T-2416-97
The Governor and Company of the Bank of Scotland
(demanderesse)
c.
Les propriétaires et toute autre personne ayant
un droit sur le navire Nel et
Ocean Profile Maritime Limited
(défendeurs)
Répertorié: Governor and Company of
the Bank of Scotlandc.
Nel (Le)
(1re inst.)
Section de première instance, protonotaire
Hargrave" Vancouver, 5 janvier 1999.
Droit maritime
" Question de savoir s'il s'agissait d'un
dépôt ou d'une vente de marchandise "
Le transitaire maritime canadien a assuré, dans ce
cas particulier, le ravitaillement en fournitures
nécessaires " Demande tendant au
recouvrement, sur le prix de vente du navire, de la valeur
des soutes " Le fournisseur avait
accepté de vendre les soutes au transitaire
" Les soutes ont été livrées
au navire " Le transitaire n'a pas
envoyé de facture mais a obtenu, du
propriétaire du navire, l'autorisation de
déduire du fret le prix des soutes "
Avant le voyage, le navire a été vendu par
autorisation de justice " L'absence de
facturation porte à conclure à un
dépôt plutôt qu'à une vente de
marchandise " Cela indique une intention de
reporter le transfert de propriété des
soutes " La livraison des soutes à bord
du navire n'est pas, étant donné l'intention
contraire manifestée par Canserv, compatible avec un
transfert de propriété "
L'intention du vendeur revêt la plus grande
importance " Compte tenu des conditions de
l'accord entre Canserv et le propriétaire du navire,
du comportement des intéressés et des
circonstances de cette affaire, Canserv a
démontré qu'à l'époque où
elle a conclu avec les propriétaires du navire
l'accord de livraison des soutes, elle avait l'intention
manifeste d'en différer le transfert de
propriété " Aucun
élément permettant de conclure à une
vente inconditionnelle.
Il s'agissait d'une demande en recouvrement, sur le prix
de vente du navire Nel, du prix des soutes qui lui
avait été livrées
(89 550 $US). Marine Petro Bulk Ltd. refusait de
faire crédit aux propriétaires du Nel
pour le ravitaillement en carburant, nécessaire au
navire, voire essentielle à son maintien en
état de marche, mais était disposée
à vendre le carburant au transitaire de Vancouver,
Canpotex Shipping Services Ltd. (Canserv). Le carburant fut
livré à bord du Nel en octobre 1997, et
en décembre 1997 le navire était vendu par
autorisation de justice. Canserv n'a pas facturé le
prix des soutes au Nel ou à son
propriétaire mais obtint du propriétaire du
Nel la permission de déduire du fret le prix
des soutes. Son intention était de ne vendre les
soutes au propriétaire du Nel qu'une fois
réglé le fret. Dans un affidavit
déposé le 30 décembre 1997 à
l'appui de la demande, Canserv réclame le
remboursement d'autres fournitures nécessaires, dont
le prix serait prélevé sur le produit de la
vente du navire.
Il s'agissait de savoir si la propriété des
soutes était passée de Canserv à
l'armateur.
Jugement: Canserv était en droit de
recouvrer le prix des soutes se trouvant à bord du
Nel lorsque ce navire fut vendu par autorisation de
justice.
Le fournisseur canadien de soutes ne peut, aux termes de
la loi, faire valoir à l'égard du bateau qu'un
droit réel et n'arguer d'aucun privilège
maritime, ce qui le met dans une position très
désavantageuse par rapport à d'autres
catégories d'ayants-droits. Cela étant, lors de
la vente d'un navire par autorisation de justice, il ne reste
rien ou presque rien pour rembourser le pourvoyeur canadien
de fournitures nécessaires. Pour se protéger,
les pourvoyeurs canadiens de fournitures nécessaires
doivent accorder une grande attention au montage de leurs
transactions lorsqu'ils font affaires avec des
propriétaires de navire qu'ils ne connaissent pas, ou
qui peuvent être financièrement fragiles, et
veiller à ce que n'intervienne aucune cession du droit
de propriété sur les marchandises en question
avant que le prix de celles-ci n'ait été
acquitté. On ne procède pas toujours ainsi car,
dans le cours normal des affaires, les pourvoyeurs ne se
fondent pas toujours sur l'hypothèse que le
propriétaire du navire est en mauvaise posture
financièrement.
