Nouvelles de la Bibliothèque nationale |
par Doug Hodges,
Gestion des ressources en information
Louis Saint-Laurent Archives nationales du Canada |
C'était en 1949. Les Prix littéraires du Gouverneur général n'existaient que depuis quelques années. L'ère de l'ordinateur pointait à l'horizon. Il n'y avait pas de satellites en orbite autour de la terre, encore moins de satellites de télécommunications ou de radiodiffusion. Le Canada ne comptait aucune station de télévision. La première production du festival de Stratford attendrait encore quatre ans. Les livres, films, magazines, auteurs, acteurs, dramaturges et poètes canadiens étaient peu connus. Enfin, les universités voyaient leur nombre d'étudiants augmenter de façon considérable.
À ce point tournant de l'histoire culturelle canadienne, le premier ministre Louis Saint-Laurent et les membres du Cabinet ont jugé que le moment était propice à l'établissement d'une commission royale en vue d'examiner une vaste gamme de sujets liés aux arts, aux lettres et aux sciences au Canada. Le gouvernement a nommé M. Vincent Massey, alors chancelier de l'Université de Toronto et qui devint peu après le premier Gouverneur général natif du Canada, à la tête de cette commission, la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Les commissaires chargés de l'aider à mener à bien cette tâche sont le père Georges-Henri Lévesque, fondateur et doyen de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval; Arthur Surveyor, ingénieur civil et homme d'affaires de Montréal (Québec); Norman A. M. MacKenzie, président de l'Université de la Colombie-Britannique; et Hilda Neatby, professeure agrégée d'histoire et chef intérimaire du Département d'histoire de l'Univesité de la Saskatchewan.
Le Rapport de la Commission, publié en 1951, porte sur un vaste éventail de sujets examinés par la Commission et renferme des recommandations sur la radiodiffusion et la télévision, l'Office national du film et d'autres organismes fédéraux, la création de la Bibliothèque nationale du Canada, l'aide aux universités, les bourses d'études nationales, la recherche scientifique, la diffusion de l'information à l'étranger, et la création d'un conseil des arts, des lettres et des sciences sociales. La Commission a tenu 114 audiences publiques dans tout le Canada, au cours dequelles elle a entendu 1 200 témoins. Elle a reçu 462 mémoires officiels ainsi que des centaines de lettres 1. En outre, la Commission a chargé d'éminents Canadiens tels Robertson Davies, sir Ernest MacMillan, Charles F. Comfort, Charles Bilodeau, Gérard Morisset, Pierre Daviault et Hilda Neatby de préparer des études spéciales; on a rassemblé 28 de ces études dans un ouvrage publié à titre de complément au Rapport 2.
L'incidence de la Commission royale a été profonde. John Godfrey et Rob McLean, dans leur récent ouvrage, The Canada We Want, indiquent que « l'événement le plus marquant de l'essor de la culture canadienne, avant l'apparition d'Internet, est le rapport de la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada » 3. D'autre part, Claude Bissell fait remarquer dans sa biographie de 1986 de Vincent Massey que « en 1957, les principales recommandations du rapport [Massey-Lévesque] avaient été mises en oeuvre. Seule la recommandation sur les 'distinctions' (que renferme un rapport spécial jamais publié) est restée lettre morte jusqu'en 1967 lorsque le gouvernement de M. Pearson l'a adoptée en principe. Aucune autre commission canadienne n'a, de tout temps, produit un effet aussi immédiat et n'a suscité autant de transformation » 4. De son côté, Paul Litt, bien que s'inscrivant en faux contre certains aspects de cet énoncé, affirme que « il est indéniable que la Commission Massey a exercé une influence importante dans les quatre domaines de ses activités » et que « la véritable incidence de la Commission Massey ressort moins de ses principales réalisations que de son effet général sur les mentalités du public et les politiques du gouvernement » 5. La Commission a joué un rôle primordial dans l'établissement de la Bibliothèque nationale en 1953, ses recommandations à cet égard s'appuyant dans l'ensemble sur de nombreux mémoires dont celui de la Canadian Library Association (CLA), de l'Association canadienne des bibliothécaires de langue française et de bien d'autres groupes.
