risque.
Autres questions morales
Le maintien de l'équilibre entre les principes déjà
mentionnés soulève trois autres questions morales - le consentement
éclairé, l'intérêt public et le principe du
moindre mal. Le consentement éclairé est une directive qui
réalise un équilibre entre l'autonomie individuelle et les
risques courus pour accomplir un bienfait quelconque. En recherche, le
bienfait n'est pas nécessairement personnel, mais les risques sont
assumés personnellement. Si un sujet consent en toute connaissance
de cause à l'inclusion de l'information dans une base de données
de recherche, il n'y a alors aucune violation de son autonomie. Le consentement
individuel à l'utilisation des données n'est pas toujours
dicté par une politique12 si la protection de la confidentialité
individuelle est assurée. Kluge13 adopte toutefois une
position extrême quand il déclare qu'en l'absence d'un consentement
éclairé, l'utilisation des données sur les participants
à une étude équivaut à une agression électronique.
Une position plus modérée établit un équilibre
entre les questions d'anonymat et de consentement et les notions de probabilité
et de l'ampleur des torts causés. Les projets récents d'un
code de déontologie destiné aux professionnels de l'information
sur la santé14 et de directives canadiennes en matière
de recherche servent de mise en garde, sans pour autant fournir d'orientation
précise aux chercheurs qui utilisent des bases de données15.
Lorsqu'il s'agit de servir des intérêts publics de premier
plan (p. ex., lutter contre une épidémie), on peut se trouver
justifié de porter atteinte à la confidentialité,
à l'autonomie individuelle ou à la fidélité
à la relation. Mais, lorsqu'on doit causer un préjudice
moral pour servir un intérêt moral supérieur, le principe
du moindre mal précise que seul le moindre mal nécessaire
pour y arriver est justifié. Entre deux méthodes possibles
pour atteindre un objectif de recherche, il faut choisir la méthode
qui cause le moins de préjudice moral. Il peut être difficile
de parvenir à un équilibre entre la protection de l'autonomie
des individus et les avantages de la recherche sur le plan collectif 10,14,15.
L'histoire nous enseigne toutefois que l'abandon automatique des intérêts
de la société au profit de l'individu est rare et qu'il
est généralement prescrit par la loi8.
Le coût et la commodité deviennent des questions moralement
pertinentes lorsque la protection complète de la confidentialité,
de l'autonomie individuelle ou de la fidélité à la
relation a un coût prohibitif par rapport à l'intérêt
moral. Selon le principe du moindre mal, si un préjudice moral
se justifie par un intérêt moral supérieur, on doit
se limiter au moindre préjudice moral nécessaire pour servir
cet intérêt. Par exemple, la perte de confidentialité
est moindre si les personnes qui abrègent les données du
dossier médical auraient eu accès à cette information
de toute façon.
Application de l'analyse éthique dans des études publiées
Nous avons choisi plusieurs exemples d'études publiées
faisant appel à des bases de données pour illustrer les
principes de l'éthique en recherche. L'analyse et les arguments
se fondent entièrement sur l'information fournie dans ces articles.
Exemple 1 : Couplage d'archives médicales gouvernementales
et d'un registre de cas d'une maladie
Notre premier exemple porte sur cinq articles publiés dans le
Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes. Le premier de ces
articles16 décrit la création d'une base de données
longitudinales sur des patients atteints du sida à New York et
en Californie, au moyen des dossiers de Medicaid, d'un registre sur le
sida et des certificats de décès. La nouvelle base de données
portaient sur plusieurs années et renfermait les informations suivantes :
un enregistrement pour chaque cas, les données démographiques
et de Medicaid, l'utilisation des services de santé et les dépenses
ainsi que les codes de la CIM-MC (Classification internationale des maladies,
modifications cliniques).
Étant donné que les patients pouvaient utiliser plus d'un
numéro de Medicaid, les cas ont été reliés
au moyen du numéro de Medicaid, du numéro de sécurité
sociale, de la date de naissance et du nom du patient. Des algorithmes
diagnostiques différents applicables au sida ont été
créés pour la Californie et New York. Le pourcentage de
personnes répertoriées par les algorithmes et dans le registre
variait entre 25 % et 80 %, selon le sexe et l'âge. De
plus, des variables substitutives ont servi pour désigner des groupes
à risque : consommateurs de drogues, hémophiles, personnes
ayant reçu des produits sanguins, enfants, autres femmes (non incluses
précédemment) et autres hommes. On a présumé
que cette dernière catégorie «équivalait approximativement
au groupe à risque des homosexuels de sexe masculin»16.
