A-708-95
Procureur général du Canada
(requérant)
c.
Christine Dunham (intimée)
Répertorié: Canada (Procureur
général) c.Dunham
(C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau et Décary, J.C.A., et
juge suppléant Chevalier"Montréal, 19
septembre; Ottawa, 27 septembre 1996.
Assurance-chômage
" Contrôle judiciaire d'une
décision par laquelle le juge-arbitre a annulé
une décision du Conseil arbitral " La
Commission avait imposé une pénalité
conformément à l'art. 33(1) de la Loi sur
l'assurance-chômage relativement à des
déclarations fausses et trompeuses " Le
Conseil arbitral avait conclu qu'il n'avait pas le pouvoir
d'intervenir et il avait refusé d'entendre le
témoignage de l'intimée " Le
juge-arbitre a estimé que le Conseil avait le devoir
d'intervenir lorsque la Commission a commis une erreur,
c'est-à-dire en établissant le quantum de la
pénalité en fonction de ses directives, ce qui
l'empêchait d'apprécier toutes les
circonstances " Résumé des
principes établis par la jurisprudence "
Le Conseil arbitral n'était pas limité aux
faits que la Commission avait devant elle " Il
a le devoir d'intervenir si la décision
discrétionnaire de la Commission a été
prise sans égard à une considération
pertinente " Rien ne prouvait qu'une
considération pertinente avait été
ignorée " Le juge-arbitre n'aurait pas
dû intervenir en se fondant sur une politique qui
n'était pas en cause, mais parce que le Conseil
s'était soustrait à son devoir en refusant
d'entendre un témoignage.
Il s'agissait d'une demande de révision de la
décision par laquelle le juge-arbitre a annulé
le refus du Conseil arbitral d'intervenir relativement
à la décision de la Commission d'imposer une
pénalité pour fausses déclarations.
Lorsqu'elle a appris que l'intimée avait
travaillé pendant qu'elle recevait des prestations
d'assurance-chômage, mais qu'elle n'avait jamais
déclaré ses revenus, la Commission a
exprimé l'avis que la prestataire savait que les
déclarations fournies à l'appui de ses demandes
de prestations étaient fausses et elle a imposé
une pénalité en vertu du paragraphe 33(1)
de la Loi sur l'assurance-chômage. En appel, le
Conseil arbitral a refusé d'entendre le
témoignage de l'intimée et a conclu qu'il
n'avait pas le pouvoir d'intervenir. Le juge-arbitre a
estimé que le Conseil arbitral avait le devoir
d'intervenir parce que la Commission avait commis une erreur
en établissant le quantum de la pénalité
en fonction de ses directives, ce qui avait eu pour effet
d'empêcher l'agent en question d'apprécier
toutes les circonstances de l'espèce.
La question était de savoir si, en révisant
une décision discrétionnaire de la Commission,
le Conseil arbitral est limité à regarder les
faits que la Commission avait devant elle ou s'il peut se
baser sur la preuve qu'il a lui-même reçue.
Arrêt: la demande doit être
accueillie.
Le Conseil arbitral n'est pas limité aux faits qui
étaient devant la Commission, étant
donné que celle-ci exerce une fonction purement
administrative et non pas une fonction quasi-judiciaire; que
le recours porté devant le Conseil arbitral est une
audience de novo; que le Conseil arbitral joue un
rôle central dans la protection des droits des
assurés; que les possibilités et
méthodes de vérification des agents de la
Commission sont limitées en raison du nombre et de la
diversité des espèces; et qu'il est difficile
de déterminer quels sont les faits pertinents. Le
Conseil arbitral peut, en vérifiant l'exercice de la
discrétion, tenir compte des faits dont il prend
lui-même connaissance. Mais il se doit de constater
qu'une considération essentielle a été
ignorée, et non pas de substituer purement et
simplement sa discrétion à celle de la
Commission.