Compte tenu de l'importance des activités de la Commission et de son incidence sur le soutien, l'avancement et l'expansion de la culture au Canada, la Bibliothèque nationale a décidé, en janvier 1998, de numériser le rapport de la Commission et certains documents connexes afin de les faire paraître dans son site Web en tant que l'un de ses projets de numérisation 6, offrant ainsi un accès accru à ces documents fondamentaux, particulièrement utiles aux chercheurs et aux étudiants en études canadiennes. Par ce projet, la Bibliothèque souligne en outre deux cinquantenaires marquants : la mise sur pied de la Commission comme telle en 1949, et la création du Centre bibliographique canadien, fondement de la Bibliothèque nationale instituée en 1950.
Étendue du projet
Le projet comportait deux volets : d'abord, la numérisation du texte intégral du Rapport de la Commission royale en anglais et en français et d'un certain nombre de mémoires officiels présentés à la Commission; puis, le volet de la recherche appliquée, soit l'étude de la mise en application de la première version de la norme de métadonnées du Système de localisation de l'information du gouvernement (GILS). Parallèlement, on a procédé à l'examen de la précision de la conversion du contenu textuel à la forme numérique. Le manuscrit des études spéciales et la plupart des lettres reçues ont été exclus du projet. Étant donné le temps et les ressources limités, on a dû abandonner l'idée de numériser au moins certaines des études publiées.
Numérisation du rapport
Deux petites équipes ont vu à la numérisation du rapport : l'une à Victoria (C.-B.), chargée de la numérisation de la version anglaise, et l'autre à Saint-Alphonse-Rodriguez (Québec) pour la numérisation de la version française. Afin d'assurer l'uniformité des deux conversions, les équipes devaient suivre le même modèle en HTML. Vu que les équipes étaient à des endroits distants l'un de l'autre de plus de 3 000 kilomètres et qu'aucune rencontre n'était prévue, la coordination des activités s'est effectuée par l'entremise d'Internet et de communications par téléphone, télécopieur et messager. Tout un défi en somme ! Mais un mode de fonctionnement assez efficace dans l'ensemble. La conversion et le codage des tableaux du rapport se sont révélés les tâches les plus difficiles de la numérisation, principalement en ce qui concerne l'uniformité des versions française et anglaise du rapport. Des membres du personnel de la Bibliothèque nationale ont participé à l'étape de codage des tableaux des deux équipes afin d'assurer l'homogénéité de la présentation de tout le rapport.
La fidélité au texte original constituait le paramètre souverain de la conversion. Afin d'y parvenir, on a procédé à deux lectures d'épreuves; les équipes ont effectué la première, tandis que les réviseurs de la Bibliothèque nationale du Canada ont assuré la seconde, parcourant les textes d'un regard neuf. Les erreurs typographiques contenues dans le rapport original publié ont été reproduites dans la version électronique accompagnées du mot [sic]. De brèves notes de la rédaction ont été ajoutées lorsque l'erreur dans le texte original était susceptible de nuire à la compréhension.
Index
La version électronique incorpore l'index du rapport original tout en comportant des liens entre les rubriques ou mots-clés de l'index et les pages appropriées du texte. Tout d'abord, on a fixé des ancrages hypertextes dans les pages du corps du texte du rapport. Un programme par lots a généré les liens hypertextes (de chaque mot-clé de l'index à la page appropriée du rapport). Environ deux pour cent des mots-clés de l'index ne se sont pas prêtés à ce processus, et l'on a dû les coder manuellement. Même en tenant compte du temps consacré à l'analyse des mots-clés de l'index, à la conception du programme, au codage, au débogage, à la conversion par lots et à la création manuelle des liens résiduels, ce processus a permis de réduire de moitié la durée de la numérisation de l'index.
Numérisation des mémoires
La version électronique des mémoires a été établie, en mettant l'accent sur l'exactitude du contenu plutôt que sur la reproduction de la mise en page. Dans le cadre de ce projet de numérisation, la Bibliothèque nationale a eu l'occasion inattendue de combler certaines lacunes de ses collections de mémoires. Ainsi, l'exemplaire du mémoire de la Canadian Library Association que possède la Bibliothèque est dépourvu de certaines des annexes. Il a été possible de repérer la plupart des annexes manquantes dans d'autres sources et de compléter le mémoire. La version électronique en réseau constitue donc une version plus complète que la version imprimée. Parmi les mémoires numérisés, mentionnons celui de l'Association canadienne des bibliothécaires de langue française, de l'American Federation of Musicians of the United States and Canada, de l'Association canadienne des éducateurs de langue française, du Conseil canadien pour la reconstruction par l'UNESCO, du Calgary Allied Arts Centre, du Jardin botanique de Montréal, et de la Nova Scotia Teachers' Union.
