A-662-01
2003 CAF 128
Tod T. Manrell (appelant)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié: Manrell c. Canada (C.A.)
Cour d'appel, juges Strayer, Sexton et Sharlow, J.C.A.--
Vancouver, 15 janvier; Ottawa, 11 mars 2003.
Impôt sur le revenu
--
Calcul du revenu
--
Gains et perte en capital
-- Paiement par l'acquéreur d'actions en contrepartie
d'un engagement de non-concurrence -- S'agit-il d'un gain en
capital imposable? -- 4 millions de dollars versés aux
actionnaires qui vendaient les actions de trois entreprises
de fabrication d'articles en matière plastique -- Le
contribuable a déclaré ces paiements comme
étant des gains en capital, se prévalant des
réserves autorisées par la loi comme s'il
s'agissait de paiements sur un certain nombre d'années
-- À la suite de la décision Fortino c. Canada
(où il a été statué que les
paiements de non-concurrence constituaient des
rentrées de capital non imposables), il a
demandé de nouvelles cotisations réduisant
à zéro les gains en capital -- Refus
d'établir de nouvelles cotisations confirmé par
la C.C.I. -- Question soumise à la C.A.F.: la
disposition d'un «droit de faire concurrence»
satisfait-elle à la définition du mot
«biens» figurant à l'art. 248(1) de la Loi
de l'impôt sur le revenu? -- Appel accueilli -- Le
«droit de faire concurrence» est-il un
«droit de quelque nature qu'il soit»? -- Le
contribuable prétend que le «droit de faire de
la concurrence» est simplement la liberté de
toute personne d'exploiter une entreprise, et qu'il ne s'agit
pas d'un droit exclusif qui peut donner lieu à une
demande contre une autre personne -- Dans
l'interprétation des lois fiscales, les tribunaux
doivent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer
au législateur une intention non explicite, par
crainte de rompre l'équilibre établi par le
législateur -- Il est loisible au législateur
d'être précis quant aux méfaits qu'il
veut prévenir -- La Loi de l'Impôt de Guerre sur
le Revenu n'a pas défini le mot «biens» --
Critiques formulées à l'égard de cette
loi -- La Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 a
défini le mot «biens» -- Les
«biens» constituent l'une des trois sources de
revenu mentionnées -- La Loi de 1948 n'a pas
élargi le sens du mot «biens» -- Les
modifications subséquentes apportées à
Loi de 1948 n'ont pas changé le sens de ce mot -- La
jurisprudence a reconnu que le mot «biens» avait
un sens fort large en matière fiscale, mais il n'a pas
été dit que tout ce qui a une valeur est un
«bien» -- L'expression «droit de quelque
nature qu'il soit» n'a pas un sens illimité --
Aucune décision n'établit que le mot
«biens» comprend un droit qui ne comporte pas une
demande exclusive légalement exécutoire -- Ce
à quoi a renoncé le contribuable n'est pas un
«bien» au sens de la définition
législative -- Les décisions
étrangères sont de peu d'utilité, le
contexte législatif étant différent --
La Cour peut être tentée de
légiférer au lieu d'interpréter la loi,
parce que la décision sera considérée
non satisfaisante sur le plan de la politique fiscale, mais
les questions de politique fiscale relèvent du
législateur.
Interprétation des lois
-- La disposition d'un «droit de faire
concurrence» dans un contrat de vente d'actions
satisfait-elle à la définition du mot
«biens» figurant à l'art. 248(1) de la Loi
de l'impôt sur le revenu? -- Nécessaire de
comprendre le régime de la Loi, pour ce qui est des
gains en capital imposables -- Le «droit de faire
concurrence» est-il un «droit de quelque nature
qu'il soit» et partant un «bien»? -- La
Couronne prétend que l'expression «les droits de
quelque nature qu'ils soient» est suffisamment
générale pour inclure des droits qui ne
comportent pas les caractéristiques habituelles d'un
bien -- Dans l'interprétation des lois fiscales, les
tribunaux font preuve de prudence lorsqu'il s'agit
d'attribuer au législateur une intention non
explicite, parce qu'ils risquent de rompre l'équilibre
qu'a établi le législateur entre d'innombrables
considérations -- Le législateur peut
être précis quant aux méfaits à
prévenir -- Sens ordinaire du mot «biens»
-- La Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu n'a pas
défini le mot «biens» -- Cette loi a fait
l'objet de critiques selon lesquelles elle n'était pas
suffisamment précise et conférait un pouvoir
ministériel trop étendu -- Dispositions
désuètes, dont certaines remontent à une
loi britannique de 1806 -- La Loi de l'impôt sur le
revenu de 1948 a amélioré la clarté de
la rédaction juridique; elle n'a pas effectué
une réforme fiscale en profondeur -- Elle a
défini le mot «biens» en vue d'assurer
plus de certitude -- Elle n'a pas élargi le sens du
mot «biens» -- Cette définition a
été modifiée trois fois, mais la version
de 1948 est au coeur de la définition actuelle -- Les
modifications ont modernisé la terminologie, mais
elles n'ont pas élargi la définition --
Comparaison avec la modification de 1982, qui vise les
travaux en cours d'une entreprise qui constitue une
profession libérale -- Le mot «biens» est
interprété largement en matière fiscale,
mais la jurisprudence n'a pas dit que tout ce qui a une
valeur est un «bien» -- L'expression «un
droit de quelque nature qu'il soit» n'a pas un sens
illimité; elle n'a pas un sens qui étend la
portée de la Loi au-delà de ce que le
législateur a envisagé -- Aucune
décision n'établit que le mot
«biens» comprend un droit qui ne comporte pas une
demande exclusive légalement exécutoire -- Les
décisions étrangères sont d'une
importance limitée compte tenu du contexte
législatif différent -- On pourrait être
tenté en l'espèce de
légiférer au lieu d'interpréter la loi,
parce que la décision sera considérée
non satisfaisante sur le plan de la politique fiscale --
C'est au législateur de traiter des questions de
politique fiscale.
