Volume 24-10
15 mai 1998
[Table
des matières]
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Stratégies de prise en charge des candidats au traitement aux antiprotéases
nécessitant par ailleurs un traitement pour Mycobacterium tuberculosis
Introduction
Bien que la co-infection par le VIH et le bacille tuberculeux n'ait
jamais été un problème majeur au Canada, certains indices donnent à penser
que le taux de tuberculose associée au VIH augmente. Cela est particulièrement
vrai dans les groupes à haut risque, notamment chez les utilisateurs de
drogues injectables. Le recours aux inhibiteurs de la protéase (aussi
appelés antiprotéases), qui sont des antirétroviraux puissants, et la
découverte de leur interaction avec les antimycobactériens de type rifamycine
posent un dilemme thérapeutique. Le présent document cherche à trouver
un point d'équilibre entre les répercussions sur la santé publique d'un
traitement sous-optimal des cas de tuberculose infectieuse active ne faisant
pas appel à la rifampine, et celles du report du traitement aux inhibiteurs
de la protéase pendant qu'on utilise un traitement antirétroviral de rechange.
Contexte
L'introduction récente d'une nouvelle classe de médicaments puissants,
les inhibiteurs de protéase, à l'intention des personnes infectées
par le VIH pose un dilemme thérapeutique lorsque ces personnes sont aussi
infectées par Mycobacterium tuberculosis et par M. avium-intracellulare.
Un certain nombre d'inhibiteurs de la protéase, notamment le saquinavir
(InviraseMC), l'indinavir (CrixivanMC) et le ritonavir
(NorvirMC) ont été homologués dernièrement pour le traitement
des personnes infectées par le VIH. Le Nelfinavir (ViraceptMC)
est aussi offert au Canada dans le cadre d'un programme d'accès élargi
de Santé Canada. Ces médicaments inhibent la réplication virale et ont
eu un effet extraordinaire sur la prise en charge des personnes infectées
par le VIH(1,2). Des recommandations mises à jour sur leur
utilisation ont été publiées récemment(3). Malheureusement,
ces médicaments risquent d'avoir une interaction prononcée avec la rifampine,
l'un des principaux médicaments utilisés dans le traitement de la tuberculose
active(3). Les rifamycines accélèrent le métabolisme des inhibiteurs
de la protéase, abaissant leurs concentrations à des niveaux infrathérapeutiques.
Cette interaction se fait par la voie de la cytochrome-P540-oxydase hépatique.
Par un mécanisme distinct, les inhibiteurs de la protéase ralentissent
le métabolisme des rifamycines, augmentant les concentrations de ces agents
et donc le risque de toxicité.
Ce problème fait ressortir l'importance des recommandations antérieures
dans ce domaine en ce qui a trait à la prophylaxie(4). Il indique
aussi la nécessité de formuler des directives et des recommandations définitives
pour la prise en charge des personnes infectées par le VIH et atteintes
de tuberculose active qui soit prennent ces agents, soit sont candidats
à un traitement avec ces agents. Les principes suivants sont importants.
La meilleure approche consiste à diagnostiquer de façon proactive
les cas de co-infection par le bacille tuberculeux chez les personnes
infectées par le VIH au moyen de tests cutanés courants aux dérivés protéiques
purifiés(5). Ce dépistage devrait viser en particulier
les groupes à haut risque de tuberculose, notamment les Autochtones, les
utilisateurs de drogues injectables et les immigrants provenant de pays
où la prévalence de la maladie est élevée(6). Le traitement
à l'isoniazide des personnes infectées par le VIH atteintes de tuberculose
réduit de façon marquée le risque de tuberculose active, et ralentit également
la progression vers le sida et la mort(7). À âge égal, les
personnes infectées par le VIH ne souffrant pas de tuberculose active
affichent un meilleur taux de survie que celles qui développent la maladie(8).