Autres aspects du projet
L'étiquetage des métadonnées (renseignements sur les auteurs, les sujets, les dates, les résumés, les titres, etc.) intercalées dans les fichiers HTML a été réalisé à l'aide de la première version de la norme canadienne du Système de localisation de l'information du gouvernement (GILS). On voulait ainsi évaluer les effets de la création de métadonnées intercalées, les ressources nécessaires à cette tâche et les aspects relatifs à l'élargissement de l'accès au contenu. Intercaler des métadonnées aux fichiers HTML pourrait faciliter le repérage de ressources dans Internet. Par opposition aux bases de données, « l'intercalation » rend possible la détection des métadonnées par les moteurs de recherche commerciaux, qui peuvent en retour les indexer en vue du dépistage de l'information. À l'heure actuelle, bien que peu de moteurs de recherche commerciaux soient aptes à indexer des métadonnées intercalées, on prévoit que cela se fera de plus en plus compte tenu qu'un nombre croissant de sites Web renferment des métadonnées intercalées dans leurs fichiers HTML.
À titre d'essai, on a introduit certaines variables dans l'étude de l'application de la norme GILS. Ces variables comprennent l'ajout de résumés, de listes détaillées d'auteurs ou d'organisations participantes à divers fichiers HTML. Le processus de numérisation constitue une excellente occasion de créer des métadonnées, surtout lorsque la personne qui numérise (conversion, codage, lecture d'épreuves) un document particulier crée également les métadonnées. Dans le cadre de ce projet, on a créé « manuellement » les métadonnées, mais il est indéniable que la génération automatisée des métadonnées intercalées augmenterait l'efficience du processus et accroîtrait la précision et l'homogénéité des fichiers 7.
Coût de la page
Le coût unitaire moyen de la conversion, du codage et de la lecture d'épreuves initiale s'élève à un peu plus de 0,02 $ le mot, soit 10,31 $ la page (qui compte en moyenne 460 mots); quant à la seconde lecture d'épreuves, elle représente un coût de 3,20 $ la page. Les tarifs accordés aux équipes de numérisation correspondent à ceux du programme Collections numérisées de Rescol. La conversion, la lecture d'épreuves, l'étiquetage des métadonnées, le débogage et la révision de chaque page a nécessité environ une heure-personne. D'autre part, la somme de travail qu'a demandé la conversion des très nombreux tableaux du rapport compte pour une grande partie du coût total du projet. En effet, la conversion des tableaux en fichiers HTML présente un grand risque d'erreurs et prend énormément de temps. Les deux versions du rapport, en anglais et en français, comportaient chacune plus de 80 pages d'annexes, dont la majorité constituaient des tableaux. Leur conversion a donc demandé beaucoup de travail.
Dans la mesure du possible, les pages de chaque chapitre ont été rassemblées dans un fichier HTML, mais il a fallu répartir les longs chapitres en deux fichiers HTML ou plus afin de raccourcir la durée du téléchargement. Le fait de regrouper les pages d'un chapitre permet aux utilisateurs d'imprimer et de lire tout un chapitre à la fois en mode hors ligne, de même que cela permet de mieux suivre le fil du texte. Les notes en bas de page ont été regroupées en un fichier HTML, respectant ainsi la présentation du rapport original. Une fois téléchargées et stockées dans la mémoire du navigateur de l'utilisateur, elles apparaissent rapidement à l'écran lorsque la case des notes en bas de page est cochée. Le seul désavantage de cette façon de procéder est lié à la mesure du taux d'utilisation : tout bien considéré, cette façon de faire ne permet pas d'obtenir autant de données statistiques sur le nombre de pages téléchargées du site Web que les sites qui n'offrent d'autre choix à l'utilisateur que de télécharger une page à la fois.
