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Volume 18, No 1- 1997

 

 

Agence de la santé publique du Canada


Recensions de livres


Smoke Screen: Women's Smoking and Social Control


Par Lorraine Greaves
Halifax : Fernwood Publishing, 1996; 144 pages; ISBN 1-85727-058-4; 14,95 $ CAN

Dans cet ouvrage, Greaves procède à une analyse de l'usage du tabac chez les femmes qui suscite la réflexion, et elle offre de ce fait un ouvrage de référence attendu depuis longtemps aux professionnels de la santé et aux décideurs, qui doivent envisager le tabagisme comme une question touchant la santé des femmes. La force de cet ouvrage tient au fait que l'approche à l'égard du tabagisme et du tabac est canadienne et centrée sur la femme. Intégrant des éléments importants de la théorie féministe, Greaves permet au lecteur de faire le tour de la question du tabagisme chez les femmes, en lui offrant de l'information sur les pressions historiques et culturelles, la signification du tabagisme pour les femmes, l'utilité du tabagisme pour les femmes, les avantages pour la société du tabagisme chez les femmes et l'impact des politiques en matière de santé et de tabac sur la prévention du tabagisme chez les femmes et sur le renoncement au tabac de la part des fumeuses.

Greaves commence son analyse en retraçant les influences historiques et culturelles qui ont joué un rôle dans le tabagisme chez les femmes. Elle offre un tableau complet, qui illustre le rôle joué par les femmes, aussi bien dans le mouvement en faveur du tabac que dans le mouvement antitabac, et qui décrit comment le tabagisme chez les femmes a été largement défini en fonction du tabagisme chez les hommes, auquel il était comparé. Ce tableau montre clairement combien, au fil du temps, le tabagisme a revêtu des significations différentes pour les femmes, bien au-delà des notions d'égalité et de libération.

En ce qui a trait à l'examen approfondi de ces significations, cet ouvrage montre la valeur de la recherche qualitative et l'importance des méthodes qui la caractérisent dans tout effort visant à lever le voile sur ce que le tabagisme représente pour les femmes. Greaves signale que «les fumeuses sont rarement, voire jamais, appelées à contribuer de leur savoir aux recherches sur le tabagisme chez les femmes, non plus qu'à l'élaboration de politiques ou à la conception de programmes»; la recherche décrite dans cet ouvrage fournit une description succincte de quelques-unes des significations du tabagisme pour les femmes. Cinq thèmes émergent de ce résumé : l'organisation de la vie sociale, la création d'une image, le contrôle des émotions, la dépendance et l'identité. Malheureusement, cette recherche a été conduite auprès d'un groupe relativement restreint de Canadiennes et d'Australiennes appartenant à des groupes sociaux spécifiques (soit les féministes, les femmes vivant dans des refuges et les femmes des Premières nations vivant dans les régions du Nord du Canada) et n'est donc pas représentative de toutes les femmes et ne rend pas compte de la signification concrète du tabagisme pour elles. Quoi qu'il en soit, cette recherche fournit un cadre innovateur sur lequel fonder les recherches futures.

En plus de ses propres efforts de recherche, Greaves dissèque avec audace l'industrie du tabac afin de montrer comment les femmes paient la note de la production et de la consommation de tabac. La participation et le rôle des femmes dans ces aspects sont des réalités complexes qui présentent plusieurs facettes et dont les coûts vont bien au-delà des coûts occasionnés par les effets sur la santé. L'ouvrage fournit un tableau vivant de ces rôles et présente les femmes, non d'un point vue statistique, mais comme des travailleuses et des dispensatrices de soins ainsi que comme des fumeuses malades et mourantes. Fait plus important encore, l'ouvrage reprend des annonces (anciennes et actuelles) de produits du tabac conçues à l'intention des femmes, afin de montrer comment l'industrie du tabac s'est montrée extrêmement sensible à la grande diversité des femmes contemporaines, beaucoup plus que les organismes traditionnels de promotion de la santé.