Les données sur lesquelles se fondent cette affirmation ont été mieux
définies dernièrement(9). On a souligné l'importance de procéder
à une évaluation de base pour s'assurer de l'absence de tuberculose active
avant d'amorcer une chimioprophylaxie par isoniazide(10). La
priorité demeure d'empêcher les personnes infectées par le VIH atteintes
de tuberculose active de commencer un traitement à l'isoniazide. Toutes
les personnes infectées par le VIH devraient subir une radiographie thoracique
de même qu'un frottis et une culture des expectorations. Ce n'est qu'après
avoir écarté toute possibilité de tuberculose active et effectué des tests
de la fonction hépatique que l'on peut amorcer une chimioprophylaxie par
isoniazide.
Chez les cas de tuberculose active nouvellement diagnostiqués, la
principale préoccupation sur le plan de la santé publique est de faire
en sorte que les personnes infectées par le VIH ne soient plus contagieuses
et mènent à terme un traitement antituberculeux satisfaisant. On y
arrive habituellement 2 semaines après le début du traitement, à condition
de pouvoir utiliser les médicaments de première intention. Il importe
de confirmer la non-contagiosité du patient par des frottis négatifs,
en particulier lorsque la personne retourne dans un milieu où elle aura
des contacts avec des amis ou des collègues infectés par le VIH. En général,
un traitement d'une durée totale de 6 mois suffit. Durant cette période,
on peut amorcer une thérapie antirétrovirale faisant appel à des agents
autres que des inhibiteurs de la protéase(3,11). Il peut s'agir,
par exemple, d'une combinaison de deux analogues nucléosidiques inhibiteurs
de la transcriptase inverse et d'un inhibiteur non nucléosidique de la
transcriptase inverse.
Recommandations
Les recommandations suivantes s'appliquent à plusieurs catégories
différentes de personnes infectées par le VIH ayant fait l'objet d'un
diagnostic de tuberculose active et dont le traitement inclut des inhibiteurs
de la protéase.
1. La thérapie antirétrovirale incluant un inhibiteur de la protéase
a des résultats satisfaisants chez les patients qui ont été en mesure
de maintenir un taux élevé de suppression de la réplication virale tel
que démontré par une charge virale plasmatique constamment indétectable
(c.-à-d. inférieure au seuil de détection de l'essai, situé actuellement
à 400 copies/mL). Chez ces patients, on peut envisager de remplacer
l'inhibiteur de la protéase par un inhibiteur non nucléosidique de la
transcriptase inverse.
2. Les patients dont le traitement inclut un inhibiteur de la protéase -
en général deux nucléosides plus un inhibiteur de la protéase - et
qui affichent une charge virale plasmatique supérieure à 400 copies/mL
sont généralement considérés comme n'ayant pas complètement supprimé le
virus; il pourrait donc être bénéfique de modifier leur traitement antirétroviral.
Dans ces cas, on devrait envisager de passer à deux nucléosides plus un
inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse.
3. Les patients qui ont épuisé toutes les autres options de traitement
antirétroviral et qui sont traités avec succès avec un régime incluant
un inhibiteur de la protéase - soit un régime à deux nucléosides
plus un inhibiteur de la protéase puissant, soit un régime à deux inhibiteurs
de la protéase - soulèvent un problème extrêmement complexe. L'interruption
abrupte du traitement antirétroviral ne semble pas favoriser le développement
d'une résistance, ce qui donne à penser que l'on pourrait reprendre le
traitement avec succès plusieurs mois plus tard, à la fin du traitement
antituberculeux ou, peut-être, une fois passée sa phase initiale d'induction
intensive de 2 mois. Par contre, la résistance au traitement antirétroviral
augmentera si le régime thérapeutique n'est pas observé en entier, ou
si un ou deux des agents sont temporairement discontinués. Dans ce cas,
la résistance aux autres agents que continue de prendre le patient aura
tendance à augmenter. Le fait de ne pas inclure la rifampine dans le régime
initial a été associé à un risque de rechute accru, et à une prolongation
de 18 à 24 mois de la durée du traitement(12).