Il s'agit en l'espèce de déterminer si un
paiement par un acquéreur d'actions en contrepartie de
la promesse de ne pas faire concurrence pour une
période déterminée dans un territoire
déterminé donne lieu à un gain en
capital imposable.
Le contribuable, Manrell, possédait ou
contrôlait trois sociétés en exploitation
dans le domaine de la fabrication d'articles en
matière plastique. Une société
canadienne à numéro a accepté d'acheter
toutes les actions et la dette d'actionnaire des trois
sociétés, sauf celles de l'une d'entre elles
qui appartenait à une société du
Delaware. L'une des conditions de la convention d'achat
d'actions exigeait que l'acquéreur verse 4 millions de
dollars aux actionnaires qui vendaient les actions, en
contrepartie d'une entente de non-concurrence. La convention
comportait aussi une disposition suivant laquelle les
vendeurs ne pouvaient avoir aucun intérêt dans
une organisation concurrente, notamment à titre
d'employé, de dirigeant, d'administrateur, d'agent, de
détenteur de titre, d'associé, de
créancier, de consultant, de concédant de
licence ou de preneur de licence. Le contribuable
était l'un des «vendeurs»
mentionnés dans cette disposition. L'entente exigeait
également que le contribuable cède à
l'acquéreur tous les «droits, titres et
intérêts» afférents à une
«innovation» (y compris le savoir-faire), qu'il
protège les secrets commerciaux des
sociétés en exploitation et qu'il ne recrute
pas d'employés des sociétés en
exploitation. La contrepartie payée pour l'entente de
non-concurrence n'a pas été répartie
entre l'engagement relatif à la non-concurrence et les
autres engagements. Les deux parties ont débattu le
présent appel en se fondant sur la prémisse
selon laquelle presque toute la contrepartie versée se
rapportait à l'engagement relatif à la
non-concurrence.
Dans ses déclarations pour les années 1995,
1996 et 1997, le contribuable a déclaré les
paiements de non-concurrence qu'il a reçus comme
étant inclus dans le produit de la disposition des
actions, augmentant ainsi son gain en capital imposable. Il
s'est prévalu des réserves autorisées
par la loi en vue d'échelonner ce gain sur les
années au cours desquelles les paiements
étaient reçus. Toutefois, en 1997, dans la
décision Fortino c. Canada, il a
été statué que les paiements de
non-concurrence constituaient des rentrées de capital
non imposables. En 2000, la Cour d'appel
fédérale a rejeté l'appel
interjeté par la Couronne contre cette
décision. Le contribuable a par la suite
demandé de nouvelles cotisations pour les
années 1996 et 1997, qui réduiraient à
zéro les gains en capital imposables qu'il avait
déclarés. Les oppositions du contribuable et
l'appel qu'il a interjeté devant la Cour canadienne de
l'impôt ont été rejetés.
Dans le présent appel, la Couronne n'a
avancé qu'un seul argument, à savoir que les
paiements de non-concurrence sont le produit de la
disposition d'un «droit de faire concurrence»,
droit qui satisfait à la définition du mot
«biens» figurant au paragraphe 248(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu. Le contribuable a
soutenu que le «droit de faire concurrence» n'est
pas visé par la définition législative
du mot «biens», mais que, si ce droit est
visé par la définition législative, il
ne l'a pas aliéné.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Il faut comprendre le régime de la Loi, pour ce qui
est des gains en capital imposables. Si une personne vend un
bien qui satisfait à la définition
législative du mot «biens» pour un montant
qui excède le coût du bien, plus toute
dépense engagée aux fins de la vente, un gain
en capital imposable est réalisé (à
supposer que la vente soit imputable au capital, comme c'est
le cas en l'espèce). Il faut donc se demander si le
«droit de faire concurrence» est un «droit
de quelque nature qu'il soit» et partant un
«bien» pour l'application de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
La Couronne a prétendu que l'expression «les
droits de quelque nature qu'ils soient» est
suffisamment générale pour inclure des droits
qui ne comportent pas les caractéristiques habituelles
d'un bien. Compte tenu de son expérience et de sa
compétence, le contribuable aurait pu réaliser
des profits en faisant concurrence aux sociétés
en exploitation une fois les actions vendues, et cela aurait
été au détriment de ces
sociétés. C'est la raison pour laquelle
l'engagement de non-concurrence avait une telle valeur pour
l'acquéreur. À cause du lien inextricable
existant entre la valeur des sociétés et le
paiement reçu pour l'engagement de non-concurrence, le
paiement devrait être comptabilisé aux fins de
l'impôt sur le revenu. Le contribuable a soutenu que ce
que la Couronne qualifie de «droit de faire de la
concurrence» est simplement la liberté de toute
personne d'exploiter une entreprise--une liberté
personnelle plutôt qu'un droit exclusif qui peut donner
lieu à une demande contre une autre personne.
Selon la Cour suprême du Canada, dans
l'interprétation des lois fiscales où le
législateur tente d'établir un équilibre
entre d'innombrables principes, les tribunaux doivent faire
preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au
législateur une intention non explicite, et ce, parce
qu'ils risquent alors de rompre l'équilibre que le
législateur a tenté d'établir. Pour ce
qui est de l'anti-évitement, étant donné
que la Loi comporte de nombreuses dispositions
anti-évitement particulières, lorsque des
inquiétudes sont exprimées concernant
l'évitement de l'impôt, les tribunaux ne doivent
pas s'empresser de renforcer ces dispositions de la Loi. Il
est loisible au législateur d'être précis
quant aux méfaits qu'il veut prévenir.