Il incombait à Canserv de démontrer
l'existence d'une intention manifeste de ne pas
transférer la propriété des soutes avant
d'avoir en main le montant du fret permettant d'obtenir le
règlement de la fourniture des soutes, afin
d'écarter les règles régissant le
transfert de propriété aux termes de la Sale
of Goods Act, de la Colombie-Britannique. Les
règles prévues à l'article 23 de
cette loi, si elles étaient appliquées en
l'espèce, laisseraient simplement Canserv dans la
situation d'un vendeur qui n'a pas été
payé. Une intention claire est une intention
manifeste, nettement exprimée, par un contrat
écrit ou verbal, par une action ou par un
comportement. Cette intention doit être telle qu'elle
paraîtrait évidente aux yeux d'une personne
raisonnable se penchant à l'époque sur la
transaction en cause en pleine connaissance des divers
éléments pertinents. Le fait de ne pas avoir
envoyé de facture indiquait un dépôt
plutôt qu'une vente. Cela indique la volonté de
différer le transfert de la propriété
des soutes. Le simple fait d'avoir livré des soutes
à bord du Nel n'a pas entraîné, au
profit du propriétaire de ce navire, une appropriation
absolue des biens en question étant donné
l'intention contraire de Canserv. Ce qui compte par-dessus
tout c'est l'intention du vendeur. Compte tenu des conditions
de l'accord intervenu entre Canserv et les
propriétaires du Nel, du comportement des
intéressés et des circonstances entourant cette
affaire, Canserv a montré qu'elle avait, à
l'époque où elle a conclu avec les
propriétaires l'accord de livraison des soutes,
l'intention manifeste de différer le transfert de
propriété des soutes en question en attendant
de s'être vu régler le fret. Aucune preuve
concrète, résultant du contre-interrogatoire ou
d'une autre source, ne permet de conclure à une vente
inconditionnelle. La propriété des soutes n'a
pas été cédée au
propriétaire du Nel.
lois et règlements
Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1979, ch. 370.
Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, ch. 410, art. 8,
22, 23, 24.
jurisprudence
décision appliquée:
James v. The Commonwealth (1939), 62 C.L.R. 339
(H.C. Aust.).
distinction faite avec:
NEC Corp. v. Steintron Int. Electronics Ltd.
(1985), 59 C.B.R. (N.S.) 91 (C.S.C.-B.); George Smith
Trucking Co. v. Golden Seven Enterprises Inc. (1989), 55
D.L.R. (4th) 161; [1989] 3 W.W.R. 554; 34 B.C.L.R. (2d) 43
(C.A.C.-B.).
décisions citées:
Saetta, The, [1993] 2 Lloyd's Rep. 268 (Q.B. (Adm.
Ct.)); Bank of Credit and Commerce International S.A. v.
Aboody, [1990] 1 Q.B. 923 (C.A.).
doctrine
Atiyah, P. S. The Sale of Goods. London: Pitman,
réimpression de 1969.
Benjamin's Sale of Goods, 5th ed. by A. G. Guest.
London: Sweet & Maxwell, 1997.
Charlesworth, John. Mercantile Law, 11th ed.
London: Stevens & Sons, 1967.
Fridman, G. H. L. Sale of Goods in Canada, 4th ed.
Toronto: Carswell, 1995.
DEMANDE en recouvrement, sur le prix de vente du navire
Nel, de la valeur des soutes fournies par un
transitaire de Vancouver. La demande est accueillie.
ont comparu:
Peter Bernard pour la demanderesse.
John Bromley pour la réclamante Canpotex
Shipping Services Ltd.
avocats inscrits au dossier:
Campney & Murphy, Vancouver, pour la
demanderesse.
Sproule, Castonguay, Pollack, Montréal, pour
la réclamante Alfa Bunkering Co. Ltd.
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les
réclamantes Petro Marine Products and Ashland Chemical
Inc.
Edwards, Kenny & Bray, Vancouver, pour les
réclamantes Aktina S.A, Bureau Veritas and Mariner's
Medical Clinic.
Gottlieb & Pearson, Montréal, pour la
réclamante HBI International.