La base de données a été utilisée ensuite
pour étudier l'admissibilité à Medicaid, certaines
caractéristiques de l'épidémie chez les patients
couverts par ce régime, l'utilisation de Medicaid et les dépenses
connexes au cours de toute la vie du patient ainsi qu'un indice de sévérité
basé sur la survie17-20. Les questions d'éthique
et de sécurité n'étaient pas mentionnées dans
les articles, mais la lecture de ces rapports en a suscité quelques-unes
dans nos esprits.
Lorsqu'un diagnostic de sida, les types de traitement et les infections
secondaires de personnes précises sont divulgués à
des fins de recherche, sans le consentement des sujets, l'autonomie de
ces personnes est réduite. Le principe de non-malfaisance peut
avoir été violé, puisque la création d'une
liste de sujets atteints du sida qui peuvent être identifiés
comporte un certain risque de traitement préjudiciable. Certains
sujets n'étaient pas répertoriés dans le registre
des cas de sida, peut-être parce que ces personnes ou leurs médecins
ont estimé que ce serait imprudent. La base de données a
recensé nombre de ces cas comme des personnes atteintes du sida
ainsi que certains cas faussement positifs. De plus, puisque les patients
ont divulgué des informations qu'ils estimaient nécessaires
pour recevoir les soins couverts par Medicaid, on peut aussi y voir une
violation de la fidélité à la relation clinique.
Ces questions ne se poseraient pas si toutes les personnes répertoriées
dans la base de données avaient donné leur consentement
éclairé pour participer à la recherche. Rien n'indique
dans l'article que tel a été le cas et, compte tenu de la
taille et de la nature de la population visée, nous présumons
que cela n'était pas possible.
D'un autre côté, l'étude aurait pu être approuvée
par un comité d'examen des sujets humains à deux conditions :
(1) toutes les personnes répertoriées dans la nouvelle base
de données auraient librement consenti à faire partie des
bases dont les données sont tirées à des fins de
recherche et (2) des mesures de sécurité auraient réduit
au minimum le risque de divulgation de l'information par inadvertance
ou malveillance. Si les chercheurs avaient accédé aux données
sans utiliser de noms ou de numéros personnels, le risque de préjudice
ou d'atteinte à la vie privée et à l'autonomie individuelle
aurait été considérablement réduit. Il est
évident toutefois que les noms ont été utilisés
dans cette étude comme un des identificateurs uniques. On pourrait
aussi démontrer que cette étude procuraient des avantages
moraux qui n'auraient pas été possibles d'obtenir sans abandonner
le principe du respect de la confidentialité.
Selon nous, cette étude a quatre avantages moraux possibles. L'avantage
moral le plus direct serait une diminution de la souffrance si les ressources
pour les personnes atteintes du sida couvertes par Medicaid devenaient
plus facilement disponibles. De façon moins directe mais plus controversée,
si le coût des traitements contre le sida est exorbitant et que,
par conséquent, moins de ressources leur sont attribuées,
la réaffectation des ressources à des personnes atteintes
d'autres maladies peut entraîner une diminution de la souffrance
chez ces personnes, laquelle peut avoir des effets négatifs chez
les sujets dont la vie privée a été compromise. La
diminution de la souffrance et des préjudices à l'égard
des personnes atteintes du sida, obtenue grâce à la prévention
de cette maladie, offre un autre avantage, qui est beaucoup moins direct.
Le premier avantage mentionné est la meilleure justification qui
soit de cette étude. Mais, le fait de s'assurer du caractère
adéquat des ressources qui seront consacrées dans l'avenir
aux traitements du sida ne justifie la violation des règles normales
de confidentialité que s'il n'existe aucun autre moyen éthique
de servir cet intérêt moral. Dans ce cas particulier, le
plan de l'étude ne visait pas à s'assurer de la disponibilité
de ressources suffisantes dans l'avenir. Le coût et la commodité
ne peuvent à eux seuls justifier l'abandon de principes moraux;
par conséquent, si aucun argument ne démontre l'importance
sur le plan moral de l'information recueillie, le plan de l'étude
ne peut se justifier par le fait qu'une méthodologie différente
aurait coûté plus cher et aurait été moins
pratique.
