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Relevé des maladies transmissibles au Canada

 

Relevé des maladies transmissibles au Canada
Vol. 24 (DCC-1)
1er janvier 1998

Une déclaration d'un comité consultatif (DCC)
Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages (CCMTMV)*

DIARRHÈE PERSISTANTE APRÉS UN VOYAGE


Introduction

La diarrhée est le problème de santé le plus courant chez les personnes qui voyagent dans des pays en développement(1), frappant de 20 % à 50 % de ceux qui se rendent dans des zones tropicales et subtropicales de l'Amérique latine, de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est(2,3). Même dans les pays industrialisés, un bris important ou temporaire des réseaux d'égout ou une inondation peuvent contaminer les sources d'approvisionnement en eau et entraîner des affections diarrhéiques(4,5).

La diarrhée des voyageurs (DV) est habituellement une affection aiguë qui se caractérise par l'émission d'au moins trois selles molles ou semi-moulées par jour. Elle peut être associée à d'autres symptômes, tels que nausées, vomissements et douleurs abdominales(6). La maladie se déclare le plus souvent durant le voyage, mais les symptômes peuvent également apparaître dans les 7 à 10 jours qui suivent le retour au pays.

La prévention et le traitement des DV aiguës qui, normalement, évoluent spontanément vers la guérison sont décrits dans la déclaration du CCMTMV sur la DV(7). En règle générale, aucune enquête n'est nécessaire et l'auto-traitement peut être préconisé pour une DV aiguë à moins que le patient ne soit très malade, souffre d'une maladie sous-jacente importante, présente un déficit immunitaire ou des selles sanguinolentes; dans un tel cas, il convient de faire appel à un médecin pour une enquête et pour la prise en charge du patient.

Il arrive parfois que les symptômes ne se manifestent qu'après le voyage. Il peut s'agir d'une DV aiguë ayant une longue période d'incubation, c'est-à-dire qui s'installe > 7 jours après le départ d'une zone tropicale. Dans de tels cas, il est moins probable que la diarrhée soit due à des agents bactériens. L'infection à Campylobacter peut avoir une période d'incubation de 10 jours au maximum; toutefois, lorsque les symptômes ne se déclarent qu'au retour du voyage, l'étiologie la plus plausible demeure une maladie dont la période d'incubation est plus longue, comme la giardiase (3 à 25 jours), l'amibiase (2 à 4 semaines) ou la schistosomiase (2 à 6 semaines). Il se peut également que le trouble gastro-intestinal ne soit pas lié à un voyage récent et qu'il coïncide simplement avec ce dernier. Les sujets devraient alors être évalués par un travailleur de la santé et une enquête devrait être effectuée pour déterminer l'étiologie de la même façon que pour les voyageurs présentant une diarrhée persistante. Ce sous-groupe de patients risque moins de répondre aux traitements standard recommandés pour la DV aiguë.

La présente déclaration traite expressément de la diarrhée persistante chez le voyageur à son retour, c'est-à-dire d'une diarrhée dont les symptômes durent ³ 14 jours, conformément à la définition de l'Organisation mondiale de la Santé(8). Des articles publiés en anglais sur le sujet entre octobre 1990 et juin 1997 ont été retracés dans la base de données MEDLINE à l'aide des mots clés « diarrhea » et « travel »;  une recherche manuelle a également été effectuée pour retrouver les articles pertinents cités dans les bibliographies.

Incidence et étiologie de la diarrhée persistante des voyageurs

On ne connaît pas la véritable incidence de la diarrhée persistante associée aux voyages, mais on estime qu'elle survient chez 1 % à 3 % des personnes souffrant de DV aiguë(1,6,9-11). Malheureusement, l'étiologie de la plupart des cas de diarrhée persistante demeure inconnue. Dans 50 % à 70 % des cas, les patients qui présentent une DV aiguë souffrent d'une infection bactérienne; la DV persistante est souvent associée à une intolérance post-infectieuse au lactose ou à un côlon irritable.

Le diagnostic différentiel de la diarrhée persistante prend en compte les troubles suivants :

  • diagnostic non posé, ce qui devrait arriver moins souvent si l'on fait appel à un laboratoire compétent qui utilise des colorations et des techniques spéciales pour des pathogènes spécifiques tels que les agents de la cryptosporidiose, de l'infection à Cyclospora et de la strongyloïdiose
  • malabsorption
  • entéropathies inflammatoires
  • syndrome du côlon irritable (trouble de la coordination neuromusculaire)
  • entérite liée aux sels biliaires
  • intolérance au lactose.