Bromley, Chapelski, Vancouver, pour la
réclamante Canpotex Shipping Services Ltd.
Giaschi & Margolis, Vancouver, pour la
réclamante Legend Marine Singapore Pte Ltd.
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour la
réclamante Shell Canada Limited.
Owen, Bird, Vancouver, pour la réclamante
Sait Communications S.A.
A.B. Oland Law Corporation, Vancouver, pour la
réclamante Pacific Pilotage Authority.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
Le protonotaire Hargrave: L'auteur de la présente
requête est un transitaire de Vancouver, la Canpotex
Shipping Services Ltd. (Canserv), agent du
Nel1, qui se trouve être, dans ce cas
particulier, fournisseur de soutes dont il entend recouvrer
la valeur, soit 89 550$US. C'est d'un fonds du
même montant, créé et conservé
dans un compte théoriquement distinct,
représentant les soutes que renfermait le navire
lorsque ce navire fut vendu par ordre de justice que Canserv
entend le faire.
Les fournisseurs canadiens de soutes, contrairement
à ce qu'il en est dans d'autres ressorts (il s'agit,
dans le cas le plus fréquent, ici à Vancouver,
de fournisseurs américains), ne peuvent, aux termes de
la loi, faire valoir à l'égard du bateau qu'un
droit réel. Ils ne peuvent donc arguer d'aucun
privilège maritime. Le rang auquel est classé
un fournisseur canadien de soutes, et cela est vrai ici de
tout pourvoyeur canadien de fournitures nécessaires,
le met dans une position très désavantageuse
par rapport à d'autres catégories d'ayants
droit, y compris ceux qui bénéficient d'un
privilège maritime classique, les pourvoyeurs
américains de fournitures nécessaires (y
compris les fournisseurs de soutes), à qui la loi
reconnaît un privilège, ainsi que les
détenteurs d'une hypothèque maritime. Cela
étant, lors de la vente d'un navire par
autorité de justice, il ne reste rien ou presque rien
pour rembourser le pourvoyeur canadien de fournitures
nécessaires.
Pour se protéger, les pourvoyeurs canadiens de
fournitures nécessaires doivent accorder une grande
attention au montage de leurs transactions lorsqu'ils font
affaires avec des propriétaires de navire qu'ils ne
connaissent pas, ou qui peuvent être
financièrement fragiles, et veiller à ce que
n'intervienne aucune cession du droit de
propriété sur les marchandises en question
avant que le prix de celles-ci n'ait été
acquitté. On ne procède pas toujours ainsi car,
dans le cours normal des affaires, les pourvoyeurs ne
structurent pas toujours leurs transactions en fonction de
l'hypothèse que le propriétaire du navire est
en mauvaise posture financièrement. De plus, le
pourvoyeur de fournitures nécessaires n'a en
général ni le temps ni les moyens de se
renseigner à fond sur la réputation de
solvabilité d'un armateur étranger. Dans bon
nombre d'affaires délicates, on a vu des pourvoyeurs
canadiens de fournitures nécessaires dans
l'impossibilité de récupérer des sommes
importantes. Souvent, dans ce genre d'affaires, il est
même difficile d'exposer les motifs: il y a, d'une
part, un pourvoyeur, en l'espèce un transitaire qui en
l'occurrence avait fourni des soutes, et qui a livré
les fournitures nécessaires, voire essentielles au
maintien du navire en état de marche, mais il y a,
d'autre part, un ayant droit détenteur d'un
privilège maritime ou d'une hypothèque sur le
bateau, une hypothèque en l'espèce, qui peut
invoquer une priorité bien établie, les deux
parties pouvant, comme c'est le cas ici, chercher dans la
législation sur la vente de marchandises les principes
régissant le transfert de propriété et,
partant, la possibilité, pour un fournisseur,
d'obtenir le remboursement du prix des marchandises, ou bien
de voir la somme en question adjugée à un autre
ayant droit.
Le Nel a été vendu en décembre
1997. Sur le prix de vente, soit
5 000 000 $US, on a prélevé
89 550 $US au titre du carburant, prix
correspondant aux frais de ravitaillement des soutes, au
mazout et aux frais d'acconage, fourni par Marine Petro Bulk
Ltd. à Canserv, et chargé à bord du
Nel au mois d'octobre 1997. Canserv entend maintenant
se voir rembourser, sur le prix de vente du navire, le prix
des soutes fournies au Nel pour un voyage entre
Vancouver et la Tunisie.