Exemple 2 : Couplage d'archives médicales gouvernementales
Le deuxième exemple porte également sur le couplage de
deux types d'archives médicales gouvernementales dans le cadre
d'une étude pilote menée au Canada et visant à déterminer
la faisabilité de cette méthode pour étudier d'autres
maladies21. Les dossiers des congés des hôpitaux
et les dossiers des demandes de règlement des médecins du
Manitoba ont été reliés au moyen du numéro
d'identification personnel unique (NIP) attribué à chaque
résident de la province. Tous les cas d'infarctus aigu du myocarde
ont été répertoriés; les affections connexes
à l'infarctus et les interventions médicales ont été
distinguées et analysées.
Il est improbable que les patients aient été informés
de cette recherche ou aient accordé leur consentement éclairé.
Par conséquent, la fidélité à la relation
clinique et l'autonomie des patients peuvent avoir été compromises.
En outre, l'information pouvait être reliée aux individus,
puisqu'on avait utilisé leurs NIP. Toutefois, si les noms et les
adresses étaient éliminés de la base de données
après le couplage, le rattachement de cette information exigerait
un certain travail ou savoir-faire ou encore, l'accès à
la liste de contrôle. En d'autres mots, il est possible que la confidentialité
ait été préservée et que le risque de préjudice
causé par inadvertance aux sujets ait été réduit
à un niveau acceptable.
L'information recueillie dans le cadre de cette étude était
de nature moins délicate que l'exemple précédent;
le risque de préjudice qui pouvait être causé aux
sujets était donc moindre. Un vaste échantillon était
nécessaire et, si l'obtention de consentements éclairés
avait été prévue dans le plan de l'étude,
cela aurait coûté très cher et aurait entraîné
une perte de précision, puisqu'il aurait été impossible
de retracer certains sujets ou parents de ceux-ci. L'examen de l'équité
et de l'utilité des traitements a donc servi l'intérêt
public; on a appris, par exemple, que les femmes subissaient moins de
tests et qu'elles couraient davantage le risque de ne pas être hospitalisées
et de mourir à l'hôpital. Ces constations permettent de penser
qu'il serait souhaitable d'apporter des modifications à la prestation
des soins de santé, ce qui procurerait des bienfaits à une
partie des sujets étudiés.
Exemple 3 : Évaluation de programme
Une information plus exhaustive sur les sujets peut améliorer
l'évaluation des interventions communautaires de promotion de la
santé. On exige de plus en plus que l'efficacité des programmes
soit mise à l'épreuve, mais cela coûte très
cher de recruter suffisamment de sujets à des fins d'études
dans une collectivité pour s'assurer d'un suivi adéquat
et de la capacité de détecter des différences cliniques
significatives entre des groupes. Une autre possibilité consisterait
à évaluer ces différences à l'échelle
de la collectivité ou du groupe.
Les chercheurs ont relié les certificats de naissances vivantes
de 1988 et de 1989 aux demandes de règlement des hôpitaux
pour des nouveau-nés couverts par Medicaid, afin de répertorier
les naissances couvertes par ce régime et d'évaluer l'impact
de la coordination des soins dispensés aux mères sur l'issue
des grossesses22. On s'est servi du numéro d'assurance-maladie
des bébés pour extraire toutes les demandes de règlement
débutant dans les 60 jours suivant la naissance. Le nom et
la date de naissance de la mère ont été reliés
aux règlements versés au titre de la coordination des soins
à la mère, avec le système d'information sur la clientèle
du service de santé publique et les dossiers du programme spécial
d'aide alimentaire destiné aux femmes et aux enfants. L'échantillon
était composé de 15 526 femmes ayant reçu
des soins coordonnés et de 34 463 sujets témoins.
On a constaté un impact significatif sur l'amélioration
de l'issue des grossesses des femmes couvertes par Medicaid et la diminution
du nombre de bébés ayant un poids très faible à
la naissance. Les soins prénataux dispensés par les services
de santé publique étaient meilleurs que ceux fournis par
d'autres services. L'intérêt moral de cette étude
réside dans son impact possible sur les politiques régissant
la prestation de soins prénataux aux femmes défavorisées.