Pour s'autoriser à intervenir, le juge-arbitre a
invoqué l'existence d'une politique de la Commission
qui n'était pas devant lui. La politique
n'était pas plus astreignante que plusieurs autres
dont le but est de guider, non de contraindre, et dont
l'objet est d'assurer une certaine cohérence dans les
décisions prises par les nombreux fonctionnaires; ce
sont des politiques internes qui sont nécessaires
à la saine administration d'un organisme public aussi
vaste. La politique ne suggérait pas des
paramètres incompatibles avec ceux que la Loi ou les
Règlements imposent. Rien au dossier ne permettait non
plus d'identifier une seule circonstance pertinente qui
aurait pu avoir été mal perçue ou
ignorée.
Il est du devoir du Conseil arbitral d'intervenir s'il lui
apparaît que la décision discrétionnaire
de la Commission a été prise sans égard
à une considération pertinente, et ensuite de
renvoyer le dossier à la Commission ou de
décider lui-même s'il juge être en mesure
de le faire valablement. Le Conseil arbitral s'est soustrait
à ce devoir, en refusant même d'entendre le
témoignage de l'intimée. C'est sur cette base
que la décision du Conseil arbitral aurait dû
être sanctionnée par le juge-arbitre et le
dossier être renvoyé au Conseil pour qu'il
exerce sa juridiction de façon intégrale, ce
qui requerra évidemment qu'il entende
l'intimée.
lois et règlements
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C.
1970-71-72, ch. 48, art. 55(10) (mod. par S.C. 1974-75-76,
ch. 80, art. 19).
Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985),
ch. U-1, art. 24 (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 17; 1993,
ch. 34, art. 131), 25 (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 18),
26 (mod., idem, art. 19), 30(1) (mod., idem,
art. 22), 33(1) (mod., idem, art. 25), (2) (mod.,
idem), 41(10), 79(1), 80 (mod. par L.C. 1993, ch. 34,
art. 132), 81.
jurisprudence
décision appliquée:
Morin c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration) (1996), 134 D.L.R. (4th) 724; 34 C.C.L.I.
(2d) 171 (C.A.F.).
décisions examinées:
Canada
(Procureur général) c. Purcell, [1996] 1
C.F. 644; (1995), 96 CLLC 210-019 (C.A.); Procureur
général du Canada c. Findenigg, [1984] 1
C.F. 65 (C.A.).
DEMANDE de révision de la décision par
laquelle le juge-arbitre a annulé le refus du Conseil
arbitral d'intervenir pour absence de compétence
relativement à la décision de la Commission
d'imposer une pénalité pour fausses
déclarations. Demande accueillie.
avocats:
Carole Bureau pour le requérant.
Paul Faribault pour l'intimée.
procureurs:
Le sous-procureur général du Canada
pour le requérant.
Paul Faribault, Magog (Québec), pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
Le Juge Marceau, J.C.A.: Il est certes peu de questions
relatives à l'application de la Loi sur
l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1] qui
aient donné lieu à autant de décisions
jurisprudentielles et de commentaires de doctrine sans
complètement sortir du champ des controverses, que
celle à laquelle se rattache le pourvoi aujourd'hui
devant la Cour. Il s'agit encore de définir les
rôles respectifs que la Loi attribue à la
Commission de l'emploi et de l'immigration, au Conseil
arbitral et au juge-arbitre dans l'application de ces
quelques dispositions où elle attribue à la
Commission, chargée de son administration, certains
pouvoirs qu'elle l'habilite à exercer, dans certaines
circonstances, si elle le juge à propos. La question,
formulée de façon plus précise et
concrète, est celle de savoir à quelles
conditions et de quelle façon le Conseil arbitral et
le juge-arbitre peuvent intervenir dans l'exercice par la
Commission d'un pouvoir que le Parlement avait laissé
à sa discrétion. De tels pouvoirs sont peu
nombreux mais ne sont pas sans portée. On les trouve
définis aux articles 24 [mod. par L.C. 1990, ch, 40,
art. 17; 1993, ch. 34, art. 131], (approbation d'un accord de
travail partagé), 25 [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art.
