L’éducation de la mère constitue un déterminant clé de ses comportements et habitudes au cours de la grossesse. On relie de près ce facteur aux taux d’allaitement, de tabagisme chez la mère, d’exposition à la fumée de tabac ambiante et de prise de suppléments d’acide folique au cours de la période périconceptionnelle. Plus la mère est instruite, plus elle fait habituellement des choix santé. C’est pourquoi les augmentations du pourcentage des mères canadiennes qui ont terminé des études collégiales ou universitaires sont encourageantes. Comme on l’indique dans le présent Rapport (page 60), ce pourcentage est passé de 56,9 % (IC à 95 % : 55,2–58,6) en 2000 à 69,6 % (IC à 95 % : 68,1–71,2) en 2005. Au cours de la même période, les taux d’initiation à l’allaitement maternel sont passés de 81,6 % (IC à 95 % : 80,3–82,8) en 2000 à 87,0 % (IC à 95 % : 85,7–87,9) en 2005, tandis que les taux de tabagisme chez la mère reculaient de 17,7 % (IC à 95 % : 16,6–18,8) à 13,4 % (IC à 95 % : 12,4 à 14,4).
La proportion des naissances vivantes chez les mères adolescentes a continué de diminuer, pour tomber de 6,8 % en 1995 à 4,8 % en 2004 chez les mères âgées de 15 à 19 ans (page 65). Au cours de la même période, le taux de naissances vivantes selon l’âge chez les femmes âgées de 15 à 19 ans est tombé de 25,4 à 15,4 pour 1 000 femmes. Le pourcentage des naissances vivantes survenues chez les femmes de 35 ans et plus est passé de 11,2 % en 1995 à 15,4 % en 2004 tandis que le taux de naissances vivantes selon l’âge chez les femmes de 35 à 49 ans passait de 11,8 % en 1995 à 13,5 pour 1 000 femmes en 2004 (pages 249 et 250). La montée de la tendance au report de la procréation préoccupe énormément sur le plan clinique et sur celui de la santé publique. L’âge plus avancé de la mère est à l’origine de taux plus élevés de naissances prématurées, de retard de croissance utérin, de mortalité périnatale et de morbidité néonatale sérieuse52–54 . Les taux de mortalité maternelle sont aussi plus élevés chez les mères plus âgées55 . Les risques (relatifs) excessifs afférents à la procréation à un âge plus avancé sont une source de préoccupation même si les risques absolus de répercussions périnatales indésirables sont habituellement faibles.
Il importe néanmoins de reconnaître que ce phénomène a des répercussions différentes au niveau des individus, de la population et de la société. Même si les risques individuels associés à la procréation tardive sont bien connus, son impact sur la santé de la population est moins discuté. La fécondité a dégringolé dans la population canadienne au cours des cinq dernières décennies et les femmes de plus de 30 ans constituent le seul sous-groupe où les tendances de la fécondité se redressent (figure 8). L’impact démographique de l’âge plus avancé de la mère sur les répercussions comme les naissances vivantes prématurées et l’hypotrophie est beaucoup plus modeste que l’augmentation du risque de ces répercussions à l’échelon individuel. Comme l’âge plus avancé de la mère augmente de 50 à 100 %, le risque de naissance prématurée ou de naissance vivante (hypotrophie), le taux global de naissances prématurées/hypotrophie diminuerait seulement d’environ 10 % si les femmes de 35 ans et plus cessaient d’avoir des enfants. Il faut enfin reconnaître qu’il y a davantage de bébés qui naissent à la suite de traitements de procréation assistée administrés à des femmes de moins de 35 ans comparativement à celles qui en ont plus de 3556 . Aucun de ces facteurs n’atténue les dangers individuels associés à l’âge plus avancé de la mère et les femmes qui envisagent de retarder la grossesse devraient être conscientes des risques associés à une telle décision57,58 . Il convient quand même d’insister sur le fait que la procréation retardée est maintenant courante dans les pays industrialisés et constitue un phénomène social aux antécédents complexes.