Suivant son sens ordinaire en droit, le mot
«biens» constitue un ensemble de droits--une
collection de droits sur des choses qu'il est possible
d'exercer contre d'autres personnes. Il vise la revendication
d'objets corporels et d'objets incorporels. Le droit
général de faire une chose que n'importe qui
peut faire n'est pas le «bien» de qui que ce
soit. Quel que soit ce à quoi le contribuable avait
renoncé en signant l'entente de non-concurrence, il ne
s'agissait pas d'un «bien»--du moins au sens
ordinaire de ce mot.
La Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu,
qui a été remplacée par la Loi de
l'impôt sur le revenu en 1948, ne comportait aucune
définition du mot «biens». La
première Loi avait fait l'objet de critiques selon
lesquelles elle n'était pas suffisamment
précise et conférait un pouvoir
ministériel trop étendu. Les avocats et les
comptables étaient d'avis que le libellé de
cette Loi ne permettait plus à la législation
de remplir son rôle dans la structure économique
fort différente du pays. Un grand nombre de ses
dispositions étaient désuètes et
certaines d'entre elles figuraient dans la loi anglaise
édictée en 1806. La Loi de 1948 visait à
améliorer la clarté de la rédaction
juridique plutôt qu'à effectuer une
réforme fiscale en profondeur. Le mot
«biens» y a été défini pour
la première fois, très probablement en vue
d'assurer plus de certitude. Cette définition figurait
à l'alinéa 127(1)af); elle est ainsi
libellée: «"biens" signifie des biens de toute
nature, qu'ils soient réels ou personnels, corporels
ou incorporels, et, sans restreindre la
généralité de ce qui
précède, comprend un droit de quelque nature
que ce soit, une action ou un droit incorporel».
L'expression «un droit de quelque nature que ce
soit» vise-t-elle un droit non exclusif d'exploitation
d'une entreprise possédé conjointement? La Loi
de1948 a introduit le concept de l'imposition du revenu en
fonction de la source, les «biens», les
«entreprises» et les «charges»
constituant les trois sources de revenu mentionnées.
Le mot «biens» visait de toute évidence
les créances qui portaient intérêt, les
actions qui accordaient des dividendes, les biens immobiliers
qui généraient un revenu de location ainsi que
les ressources et les droits de propriété
intellectuelle qui produisaient des redevances. La Loi de
1948 n'a pas élargi le sens du mot
«biens». Cette définition a
été modifiée trois fois, mais la
définition de 1948 est au coeur de la
définition actuelle. Les modifications paraissent
avoir été apportées pour moderniser la
terminologie et assurer une plus grande certitude,
plutôt que pour élargir le sens ordinaire du mot
«biens». Cela peut être comparé avec
l'élargissement du sens législatif du mot
«bien» en 1982 pour qu'il vise les travaux en
cours d'une entreprise qui constitue une profession
libérale. Cela donne à entendre que le
législateur ne considérait pas un droit
virtuel--comme les travaux en cours--comme étant
visé par la définition antérieure
à 1982.
La jurisprudence appuie en fait la proposition suivant
laquelle le mot «biens» peut être
interprété largement, en particulier en
matière fiscale. Lord Langdale a dit une fois que le
mot «biens» «sert à désigner
et à décrire tous les droits possibles»
qu'une personne peut avoir. Dans les motifs de la Cour dans
Canada c. Kieboom, on a reconnu que, dans le contexte
fiscal, le mot «biens» a un sens fort large, mais
on ne va pas jusqu'à dire que tout ce qui a une valeur
est un «bien». En outre, bien qu'elle ait
également un sens large, l'expression «un droit
de quelque nature qu'il soit» n'a pas un sens
illimité et on ne saurait lui attribuer un sens qui
étendrait la portée de la Loi au-delà de
ce que le législateur a envisagé. Ce serait,
par exemple, aller trop loin que d'affirmer que, lorsqu'elle
reçoit une indemnité pour une lésion
corporelle, la personne blessée a disposé d'un
bien en immobilisation et qu'il s'agit là d'un gain
imposable. Les avocats du contribuable ont fourni à la
Cour une liste exhaustive des décisions dans
lesquelles il a été conclu qu'une chose est
«un droit de quelque nature qu'il soit», mais,
dans aucune de ces décisions, il n'a été
statué que le mot «biens» comprend un
droit qui ne comporte pas une demande exclusive
légalement exécutoire. En l'absence de
l'entente de non-concurrence, le contribuable pouvait
exploiter une entreprise de fabrication d'articles en
matière plastique faisant concurrence aux
sociétés en exploitation, mais cela ne
l'autorisait pas pour autant à réclamer quoi
que ce soit à quelqu'un d'autre et cela ne lui donnait
pas le droit d'empêcher quelqu'un d'autre de se lancer
dans la même entreprise. Ce à quoi il a
renoncé n'est pas un «bien» au sens de la
définition législative.
On a mentionné des décisions de l'Australie
et du Royaume-Uni dans lesquelles il a été
statué que des paiements de non-concurrence ne
généraient pas de gains imposables, alors qu'il
existe une jurisprudence contraire américaine. Mais,
on ne devrait pas accorder trop d'importance aux
décisions étrangères, parce que le
contexte législatif est inévitablement quelque
peu différent.
En l'espèce, on pourrait être fortement
tenté de légiférer au lieu
d'interpréter la loi, parce que nombreux seront ceux
qui estimeront non satisfaisant le résultat de la
présente affaire sur le plan de la politique fiscale.
Mais, c'est au législateur de traiter des questions de
politique fiscale.
lois et règlements
Loi de l'impôt de guerre sur le revenu,
S.R.C. 1927, ch. 97, art. 2e)i) «corporation
personnelle», 3f) (mod. par S.C. 1934, ch. 55,
art. 1), 6c), e).
