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Nouvelles de la Bibliothèque nationale
Juillet/Août 1999
Vol. 31, nos 7-8



Des défis en désacidification de masse

Réal Couture,
chef de la section de désacidification,
Gestion des ressources en information

Introduction


Photo : Stephen Homer

Le système de désacidification de masse fonctionne depuis 18 ans et avait été mis en place par l'ancienne Division de la conservation des Archives nationales du Canada. Depuis le 1er octobre 1997, il est sous la gouverne de la Bibliothèque nationale du Canada. Au cours de ces années, le système de désacidification a dû relever de nombreux défis. Le premier, et le plus important, est de s'occuper du problème lié à la lente détérioration et aux changements touchant la structure moléculaire se produisant dans le papier acidifiant, utilisé pour la publication de plusieurs documents faisant partie des collections de la Bibliothèque. Tout aussi importantes ont été les tâches d'analyse et d'expérimentation, de mise en place de critères et de procédures, de fabrication d'équipement fait sur mesure, d'évolution et d'élaboration de solvants adéquats devant servir au traitement. Ces défis doivent être relevés afin d'atteindre le niveau et la qualité de désacidification nécessaires à la conservation et à la protection du patrimoine canadien de l'édition.

L'obtention des ressources nécessaires à l'utilisation du plein potentiel du système a aussi constitué un défi important. En raison de la nature même du processus de désacidification, il a fallu s'assurer que, quel que soit le procédé de traitement massif des documents imprimés utilisé, il devait respecter les changements aux lois et règlements promulgués par le gouvernement du Canada et de la province de l'Ontario afin de contrer l'appauvrissement de l'ozone et le réchauffement de la planète. Jusqu'au mois de décembre 1997, date de l'introduction d'un nouveau solvant dans la méthode de traitement, la baisse d'utilisation de substances appauvrissantes de l'ozone (SAO) s'est révélée une préoccupation majeure. Vouloir assurer l'accès à long terme aux publications canadiennes est une mission d'intérêt public, mais cette mission doit tenir compte des préoccupations sociétales concernant la protection de l'environnement.

Réalisations

À la fin des années 70, afin de conserver le patrimoine canadien imprimé sur papier plus rapidement que par les méthodes conventionnelles, un programme de désacidification de masse fut instauré dans le but de protéger nos livres et documents contre l'effet de l'acide. Ainsi, de 1981 à 1986, les efforts de désacidification de masse furent dirigés surtout vers la recherche et le développement. Nous devions nous montrer prudents quant au matériel à traiter, car certaines encres et certains matériaux de reliure pouvaient être altérés par le traitement, dont une étape cruciale exige que les documents soient immergés dans une solution de gaz liquéfiés. À cette époque, nous devions tester un à un tous les documents destinés au traitement afin d'éviter des dommages irréversibles. Cela nous permettait en même temps de nous familiariser avec le matériel pouvant subir le traitement et aussi d'identifier le matériel non traitable. Au tout début, les pronostics quant à la capacité de production du système avaient été établis à environ 240 000 documents par année à la condition de fonctionner 24 heures sur 24 avec les effectifs adéquats et suffisamment de solvant. Le système n'a été employé à sa pleine capacité que de 1992 à 1995. À cause de réductions budgétaires, la Bibliothèque nationale fut contrainte de limiter l'utilisation du système à un seul quart de travail par jour, à partir d'avril 1995. Le tableau 1 ci-dessous établit les variations de la productivité au cours des années.

Tableau 1

Année*

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Nombre de documents désacidifiés

17,869

21,101

32,666

38,162

53,408

135,490

220,160

204,486

32,147

45,648

15,605

32,722

*Pour des raisons de constance, ces données sont établies selon l'année civile.

Depuis que le programme de désacidification de masse existe, plus de 925 000 volumes de la collection de la Bibliothèque ont été désacidifiés à l'aide de ce système. Près d'un million de documents ont subi le traitement jusqu'à présent. Bien que ce nombre soit significatif, plusieurs documents risquent de se détériorer faute de traitement.

Développement et récupération des solvants

L'importance de la récupération du solvant comprend deux volets : étant donné le coût élevé du solvant, pour des raisons purement économiques, les pertes doivent être minimisées; nos responsabilités face à l'environnement sont par contre aussi importantes, tel que stipulé dans le Protocole de Montréal. Afin de récupérer le maximum de solvant, différents solvants ont été créés au cours des années.

La première formule de la solution de désacidification employait comme gaz le mélange spécial cfc 12/113 pour disperser le carbonate méthylique de méthoxy magnésium (CMMM). Cette solution fut utilisée jusqu'en 1993. Lors de nos essais, il nous a semblé que nous pourrions atteindre de meilleurs résultats si l'on réduisait la pression dans la cuve pendant le traitement. Il fallait donc trouver un gaz liquéfié qui soit compatible et qui pourrait être utilisé sous une pression beaucoup moins élevée pour donner le résultat recherché. Le fournisseur a donc ajouté un pourcentage d'un autre réfrigérant, ce qui rendait les opérations plus sécuritaires pour le personnel tout en donnant un résultat acceptable. Cependant, la récupération des solvants était plus difficile à cause d'une évaporation plus lente.