Faisant écho à l'appel en faveur de plus de recherches prenant en compte le lien unique entre les femmes et le tabagisme, Greaves propose, en se fondant sur les constatations de sa propre recherche qualitative, une théorie du tabagisme chez les femmes qui comble les lacunes actuelles dans les connaissances sur les caractéristiques des fumeurs et leur comportement. Comme le tabagisme peut être «un moyen important permettant aux femmes d'exercer un contrôle sur leur réalité intérieure et extérieure et s'y adapter» [traduction], Greaves replace les propos des femmes dans leur contexte et elle montre comment le tabagisme se présente comme une réponse à des expériences d'oppression due à l'inégalité et à l'impuissance. Ces expériences sont au coeur de la réalité que vivent bon nombre de femmes aux prises avec la violence, la pauvreté, le surmenage et la discrimination. Le tabagisme est très clairement un problème de femme.

Poursuivant son examen du tabagisme vu comme une question touchant les femmes et une question de santé, Greaves se porte en faveur d'une approche globale, taillée sur mesure en fonction des caractéristiques des femmes, à l'égard du renoncement au tabac et de la lutte antitabac. Une telle approche permettra de considérer les questions politiques, sociales, psychologiques et économiques soulevées par l'usage du tabac et de considérer le tabagisme chez les femmes dans une perspective sociétale (plutôt qu'individuelle). Les premiers messages invitant les femmes à renoncer au tabac (et plus particulièrement les campagnes visant à réduire la consommation de tabac pendant la grossesse) étaient porteurs de culpabilité et de reproches adressés aux victimes; il est clair qu'il faut concevoir de nouveaux messages axés sur la promotion de la femme et de son autonomie. Pour réaliser les changements requis, il faudra que les décideurs et les partenaires (y compris les fumeuses) qui travaillent à tous les paliers reconnaissent l'importance du tabagisme comme moyen pour les femmes de gérer leur expérience propre et d'élargir leurs vues et leurs préoccupations en conséquence. Chose certaine, ces changements ne sont possibles que si on manifeste de l'intérêt pour la question du tabagisme chez les femmes et qu'on en a une bonne compréhension.

Il s'agit d'un ouvrage sur les femmes, sur le lien qu'ont les femmes avec le tabagisme. Sa force tient à la capacité de l'auteure d'aller au coeur du sujet et de faire un compte rendu brutal montrant comment le tabagisme détermine l'expérience et la réalité des femmes. Analyse approfondie, recherche et pensée originale sont autant d'éléments que l'on retrouve étroitement imbriqués dans les défis et les questions que soulève l'auteure pour la société, les chercheurs du domaine de la santé et l'industrie de la santé. Greaves ne se contente pas de nous poser les questions difficiles auxquelles il faudra répondre pour obtenir des changements dans le rapport qu'entretiennent les femmes avec le tabac, mais elle nous fournit les outils nécessaires pour entamer les changements requis et pour avoir une vision de ce vers quoi tendent nos efforts.

Jennifer Pennock
Division de la détection précoce et du traitement
Bureau du cancer
Laboratoire de lutte contre la maladie
Santé Canada, Pré Tunney
Indice de l'adresse : 0601C1
Ottawa (Ontario)  K1A 0L2



Methods in Observational Epidemiology (deuxième édition)


Par Jennifer L. Kelsey, Alice S. Whittemore, Alfred S. Evans et W. Douglas Thompson
Monographs in Epidemiology and Biostatistics, volume 26
New York : Oxford University Press, 1996; xii + 432 pages; ISBN 0-19-508377-6; 67,95 $ CAN

La première édition de cet ouvrage, publié il y a dix ans, a eu un impact majeur, parce que les auteurs se comptaient parmi les premiers spécialistes à incorporer les concepts et les méthodes de l'épidémiologie «moderne» dans un texte conçu pour un cours d'introduction de niveau supérieur. J'étais curieux de voir les changements que Kelsey et ses collègues avaient apportés à leur ouvrage.

Les trois premiers chapitres, 1) Introduction, 2) Biologic and Statistical Concepts et 3) Sources of Routinely Collected Data on Disease Occurence, sont des versions mises à jour des chapitres de la première édition. La même remarque s'applique aux six derniers chapitres : 10) Cross-Sectional and Other Types of Studies, 11) Epidemic Investigations, 12) Methods of Sampling and Estimation of Sample Size, 13) Measurement Error, 14) Measurement I: Questionnaires et 15) Measurement II: Other Types of Measurement. Les auteurs ont augmenté les renseignements sur les sources d'information, les utilisations des bases de données, les mesures dans l'étude de la population âgée et les marqueurs biologiques.