18] (approbation d'un projet créateur d'emploi), 26
[mod., idem, art. 19] (approbation d'un cours
d'instruction), et aux paragraphes 30(1) [mod., idem,
art. 22] (temps de disqualification pour perte d'emploi
injustifiée), 33(1) [mod., idem, art. 25]
(pénalité pour fausse déclaration d'un
prestataire), 33(2) [mod., idem]
(pénalité pour fausse déclaration d'un
employeur), 41(10) (exemption relative à une exigence
administrative), et 79(1) (extension du délai
d'appel). C'est le plus frappant d'entre eux, celui
défini au paragraphe 33(1), que le présent
pourvoi implique, et j'en reproduis le texte avant de
résumer les faits:
33. (1) Lorsque la Commission prend connaissance de
faits qui, à son avis, démontrent qu'un
prestataire ou une personne agissant pour le compte de
celui-ci a, relativement à une demande de prestations
ou à l'occasion de renseignements exigés par la
présente loi ou par les règlements, sciemment
fait une déclaration fausse ou trompeuse, fourni un
renseignement faux ou trompeur ou présenté des
observations fausses ou trompeuses, elle peut infliger au
prestataire, pour chacun des déclarations,
renseignements ou observations faux ou trompeurs, une
pénalité dont le montant ne dépasse pas
le triple de son taux de prestations hebdomadaires.
L'intimée travaillait comme réceptionniste
et expéditrice de voitures-taxis (dispatcher)
lorsqu'elle perdit son emploi le 8 avril 1991. Elle fit une
demande initiale de prestations qui fut approuvée.
Elle commença à toucher ses prestations
quelques jours plus tard, et continua à les recevoir,
au taux de 245 $ par semaine, jusqu'à la fin de
la période définie en sa faveur. Longtemps
après, soit au cours de l'année 1993, la
Commission apprenait, au hasard d'une enquête, que
l'intimée avait en fait travaillé pour
différents employeurs pendant une grande partie de la
période au cours de laquelle des prestations lui
avaient été payées. La découverte
était de conséquence: jamais l'intimée
n'avait fait part de ces divers emplois et des gains qu'elle
en retirait dans ses rapports hebdomadaires.
Interrogée par un agent, l'intimée ne put rien
expliquer et se contenta de dire qu'elle ne savait pas ce qui
s'était produit. La Commission se devait
évidemment de réagir. Elle détermina que
l'intimée avait reçu indûment une somme
de 5 145 $ suite à 18 réclamations
hebdomadaires appuyées par des déclarations
fausses. Étant d'avis que ces déclarations
fausses avaient été faites sciemment, elle
réclama de l'intimée, en plus du remboursement
du trop-payé, une pénalité de 3 762
$, soit 18 fois le montant des prestations hebdomadaires,
cela, bien sûr, sous l'autorité du paragraphe
33(1) de la Loi.
Saisi d'un appel de la détermination de la
Commission, le Conseil arbitral se laissa aisément
convaincre par le représentant de l'intimée
qu'il s'agissait de 17 déclarations fausses
plutôt que 18, ce qui impliquait évidemment une
réduction de la pénalité de 245 $. Mais
le Conseil se défendit d'aller au-delà et
refusa même de recevoir le témoignage de
l'intimée. Il était, en effet, d'avis qu'une
fois les fausses déclarations volontaires
constatées, l'imposition des pénalités
et l'établissement de leur montant relevaient de la
Commission seule; lui n'avait aucune juridiction pour
intervenir.
Le juge-arbitre ne le vit pas du tout de la même
façon et il s'employa à faire valoir ses vues
dans une longue décision. Se plaçant d'abord au
niveau des principes, le juge-arbitre, dans ses notes,
conteste que la Commission puisse être vue comme ayant
seule juridiction pour décider des
pénalités qu'elle peut imposer sous
l'autorité du paragraphe 33(1). Le pouvoir de la
Commission, comme tout pouvoir discrétionnaire, doit
être exercé de bonne foi en tenant compte de
tous les facteurs pertinents et sans se laisser influencer
par des facteurs qui ne le sont pas, et il appartient au
Conseil arbitral comme au juge-arbitre d'intervenir et de
rendre une décision conforme, si celle de la
Commission n'a pas été rendue comme elle le
devait. Puis, venant aux faits de la cause, le juge-arbitre
considère que la décision de la Commission
effectivement n'a pas été rendue comme elle le
devait car le quantum de la pénalité semble
avoir été établi en fonction de
directives que les autorités de la Commission avaient
émises à l'adresse des agents responsables de
l'application de la Loi, ce qui avait eu pour effet
d'empêcher l'agent ici en cause d'apprécier
toutes les circonstances de l'espèce. Il annule donc
la décision du Conseil arbitral en autant qu'elle
confirmait celle de la Commission quant au quantum de la
pénalité et fixe celle-ci à la somme de
850 $.