Si jamais on identifie les agents étiologiques, il s'agira tout probablement de parasites (tableau 1). Certaines régions géographiques sont bien connues pour abriter certains microbes. La giardiase sévit partout mais on l'associe le plus souvent à un voyage en Russie ou dans les régions montagneuses de l'Amérique du Nord. L'infection à Cyclospora a été associée géographiquement au Népal; des éclosions survenues en Amérique du Nord montrent néanmoins que cette infection peut être très disséminée(5,12,13). La sprue tropicale, maladie qui touche rarement les voyageurs, est observée après un séjour de > 1 an dans des zones à haut risque, telles que Porto Rico, la République dominicaine, Haïti, Cuba, les Antilles, l'Inde, la Birmanie, l'Asie du Sud-Est et les Philippines.

Tableau 1 Étiologie de la DV persistante

Non infectieuse

Autres infections

Intolérance au lactose, syndrome du côlon irritable, malabsorption post-infectieuse, entérite associée aux sels biliaires et entéropathies inflammatoires. Hypertrophie de l'intestin grêle, sprue tropicale, infection à VIH

Parasites

(Courants) Giardia lamblia, Cryptosporidium spp., Cyclospora, Isospora belli, Blastocystis hominis* (Plus rares) Entamoeba histolytica, Dientamoeba fragilis, Strongyloïdes spp.

Bactéries

Diverses souches d'Escherichia coli, Shigella spp., Campylobacter spp., Aeromonas, la toxine de Clostridium difficile, Salmonella spp.

Agents mineurs ou sans importance sur le plan médical (commensaux ou ne provoquant que des symptômes mineurs qui ne requièrent pas de traitement spécifique)

Endolimax nana, Entamoeba coli, Entamoeba hartmani, Entamoeba poleki, Iodamoeba buetschlii, Chilomastix mensnili

* Son rôle pathogène est contesté.

Évaluation du patient

L'évaluation du patient devrait comporter une anamnèse complète et un examen physique, qui met particulièrement l'accent sur l'itinéraire suivi lors du voyage et l'exposition potentielle à des entéropathogènes compte tenu de la salubrité de l'eau et des aliments consommés durant le voyage. Il convient de situer le moment d'apparition des symptômes par rapport à la date du voyage. Certaines personnes attribuent leur diarrhée à un voyage, alors que leurs symptômes peuvent être apparus avant ou coïncider simplement avec le voyage. Un recueil soigneux des antécédents de symptômes gastro-intestinaux avant le voyage peut permettre de détecter la présence d'un syndrome du côlon irritable ou d'autres causes.

Si la diarrhée s'accompagne de fièvre et que l'itinéraire du voyageur indique un séjour dans une zone impaludée, il faut absolument effectuer un frottis sanguin afin d'écarter l'éventualité du paludisme, de même que des hémocultures. Il importe de noter la qualité et la quantité des selles; il faut déterminer, par exemple, si les selles sont aqueuses, associées à une malabsorption (semi-moulées, volumineuses, graisseuses ou nauséabondes) ou sanguinolentes. Les selles sont-elles peu volumineuses et fréquentes, associées à un ténesme, ce qui indiquerait que le gros intestin est atteint, ou sont-elles volumineuses et aqueuses et donc associées à une pathologie de l'intestin grêle? L'examen coprologique qualitatif peut aider à orienter les investigations complémentaires vers le gros intestin ou l'intestin grêle. De façon générale, une diarrhée sanguinolente doit être investiguée, car elle peut être associée à une gastro-entérite invasive persistante d'origine bactérienne, à une amibiase ou à une entéropathie inflammatoire.

Il convient de noter la perte de poids, et plus particulièrement la situer par rapport au moment de survenue de la diarrhée; un amaigrissement important évoque une pathologie sous-jacente plutôt qu'un syndrome du côlon irritable ou une intolérance au lactose. D'autres questions importantes méritent également d'être posées :

  • Existe-t-il d'autres symptômes associés, tels que des manifestations pathologiques extra-intestinales (entéropathie inflammatoire)?
  • Le patient a-t-il pris des antimicrobiens au cours du mois précédent (colite à Clostridium difficile)?
  • Les aliments consommés ont-ils une incidence sur les symptômes, notamment la consommation de lactose ou de matières grasses?
  • Le patient présente-t-il une affection sous-jacente qui pourrait le prédisposer à une diarrhée plus sévère ou prolongée, par exemple une infection à VIH?