Améliorations futures
Lorsque l'on disposera des ressources suffisantes, on prévoit apporter les améliorations suivantes au site :
• Modifications sur le plan du GILS : à la suite de la mise en oeuvre initiale du GILS canadien, le gouvernement fédéral a modifié la norme, puis l'a approuvée. Par conséquent, il faut mettre à jour les métadonnées intercalées du GILS. Cette tâche s'effectue selon les ressources disponibles.
• Biographies : plus tôt cette année, on a ajouté au site une notice biographique sur Vincent Massey rédigée par Don Carter, bibliothécaire de référence principal des Services de recherche et d'information. La Bibliothèque entend ajouter des notices biographiques sur les autres commissaires plus tard cette année.
• Études et mémoires : il s'agit d'augmenter le nombre de mémoires numérisés tout en numérisant les documents déjà sélectionnés qui n'ont pu être numérisés faute de temps et de ressources.
• Ancrages de paragraphe : des ancrages hypertextes de paragraphe sont insérés dans des études qui ont été converties mais pas encore étiquetées. Cela permettra à un utilisateur de créer un lien dans un document externe (par exemple, dans une note en bas de page d'une thèse ou d'un essai) menant à un paragraphe précis d'une étude. Nous espérons que ces améliorations peu coûteuses seront utiles.
Remerciements
Des projets de cette envergure se concrétisent grâce à la participation de nombreux collaborateurs. La Bibliothèque nationale tient à exprimer sa gratitude au programme des « Collections numérisées du Canada » d'Industrie Canada <http://collections.ic.gc.ca/> 8 pour le financement du projet, qui constitue l'un des nombreux projets de la Bibliothèque nationale qu'il a parrainés et fait paraître dans son site Web. La Bibliothèque remercie également Bell Canada de l'appui accordé par l'entremise de l'alliance Stentor, M. Paul Litt de ses aimables suggestions quant à la numérisation de certains mémoires, Mme Anita M. Vandenbeld et les membres du comité de direction de l'Organization for the History of Canada qui ont fourni le nom de plusieurs personnes-ressources dans le milieu des chercheurs. Enfin, la Bibliothèque exprime, bien entendu, sa plus vive gratitude au Bureau du Conseil privé qui a autorisé la numérisation du rapport ainsi que des études et des mémoires présentés à la Commission.
Nous aimerions que vous nous fassiez part de vos commentaires. Donc, si vous avez des observations sur ce projet ou d'autres projets de numérisation de la Bibliothèque nationale, ou si vous désirez obtenir plus de renseignements, veuillez communiquer avec :
Doug Hodges
Agent de la planification et de la politique de la base de données
Gestion des ressources en information
Bibliothèque nationale du Canada
395, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0N4
Tél. : (613) 947-5888
Téléc. : (613) 996-3573
Courriel : doug.hodges@nlc-bnc.ca
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Notes
1 Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. 1949-1951, Rapport, Ottawa, Imprimeur du Roi, 1951, xxiii-517 p. Dans le site Web à l'adresse <www.nlc-bnc.ca/massey/rpt/ftable.htm>.
2Les arts, lettres et sciences au Canada, 1949-1951 : recueil d'études spéciales préparées pour la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada, Ottawa, Imprimeur du Roi, 1951, vii-430 p.
3 Godfrey, John, et Rob McLean, The Canada We Want: Competing Visions for the New Millenium, Toronto, Stoddart, 1999, p. 43-44.
4 Bissell, Claude. The Imperial Canadian: Vincent Massey in Office, Toronto, University of Toronto Press, 1986, p. 233.
5 Litt, Paul. The Muses, the Masses, and the Massey Commission, Toronto, University of Toronto Press, 1992, p. 247.
6 Pour obtenir la liste des projets de numérisation de la BNC (particulièrement ceux portant sur la numérisation et les expositions virtuelles), consultez son site Web à l'adresse <www.nlc-bnc.ca/digiproj/fdigiact.htm>.
7 Depuis l'exécution de l'essai, la norme GILS du gouvernement canadien a été modifiée. Par conséquent, on est en train d'adapter la syntaxe des métadonnées intercalées du projet à la nouvelle version de la norme. Pour plus de renseignements sur la norme GILS canadienne, consulter le site Web à l'adresse <http://gils.srv.gc.ca/>.
8 Récemment, le programme des Collections numérisées Rescol a été rebaptisé « programme des Collections numérisées du Canada ». L'URL est http://collections.ic.gc.ca/>.