C'est là la décision qu'attaque le procureur
général dans sa demande de contrôle
judiciaire au motif que le juge-arbitre aurait
excédé sa juridiction et commis une erreur de
droit en la rendant.
Ainsi se soulève au départ et directement,
comme je l'annonçais dans mes remarques introductives,
la question générale de savoir si le Conseil
arbitral et le juge-arbitre ont un pouvoir d'intervention
face à une décision de la Commission rendue
dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme
celui du paragraphe 33(1) de la Loi.
Cette question, rattachée qu'elle est à des
dispositions d'application courante, ne pouvait pas ne pas se
poser dès les premiers temps de la mise en vigueur de
la Loi. Elle a, en fait, je le répète,
été soulevée à de multiples
reprises mais toujours est-elle revenue à la surface
sous quelque aspect. La raison de cette étonnante
survivance est, sans doute, la présence de conclusions
équivoques dans quelques décisions initiales et
de commentaires ambigus dans les notes de juges. Mais la
Cour, dans quelques décisions récentes,
spécialement la dernière significative en date,
celle de Morin c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration) (1996), 134 D.L.R. (4th) 724 (C.A.F.),
s'est ressaisie et a mis fin à plusieurs de ces
équivoques et ambiguïtés. De sorte que la
question a considérablement perdu de son ampleur
aujourd'hui, encadrée qu'elle est maintenant dans des
données fermes. Je ne vois aucun intérêt
à reprendre l'histoire des tergiversations de la
jurisprudence; elle a été si souvent reprise.
Ce qui m'importe, c'est de rappeler ces données que je
considère acquises et à partir desquelles il
sera peut-être possible de voir ce qu'il reste à
préciser pour clarifier pleinement la situation.
1. On n'a vraiment jamais douté que les
décisions de la Commission rendues dans l'exercice de
pouvoirs de nature discrétionnaire ne restaient pas
à l'abri de toute contestation devant les deux autres
instances décisionnelles créées par la
Loi: le Conseil arbitral et le juge-arbitre. Les termes
clairs et sans réserve de la Loi ne permettent pas de
penser autrement (articles 79, 80 [mod. par L.C. 1993, ch.
34, art. 132], 81). Toutes les décisions de la
Commission sont, en principe, sujettes à appel et
toutes les décisions du Conseil arbitral, sujettes
à révision. Au reste, en excluant
expressément le droit d'appel pour certaines
décisions spécifiques de la Commission, celles
prises en vertu des articles 24, 25 et 26 " sans doute
à cause de leur caractère purement politique "
le Parlement ne permettait pas d'hésitation possible
à cet égard.
2. On n'a vraiment jamais douté, non plus, que
la contestation d'une décision de la Commission devant
le Conseil arbitral se faisait par voie d'appel donnant lieu
à un procès de novo alors que le
rôle du juge-arbitre en est un de révision de la
décision du Conseil arbitral. Il est vrai que
l'article 81 accorde au juge-arbitre, entre autres
possibilités, celle de rendre la décision que
le Conseil arbitral aurait dû rendre, mais ses pouvoirs
d'intervention tels que définis à l'article 80
sont strictement ceux d'une instance de révision. Dans
une autre de ses décisions récentes, celle de
Canada
(Procureur général) c. Purcell, [1996] 1
C.F. 644, cette Cour s'est employée à
mettre en lumière la nature de ces recours, et a
insisté sur ce caractère de novo de
l'appel devant le Conseil arbitral et son importance dans
l'esprit de la Loi en tant que pivot du système de
protection des droits des bénéficiaires en
vertu de la Loi.