Comme l'indinavir administré à une dose de 800 mg t.i.d. semble
présenter moins de risque d'interaction avec la rifabutine administrée
à une dose de 150 mg une fois par jour, on a suggéré de recourir
pendant 9 mois à une quadrithérapie où la rifabutine remplacerait
la rifampine. Une étude récente a en effet montré qu'un régime incluant
la rifabutine avait des résultats similaires à celui faisant appel à la
rifampine pour le traitement de la tuberculose active(12,13).
Une autre solution consiste à choisir au départ une quadrithérapie, puis,
une fois connus la réponse bactériologique et le profil de sensibilité
aux antituberculeux, à poursuivre le traitement avec de l'isoniazide et
de l'éthambutol pour une période de 16 mois. Ce régime ne peut être
utilisé que lorsque l'organisme est sensible à l'isoniazide et à l'éthambutol,
et lorsque le traitement fait l'objet d'une observation directe visant
à assurer que le patient le suit jusqu'au bout malgré sa durée prolongée(4).
On a dépeint récemment la difficulté que pose le traitement des itinérants
par les inhibiteurs de la protéase(14). Dans une population
aussi «difficile à suivre», l'accent doit être mis sur l'achèvement de
la chimioprophylaxie antituberculeuse et sur la mise en route de la prophylaxie
de la pneumonie à Pneumocystis carinii. Le recours éventuel
aux inhibiteurs de la protéase vient en second lieu.
À cause de l'incertitude qui persiste et de l'absence d'essais comparatifs
randomisés étayant les recommandations énoncées ci-dessus, les médecins
qui traitent des personnes appartenant aux catégories mentionnées devraient
prendre les précautions suivantes.
- Exercer une surveillance minutieuse de la réponse au traitement et
suivre de près les améliorations continues tant sur le plan clinique
que radiologique.
- Évaluer régulièrement le patient pour s'assurer que la conversion
bactériologique a bien eu lieu et qu'il n'y a pas de rechutes.
- Surveiller l'apparition de rechutes de la tuberculose pendant au moins
2 ans après la fin des régimes de traitement décrits ci-dessus.
- Choisir l'observation directe comme principale méthode d'administration
du traitement antituberculeux.
Vu la complexité du traitement et les éventuels problèmes qui y sont
associés, notamment lorsqu'on a relevé une résistance aux médicaments
chez le patient, on recommande de demeurer en contact étroit avec un spécialiste
bien au fait des traitements de la tuberculose et de l'infection à VIH(11).
En somme, les personnes à haut risque de co-infection par le VIH et par
le bacille tuberculeux devraient faire l'objet d'une surveillance ciblée
plus poussée. En présence d'une telle co-infection, la chimioprophylaxie
doit être fortement encouragée. Ces mesures devraient aider à surmonter
l'actuel dilemme posé par la prise en charge des cas, et permettre au
soignant d'évaluer si le patient est susceptible d'observer jusqu'au bout
un régime de traitement prolongé. Lorsqu'une tuberculose active a été
diagnostiquée, l'objectif prioritaire devrait être de compléter un programme
de traitement satisfaisant pour s'assurer que le patient cesse d'être
contagieux le plus rapidement possible et poursuive le régime de traitement
le plus bref possible. Cette recommandation se fonde sur les répercussions
plus prononcées sur la santé publique d'une tuberculose mal traitée. En
effet, lorsque le traitement n'est pas mené à terme, le risque de transmission
de l'infection et de développement d'une tuberculose multirésistante est
plus élevé.
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Source :
Comité consultatif sur la tuberculose et le VIH (Dr J FitzGerald,
[président], Dr A Adrien, Dr C Archibald, Dr
G Bally, Dre M Naus, Dr J Montaner, Dr
H Njoo, Dr T Tannenbaum, B Thomas, IA, R Wuske, E Zack.)
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