FIGURE 8 Taux de naissances vivantes, selon l’âge chez les femmes de 20 à 44 ans
Canada, 1962, 1982 et 2004
Naissances vivantes pour 1 000 femmes
Poids avant la grossesse
L’excédent de poids avant la grossesse constitue un facteur de risque commun de diverses répercussions indésirables qui ont un effet sur la mère, le foetus et le nourrisson59–61 . Les bases de données nationales au Canada ne contiennent malheureusement pas d’information sur cet indicateur et il est donc impossible de suivre les tendances temporelles. La récente Enquête sur les expériences de la maternité réalisée par le SCSP devrait corriger cette lacune au niveau de la surveillance, en particulier si on la répète périodiquement. Plusieurs bases de données provinciales qui contiennent des données de bonne qualité sur le poids avant la grossesse constituent une autre source d’information sur la question et ces renseignements produisent un tableau raisonnable des tendances temporelles au Canada. Les données du Programme de soins génésiques de la Nouvelle Écosse montrent que le pourcentage des mères qui pesaient 90 kg ou plus avant la grossesse est passé de 3,4 % en 1988 à 13,1 % en 2006 dans cette province. De même, des données provenant du Programme de soins génésiques de la Colombie-Britannique montrent que la prévalence de l’indice de masse corporelle (IMC) de ≥30 kg/m2 avant la grossesse est passée de 10,6 % en 2001 à 11,4 % en 200562 . Cette tendance troublante de l’évolution du poids chez la mère reflète des tendances semblables bien reconnues au niveau du poids corporel au Canada et ailleurs qui transcendent le sexe et l’âge.
Le poids avant la grossesse met en évidence un défi particulier que pose la surveillance périnatale puisque des données nationales sur cet indicateur ne sont pas facilement disponibles. L’adaptation de données contenues dans des bases de données régionales aux besoins de la surveillance nationale dans cette situation représente une utilisation judicieuse de ressources et il est clairement dans les meilleurs intérêts de la surveillance de la santé périnatale et dans ceux de la santé périnatale au Canada de renforcer les bases de données provinciales. Dans ce contexte, il importe de signaler que pour des raisons qui ne sont pas facilement apparentes, on a constaté une augmentation malheureuse de l’information manquante sur le poids avant la grossesse dans les bases de données de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique62,63 . Étant donné que les programmes de soins génésiques de ces deux provinces font un travail digne de mention lorsqu’il s’agit de tenir leurs bases de données très détaillées, il est essentiel de concentrer davantage d’efforts au renforcement de la qualité des données afin d’en améliorer l’utilité.
Les taux d’induction du travail au Canada, qui étaient passés de 20,7 % en 1995 à un sommet de 23,7 % en 2001, sont retombés à 21,8 % en 2004 (page 76). Les taux de césarienne, par contre, ont poursuivi leur montée monotone. Les taux totaux de césariennes sont passés de 17,6 % en 1995 à 21,1 % en 2000 et à 25,6 % en 2004 (page 80). Ces chiffres établissent un contraste intéressant par rapport à ceux des États-Unis sur les plans de la similitude et des différences. Aux États-Unis, les taux d’induction du travail ont augmenté régulièrement pour passer de 16,0 % en 1995 à 21,2 % en 2004, tandis que les taux totaux de césariennes grimpaient de 20,8 % en 1995 à 29,1 % en 200464 . D’importantes différences étaient évidentes dans le taux de naissances vaginales après une césarienne (NVAC) qui étaient de 19,9 % au Canada et de 9,2 % aux États-Unis en 2004.
Les taux d’épisiotomie ont continué de diminuer au Canada—20,4 % des femmes qui ont accouché par voie vaginale ont subi une épisiotomie en 2004 comparativement à 31,1 % en 1995. Les taux de lacération plus sévère du périnée, soit du troisième et du quatrième degrés, ont montré des tendances contradictoires : le taux des lacérations du troisième degré a augmenté légèrement pour passer de 3,0 % en 1995 à 3,3 % en 2004 et celui des lacérations du quatrième degré a reculé de 0,7 % en 1995 à 0,6 % en 2004. Dans l’ensemble, toutefois, les lacérations (combinées) des troisième et quatrième degrés n’ont pas augmenté ni diminué et l’on ne peut exclure la possibilité de changements d’identification (lacération du troisième degré par rapport à celle du quatrième degré)65 .
Les tendances de la durée du séjour à l’hôpital après la naissance et des taux de réadmission après le congé de l’hôpital ont montré des signes encourageants, particulièrement dans le cas des nouveau-nés. En 1995, 20,1 % des nouveau-nés de poids normal à la naissance ont reçu leur congé dans les deux jours suivant la naissance et ce taux est passé à 27,3 % en 2004. On a observé une tendance semblable chez les nourrissons de faible poids à la naissance. Les taux d’admission néonatale n’ont pas augmenté au cours de la même période : 3,7 % des nourrissons qui ont reçu leur congé après la naissance ont été réadmis pendant la période néonatale en 1995, comparativement à 3,4 % en 2004. La durée du séjour de la mère a aussi diminué entre 1995 et 2004, tandis que les taux de réadmission ont augmenté légèrement pendant la même période (1,5 à 1,7 % des accouchements vaginaux et 2,8 à 3,0 % des césariennes). Ces tendances sous-entendent des gains importants réalisés au niveau de l’utilisation efficiente des ressources hospitalières au cours de la dernière décennie sans qu’il en découle de compromis apparent pour la sécurité des patients. La confiance que l’on peut accorder à ces estimations et les inférences qui en découlent diminuent un peu malheureusement à cause de problèmes de méthodologie. L’heure exacte de la naissance n’est pas disponible actuellement dans la Base de données sur les congés des patients de l’ICIS ou dans la Base de données sur la morbidité hospitalière. C’est pourquoi les estimations de la durée du séjour des nouveau-nés et de la durée du séjour après l’accouchement chez les mères représentent des approximations.