Loi de l'Împôt de Guerre sur le
Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, art. 3, 4(4). |
Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C.
(1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 14 (mod. par
L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 10; ch. 21, art. 8;
1995, ch. 3, art. 5; ch. 21, art. 3), 38, 39 (mod. par
L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 22; 1995, ch. 21, art.
49), 39.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 3,
art. 11), 40 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art.
23; ann. VIII, art. 12; 1995, ch. 3, art. 12; ch. 21,
art. 11), 41 , 42, 43, 44 (mod. par L.C. 1994, ch. 7,
ann. II, art. 24; ch. 21, art. 17), 45 (mod. par L.C.
1994, ch. 7, ann. II, art. 25; ch. 21, art. 18; 1996,
ch. 21, art. 10), 46, 47 (mod. par L.C. 1995, ch. 21,
art. 13), 48 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 19), 49
(mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 27; 1995, ch.
3, art. 13; ch. 21, art. 14), 50 (mod. par L.C. 1994,
ch. 7, ann. II, art. 28; 1995, ch. 21, art. 15), 51
(mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 20; 1995, ch. 21,
art. 16), 52 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art.
29; ch. 21, art. 21), 53 (mod. par L.C. 1994, ch. 7,
ann. II, art. 30; ann. VIII, art. 15; ch. 21, art. 22;
1995, ch. 3, art. 14; ch. 21, art. 17), 54 (mod. par
L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 31; ann. VIII, art. 16;
ch. 21, art. 23; 1995, ch. 3, art. 15; ch. 21, art.
18), 55 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 24; 1995, ch.
3, art. 16), 248(1) «biens». |
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1948, ch. 52, art. 3, 11(1)a), c),
127(1)af). |
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, ch. 63, art. 10 (mod. par L.C.
1980-81-82-83, ch. 140, art. 3), 248(1)
«biens» (mod. par L.C. 1974-75-76, ch. 26,
art. 125; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 128). |
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C.
1952, ch. 148, art. 139(1)ag). |
Loi de l'impôt sur les biens transmis par
décès, S.C. 1958, ch. 29. |
jurisprudence
décision suivie:
Ludco Enterprises Ltée c. Canada, [2001] 2
R.C.S. 1082; (2001), 204 D.L.R. (4th) 590; [2002] 1 C.T.C.
95; 2001 DTC 5505; 275 N.R. 90.
décision appliquée:
Fortino c. Canada, [1997] 2 C.T.C. 2184; (1996), 97
DTC 55 (C.C.I.); appel rejeté [2000] 1 C.T.C. 349;
(1999), 269 N.R. 391 (C.A.F.).
décision examinée:
Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488; [1992] 2
C.T.C. 59; (1992), 92 DTC 6382; 46 E.T.R. 229 (C.A.).
décisions citées:
Succession Miller c. Ministre du Revenu national,
[1973] C.T.C. 793; (1973), 73 DTC 5583 (C.F. 1re
inst.); Driol c. Ministre du Revenu national, [1989] 1
C.T.C. 2175; (1989), 89 DTC 122 (C.C.I.);
Furfaro-Siconolfi c. M.R.N., [1990] 2 C.F. 3; [1990] 1
C.T.C. 33; (1989), 89 DTC 5519; 38 E.T.R. 77; 32 F.T.R. 1; 25
R.F.L. (3d) 13 (1re inst.); R. c. Burgess,
[1982] 1 C.F. 849; (1981), 125 D.L.R. (3d) 477; [1981] C.T.C.
258; 81 DTC 5192 (1re inst.); Nissim c.
Canada, [1999] 1 C.T.C. 2119 (C.C.I.); Donald c.
Canada, [1999] 1 C.T.C. 2025 (C.C.I.); Kirby
(Inspector of Taxes) v. Thorn EMI plc, [1988] 2 All E.R.
947 (C.A.); Hepples v. Federal Commissioner of
Taxation (1990), 90 A.T.C. 4497 (Fed. Ct.); Hepples v.
Federal Commissioner of Taxation (1991), 91 A.T.C. 4808
(H.C.).
doctrine
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Bulletin d'interprétation, IT-330R, 7 septembre
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«The Association's Brief to the Senate Committee on
Taxation» (1946), 24; R. du B. Can. 283.
Ziff, Bruce H. Principles of Property Law, 3rd ed.
Scarborough: Carswell, 2000.
APPEL d'une décision de la Cour canadienne de
l'impôt ((2001), 19 B.L.R. (3d) 273; [2002] 1 C.T.C.
2543; 2002 DTC 1222) qui rejette l'appel interjeté par
le contribuable contre le refus du ministre d'établir
de nouvelles cotisations qui réduiraient à
zéro les gains en capital imposables résultant
des paiements de non-concurrence effectués dans le
cadre d'une convention d'achat d'actions. Appel
accueilli.
ont comparu:
Werner H. G. Heinrich et David E. Graham
pour l'appelant.
Peter M. Kremer, c.r., et Rosemary Fincham
pour l'intimée.
avocats inscrits au dossier:
Koffman Kalef, Vancouver, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada
pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
[1]Le juge Sharlow, J.C.A.: Il s'agit ici de savoir si,
pour l'application de la Loi de l'impôt sur le
revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, un
gain en capital imposable est réalisé
lorsqu'une personne reçoit un paiement de
l'acquéreur des actions d'une société en
contrepartie de la promesse de ne pas faire concurrence
à cette société pour une période
déterminée dans un territoire
déterminé.
Historique
[2]Les événements qui ont donné lieu
au présent appel se sont produits en 1995 lorsque les
actions de trois sociétés, Alberta Plastic
Industries Ltd., B.C. Plastic Industries Ltd. et Canada Cap
Snap Corporation, ont été vendues. Alberta
Plastic Industries Ltd. et B.C. Plastic Industries Ltd.
fabriquent des moules en plastique. Canada Cap Snap
Corporation fabrique des capuchons pour ces moules.