Dans cette affaire, Marine Petro Bulk Ltd. refusait
à l'évidence de faire crédit aux
propriétaires du Nel pour le ravitaillement en
carburant, mais était disposée à vendre
le carburant à Canserv, agent du Nel à
Vancouver. Canserv et Marine Petro Bulk Ltd. s'entendirent
sur cela, et les soutes furent chargées à bord
du Nel le 18 octobre 1997, même si le
mazout avait en fait été vendu par Marine Petro
Bulk Ltd. à Canserv. Canserv avait obtenu auparavant
du propriétaire du Nel, Leond Maritime Inc.,
l'autorisation de déduire du fret le prix des soutes.
Le voyage du Nel ne se fit pas cependant au nom de
l'armateur Leond Maritime Inc. puisque, je le rappelle, le
navire fut vendu par autorisation de justice, le voyage
étant assuré par le nouveau
propriétaire.
Même réduite à sa plus simple
expression, la question de savoir si la
propriété des soutes est passée de
Canserv à l'armateur ne se prête pas facilement
à l'analyse. Il est clair que Canserv savait que son
mandant, le propriétaire du Nel, n'avait pas,
aux yeux d'un pourvoyeur de métier, une bonne
réputation de solvabilité, et d'ailleurs le
fournisseur, Marine Petro Bulk Ltd., refusait de vendre des
soutes au propriétaire en question. Il ne voulait
traiter qu'avec Canserv. Il faut, cependant, qu'il y ait eu
intention de différer le transfert de
propriété, intention qui suffise à
écarter les règles régissant le
transfert de la propriété de marchandises
prévues à l'article 23 de la Sale of
Goods Act, R.S.B.C. 1996, ch. 410 (Sale of Goods
Act) de la Colombie-Britannique, ui, si elles
étaient appliquées en l'espèce,
laisseraient Canserv dans la situation d'un vendeur qui n'est
pas payé, et qui a perdu la propriété
des marchandises en question.
Lors de la vente des soutes au Nel ou à ses
propriétaires, Canserv n'a émis aucune facture,
entendant simplement se fonder sur l'autorisation du
propriétaire du Nel pour défalquer une
partie du fret qui, si tout s'était passé comme
prévu, devait être versé aux
propriétaires par l'intermédiaire de Canserv.
Canserv prit cette précaution, on l'imagine,
après avoir appris que, selon Marine Petro Bulk Ltd.,
la réputation de solvabilité des
propriétaires du Nel était douteuse et,
aussi, parce que, comme l'a lui-même expliqué
M. Rod Hansen, chef des opérations de
Canserv:
[traduction] Étant donné que je ne
connaissais pas les propriétaires du navire, Canserv
n'était pas disposé à leur faire
crédit et n'entendait pas leur fournir des soutes
à moins d'être payée. [Paragraphe 10 de
l'affidavit de M. Hansen en date du 30 décembre
1997.]
M. Hansen a donc témoigné qu'il avait:
[traduction] [. . .] au nom de Canserv,
accepté les conditions fixées par Marine Petro
Bulk Ltd., étant donné que mon intention
était de vendre les soutes aux propriétaires du
navire lorsque le fret serait réglé. Mon
idée était de déduire de celui-ci le
prix des soutes.
Mais les dispositions prises par Canserv permettent-elles
à celle-ci d'affirmer avoir retenu la
propriété des soutes? Les dispositions
législatives applicables à la vente de
marchandises ont souvent été invoquées
en l'espèce pour affirmer que lors de la vente de
marchandises précises, la propriété en
est transférée à l'acheteur si c'est
l'intention des parties, cette intention devant ressortir des
conditions prévues au contrat, du comportement des
parties et, plus généralement, de l'ensemble
des circonstances de l'affaire: voir, par exemple, les
articles 22 et 23 de la Sale of Goods Act
(précitée), et les ouvrages qui font
autorité sur la vente de marchandises, y compris
Benjamin's Sale of Goods, 5e éd.,
Sweet & Maxwell, 1997, à la page 223;
Charlesworth Mercantile Law, 11e
éd., Stevens & Sons, 1967, à la page 173;
Atiyah The Sale of Goods, Pitman, réimpression
de 1969, à la page 106 et suivantes et Fridman
Sale of Goods in Canada, 4e éd.,
Carswell, à la page 72 et suivantes.