3. Il n'y a aucune raison de penser que la Loi sur
l'assurance-chômage soit d'un caractère
unique et que les pouvoirs qu'elle confère à
l'organisme chargé de son administration doivent
être analysés isolément, sans
égard aux principes généraux de notre
système juridique. Les pouvoirs
discrétionnaires attribués à la
Commission ne sont pas de nature autre que les pouvoirs
discrétionnaires attribués à n'importe
quel organisme ou tribunal inférieur de même
ordre. Or, les possibilités d'intervention d'une
instance d'appel ou de révision d'une décision
discrétionnaire d'une autorité sujette à
contrôle sont bien connues. La décision
discrétionnaire qui aurait été prise sur
la base de considérations non pertinentes ou encore
sans égard à toutes les considérations
pertinentes devra être sanctionnée et
cassée par l'instance d'appel ou de révision.
La Cour a répété à maintes
reprises que les décisions discrétionnaires de
la Commission n'échappaient pas à la
règle.
La décision Purcell, à laquelle je
viens de me référer, n'exprime pas les pouvoirs
d'intervention de l'instance d'appel de même
façon. La raison est qu'il ne s'agissait pas là
de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire proprement
dit, mais de la mise en œuvre de l'autorité qu'a
la Commission de donner effet à "l'opinion" qu'elle
peut se faire de l'existence d'une situation. C'était
la présence de la condition requise pour l'imposition
d'une pénalité en vertu du paragraphe 33(1) qui
était en cause, c'est-à-dire, que la Commission
soit d'avis que les fausses déclarations ont
été faites sciemment. Mais se former une
opinion n'est pas exercer une discrétion. Il ne
saurait être question là de
considérations étrangères ou
pertinentes. Comme la Cour le dit, la condition
d'intervention dans ces cas est tout simplement la
constatation que la Commission aurait formé cet avis
ou cette opinion à laquelle elle a donné effet
sur la base d'une vue incomplète, ou d'une perception
ou interprétation fausse, des faits.
4. L'arrêt Morin a définitivement
mis fin à la seule vraie controverse qui existait en
doctrine et jurisprudence depuis l'arrêt Procureur
général du Canada c. Findenigg, [1984] 1
C.F. 65 (C.A.), sur le point particulier de savoir si le
pouvoir d'intervention du Conseil arbitral et du juge-arbitre
leur donnait juridiction pour exercer eux-mêmes la
discrétion conférée à la
Commission. La Cour, dans Morin, a pris
définitivement parti. Pour le Conseil arbitral, elle a
appliqué la règle générale qui
veut qu'un tribunal d'appel soit habilité à
exercer lui-même le pouvoir discrétionnaire
qu'à son jugement l'autorité inférieure
a incorrectement exercé. Pour le juge-arbitre, elle a
donné effet aux termes de l'article 81 qui
prévoit formellement la possibilité pour le
juge-arbitre de rendre la décision que le Conseil
aurait dû rendre sans faire de distinction basée
sur la nature de la décision. Il est donc aujourd'hui
acquis que le Conseil arbitral et le juge-arbitre ont
juridiction pour exercer le pouvoir discrétionnaire
que la Commission aurait exercé de façon
judiciairement incorrecte. Mais je me permets de rappeler
que, pour l'un comme pour l'autre, rendre la décision
qu'on aurait dû rendre n'est qu'une option
parallèle à celle de retourner le dossier
à l'autorité initialement habilitée pour
nouvelle décision, et que le choix entre les deux
options exige, je pense, sérieuse
considération. C'est l'autorité la mieux
habilitée à prendre la décision qui
devrait décider. À mon avis, c'est un peu ce
que le juge en chef Thurlow avait à l'esprit lorsqu'il
rendit la décision Findenigg, cette
décision qui a amorcé l'imbroglio parce qu'on
lui a donné une portée générale,
car il faut se rappeler que ce qui était en cause
là était le pouvoir discrétionnaire du
paragraphe 41(10) (à ce moment 55(10) [Loi de 1971
sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48
(mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 80, art. 19)] qui donne
à la Commission la possibilité d'exempter un
prestataire ou un groupe de prestataires d'exigences purement
administratives, d'exigences conçues strictement pour
les fins de sa propre administration. On aurait dû, je
pense, réaliser plus tôt que, s'il n'est que
raisonnable de vouloir laisser à la Commission le soin
de décider finalement dans le cas d'une
discrétion sous le paragraphe 41(10), il n'en est
certes pas ainsi a priori dans le cas d'une
décision sous les paragraphes 30(1) ou 33(1) qui n'a
rien à voir avec l'expertise administrative, une
décision de nature punitive qui dépend des
réactions subjectives de l'autorité qui la
prend, même en présence d'instructions venant
d'une politique générale.