Les chapitres intermédiaires sur la planification, l'exécution et l'analyse de cohorte et les études cas-témoins ont été sensiblement retouchés. Les chapitres 4 et 5 portent sur la planification et l'exécution d'études de cohortes prospectives et rétrospectives, respectivement. Dans le chapitre 5, les auteurs ont ajouté des nouvelles sections sur les études cas-témoins emboîtés et sur les études cas-cohorte. L'analyse statistique des études de cohorte constitue maintenant deux chapitres, plutôt qu'un seul. Le chapitre sur les études cas-témoins a aussi été augmenté; le chapitre 8 porte sur la conception et l'exécution d'études cas-témoins, et le chapitre 9 sur des aspects de la conception non abordés dans le chapitre précédent et sur l'analyse.

Une bonne part de l'information nouvelle figure dans les sections sur l'analyse statistique, qui ont été augmentées. Les auteurs discutent des concepts statistiques et des analyses en recourant davantage à des explications et à des exemples, plutôt que de s'en tenir à des formules statistiques. Même à ça, je pense que pour bien comprendre la matière, le lecteur doit avoir un niveau passablement élevé de connaissances en mathématiques ou avoir suivi un cours de biostatistique incorporant des notions telles que la régression multiple, la régression logistique, les modèles de régression à effet proportionnel et l'estimation selon le maximum de vraisemblance. Cet ouvrage pourrait, plus exactement, s'intituler «Méthodes et analyses en épidémiologie d'observation».

Le texte de la deuxième édition est plus complet et analytique. Mais il y a un revers à ce côté de la médaille. Selon un collègue qui utilise actuellement la deuxième édition dans le cadre d'un cours de troisième cycle, l'ouvrage est maintenant d'un niveau trop avancé pour les étudiants qui suivent un cours d'introduction.

Comme le signalent les auteurs, l'ouvrage n'aborde pas certains sujets, comme les essais randomisés ou le tout nouveau champ de l'épidémiologie génétique. Sont discutées les données extraites de régimes d'assurance et de bases de données administratives du secteur de la santé et leur utilisation dans les études en épidémiologie, mais non les applications des études cas-témoins emboîtés et des études cas-cohorte en pharmacoépidémiologie et en recherche sur les services de santé. Les méthodes appliquées aux maladies connexes groupées et aux mesures de la comorbidité et de la gravité des maladies, qui sont utilisées pour les ajustements en fonction de l'effectif dans l'analyse des bases de données administratives du secteur de la santé, font l'objet d'un examen très sommaire.

Nous disposons maintenant de données provenant de mesures de la santé de la population (comme Nottingham Health Profile, SF-36, Sickness Impact Profile) et de la qualité de vie (comme EuroQol, Health Utility Index, Quality of Well-Being Index), signalées dans des études et des enquêtes sur la santé de la population en Europe et en Amérique du Nord, mais ces mesures ne sont pas prises en considération. En mettant l'accent sur des sources de données américaines et des exemples concernant les États-Unis, les auteurs offrent un document qui ne rend pas compte, par l'information et les exemples fournis, de l'ampleur de la discipline et de son caractère international.

Comme la première édition, l'ouvrage ne contient pas d'index des auteurs et les références figurent à la fin de chaque chapitre. En conséquence, le lecteur est contraint d'éplucher chaque chapitre pour trouver les références renvoyant à des auteurs ou à des études en particulier. Des exercices sont proposés à la fin des chapitres, mais les réponses ne sont pas fournies. La matière concernant l'analyse des études pourrait être améliorée par l'inclusion d'un ensemble de données d'exploitation sur un disque.

Abstraction faite de ces critiques, la deuxième édition représente une contribution importante au domaine de l'épidémiologie. Les étudiants de troisième cycle, surtout ceux qui se préparent à des examens de synthèse, trouveront que cet ouvrage réunit les données essentielles de l'épidémiologie. Quant aux épidémiologistes en fonction, ils devraient tous avoir à portée de la main un exemplaire de la première et de la deuxième édition de cet ouvrage.