Le ratio de mortalité maternelle (RMM) au Canada s’établissait à 5,5 (IC à 95 % : 4,2–7,2) pour 100 000 naissances vivantes en 2002–2004. Ce taux n’était pas statistiquement différent du taux en 1999–2001 (4,2, IC à 95 % : 3,2–5,7). Même si l’estimation ponctuelle du RMM était plus élevée en 2002–2004 qu’au cours des années précédentes, il est peu probable que ce soit important étant donné particulièrement qu’il n’y avait pas d’augmentation frappante d’aucune des causes précises de décès de la mère (page 109). On a observé une augmentation semblable non significative du RMM au Royaume-Uni aussi (11,4 pour 100 000 maternités en 1997–1999 et 13,1 en 2000–200255 ).
Parmi les causes directes de mortalité maternelle, le décès attribuable à une hémorragie postnatale (HPN) attire particulièrement l’attention au Canada depuis quelques années. C’est parce qu’on a signalé dans le Rapport sur la santé périnatale au Canada de 2003 que le taux d’hystérectomie à cause d’une HPN avait doublé entre 1991 et 199966 . L’augmentation est demeurée inexpliquée à l’époque et les hypothèses proposées portaient notamment sur des changements des méthodes obstétriques, des augmentations de l’âge de la mère et du placenta adhérent à cause d’une prévalence plus élevée de femmes qui avaient accouché auparavant par césarienne. Le Groupe d’études sur la santé maternelle du SCSP a depuis étudié la question en détail67 . Une augmentation temporelle de l’HPN atonique semble constituer le principal phénomène sous-jacent (page 112). Étant donné que la cause de l’augmentation de l’HPN atonique n’est toujours pas claire, il convient de signaler qu’on a documenté une augmentation inexpliquée semblable de l’HPN en Australie68,69 et que le nombre des décès maternels attribuables à une HPN a augmenté au Royaume-Uni depuis quelques années55 . Dans le commentaire de la rédaction joint à la publication canadienne, on disait que : « La montée du nombre d’hémorragies postnatales atoniques, que beaucoup d’entre nous avons observée... demeure inexpliquée... Si un de nos lecteurs a des suggestions à l’égard de [cette augmentation] intrigante, nous vous demandons de nous en faire part70 . »
La fréquence des avortements provoqués au Canada, que le SCSP a suivie dans chacun de ses Rapports sur la santé périnatale, semble avoir plafonné au cours des dernières années. On ne sait toutefois pas si les données présentent un tableau exact de la situation au Canada. Certaines des causes des problèmes de qualité des données découlent du fait que des technologies nouvelles sont plus difficiles à surveiller (comme les avortements très précoces pratiqués dans les cabinets de médecins et ceux que l’on provoque au moyen d’agents pharmacologiques). Il faudrait toutefois se pencher sur les autres causes et enjeux, décrits en détail dans la section sur les Avortements provoqués (page 116), dans l’intérêt de la surveillance nationale.
La fréquence des naissances vivantes hypertrophiques a augmenté depuis 1995, même si la tendance s’est stabilisée depuis trois ans. Les variations entre les régions étaient importantes, le Québec affichant la fréquence la plus faible (10,2 %) et les Territoires du Nord-Ouest, la plus élevée (20,4 %). Les naissances vivantes hypotrophiques au Canada montrent une tendance temporelle contraire (page 139), les Territoires du Nord-Ouest affichant le taux le plus faible de telles naissances (5,1 % en 2004). Ces variations régionales au niveau de la croissance foetale peuvent refléter des différences relier aux origines ethniques de la population. La question plus générale qui consiste à déterminer si les normes de croissance foetale (c.-à-d. les limites utilisées pour déterminer si un nourrisson est petit ou gros compte tenu de son âge foetal) en fonction de l’origine ethnique et d’autres facteurs font partie d’un débat émergent dans les publications internationales sur la périnatalité71,72 . Le consensus final qui se dégagera sur la question aura un effet important sur la pratique clinique et sur la santé périnatale au Canada.