Souvent, le contrat type en matière de fourniture
de soutes, utilisé par un pourvoyeur qui fait de cela
son métier, prévoit clairement que la
propriété des soutes reste, même
après livraison, acquise au vendeur jusqu'à ce
que soit effectué le paiement, le propriétaire
du navire n'étant considéré que comme
dépositaire: voir, par exemple, Saetta, The,
[1993] 2 Lloyd's Rep. 268 (Q.B. (Adm. Ct.)), à la
page 270. En pareil cas, la propriété des
marchandises en question n'est pas nécessairement
transférée à l'acheteur. En
l'espèce, Canserv, entreprise dont ce n'est pas le
métier de fournir des soutes, devient, par
nécessité, à la fois le
propriétaire, puis le vendeur des soutes
livrées au Nel et, vu les circonstances, a pu
à juste titre penser retenir par-devers elle, la
propriété des biens en question. Elle n'a
toutefois pas mis par écrit la transaction aussi
nettement que l'aurait fait un pourvoyeur de soutes dont
c'est le métier. Cette lacune quant à la mise
par écrit n'empêche bien sûr pas de
conclure à l'existence d'une vente avec cession
conditionnelle de propriété, car un contrat
peut être écrit ou verbal, ou les deux en
même temps (article 8 de la Sale of Goods
Act).
Passons maintenant à l'intention dont fait
état Canserv. Au nom de Canserv, M. Hansen fait
essentiellement valoir que, en ce qui concerne la vente des
soutes, Canserv n'entendait pas faire crédit au
propriétaire du navire, son intention n'étant
de vendre les soutes au propriétaire du Nel
qu'une fois réglé le fret. Cela est, dans une
certaine mesure, confirmé par l'affidavit de
M. Gary Tincher, directeur adjoint de Canserv, en date
du 30 décembre 1997 et déposé
à l'appui de la demande. L'auteur de l'affidavit
réclame par ailleurs le remboursement d'autres
fournitures nécessaires, dont le prix devrait
être prélevé sur le produit de la vente
du navire, car ces fournitures avaient été
payées par Canserv:
[traduction]
3. Agissant comme mandataire des propriétaires du
navire, Canserv a à diverses reprises avancé de
l'argent aux entreprises fournissant au navire des biens et
des services. Canserv n'était nullement obligée
de le faire car elle pensait en être remboursée
sur le montant du fret devant être acquitté pour
le transport de la cargaison. Canserv n'aurait autrement pas
réglé le prix de ces biens et de ces services
et a en tout temps agi uniquement en tant que mandataire des
propriétaires.
Une liste annexée à l'affidavit de
M. Tincher fait le décompte des
47 670,60 $ de débours portuaires
assumés par Canserv, en tant que transitaire, pour le
compte du propriétaire du Nel, mais cette liste
ne comprend pas les soutes. L'affidavit de M. Tincher
confirme donc l'opinion avancée par M. Hansen
concernant la solvabilité des propriétaires.
D'après M. Tincher, Canserv croyait qu'elle
serait payée sur le fret. Le fait que la liste des
biens et services fournis en octobre et novembre 1997 ne
comprend pas les soutes, permet de penser que ces biens et
services devaient faire l'objet d'un traitement
différent.
Le nantissement consenti à la Bank of Scotland
s'étend aux soutes, sous réserve, bien
sûr, des divers degrés de priorité
reconnus aux différents créanciers. L'avocat de
la Bank of Scotland, établissement à qui
pourrait très bien revenir le prix des soutes si la
propriété de celles-ci a effectivement
été transférée aux
propriétaires, et dont le prix s'intégrerait
à la somme totale du produit de la vente,
relève une certaine contradiction entre l'affidavit de
M. Hansen et celui de M. Tincher, en ce sens que,
d'une part, M. Tincher entendait prélever sur le
fret les sommes nécessaires au remboursement de
28 petits débours portuaires, alors que
M. Hansen n'était disposé à
approvisionner le navire en soutes sans condition que
lorsqu'il serait payé sur le fret. Je ne relève
sur ce point aucune contradiction entre les deux affidavits.