J. Ivan Williams
Directeur adjoint, Recherche
Institute for Clinical Evaluative Sciences in Ontario
G-260, 2075 Bayview Avenue
North York (Ontario)  M4N 3M5
aussi

Professeur
Graduate Department of Community Health
University of Toronto


Ethics and Epidemiology


Révisé par Stephen S. Coughlin et Thomas L. Beauchamp
New York : Oxford University Press, 1996; vi + 312 pages; ISBN 0-19-510242-8; 71,50 $ CAN

EPI-ETHICS

En ce qui a trait à l'ouvrage dont il est question ici, les épidémiologistes devraient reprendre à leur compte le slogan utilisé pour vanter les mérites de la carte American Express «Ne partez pas sans elle». On pourrait en effet, à propos de cet ouvrage, dire à tout éthicien appelé à se prononcer sur des questions relatives à l'éthique de l'épidémiologie : «Ne partez pas sans lui».

L'épidémiologie et l'éthique appliquée

La plupart des non-spécialistes du domaine seront surpris d'apprendre à quel point l'épidémiologie est une science jeune. Elle a vu le jour à la fin des années 1960 et au début des années 1970, soit à peu près en même temps que l'éthique appliquée. Mais la reconnaissance des liens forcés entre ces deux domaines remonte à une date plus récente, qu'on peut fixer vers la fin des années 1980. L'importance de ces liens s'est largement accrue avec l'avènement de l'épidémiologie moléculaire et des technologies de l'information. Grâce à l'épidémiologie moléculaire - l'utilisation de marqueurs biologiques, y compris de marqueurs génétiques, pour surveiller les maladies - les gens pourraient être contraints de vivre toute leur vie en étant renseignés sur les maux dont ils pourraient souffrir ou dont ils souffriront un jour, information dont aucune génération précédente n'a bénéficié. Le développement des nouvelles technologies de l'information a grandement accru le potentiel de mauvaise utilisation de l'information - elles soulèvent ces fameux problèmes modernes de respect de la vie privée et de la confidentialité de certains renseignements.

La nature de l'information que fournit l'épidémiologie maintenant a renforcé le rôle joué par cette science dans la société contemporaine et, en conséquence, le besoin d'une éthique de l'épidémiologie. Ainsi, l'information sur la santé de l'écosystème peut soulever des questions éthiques cruciales qui doivent être prises en compte dans le processus sociétal de prise de décisions concernant la protection de l'environnement. Une autre raison justifiant un intérêt pour le lien entre l'éthique et l'épidémiologie tient au fait que ce lien «suppose une réciprocité et une opposition entre le modèle de la santé publique (protéger le bien-être du public) et le modèle médical (protéger le bien-être de la personne)» [traduction] (Beauchamp, p. 27). Un tel conflit soulève des dilemmes éthiques on ne peut plus difficiles. Si l'on prend comme point de comparaison les questions qu'ont à trancher d'autres professionnels - ceux de la médecine et du droit par exemple, dont l'obligation première est à l'égard de la personne - il ressort qu'en épidémiologie, on ne sait pas toujours très clairement lequel de ces deux objectifs, le bien-être du public ou de la personne, doit prédominer, quand un conflit les oppose. De plus, comme souligné dans le texte, même quand on dispose de lignes directrices en matière éthique, ce qui représente le premier pas d'une démarche éthique, on ne peut espérer résoudre tous les problèmes d'ordre éthique qui se posent.

Contenu

L'ouvrage se divise en cinq parties : les fondements; le consentement éclairé, la vie privée et la confidentialité; l'équilibre entre les risques et les avantages; l'étude des populations vulnérables; et le contexte réglementaire et l'enseignement professionnel. L'un des points forts du texte (qui peut, ici et là, apparaître comme l'un des points faibles à cause des répétitions) tient au fait que les mêmes questions éthiques sont examinées dans différents contextes. Ainsi, les fondements moraux des concepts de vie privée et de confidentialité sont discutés par Beauchamp dans un excellent chapitre traitant des fondements moraux de l'éthique en épidémiologie - une exégèse que pourrait lire à profit quiconque s'intéresse à l'éthique appliquée dans n'importe quel contexte. Ces concepts sont aussi envisagés dans la perspective de l'obtention du consentement éclairé, de la protection des résultats des recherches, de l'équilibre entre les risques et les avantages, de la conception d'essais et de la divulgation des résultats des recherches, y compris par rapport à des questions aussi délicates que celle du sida. En général, cette façon de jeter des regards différents sur le même concept éthique aide le lecteur a avoir une compréhension plus profonde et plus large du concept et de son importance.