Parmi les trois anomalies décrites dans la section sur les Anomalies congénitales (page 167), la prévalence à la naissance du syndrome de Down et de la fosse pataline ne semble pas avoir changé, tandis que la fréquence des anomalies du tube neural a diminué de plus de la moitié entre 1995 et 2004. Le recul de la prévalence à la naissance des anomalies du tube neural s’est produit en arrière-plan du diagnostic prénatal et aussi, à compter de 1998, à la suite de l’ajout d’acide folique aux aliments. Plusieurs études ont documenté les effets de l’enrichissement des aliments avec l’acide folique au Canada73–76 . L’étude la plus récente portant sur sept provinces a montré un recul de 46 % des anomalies du tube neural et l’ordre de grandeur de la diminution était proportionnelle au taux de référence avant l’enrichissement76 .
Le taux de naissances multiples est passé de 2,2 % en 1995 à 3,0 % en 2004. L’augmentation relative du nombre des triplets et des naissances multiples plus nombreuses a été plus importante que celle du nombre de jumeaux (figure 9) et ni l’une ni l’autre des deux tendances n’a semblé montrer de signes d’un plateau. L’augmentation était attribuable en grande partie à des augmentations du recours aux techniques de procréation assistée (TPA). L’augmentation du nombre des naissances multiples n’est pas étonnante—à la fois parce que le nombre de cycles de TPA exécutés au Canada a augmenté pour passer de 7 884 en 2001 à 11 068 en 2004 et parce que le pourcentage des cycles (fécondation in vitro/injection intra-cytoplasmique de sperme) portant sur deux embryons ou plus a augmenté pour passer de 49 % en 2001 à 66 % en 200456 .
Deux indicateurs de morbidité néonatale sévère, soit le taux d’infection néonatale et le taux d’intubation endotrachéale, ont montré des tendances encourageantes entre 1995 et 2004. Les taux de chaque morbidité et les changements observés au cours de la dernière décennie ont varié selon la catégorie de poids à la naissance (page 160). Les augmentations du nombre d’intubations, en particulier chez les nourrissons qui ne pèsent pas 1 000 g à la naissance, sont porteuses de promesses, compte tenu particulièrement des résultats de recherches récentes qui montrent que chez ces nouveau-nés, les technologies de soins néonataux intensifs ont dépassé le stade de la réduction du nombre de décès aux dépens d’augmentations à la fois de la survie sans maladie et de la survie associée à des maladies77 . Nous semblons parvenus à un stade où les taux de décès et de survie associés à une incapacité diminuent tous deux chez les nourrissons qui ont un poids à la naissance de 500 à 999 g78 .
FIGURE 9 Tendances temporelles des taux de naissances de jumeaux et de triplets*
Canada (à l’exclusion de l’Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador)**, 1985–2004
Naissance de jumeaux pour 1 000 naissances totales (axe Y principal) Naissance de triplets pour 100 000 naissances totales (axe Y secondaire)
Le Rapport sur la santé périnatale au Canada, Édition 2008, documente toute une variété de phénomènes de surveillance qui varient de tendances simples décrivant des améliorations des déterminants de la santé (p. ex., taux de tabagisme chez la mère à la baisse, taux d’allaitement maternel à la hausse) jusqu’à des tendances plus complexes des répercussions de la santé (p. ex., montée des taux de naissances prématurées et baisse des taux d’hypotrophie). En outre, il faut étudier plus à fond et clarifier plusieurs phénomènes énigmatiques, y compris le mystère qui entoure les enregistrements de naissances manquants en Ontario et les augmentations d’HPN atoniques au Canada (réflétant des augmentations inexpliquées semblables en Australie et au Royaume-Uni). Enfin, il y a plusieurs domaines où l’information tirée de la surveillance pourrait bénéficier d’améliorations de la qualité des données, y compris des indicateurs comme le taux d’avortements provoqués. Il est clair aussi que l’on a besoin d’information de meilleure qualité sur les sous-populations que sont les Premières nations, les Inuits et les Métis et d’autres sous-populations vulnérables pour déterminer et cibler des disparités au niveau de la santé périnatale. Le ton général du rapport est toutefois optimiste et l’on y documente clairement un grand nombre d’améliorations modestes et importantes de la santé périnatale. Il est possible d’utiliser les renseignements, en particulier les comparaisons entre les régions, pour créer des points de repère d’améliorations à venir. On espère que ce Rapport servira judicieusement à éclairer la prise de décisions sur les soins cliniques, la santé publique et les politiques de santé, et à catalyser des efforts visant à améliorer la surveillance de la santé périnatale.
K.S. Joseph, MD, PhD
Professeur,
Unité de recherche en épidémiologie périnatale
Départements d’obstétrique et de gynécologie et de pédiatrie
Université Dalhousie et Centre de santé IWK
Membre du Comité directeur du Système canadien de surveillance périnatale