J'appellerai les trois sociétés les
«sociétés en exploitation».
[3]Avant le 16 juin 1995, l'appelant, M. Manrell,
possédait ou contrôlait des parts importantes
dans les trois sociétés en exploitation. Il
possédait 70 p. 100 des actions d'Alberta Plastic
Industries Ltd. Il possédait toutes les actions de
Llernam Holdings Ltd., qui possédait toutes les
actions d'Allwest Industries Incorporated, qui de son
côté possédait toutes les actions de B.C.
Plastic Industries Ltd. Llernam Holdings Ltd.
possédait également 80 p. 100 des actions de
322597 B.C. Ltd., qui possédait 50 p. 100 des actions
de Canada Cap Snap Corporation.
[4]Les participations minoritaires dans les
sociétés Alberta Plastic Industries Ltd. et
322597 B.C. Ltd. étaient possédées par
deux autres personnes, Bob Williamson et Bruce Gallop. Une
société du Delaware appelée Portola
Packaging Inc. possédait 50 p. 100 des actions de
Canada Cap Snap Corporation.
[5]En 1995, une société appelée
3154823 Canada Inc. a convenu d'acheter les actions et la
dette d'actionnaire des trois sociétés en
exploitation (à l'exclusion des actions appartenant
à Portola Packaging Inc.). Les conditions de l'entente
sont énoncées dans un document intitulé
[traduction] «Convention d'achat d'actions», en
date du 16 juin 1995. Le prix d'achat total des actions et de
la dette d'actionnaire s'élevait à 14 626 000 $
(sous réserve de certains ajustements qui ne sont pas
maintenant pertinents), montant qui devait être
réparti entre les actionnaires qui vendaient les
actions comme le stipulait la Convention d'achat
d'actions.
[6]L'une des conditions de la Convention d'achat d'actions
exigeait que 3154823 Canada Inc. effectue des paiements
s'élevant à environ 4 millions de dollars en
tout en faveur des actionnaires qui vendaient les actions, en
contrepartie de la remise et de l'exécution
[traduction] d'«ententes de non-concurrence»,
dont les conditions étaient énoncées
dans une annexe jointe à la Convention d'achat
d'actions. Les paiements devaient être effectués
en quatre tranches annuelles, dont la première
était due à la date de la conclusion de la
Convention d'achat d'actions. La part de M. Manrell
s'élevait à 979 575 $, dont 244 393,75 $
étaient payables dans chacune des années 1995,
1996, 1997 et 1998.
[7]Parmi les conditions de l'entente de non- concurrence
signée par M. Manrell, il y avait l'article 3.1, qui
est ainsi libellé:
[traduction] Les vendeurs conviennent de s'abstenir, en
tout temps pendant la durée du terme, de mener des
activités directes ou indirectes sur le Territoire, ou
d'avoir un intérêt dans une organisation ou
autre entité concurrente (notamment à titre
d'employé, de dirigeant, d'administrateur, d'agent, de
détenteur de titre, d'associé, de
créancier, de consultant, de concédant de
licence ou de preneur de licence) qui mène ou se
prépare à mener des activités sur le
territoire, si lesdites activités sont identiques,
similaires ou concurrentes aux activités menées
présentement par une société acquise ou
par la société mère de celle-ci.
[8]M. Manrell était l'un des «vendeurs»
mentionnés dans cette disposition. L'expression
[traduction] «société acquise» se
rapporte aux trois sociétés en exploitation et
l'expression [traduction] «société
mère» se rapporte à Portola Packaging,
Inc. Les mots [traduction] «durée» et
[traduction] «Territoire» indiquent les limites
temporelles et géographiques aux fins de l'application
de l'engagement relatif à la non-concurrence.
[9]L'entente de non-concurrence signée par M.
Manrell exigeait également que celui-ci cède
à 3154823 Canada Inc. tous les [traduction]
«droits, titres et intérêts»
afférents à une [traduction]
«innovation» (ce mot étant défini
comme incluant des choses telles que les découvertes,
les données et le savoir-faire), en vue de
protéger les secrets commerciaux des
sociétés en exploitation, et de promettre de ne
pas recruter des employés des sociétés
en exploitation ou de Portola Packaging Inc. Le dossier ne
renferme aucun élément de preuve au sujet de la
question de savoir s'il y avait des «innovations»
importantes, des renseignements confidentiels ou des
employés estimés à protéger. Quoi
qu'il en soit, aucune tentative n'a été faite
pour répartir la contrepartie payée en vertu
des ententes de non-concurrence entre l'engagement relatif
à la non-concurrence et les autres engagements. Les
deux parties ont débattu la présente affaire en
se fondant sur la prémisse selon laquelle presque
toute la contrepartie versée à M. Manrell par
3154823 Canada Inc. en vertu de l'entente de non-concurrence
était une contrepartie se rapportant à
l'engagement relatif à la non-concurrence. Je retiens
cette prémisse, puisqu'il n'y a rien dans le dossier
qui la contredise.
[10]M. Manrell a produit ses déclarations pour les
années 1995, 1996 et 1997 en se fondant sur le fait
qu'en vertu de l'article 42 de la Loi de l'impôt sur
le revenu, les paiements de non-concurrence qu'il a
reçus devaient être inclus dans le produit de la
disposition des actions qu'il avait vendues à 3154823
Canada Inc., augmentant ainsi son gain en capital imposable.
Telle était l'approche proposée au paragraphe 6
du Bulletin d'interprétation IT-330R en date du
7 septembre 1990, intitulé «Dispositions de
biens en immobilisation visées par une garantie, un
engagement ou d'autres obligations conditionnelles ou
contingentes».