Le texte abonde en informations permettant de mieux saisir les principes, les concepts, les modes d'analyse et les raisonnements qui peuvent servir aux fins de l'éthique ainsi que les problèmes et les questions que l'on doit prendre en compte pour créer un cadre d'examen, du point de vue éthique, d'une intervention épidémiologique en particulier. À cet égard, le texte profond signé par Weed sur l'épistémologie et l'éthique en épidémiologie, mérite, en dépit de l'audace du sujet, d'être examiné attentivement. Bref, j'encourage fortement les épidémiologistes à étudier ce texte afin d'obtenir les «connaissances éthiques» qui constituent un substrat essentiel à la pratique de leur profession. La connaissance de ce substrat n'est plus facultative; les épidémiologistes ont l'obligation éthique de se tenir informés à cet égard. Cette obligation tient au fait, comme le conclut Schultz, que «l'épidémiologie peut faire un bien énorme, mais que les responsabilités sur les plans juridique et éthique doivent être augmentées» [traduction] (p. 122).

Si dans l'ensemble le texte est accessible au lecteur intelligent qui n'a pas de formation en éthique appliquée, une partie relativement restreinte demeure passablement difficile d'accès. Cet ouvrage aidera néanmoins les épidémiologistes à reconnaître quand une question éthique se pose et à déterminer quand ils ne connaissent pas suffisamment le sujet pour régler eux-mêmes la question. Il importe d'avoir des connaissances de base en éthique pour être capable de reconnaître un enjeu éthique et de savoir justifier le non quand on ne peut agir sans être conseillé sur le plan éthique. En fait, si la contribution de cet ouvrage s'arrêtait là, ce serait déjà une contribution majeure tant au domaine de l'épidémiologie qu'à celui de l'éthique appliquée.

Limites

Bien sûr, on peut toujours trouver des lacunes dans un texte de ce genre. Dans l'ouvrage qui nous occupe ici, une lacune majeure, mais incontournable, tient au fait que la discussion sur les méthodes législatives et réglementaires met beaucoup trop l'accent sur la situation aux États-Unis. Ce choix n'est pas totalement injustifiable, même du point de vue de celui qui veut considérer l'éthique appliquée dans une perspective plus large que celle des États-Unis, puisque l'approche adoptée dans ce pays a influencé les débuts de l'éthique appliquée dans de nombreuses autres démocraties occidentales post-modernes. Les sources américaines de l'éthique appliquée dont il est question dans cet ouvrage incluent les commissions présidentielles, les règlements et les autres textes législatifs fédéraux, plus particulièrement ceux qui gouvernent la recherche médicale, les aliments et drogues, la vie privée et la confidentialité, ainsi que la pratique professionnelle, et plus particulièrement le consentement éclairé. Ces références peuvent être vues par le lecteur comme une invitation à explorer les sources analogues dans leur propre pays.

L'ouvrage est aussi axé de façon prédominante sur les États-Unis à un autre égard, moins évident. Bon nombre des auteurs fondent leur analyse éthique sur ce qu'il est convenu d'appeler le «mantra de Georgetown», les principes de l'autonomie, de la bienfaisance et de la justice d'après les éthiciens de Washington, DC, qui ont été les premiers à les définir dans le contexte de l'éthique appliquée. Mais il y a des exceptions. Ainsi, Levine analyse la controverse au sujet de la recherche multinationale, qui, selon les uns, devrait tendre à l'universalisme éthique - en ce sens que les mêmes normes éthiques devraient s'appliquer dans toutes les cultures - et, selon les autres, devrait être accordée au pluralisme éthique, c'est-à-dire à une vision reconnaissant que ce qui est considéré comme suffisant pour justifier des interventions éthiques peut varier sensiblement d'une société à l'autre.