Prise en charge du patient

La figure 1 présente une stratégie de prise en charge des patients souffrant de diarrhée persistante après un voyage. Il faut effectuer une culture bactérienne d'un seul échantillon de selles(14) de même qu'un examen parasitologique de trois échantillons de selles prélevés des jours différents(15). Un test de détection de la cytotoxine produite par C. difficile s'impose si le patient a déjà pris des antimicrobiens au cours du mois précédent. Tant qu'ils ne connaissent pas les résultats de ces premiers examens, les patients devraient éviter de consommer du lactose sous toutes ses formes ou devraient prendre au préalable de la lactase du commerce, ce qui peut atténuer les symptômes et prévenir d'autres interventions. De même, on devrait leur conseiller de réduire leur consommation de caféine et d'accroître leur ration de fibres alimentaires.

Figure 1 Prise en charge de la diarrhée persistante des voyageurs

De façon générale, le malade souffrant de diarrhée profuse devrait boire beaucoup de liquides pour maintenir une bonne hydratation. Pour connaître les lignes directrices relatives à la prise en charge des problèmes de déshydratation chez les enfants, on se reportera à la déclaration de la Société canadienne de pédiatrie sur l'administration d'une solution réhydratante par voie orale(16).

Pour éliminer certains agents étiologiques identifiés au cours de l'examen initial, il convient de suivre les recommandations pertinentes publiées. Cependant, si aucun diagnostic n'a pu être posé après la réa- lisation des examens pertinents et les restrictions alimentaires, on peut envisager un traitement symptomatique à base de suppléments de fibres (p. ex., métamucil), de ralentisseurs du transit (p. ex., lopéramide) ou de sels biliaires (cholestyramine pour juguler une entérite liée aux sels biliaires après une DV). Si ces mesures n'arrivent pas à supprimer les symptômes, ou si les selles témoignent d'une malabsorption ou sont sanguinolentes, ou encore si le patient continue à perdre du poids, des examens complémentaires sont requis, notamment une visualisation des intestins, une endoscopie et une biopsie. Une endoscopie digestive haute assortie d'une biopsie de l'intestin grêle permet de diagnostiquer ou d'exclure une sprue tropicale et peut aider à diagnostiquer d'autres troubles qui n'ont pas été détectés lors de l'examen coprologique. Une sigmoïdoscopie ou une coloscopie peuvent permettre de diagnostiquer certains troubles comme une amibiase invasive, une schistosomiase intestinale ou une entéropathie inflammatoire. Toutefois, on ne dispose actuellement d'aucune donnée utile pour préciser le rôle de ces examens dans la prise en charge des patients souffrant de DV persistante.

Certains experts(9) préconisent des essais thérapeutiques avec certains agents comme le métronidazole ou un antimicrobien de la famille des quinolones lorsque les examens mentionnés ci-dessus n'arrivent pas à déterminer la cause de la diarrhée persistante.

Recommandations

Le tableau 2 présente les catégories établies dans le cadre d'une médecine fondée sur les preuves(17) pour la fermeté et la qualité des preuves fournies à l'appui de chacune des recommandations qui suivent.

Tableau 2 Fermeté et qualité des preuves - tableau récapitulatif

Catégories relatives à la fermeté de chaque recommandation

CATÉGORIE

DÉFINITION

A

Preuves suffisantes pour recommander l'utilisation.

B

Preuves acceptables pour recommander l'utilisation.

C

Preuves insuffisantes pour recommander ou déconseiller l'utilisation.

D

Preuves acceptables pour déconseiller l'utilisation.

E

Preuves suffisantes pour déconseiller l'utilisation.

Catégories relatives à la qualité des preuves sur lesquelles reposent les recommandations

GRADE

DÉFINITION

I

Données obtenues dans le cadre d'au moins un essai comparatif convenablement randomisé.

II

Données obtenues dans le cadre d'au moins un essai clinique bien conçu, sans randomisation, d'études de cohortes ou d'études analytiques cas-témoins, réalisées de préférence dans plus d'un centre, à partir de plusieurs séries chronologiques, ou résultats spectaculaires d'expériences non comparatives.

III

Opinions exprimées par des sommités dans le domaine et reposant sur l'expérience clinique, des études descriptives ou des rapports de comités d'experts.

  1. De façon générale, les personnes qui souffrent de diarrhée pendant < 5 jours au retour d'un voyage n'ont pas besoin de subir une série d'examens et devraient être prises en charge conformément aux recommandations contenues dans la déclaration du CCMTMV sur la DV(7). Pour des raisons épidémiologiques, lorsqu'il se produit une éclosion, il peut être nécessaire d'effectuer une enquête (B III).

  2. Si une personne présente à son retour de voyage une diarrhée persistante, il convient de recueillir une anamnèse complète, d'établir notamment les voyages effectués par le patient en considérant l'exposition potentielle à des entéropathogènes, de noter les aliments ingérés et l'usage récent d'antimicrobiens. Il faut vérifier la présence d'une maladie avant le voyage et effectuer un examen physique (B III).