[11]Étant donné que le paiement de
non-concurrence était payable en tranches, M. Manrell
s'est également prévalu des réserves
autorisées par la loi en vue d'échelonner le
gain en capital imposable sur les années au cours
desquelles les paiements étaient reçus. Ses
déclarations ont apparemment été
acceptées telles quelles.
[12]Par la suite, la Cour de l'impôt a rendu sa
décision dans l'affaire Fortino c. Canada,
[1997] 2 C.T.C. 2184, dont les faits étaient
semblables à ceux de la présente espèce.
Dans la décision Fortino, il a
été statué que les paiements de
non-concurrence constituaient des rentrées de capital
non imposables. La Couronne a interjeté appel contre
cette décision, mais l'appel a été
rejeté: Fortino c. Canada, [2000] 1 C.T.C. 349
(C.A.F.).
[13]M. Manrell a déposé des avis
d'opposition pour les années 1996 et 1997 en vue de
demander de nouvelles cotisations réduisant à
zéro les gains en capital imposables qu'il avait
déclarés à l'égard des paiements
de non-concurrence. Les oppositions ayant été
rejetées, M. Manrell a interjeté appel devant
la Cour de l'impôt, qui a rejeté l'appel;
Manrell c. Canada (2001), 19 B.L.R. (3d) 273 (C.C.I.).
M. Manrell interjette maintenant appel devant la Cour.
[14]La Cour est uniquement saisie des cotisations
relatives aux années 1996 et 1997 de M. Manrell. Le
dossier n'indique pas l'état de la cotisation relative
à l'année 1995. Toutefois, il n'a pas
été soutenu dans le cadre de l'argumentation
qu'il n'y avait rien dans ces cotisations qui influe sur
l'analyse des questions qui se posent pour les années
1996 et 1997.
[15]La Couronne défend les cotisations qui ont
été établies en l'espèce en se
fondant sur un seul argument, à savoir que les
paiements de non-concurrence sont le produit de la
disposition d'un [traduction] «droit de faire
concurrence», droit qui, selon la Couronne, satisfait
à la définition du mot «biens»
figurant au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. M. Manrell soutient que le [traduction]
«droit de faire concurrence» n'est pas
visé par la définition législative du
mot «biens» et, subsidiairement, que si ce droit
est visé par la définition législative,
il ne l'a pas aliéné.
[16]Il est reconnu que les opérations qui sont ici
en cause sont imputables au capital, et que si les paiements
de non-concurrence ne sont pas le produit de la disposition
de biens, il ne s'agit pas de rentrées de capital non
imposables.
La loi
[17]Pour apprécier les arguments des parties, il
faut comprendre le régime de la Loi de
l'impôt sur le revenu, pour ce qui est des gains en
capital imposables. Dans la Loi de l'impôt sur le
revenu, telle qu'elle était en vigueur au cours
des années visées par l'appel, les dispositions
pertinentes sont les articles 38 à 55 [art. 39 (mod.
par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 22; 1995, ch. 21, art.
49), 39.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 3, art.
11), 40 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 23; ann.
VIII, art. 12; 1995, ch. 3, art. 12; ch. 21, art. 11), 41,
42, 43, 44 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 24; ch.
21, art. 17), 45 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art.
25; ch. 21, art. 18; 1996, ch. 21, art. 10), 46, 47 (mod. par
L.C. 1995, ch. 21, art. 13), 48 (mod. par L.C. 1994, ch. 21,
art. 19), 49 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 27;
1995, ch. 3, art. 13; ch. 21, art. 14), 50 (mod. par L.C.
1994, ch. 7, ann. II, art. 28; 1995, ch. 21, art. 15), 51
(mod par L.C. 1994, ch. 21, art. 20; 1995, ch. 21, art. 16),
52 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 29; ch. 21, art.
21), 53 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 30; ann.
VIII, art. 15; ch. 21, art. 22; 1995, ch. 3, art. 14; ch. 21,
art. 17), 54 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 31;
ann. VIII, art. 16; ch. 21, art. 23; 1995, ch. 3, art. 15;
ch. 21, art. 18), 55 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 24;
1995, ch. 3, art. 16)] (sous-section c de la section B de la
partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu).
Les parties ont cité l'alinéa 38a),
l'alinéa 39(1)a), le sous-alinéa
40(1)a)(i), les définitions des expressions
«disposition de biens» et «produit de
disposition» figurant à l'article 54, et la
définition du mot «biens» figurant au
paragraphe 248(1). Les parties de ces dispositions qui sont
ici pertinentes étaient ainsi libellées au
cours de la période pertinente:
PARTIE I
IMPÔT SUR LE REVENU
[. . .]
Section B
Calcul du revenu
[. . .]
Sous-section c
Gains en capital imposables et
pertes en capital déductibles
38. Pour l'application de la présente
loi:
a) le gain en capital imposable d'un contribuable,
pour une année d'imposition, tiré de la
disposition d'un bien est égal aux 3/4 du gain en
capital que le contribuable a réalisé, pour
l'année, à la disposition du bien;
[. . .]
39. (1) Pour l'application de la présente
loi:
a) un gain en capital d'un contribuable,
tiré, pour une année d'imposition, de la
disposition d'un bien quelconque, est le gain,
déterminé conformément à la
présente sous- section [. . .] que ce
contribuable a tiré, pour l'année, de la
disposition d'un bien lui appartenant, [. . .]
[. . .]
40. (1) Sauf indication contraire expresse de la
présente partie:
a) le gain d'un contribuable tiré, pour une
année d'imposition, de la disposition d'un bien est
l'excédent éventuel:
(i) en cas de disposition du bien au cours de
l'année, de l'excédent éventuel du
produit de disposition sur le total du prix de base
rajusté du bien, pour le contribuable, calculé
immédiatement avant la disposition, et des
dépenses dans la mesure où celles-ci ont
été engagées ou effectuées par
lui en vue de réaliser la disposition,
[. . .]