Voilà donc les données que je crois acquises
quant à la détermination du rôle
respectif des trois degrés de juridiction
appelés à juger des cas d'espèce au
niveau de l'application des dispositions de la Loi
attributives de pouvoirs discrétionnaires. Elles
couvrent la très grande partie des difficultés,
mais il en reste au moins une que les faits particuliers de
l'espèce, à mon sens, mettent
précisément en lumière. C'est la
suivante que je formulerai sous forme de question fort
simple.
Une des conditions essentielles requises pour que le
Conseil arbitral puisse intervenir et contrer une
décision discrétionnaire de la Commission est,
comme nous venons de le rappeler, qu'il lui apparaisse que la
décision a été prise sans égard
à une considération pertinente. Soit! Mais pour
arriver à cette conclusion, le Conseil est-il
limité à regarder les faits que la Commission
avait devant elle ou peut-il se baser sur la preuve qu'il a
lui-même reçue? On voit tout de suite
l'importance de la question pour la détermination du
rôle véritable et intégral du Conseil
arbitral. Ma réponse est la suivante.
Considérant que la Commission n'exerce pas une
fonction quasi-judiciaire mais purement administrative;
considérant la nature du recours porté devant
le Conseil arbitral, le caractère de novo de
l'enquête qu'il doit faire, le rôle central
attribué à sa décision;
considérant aussi les limites des possibilités
et méthodes de vérification des agents de la
Commission, étant donné le nombre et la
diversité des espèces; considérant enfin
la vulnérabilité et le manque d'information des
personnes impliquées quant aux faits qui peuvent
être pertinents, je n'hésite pas à penser
que ce n'est pas trahir l'intention du Parlement de dire que
le Conseil arbitral n'est pas limité aux faits qui
étaient devant la Commission. Il peut, en
vérifiant l'exercice de la discrétion, tenir
compte des faits dont il prend lui-même connaissance.
Il se doit de constater qu'une considération
essentielle a été ignorée, car il ne lui
revient pas de substituer purement et simplement sa
discrétion à celle de la Commission; c'est la
discrétion de la Commission à laquelle le
Parlement essentiellement se réfère. Mais cette
considération essentielle ignorée, le Conseil
peut la voir dans ce qu'il a pu lui-même constater. Je
ne crois pas que cette conclusion aille directement à
l'encontre des principes de base relatifs à l'exercice
de pouvoirs discrétionnaires, et il me semble qu'elle
est tellement plus en harmonie avec l'esprit du
système qui ne donne pas au Conseil arbitral un simple
rôle de vérification des actes des agents de la
Commission mais en fait l'organe de protection central des
droits des assurés nécessaire à
l'application saine des dispositions de la Loi. Cette
possibilité reconnue au Conseil arbitral de reprendre
l'étude des faits est peut-être susceptible de
susciter des appels futiles, mais la jurisprudence qui pourra
se développer à ce niveau sous la surveillance
du juge-arbitre devrait rapidement y mettre fin.
J'en viens maintenant à la décision qui est
devant la Cour. M'étant déjà
expliqué sur les principes applicables tels que je les
comprends, mes commentaires pourront être brefs.