Questions éthiques difficiles

Parmi les questions éthiques difficiles spécifiquement traitées dans cet ouvrage, il y a celles qui concernent les définitions. Ainsi, doit-on considérer qu'une intervention en épidémiologie peut dans certains cas être vue comme une recherche ou que ce genre d'intervention entre toujours dans le champ de la recherche? Si l'on retient la deuxième hypothèse, une intervention en épidémiologie serait toujours assujettie aux critères éthiques et juridiques rigoureux régissant la recherche plutôt qu'à ceux, moins sévères, qui régissent la pratique normale. On peut aussi se demander qu'est-ce qui constitue un risque ou un risque minimal. L'ouvrage met le lecteur en garde contre certains risques personnels et communautaires, tels que les sentiments de culpabilité ou la honte et l'acrimonie, qui peuvent résulter de la recherche en épidémiologie, mais qu'on néglige parfois de prendre en compte.

Dans la même veine, Schultz souligne que la rigueur moindre des règles régissant la recherche informationnelle, comparée à celle des règles qui s'appliquent à la recherche supposant une intervention physique, «traduit la conviction que la recherche informationnelle est moins menaçante que la recherche interventionniste» [traduction] (p. 103). Mais ce débat peut occulter les risques que la recherche informationnelle peut comporter.

Par ailleurs, l'ouvrage sensibilise le lecteur aux risques spéciaux que peut poser la recherche en épidémiologie pour les populations vulnérables - les enfants, les personnes âgées, les détenus, les personnes qui ont le sida et les membres de certains groupes ethniques ou raciaux. De la même façon, les auteurs soulignent qu'il est nécessaire, du point de vue éthique, que les chercheurs en épidémiologie soient sensibles aux moyens de réduire les préjudices. Ainsi, Coughlin, dans le chapitre qu'il signe sur les plans d'étude optimaux du point de vue éthique en épidémiologie, signale que dans une étude les parents de nouveau-nés décédés ont été interviewés dans les 72 heures suivant le décès de leur enfant, et la plupart dans les 24 heures (p. 147), parce qu'on voulait recueillir de l'information pour expliquer ces décès inattendus. Du point de vue éthique, il serait très difficile de justifier le non-report des entretiens en pareilles circonstances.

Les autres difficultés d'ordre éthique discutées incluent l'équilibre précaire entre, d'une part, l'attitude consistant à sonner l'alarme sans nécessité en divulguant des résultats, et, d'autre part, l'attitude consistant à négliger de faire des mises en garde quand cela s'impose du point de vue éthique. L'accent est mis sur la nécessité, non seulement du point de vue scientifique, mais aussi éthique, d'assurer la rigueur scientifique des recherches en épidémiologie. De plus, la nature du lien entre l'épidémiologiste et les personnes étudiées peut exiger une certaine conduite de la part de l'épidémiologiste; ainsi, il y a une différence entre la conduite que requiert un lien contractuel et celui que requiert un lien fiduciaire. Ce dernier - lien entre un médecin et un patient ou entre un chercheur et un sujet de recherche - impose une responsabilité qui «exige une loyauté exercée dans l'intérêt de la partie dépendante, sans prise en compte des intérêts propres du fiduciaire» [traduction] (p. 109). Un tel lien n'est possible que si l'épidémiologiste est libre de tout conflit d'intérêt et il peut nécessiter la divulgation complète de tous les avantages personnels que l'épidémiologiste pourrait retirer de l'étude.

Weed souligne que nous devons «raccorder les méthodes propres au raisonnement éthique à celles du raisonnement scientifique» [traduction] (p. 82) et que «le problème de fond de la pratique de l'épidémiologie, quand science et éthique ont également droit de cité ... est celui de la formulation de recommandations publiques dans le cadre d'un processus d'inférence causale» [traduction] (p. 86). Il estime que «l'acquisition et l'utilisation des connaissances en épidémiologie semblent être guidées autant par les méthodes propres au raisonnement éthique que par les méthodes propres au raisonnement scientifique» [traduction] (p. 89). Il faut espérer que cette conclusion se vérifie, de façon générale. Elle souligne fortement la nécessité que les épidémiologistes aient plus qu'une vague connaissance de l'éthique appliquée, de ses théories et de ses concepts.