Un échantillon important était nécessaire pour détecter
les différences minimes mais significatives sur le plan clinique
dans la prévalence de l'insuffisance pondérale à
la naissance. Un essai randomisé prospectif aurait permis d'obtenir
le consentement éclairé et de respecter l'autonomie des
mères, mais il aurait coûté beaucoup plus cher. La
méthodologie de recherche évitait les conflits au chapitre
de la fidélité à la relation, puisque ni les participantes
ni les professionnels de la santé n'étaient informés
de l'étude. Les services des archives ont mis en péril la
vie privée des patientes, mais l'étude semblait être
la meilleure façon d'assurer le respect du principe moral de justice
et de bienfaisance à l'endroit de la population. Certaines des
femmes qui ont continué d'être couvertes par Medicaid peuvent
en avoir bénéficié.
Exemple 4 : Utilisation de dossiers de sujets décédés
Les études qui font appel aux couplages de dossiers peuvent constituer
la meilleure façon de servir l'intérêt moral lorsqu'il
est impossible d'établir un contact. Une étude a relié
les dossiers de décès de femmes de 10 à 49
ans et les dossiers de naissances vivantes afin de répertorier
les femmes qui étaient décédées dans l'année
suivant l'accouchement23. On s'est servi du numéro de
sécurité sociale et du nom de la mère ainsi que du
nom et de la date de naissance du bébé, des informations
qui sont toutes du domaine public (à l'exception du numéro
de sécurité sociale). Comte tenu du décès
de la mère, le respect de la confidentialité du numéro
de sécurité sociale n'est pas aussi important. Les dossiers
médicaux des mères et des bébés ainsi que
les rapports d'autopsie sur les mères ont été examinés
afin de répertorier les femmes qui étaient décédées.
L'identification du nombre de mères décédées
a augmenté de 100 %, ce qui a des conséquences considérables
pour les politiques en matière de soins périnataux et brosse
un tableau plus précis des objectifs atteints en matière
de réduction de la mortalité maternelle.
L'avantage moral de cette étude, même s'il est indirect,
réside dans l'accumulation de données importantes à
l'appui des changements en matière de politiques et de financement
des soins de santé. Le groupe étudié ne pouvait bénéficier
de la recherche. Cela aurait coûté très cher et il
aurait été très difficile pour les chercheurs de
communiquer avec les familles des femmes décédées
afin d'obtenir la permission d'examiner leur dossier médical. Les
familles auraient pu aussi être inutilement perturbées par
le fait qu'on leur rappelle ce décès (et peut-être
celui du bébé). Un plan d'étude différent,
soit une vaste étude prospective, aurait coûté beaucoup
plus cher et aurait été beaucoup plus dérangeant.
Il aurait également fallu plusieurs années pour le mener
à bien.
Exemple 5 : Rapports renfermant de l'information de nature délicate
La recherche éthique doit respecter la confidentialité,
surtout lorsque la violation de ce principe n'est d'aucune importance
pour les conclusions de la recherche ou pour le bien collectif. Cette
notion est rarement oubliée, mais un rapport d'étude ayant
couplé des certificats de décès où le sida
figurait comme cause du décès avec un registre du cancer,
afin d'étudier l'impact du sida sur «l'enregistrement du
cancer»24, renferme un tableau où les 20 cas de
sida répertoriés sont énumérés avec
leur sexe, leur âge au moment du décès, le groupe
à risque, l'année du diagnostic du cancer, le type de cancer
et l'indication si le cancer était mentionné sur le certificat
de décès et le sida, dans le dossier médical.
Cela nous apparaît être une violation possible de la confidentialité.
Nous ne voyons pas la nécessité de fournir ces détails
à l'appui des conclusions de l'étude. Compte tenu du nombre
restreint de cas, on aurait pu aussi communiquer avec les familles pour
obtenir leur consentement. Par ailleurs, on aurait obtenu les mêmes
résultats si on avait communiqué avec un groupe de patients
vivants, obtenu leur consentement et recueilli les données relatives
au cancer de manière rétrospective et prospective. Cela
semble un exemple de violation de la confidentialité, même
si rien ne prouve que les patients ont subi un autre préjudice.
Des cas aussi extrêmes et inhabituels reçoivent généralement
une attention exagérée lorsqu'ils sont découverts
et alarment le grand public.