Je n'ai aucune réticence à l'égard de
plusieurs des propos tenus par le juge-arbitre sur les
problèmes de juridiction impliqués. Il avait
évidemment raison de soutenir que le Conseil arbitral
et le juge-arbitre peuvent intervenir et annuler une
décision même discrétionnaire de la
Commission et rendre la décision qui aurait dû
être rendue au départ. L'arrêt
Morin a confirmé tous ces principes. Je dois
toutefois dire avec égards que je n'admets pas que le
juge-arbitre ait pu tirer des faits de la cause les
conditions qui étaient requises pour lui permettre
d'intervenir et de décider comme il l'a fait. On a vu
que ce que le juge-arbitre invoque pour s'autoriser à
intervenir est l'existence d'une politique de la Commission
qui aurait eu pour effet d'empêcher l'agent responsable
d'apprécier toutes les circonstances. Or, cette
politique n'était pas devant lui; rien ne permet de
penser qu'il s'agissait d'une politique plus astreignante que
plusieurs autres dont le but est de guider, non de
contraindre, et dont l'objet est d'assurer une certaine
cohérence dans les décisions prises par la
multitude de fonctionnaires appelés à traiter
au jour le jour des cas d'espèce, politiques internes
que la saine administration d'un organisme public aussi vaste
non seulement permet, mais exige; rien, non plus, ne permet
de penser que la politique suggérait des
paramètres incompatibles avec ceux que la Loi ou les
Règlements imposent; et, enfin et surtout, rien au
dossier ne permet d'identifier une seule circonstance
pertinente qui aurait pu avoir été mal
perçue ou ignorée.
Mais, en fait, c'est sur un autre plan que je situe mes
principales réticences à l'égard de la
décision. Ces réticences, on le voit bien, je
les tire des derniers commentaires que je faisais plus haut
en dégageant les principes. Il est, je suggère,
du devoir du Conseil arbitral d'intervenir, s'il lui
apparaît, dans le cadre de son enquête de
novo, que la décision discrétionnaire de la
Commission a été prise sans égard
à une considération pertinente, peu importe que
ce soit par ignorance que la Commission n'en ait pas tenu
compte, et alors de renvoyer le dossier à la
Commission ou de décider lui-même s'il juge
être en mesure de le faire valablement. Il est clair
qu'en l'espèce le Conseil arbitral s'est soustrait
à ce devoir, en refusant même d'entendre le
témoignage de l'intimée. Bien sûr, c'est
par ignorance de tous les aspects de leur rôle que les
membres du Conseil arbitral ont opposé ce refus, ce
n'est pas par oubli des règles de justice naturelle;
mais il en résulte un exercice incomplet de
juridiction. C'est sur cette base que la décision du
Conseil arbitral aurait dû être
sanctionnée par le juge-arbitre et le dossier
être renvoyé au Conseil pour qu'il exerce sa
juridiction de façon intégrale, ce qui requerra
évidemment qu'il entende l'intimée.
Ainsi, suis-je d'avis que la Cour devrait accueillir le
pourvoi du procureur général tout en rejetant
la demande parallèle de l'intimée1.
Elle devrait annuler la décision attaquée et
renvoyer le dossier au juge-arbitre pour qu'il dispose de
l'appel porté devant lui contre la décision du
Conseil arbitral en l'accueillant pour partie, au motif que
le Conseil a omis d'exercer pleinement sa juridiction, et en
retournant l'affaire au Conseil arbitral pour qu'il entende
l'intimée et se prononce sur la question de savoir si
le quantum de la pénalité n'a pas
été déterminé par la Commission
sans tenir compte de quelque considération
pertinente.
Le juge Décary, J.C.A.: J'y souscris.
Le juge suppléant Chevalier: J'y souscris.
1 En effet, l'intimée a cru devoir
s'opposer au pourvoi par voie de demande formelle (A-857-95),
laquelle, par ordonnance, a été
incorporée à la demande du procureur
général. Une copie des présents motifs
devrait être versée, avec la décision de
rejet, dans le dossier A-857-95.