  3. Dans les cas de diarrhée persistante, des échantillons de selles devraient faire l'objet d'un examen parasitologique dans un laboratoire compétent; une culture bactérienne devrait être réalisée et, si le patient a pris récemment des antimicrobiens, il importe de rechercher la cytotoxine produite par C. difficile. On pourra avoir recours à des techniques d'imagerie diagnostique ou d'endoscopie indiquées, en particulier si la diarrhée s'accompagne d'une perte de poids, de l'émission de selles sanglantes ou d'autres symptômes systémiques (B III).

  4. Un traitement spécifique pour éradiquer les agents microbiens devrait être administré au besoin, conformément aux lignes directrices publiées (A II).

  5. Lorsqu'un patient fébrile présente une diarrhée après un voyage dans une zone impaludée, des frottis sanguins devraient être pratiqués afin d'écarter l'éventualité du paludisme (A II).

  6. Une hémoculture sera effectuée si la diarrhée s'accompagne d'une fièvre (A II).

Références

  1. Steffen R, Rickenbach M, Wilhelm U et coll.  Health problems after travel to developing countries.  J Infect Dis 1987;156:84-91.

  2. Steffen R. Epidemiologic studies of travelers' diarrhea, severe gastrointestinal infections and cholera.  Rev Infect Dis 1986;8:S122-S30.

  3. Dupont HL, Khan FM.  Travelers' diarrhea: epidemiology, microbiology, prevention, and therapy.  J Travel Med 1994;1:84-93.

  4. MacKenzie WR, Hoxie NJ, Proctor ME et coll. A massive outbreak in Milwaukee of cryptosporidium infection transmitted through the public water supply.  N Engl J Med 1994;331:161-67.

  5. CDC. Outbreaks of Cyclospora cayetanensis infection - United States, 1996.  MMWR 1996;45:549-51.

  6. Dupont HL, Ericsson CD.  Prevention and treatment of travelers' diarrhea.  N Engl J Med 1993;328:1821-27.

  7. Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages. Déclaration concernant la diarrhée des voyageurs. RMTC 1994;20:149-55.

  8. Health Organization Diarrhoea Disease Control Programme. Persistant diarrhoea in children in developing countries. Presented at the Meeting on Persistant Diarrhoea in Children in Developing Countries. Genève, Suisse, 1987.

  9. Dupont HL, Capsuto EG. Persistent diarrhea in travelers. Clin Infect Dis 1996;22:124-28.

  10. Guerrant R, Rouse J, Hughes J et coll.  Turista among members of the Yale Glee Club in Latin America.  Am J Trop Med Hyg 1980; 29:895-900.

  11. Addiss DG, Tauxe RV, Bernard KW.  Chronic diarrhoeal illness in US Peace Corps volunteers.  Int J Epidemiol 1990;19:217-18.

  12. Himy R, Villard O, and Kremer M.  Cyclosporida: a general review. J Travel Med 1995;2:33-6.

  13. CDC. Update: outbreaks of Cyclospora cayetanensis infection - United States and Canada, 1996. MMWR 1996;45:611-12.

  14. Church DL, Cadrain G, Kabani A et coll. Practice guidelines for ordering stool cultures in a pediatric population.  Am J Clin Pathol 1995;103:149-53.

  15. Hiatt RA, Markwell EK, Ng E.  How many stool examinations are necessary to detect pathogenic intestinal protozoa?  J Trop Med Hyg 1995;53:36-9.

  16. Canadian Paediatric Society. Oral rehydration therapy early refeeding in the management of childhood gastroenteritis. Can J Ped 1994;1:160-64.

  17. MacPherson DW. Une approche de la médecine fondée sur les preuves. RMTC 1994;20:145-47.

Membres : Dr K. Kain (président); H. Birk; M. M. Bodie-Collins (secrétariat); Dr S.E. Boraston; Dr  W. Bowie; Dr H.O. Davies; Dr J.S. Keystone; Dr D.W. MacPherson; Dre  A. McCarthy (secrétaire exécutif); Dr J.R. Salzman; Dr D. Tessier.

Membres d'office : Dre E. Callary (SC); LCdr. D. Carpenter (MDN); R. Dewart (CDC);  Dr  E. Gadd (SC); Dr C.W.L. Jeanes; Dr H. Lobel (CDC).

Notre mission est d'aider les Canadiens et les Canadiennes à maintenir et à améliorer leur état de santé.

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Dernière mise à jour : 2002-11-08 début