Préoccupations publiques et élaboration des politiques
Le public remplit un rôle important dans l'élaboration des
politiques, car une recherche ne peut se faire que si les sujets sont
disposés à fournir l'information25. En Grande-Bretagne,
aux États-Unis et en République fédérale d'Allemagne,
l'élaboration des politiques qui touchent la technologie est une
source de conflits. La peur d'une ingérence dans la vie privée,
le risque d'accroître le pouvoir de l'État, l'usage abusif
de données personnelles et l'atteinte à la dignité
humaine sont au nombre des préoccupations de la population. À
l'opposé, la réaction de la Suède a été
décrite comme étant «consensuelle, préventive
et ouverte»7.
Les études canadiennes indiquent que le débat sur la recherche
utilisant des bases de données risque d'être conflictuel,
mais que ce risque peut être évité. Le groupe le plus
vaste de personnes interrogées dans le cadre d'une enquête2
étaient instruites et possédaient des connaissances informatiques;
la représentation de femmes, de résidents du Québec
et de cols blancs y étaient la plus élevée. Ces répondants
craignaient extrêmement tout empiétement sur leur vie privée
et croyaient généralement que les mécanismes actuels
de contrôle étaient inadéquats. Ils étaient
aussi d'avis que l'obtention du consentement éclairé et
que la réglementation devaient être accrues. Une autre étude3
a constaté que les gens évaluaient généralement
les avantages liés à la collecte des données par
rapport aux mécanismes de contrôle en place afin de déterminer
si la menace d'atteinte à la vie privée était acceptable.
Ces êtres pragmatiques n'avaient plus aucune inquiétude quand
ils avaient la conviction que les méthodes appliquées étaient
équitables et ils n'étaient pas enclins à exiger
une réglementation gouvernementale. Il s'ensuit que si les chercheurs
dans le domaine de la santé adoptent des pratiques éthiques
et que le public en est témoin, la demande de restriction législative
peut diminuer26 et l'utilité des données sur
la santé pour le bien commun27 peut être mise
en lumière.
Conclusions
Nous avons traité des questions d'éthique que soulèvent
les recherches faisant appel à des bases de données et de
la façon dont l'informatisation a accru les inquiétudes
du public par rapport à certaines questions. Malgré les
opinions extrêmes entourant les droits individuels et le bien commun,
un consensus général se dégage selon lequel la curiosité
scientifique et la commodité de la recherche dans des bases de
données ne peuvent pas justifier l'abandon des questions morales
liées au respect de la vie privée et de la confidentialité,
lesquelles nous touchent tous à titre de patients et de citoyens.
Toutefois, notre examen de la littérature sur le sujet conduit
à penser que les questions d'ethique soulevées par la recherche
fondée sur des bases de données méritent plus d'attention,
car nous pensons qu'une discussion des détails pertinents sur le
plan éthique peut être interprétée comme un
témoignage de l'intérêt des auteurs et/ou des directeurs
de publication pour ces questions.
Nous croyons que pour éviter que les bases de données et
la recherche soient soumises à une réglementation restrictive,
les épidémiologistes et les chercheurs dans le domaine de
la santé doivent conserver la confiance du public en décrivant
le volet éthique de leur plan d'étude dans leurs projets
ou leurs publications (p. ex., en précisant comment la confidentialité
de l'information a été préservée ou pourquoi
l'accès aux données sans consentement était justifié).
Les avantages de la recherche doivent être mis en lumière
et les méthodes utilisées pour protéger la confidentialité
et assurer le respect de la vie privée doivent être décrites
systématiquement dans les projets de recherche et les rapports
publiés. Plus l'information est délicate plus grande est
la responsabilité morale de respecter la vie privée; or,
cette question importante a retenu peu l'attention jusqu'à maintenant.
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Références des auteurs
Wilfreda E. Thurston et Carol E. Adair, Department of Community
Health Sciences, Faculty of Medicine, University of Calgary, Calgary (Alberta)
Michael M. Burgess, Centre for Applied Ethics, University of British
Columbia, Vancouver (Colombie-Britannique)
Correspondance : Dr. W.E. Thurston, Associate Professor, Department
of Community Health Sciences, Faculty of Medicine, University of Calgary,
3330 Hospital Drive NW, Calgary (Alberta) T2N 4N1; Télécopieur :
(403) 270-7307; Courriel : thurston@ucalgary.ca
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