Qui plus est, 26 des 28 dépenses
répertoriées par M. Tincher ont trait
à des services, c'est-à-dire à des
choses qui n'auraient guère pu être fournies
sous condition ou récupérées
auprès du propriétaire du navire qui n'aurait
agi qu'à titre de dépositaire. Canserv a
déclaré avoir, au niveau du traitement, fait
une distinction entre les débours portuaires et les
soutes nécessaires à la poursuite du
voyage.
La réponse apportée le 17 octobre 1997 par
les propriétaires au coup de téléphone
les informant, semble-t-il, d'une fourniture de soutes sous
condition, ne nous avance guère, mais on ne peut pas
dire qu'elle soit incompatible avec la thèse de
Canserv. Leond Maritime Inc. ne fait que confirmer la
quantité de soutes fournie et conclut:
[traduction] Paiement: à déduire du fret du
navire Nel.
Cette correspondance entre Canserv et Leond Maritime Inc.
est plutôt informelle, mais j'admets qu'il s'agisse
d'un usage de la profession. Cet échange de
correspondance a eu lieu le jour avant l'approvisionnement en
soutes du Nel.
Le fait qu'aucune facture n'ait été
envoyée par Canserv est pertinent en l'espèce
car il tend à confirmer qu'il y a bien eu
dépôt et non pas vente.
L'avocat de Canserv fait valoir que les auteurs des
affidavits produits par cette compagnie n'ayant pas
été contre-interrogés, leur
témoignage est non contredit. Je n'accorde
guère d'importance à cela, cependant, car les
affidavits n'avaient rien d'ambigu. Canserv ne pourra obtenir
gain de cause que si, au vu des faits dont elle peut faire
état, je parviens à conclure à
l'existence d'une intention de différer le transfert
de propriété, le propriétaire du navire
n'ayant alors été que le dépositaire des
marchandises en question, en attendant que Canserv puisse se
payer sur le montant du fret. La partie adverse peut
toujours, bien sûr, tenter de démontrer, par un
contre-interrogatoire ou au moyen d'autres preuves, que la
vente ne s'était pas faite sous condition, mais ce
n'est pas comme cela que les choses se sont
déroulées en l'espèce.
L'avocat de la Bank of Scotland prétend que la
manière dont Canserv interprète la transaction
en cause est une reconstitution à laquelle il ne faut
accorder aucun crédit, affirmant que je ne devrais
moi-même pas ajouter foi au coup de
téléphone de Canserv aux propriétaires
du Nel, à l'occasion duquel Canserv aurait
refusé d'assurer sans condition la livraison des
soutes. Il s'agit, en fait, d'une récusation de
l'affidavit de M. Hansen alors que la Bank of Scotlant
n'a produit aucune preuve concrète qui permettrait
effectivement de réfuter la version que M. Hansen
a donnée de cette transaction: cette tentative de
récusation est fondée sur de pures
hypothèses. Le télex envoyé le
17 octobre 1997 par les propriétaires du
Nel à M. Graeme Tobb, de Canserv, confirme
l'existence d'une conversation téléphonique
comportant des instructions claires selon lesquelles le prix
des soutes devait être déduit du fret. Ce
télex ne permet pas nécessairement de conclure
à l'existence d'une vente sous condition, mais il
n'est pas incompatible avec une telle vente.
L'avocat de la Bank of Scotland fait également
valoir que le formulaire des douanes canadiennes portant
déclaration des provisions à bord du navire,
rempli par Marine Petro Bulk Ltd. le 18 octobre 1998 et
qui procure à un propriétaire ou à un
armateur une détaxe sur le carburant devant servir
à un voyage à l'étranger, montre bien
que la propriété des soutes avait
été attribuée au propriétaire du
navire. Je ne vois pas comment le capitaine du Nel, du
simple fait qu'il a signé une déclaration de
détaxe certifiant que le navire avait
été approvisionné en carburant et que ce
carburant entrait dans la catégorie des provisions
mises à bord, au titre d'une classification
douanière numérique que le capitaine ne semble
pas avoir connue, aurait pu s'attribuer des biens appartenant
à autrui. Le capitaine est tenu au respect des
conditions régissant la fourniture des soutes. C'est
aussi ce qui ressort clairement du paragraphe 23(7) de
la Sale of Goods Act (précitée), qui
prévoit qu'un acheteur ne peut pas s'attribuer des
choses éventuelles ou non individualisées, dont
la propriété lui serait ainsi transmise, sans
l'assentiment du vendeur.