Une autre difficulté d'ordre éthique, et un thème abordé dans cet ouvrage, mais de façon trop sommaire, est celui du leurrage des sujets de recherche. La question est examinée (p. 117, p. 165), mais de façon telle que le lecteur qui connaît mal les techniques permettant de déterminer si une manoeuvre de leurrage est acceptable du point de vue éthique risque d'être induit en erreur. Il n'est pas mentionné clairement que l'on doit fondamentalement s'opposer au recours au leurre, qui ne saurait être justifié qu'en de rares occasions, si tant est qu'il soit justifiable; et qu'il incombe à la personne qui fait appel à ce genre de manoeuvre de justifier son choix. Qui plus est, le chercheur qui recourt au leurre doit prendre toutes les mesures de protection requises pour s'assurer que la manoeuvre utilisée est la moins dommageable à laquelle il puisse raisonnablement recourir. Ainsi, il peut être possible d'obtenir le consentement éclairé d'un sujet qui accepte de ne pas être tenu au courant de tous les faits pertinents, quand agir autrement reviendrait à leurrer le sujet - autrement dit, le chercheur peut obtenir du sujet le consentement éclairé d'être leurré. Enfin, une fois la recherche terminée, le chercheur doit procéder à un débreffage complet et prendre les mesures voulues pour réduire les risques de conséquences fâcheuses.

Une autre difficulté d'ordre éthique, et lacune de cet ouvrage, concerne le traitement réservé aux recherches épidémiologiques auprès d'enfants. Les lignes directrices éthiques qu'appliquent à d'autres pays en cette matière sont discutées; toutefois, il n'est pas mentionné que les lois en vigueur dans ces autres pays devraient aussi être prises en compte et que certaines d'entre elles interdisent les recherches sur les enfants. De la même façon, dans le chapitre sur l'étude de populations vulnérables, la question des recherches auprès des mourants est abordée sans que soit suffisamment souligné qu'il s'agit d'un sujet très délicat sur le plan éthique et qu'on ne saurait procéder à ce genre de recherche que si on peut l'appuyer sur une justification extrêmement solide.

Enseignement de l'éthique en épidémiologie

Un dernier point fort de cet ouvrage tient au fait que les auteurs s'efforcent de fournir un plan d'action pour l'application des principes défendus. Dans le dernier chapitre, Goodman et Prineas expliquent pourquoi un cours sur l'éthique devrait être inclus dans le programme d'études en épidémiologie et ils en décrivent le contenu. Parmi les raisons justifiant un tel cours, ils indiquent que «l'épidémiologie est une discipline de base dont on doit assurer la sécurité et la rigueur si l'on veut être à même d'élaborer une politique éclairée en matière de santé... Si on fonde la politique de santé publique sur des données scientifiques vicieuses, on peut s'attendre à ce qu'il en résulte des conséquences néfastes sur la santé et l'économie... un gaspillage des ressources publiques... une détérioration de la santé publique... ce qui peut s'accompagner d'une mauvaise affectation des fonds publics ou représenter une menace pour la santé publique» [traduction] (p. 290). Raccorder l'épidémiologie et la bioéthique aidera à promouvoir «une compréhension claire des valeurs qui sous-tendent la recherche et des conflits engendrés par les valeurs contraires» [traduction] (p. 291). Ce fait est important, non seulement pour les épidémiologistes, mais aussi pour les décideurs, les politiciens et les membres du grand public, qui ont à prendre en compte les données de l'épidémiologie pour prendre des décisions.

Conclusion

En résumé, il est capital de revoir l'éthique de l'épidémiologie en prenant en compte toutes ses modalités; à cet égard, le texte de Coughlin et de Beauchamp représente une contribution majeure.

Margaret A. Somerville
Gale Professeur de droit
Professeur, faculté de médecine
Centre de Médecine, d'Éthique et de Droit
Université McGill
3690, rue Peel
Montréal (Québec)  H3A 1W9

 

 

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Dernière mise à jour : 2002-10-29 début