Au cours de l'année 1993, une étude de faisabilité fut entreprise pour remplacer les chlorofluorocarbures (CFC), dont le bannissement était prévu pour janvier 1996 1. Ces derniers furent remplacés par les hydrochlorofluorocarbures (HCFC) 2, le seul autre produit que le manufacturier ait réussi à mélanger à cette époque. Ce changement augmenta légèrement la quantité de solvant récupéré. Avec toute l'expérience acquise au cours des douze années précédentes, puis en effectuant des modifications au réglage des commandes électriques, nous avons pu surmonter les difficultés causées par la pression et nous avons commencé à augmenter graduellement notre taux de récupération de solvant.

En décembre 1995, il a fallu épurer le système de toute trace de CFC et commencer à n'utiliser que la formule HCFC. Les résultats de récupération se sont alors avérés plus encourageants. Néanmoins, nous ne pouvions pas récupérer de quantités plus importantes de solvant sans allonger le temps de chaque cycle, faisant ainsi passer le nombre de cycles de cinq à quatre par jour. Et en 1996-1997, toutes les composantes du système sont examinées afin de détecter toute fuite, si légère soit-elle. En étudiant toutes les possibilités, nous avons encore une fois allongé l'étape de la récupération du solvant, ce qui a eu pour conséquence de réduire le nombre de cycles à trois par jour.

Nous aurions pu utiliser la formule HCFC jusqu'en l'an 2000, alors que ces derniers seront bannis en Ontario, mais le fournisseur de la solution proposa de faire l'essai d'une formule chimique utilisant des hydrofluorocarbures HFC 3. Les essais se sont avérés fructueux et même bénéfiques. En effet, les encres qui étaient affectées par les solutions antérieures demeurent stables dans la solution, qui a été nommée good news formula. Les matériaux tels les poly-chlorures de vinyle (PCV) utilisés pour les reliures et les brochures polycopiées, et bien sûr, le papier alcalin, constituent la liste de matériaux présentement exclus du traitement. Il est permis de croire que certaines modifications au système pourraient éliminer ces exclusions.

Tableau 2

Année* 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998


Pourcentage de solvant recouvré**


30,3


32,3


36,6


40


53,5


71,7


88,1


93,5

* Pour des raisons de constance, ces données sont établies selon l'année civile.

** Ce solvant est alors expédié en vue d'être recyclé.

Selon la porosité du papier traité dans une période donnée, les statistiques des derniers six mois ont montré que désormais, plus de 93 p. 100 des solvants pouvaient être récupérés.

À l'automne 1998, la Division des programmes fédéraux d'Environnement Canada nous a recommandé de tenter de récupérer les quelque 6,5 p. 100 manquants. Nous avons confié cette mission à des spécialistes de Toronto qui utilisent un matériel absorbant qui ne retient que les molécules du refrigérant. Les essais ont débuté le 1er février 1999, mais les résultats ne sont pas très concluants. Le rapport final de ces essais déterminera si la quantité de réfrigérant récupéré par cette méthode justifie l'installation d'un système et l'achat de services de désorption.

Conclusion

Les résultats obtenus, tant du point de vue de la productivité que de la récupération des solvants, sont très encourageants. Le système actuel est un prototype qui fut installé en 1979 et avec lequel nous avons relevé des défis de taille. Il est certain qu'en fonctionnant à plein régime avec toutes les ressources nécessaires, nous pourrions obtenir une plus grande efficacité de conservation massive des imprimés destinés aux générations futures. Nous pouvons maintenant compter sur une méthode qui nous permette de prolonger de façon certaine la durée de nos collections de livres tout en respectant l'environnement. L'expérience acquise avec le système actuel et la technologie moderne nous garantissent des résultats très prometteurs.

L'expansion de ce prototype pourrait devenir notre prochain défi, parce que ce prototype ne pourra traiter à lui seul les nombreux documents qui, faute de désacidification, sont toujours menacés et qui seront devenus friables d'ici 25 ou même 20 ans.

______
Notes

1 Le bannissement des CFC avait été décrété pour le 1er janvier 1996 par le Protocole de Montréal.

2 Le potentiel d'appauvrissement de la couche d'ozone (PACO) de la formule CFC (R-12 et TF-113) est 1,0 et 0,8 et celle de la formule contenant seulement les HCFC (R-22) est 0,055. Ces facteurs sont tirés du texte de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, « Règlement sur les substances appauvrissant la couche d'ozone », annexe I.

3 Les HFC n'ont aucun effet sur la couche d'ozone, mais peuvent contribuer au réchauffement de la planète.


Droit d'auteur. La Bibliothèque nationale du Canada. (Révisé : 1999-8-6).