En s'en tenant encore à l'article 23 de la
Sale of Goods Act, c'est-à-dire aux
règles régissant le transfert de
propriété, l'avocat de la Bank of Scotland a
invoqué le paragraphe 23(9), selon laquelle le
vendeur doit, s'il entend écarter la
présomption qu'il a disposé
inconditionnellement des choses en question, se
réserver un droit de disposition. Cette règle
ne s'applique pas aux cas où l'on peut faire valoir
une autre intention concernant le transfert de
propriété: voir le paragraphe 23(1) de la
Sale of Goods Act.
L'avocat de la Bank of Scotland a également
invoqué la notion, exposée dans Fridman
(précité, à la page 337), selon
laquelle une fois que le vendeur n'a plus possession des
biens et que cette possession est acquise à
l'acheteur, le vendeur n'a guère plus de recours,
c'est-à-dire de recours réel, la seule
réparation qu'il puisse alors demander étant
d'ordre pécuniaire. Mais cela suppose bien sûr
qu'il y ait effectivement eu transfert de
propriété selon la Sale of Goods Act, et
absence de toute intention contraire entraînant un
résultat autre qu'un véritable transfert de
propriété, par exemple la simple remise des
marchandises au propriétaire du navire à titre
de dépôt, les marchandises en question devant
être conservées à bord jusqu'au paiement
ou jusqu'à la réalisation d'une autre condition
qui entraînera le transfert de
propriété.
Sur ce point, l'avocat de la Bank of Scotland a
cité l'arrêt NEC Corp. v. Steintron Int.
Electronics Ltd. (1985), 59 C.B.R. (N.S.) 91 (C.S.C.-B.).
Dans cette affaire, la pratique du vendeur, et son
comportement aussi, étaient tels qu'il y avait
appropriation des biens et transfert de leur
propriété à l'acheteur dès le
placement des biens sur les palettes en vue du chargement. En
l'espèce, en raison d'une intention contraire, le
simple fait d'avoir livré des soutes à bord du
Nel n'a pas entraîné, au profit du
propriétaire de ce navire, une appropriation absolue
des biens en question. Dans l'affaire Steintron, une
longue pratique et une manière de faire solidement
ancrée avaient permis d'établir que, vu les
circonstances et le comportement des parties, le placement
des biens sur une palette en vue de leur expédition
à l'acheteur avait pour effet de faire sortir les
biens en question des stocks du vendeur. En l'espèce,
on ne peut invoquer aucune pratique antérieure. Le
simple fait de livrer les soutes à bord du navire ne
peut pas entraîner une appropriation des biens en
question étant donné l'intention contraire de
Canserv. Il est vrai qu'il peut être difficile de
décharger les soutes d'un navire, mais Canserv
n'aurait pas forcément eu à procéder
ainsi. À l'époque où la livraison des
soutes a été effectuée à bord du
Nel, ce navire était en état de marche;
il suffisait que le propriétaire ou l'armateur
règle ce qui était dû afin que s'effectue
le transfert de propriété et que les soutes
puissent être librement utilisées par le navire.
D'ailleurs, comme le fait remarquer le juge Dixon dans
l'affaire James v. The Commonwealth (1939), 62 C.L.R.
339 (H.C. Aust.), à la page 381, ce qui compte
par-dessus tout c'est l'intention du vendeur:
[traduction] [. . .] il ne faut jamais perdre de
vue que ce qui compte par-dessus tout c'est l'intention du
vendeur, c'est-à-dire qu'il faut présumer que,
en vertu des conditions prévues dans le contrat de
vente, l'appropriation des marchandises dépend de
lui.
Tout porte en l'espèce à penser que Canserv
allait attribuer la propriété des marchandises
en question à l'acheteur dès qu'elle toucherait
le fret, c'est-à-dire dès qu'elle pourrait
être payée.
L'arrêt George Smith Trucking Co. v. Golden Seven
Enterprises Inc. (1989), 55 D.L.R. (4th) 161 (C.A.C.-B.),
cité par l'avocat de la Bank of Scotland, n'est pas
incompatible avec la notion d'un report du transfert de
propriété. Cette affaire avait
été tranchée au regard d'une version
antérieure de la Sale of Goods Act [R.S.B.C.
1979, ch. 370] de Colombie-Britannique: malgré un
changement dans la formulation de la nouvelle Sale of
Goods Act de la Colombie-Britannique, l'arrêt
Smith Trucking s'applique toujours lorsque les
circonstances s'y prêtent. L'affaire Smith
Trucking portait sur la réservation d'un droit de
disposition alors que le contrat prévoyait clairement
l'appropriation inconditionnelle des marchandises. Il
s'agissait uniquement de savoir s'il y avait conservation
d'un droit résiduel de disposer des marchandises en
question du fait de la rétention, par le vendeur, de
divers documents, y compris une facture et les formulaires
exigés pour l'exportation, car ce n'était qu'en
versant l'intégralité du prix convenu que
l'acheteur pouvait obtenir ces documents et ainsi être
en mesure d'exporter les marchandises. L'arrêt Smith
Trucking porte donc sur une question tout autre que celle
qui nous retient ici. En l'occurrence, il n'y a pas
d'appropriation nette et absolue des soutes par les
propriétaires du Nel, mais, plutôt, un
contrat conditionnel qui reporte le transfert de
propriété, comme l'autorise l'article 22
de la Sale of Goods Act de Colombie-Britannique. C'est
pourquoi la question de la réservation d'un droit de
disposition au titre de l'article 24 de la Sale of
Goods Act de Colombie-Britannique ne se pose pas. Je
tiens ici à préciser que, pour moi, le fait de
n'avoir pas envoyé de facture aux propriétaires
du Nel pour les soutes ne porte pas réserve
d'un droit de disposition mais indique simplement la
volonté de différer le transfert de la
propriété des soutes.
En somme, il incombe à Canserv de démontrer
l'existence d'une réserve quant au transfert de
propriété. Je dois pouvoir déceler, chez
Canserv, une intention suffisamment claire de ne pas
transférer la propriété des soutes avant
d'avoir en main le montant du fret permettant d'obtenir le
règlement de la fourniture des soutes.
Une intention claire est une intention manifeste,
nettement exprimée, par un contrat écrit ou
verbal, par une action ou par un comportement. Cette
intention doit être telle qu'elle paraîtrait
évidente aux yeux d'une personne raisonnable se
penchant à l'époque sur la transaction en cause
en pleine connaissance des divers éléments
pertinents: voir, par exemple, l'arrêt Bank of
Credit and Commerce International S.A. v. Aboody, [1990]
1 Q.B. 923, à la page 965, dans lequel la
Cour d'appel reprend les motifs du juge de première
instance.
Compte tenu des conditions de l'accord intervenu entre
Canserv et les propriétaires du Nel, du
comportement des intéressés et des
circonstances entourant cette affaire, et malgré
l'argumentation solide de l'avocat de la Bank of Scotland,
Canserv a démontré qu'à l'époque
où elle a conclu avec les propriétaires du
navire l'accord de livraison des soutes, elle avait
l'intention manifeste de différer le transfert de
propriété des soutes en question. Je pense
qu'en l'occurrence il était possible de renverser le
fardeau de la preuve, la partie contestant le
caractère conditionnel d'un contrat de vente
étant admise à démontrer le contraire au
moyen de preuves concrètes, y compris de preuves
résultant d'un contre-interrogatoire. De telles
preuves n'ont pas été produites en
l'espèce.
En conséquence, Canserv n'a pas cédé
la propriété des soutes au propriétaire
du Nel et a donc droit au produit de la vente des
soutes ainsi qu'aux intérêts courus.
Si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur
les dépens, elles pourront s'adresser à la
Cour.
1 Peu importe en l'occurrence que Canserv ait
été mandataire à la fois du
propriétaire du navire et de l'affréteur au
voyage.