54. Les définitions qui suivent s'appliquent
à la présente sous-section.
[. . .]
«disposition de biens» Sont compris dans la
disposition de biens, sauf dispositions contraires
expresses:
a) toute opération ou tout
événement donnant droit au contribuable au
produit de disposition de biens;
[. . .]
«produit de disposition» Sont compris dans le
produit de disposition d'un bien:
a) le prix de vente du bien qui a été
vendu;
[. . .]
PARTIE XVII
INTERPRÉTATION
248. (1) Les définitions qui suivent
s'appliquent à la présente loi:
[. . .]
«biens» Biens de toute nature, meubles ou
immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans
préjudice de la portée générale
de ce qui précède:
a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les
actions ou parts;
b) à moins d'une intention contraire
évidente, l'argent;
c) les avoirs forestiers;
d) les travaux en cours d'une entreprise qui est
une profession libérale.
Analyse
[18]Le régime législatif applicable à
l'imposition des gains en capital, tel qu'il s'applique en
l'espèce, est simple. Selon les dispositions
précitées, si une personne vend un bien qui
satisfait à la définition législative du
mot «biens» pour un montant qui excède le
coût du bien, plus toute dépense engagée
aux fins de la vente, un gain en capital imposable est
réalisé (à supposer, bien sûr, que
la vente soit imputable au capital, ce dont il est ici
convenu). L'affaire soulève une seule question: le
[traduction] «droit de faire concurrence» est-il
un [traduction] «droit de quelque nature qu'il
soit» et partant un «bien» au sens de la
Loi de l'impôt sur le revenu?
[19]Je résumerai comme suit l'argument de la
Couronne. Le droit de faire concurrence ne serait pas
considéré comme un «bien» au sens
ordinaire de ce mot. Toutefois, l'emploi de l'expression
«y compris» dans la définition
législative du mot «biens» indique qu'il
faut lui attribuer un sens plus large que son sens ordinaire.
En particulier, l'expression «les droits de quelque
nature qu'ils soient» est suffisamment
générale pour inclure des droits qui ne
comportent pas nécessairement les
caractéristiques habituelles d'un bien. M. Manrell,
compte tenu de son expérience personnelle et de sa
compétence, aurait pu réaliser des profits
élevés en faisant concurrence aux trois
sociétés en exploitation une fois les actions
vendues, et s'il l'avait fait, cela aurait été
au détriment de ces sociétés et de leur
acquéreur. C'est la raison pour laquelle l'engagement
pris par M. Manrell de ne pas faire concurrence avait une
telle valeur pour l'acquéreur. À cause du lien
inextricable existant entre la valeur des trois
sociétés en exploitation et le paiement que M.
Manrell a reçu pour son engagement de non-concurrence,
le paiement devrait être imputé, aux fins de
l'impôt sur le revenu, à un produit de la
disposition d'un bien, le [traduction] «droit de faire
concurrence».
[20]Au nom de M. Manrell, il est soutenu que dans le
contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu,
l'expression «les droits de quelque nature qu'ils
soient» doit être interprétée comme
se rapportant à un droit de la nature d'un bien. Il
doit à tout le moins s'agir d'un droit qui permet
à son titulaire de contraindre quelqu'un d'autre
à payer de l'argent ou à faire quelque chose,
ou du droit d'exclure toutes les autres personnes qui
revendiquent le même droit. Ce que la Couronne essaie
de qualifier de [traduction] «droit de faire de la
concurrence» est simplement la liberté qui est
partagée entre tous d'exploiter une entreprise ou,
dans le contexte précis de la présente affaire,
d'exploiter une entreprise de fabrication de moules en
plastique dans la région et pendant la période
désignées dans l'entente de non-concurrence. Il
s'agit d'une liberté personnelle plutôt que d'un
droit qui est exclusif ou qui peut donner lieu à une
demande contre toute autre personne et, par
conséquent, cela n'est pas visé par la
définition législative du mot
«biens».
[21]Il s'agit d'un problème d'interprétation
législative, dont la solution doit tout d'abord
reposer sur le principe tiré de E. A. Driedger,
Construction of Statutes (2e éd.
1983), à la page 87:
[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou
solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur
contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical
qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et
l'intention du législateur.
[22]Récemment, M. le juge Iacobucci, parlant au nom
de la majorité dans l'arrêt Ludco Enterprises
Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, a
expliqué la place de ce principe dans
l'interprétation des lois fiscales (aux paragraphes 37
à 39; la plupart des renvois sont omis):
C'est cet extrait qui «résume le mieux»
la méthode privilégiée aux fins
d'interprétation d'une disposition législative
[. . .]. Il en est ainsi pour
l'interprétation de tout texte de loi et il convient
de signaler que notre Cour a maintes fois cité et
approuvé cet extrait célèbre, tant en
matière fiscale que dans d'autres domaines
[. . .]
Par ailleurs, les tribunaux appelés à
interpréter la Loi de l'impôt sur le
revenu doivent se rappeler qu'ils jouent un rôle
distinct de celui du législateur. En l'absence d'un
texte législatif clair, il n'est pas souhaitable que
les tribunaux innovent [. . .] La promulgation de
nouvelles règles de droit fiscal doit plutôt
être laissée au législateur
[. . .] Comme l'a récemment expliqué
le juge McLachlin (maintenant juge en chef) dans
l'arrêt Shell Canada Ltée c.
Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 43:
La Loi est un texte législatif complexe au moyen
duquel le législateur tente d'établir un
équilibre entre d'innombrables principes. La
jurisprudence de notre Cour est constante: les tribunaux
doivent par conséquent faire preuve de prudence
lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à
l'égard d'une disposition claire de la Loi, une
intention non explicite [. . .] En concluant
à l'existence d'une intention non exprimée par
le législateur sous couvert d'une
interprétation fondée sur l'objet, l'on risque
de rompre l'équilibre que le législateur a
tenté d'établir dans la Loi.
[Références omises.]
Cela étant dit, il ressortit à la
compétence des tribunaux d'interpréter les
règles adoptées par le législateur,
notamment d'éclaircir des notions par ailleurs non
définies comme celles de «revenu» ou de
«bénéfice» [. . .]
En outre, étant donné que la Loi de
l'impôt sur le revenu comporte de nombreuses
dispositions et règles anti-évitement
particulières, lorsque des inquiétudes sont
exprimées concernant l'évitement de
l'impôt, les tribunaux ne doivent pas s'empresser de
renforcer ces dispositions de la Loi alors qu'il est loisible
au législateur d'être précis quant aux
méfaits à prévenir [. . .]
S'ils le faisaient, ils n'accorderaient pas l'importance
voulue au principe bien établi que, sauf disposition
contraire, le contribuable a le droit d'organiser ses
affaires dans le seul but de se trouver dans une situation
favorable sur le plan fiscal [. . .].
[23]Il me semble que les considérations
contextuelles les plus importantes en l'espèce sont a)
le sens ordinaire du mot «biens»; b) le contexte
législatif; et c) la jurisprudence pertinente, qui
font partie du fondement à partir duquel le
législateur détermine l'étendue des
modifications qui sont souvent apportées à la
Loi de l'impôt sur le revenu.
a) Sens ordinaire du mot «biens»
[24]Dans l'ouvrage intitulé Principles of
Property Law, 3e éd. (Scarborough:
Carswell, 2000), le professeur Ziff dit ce qui suit au sujet
de la question des biens, à la page 2:
[traduction] Les biens sont parfois qualifiés
d'ensemble de droits. Cette simple métaphore est une
façon utile d'examiner le concept de base. Elle
indique que les biens ne sont pas une chose, mais un droit,
ou encore mieux, une collection de droits (sur des choses)
qu'il est possible d'exercer contre d'autres personnes.
Autrement dit, le mot «biens» signifie un
ensemble de relations entre personnes qui se rapportent
à la revendication d'objets corporels et d'objets
incorporels. [Soulignement ajouté.]
[25]Cette notion de «biens» donne
implicitement à entendre que le mot
«biens» doit comporter ou entraîner quelque
droit exclusif de présenter une demande contre
quelqu'un d'autre. Le droit général de faire
une chose que n'importe qui peut faire, ou un droit
possédé par chacun, n'est pas le
«bien» de qui que ce soit. En l'espèce, la
seule chose que M. Manrell possédait avant de signer
l'entente de non-concurrence et qu'il ne possédait pas
par la suite était le droit qu'il partageait avec
toute autre personne d'exploiter une entreprise. Quel que
soit ce à quoi M. Manrell avait renoncé en
signant cette entente, il ne s'agissait pas d'un
«bien» au sens ordinaire de ce mot.
b) Contexte législatif
[26]Pour apprécier le bien-fondé de la
prétention de la Couronne selon laquelle le mot
«biens» a, aux fins de l'impôt sur le
revenu, un sens qui est plus étendu que son sens
ordinaire, il peut être utile de se demander comment le
mot «biens» est en fait employé dans la
Loi de l'impôt sur le revenu actuelle et dans
les lois précédentes.
[27]Le texte le plus ancien qui a
précédé la Loi de l'impôt sur
le revenu, intitulé Loi de l'Impôt de
Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, emploie le
mot «biens» à deux reprises sans le
définir. Ce mot figure dans la définition du
mot «revenu» à l'article 3 (dans la partie
qui dit que le «revenu» comprend le revenu, mais
non la valeur des biens acquis par don, legs, donation ou
descendance). Le mot «biens» figure
également au paragraphe 4(4), qui traite des
conséquences d'un transfert de «biens
réels ou personnels, meubles ou immeubles» en
faveur d'un conjoint afin de se soustraire à
l'impôt. Ces deux dispositions semblent employer le mot
«biens» dans son sens ordinaire.
[28]Les modifications apportées à la Loi
de l'Impôt de Guerre sur le Revenu. 1917 au cours
des quelques années qui ont suivi ont
entraîné d'autres emplois du mot
«biens», toujours sans qu'une définition
législative soit donnée. Dans chaque cas, le
mot «biens» est apparemment employé dans
son sens ordinaire. Je citerai uniquement cinq exemples
tirés de la refonte modifiée de 1927 (Loi de
l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch.
97, dans sa forme modifiée). 1) Dans la
définition complexe de l'expression «corporation
personnelle» figurant au sous-alinéa
2e)i), il est fait mention d'«obligations,
stocks ou actions, débentures, morts-gages,
hypothèques, lettres de change, billets ou autres
biens semblables». 2) Le régime d'imposition des
corporations personnelles exigeait une détermination
de la valeur des biens de la corporation acquise des
actionnaires. 3) L'alinéa 6c) interdisait la
déduction de «[l]a valeur annuelle des biens,
meubles ou immeubles, sauf le loyer réellement
payé pour l'usage de ces biens, utilisés
relativement au commerce pour produire le revenu sujet
à l'impôt». 4) L'alinéa 6e)
interdisait la déduction des «dépenses ou
frais incidents (carrying charge) de biens ou actifs
improductifs non acquis pour les objets d'un commerce, d'un
négoce ou d'une profession». 5) L'alinéa
3f), qui a été ajouté par S.C.
1934, ch. 55, art. 1 prévoit que le revenu comprend
«les loyers, redevances, annuités ou autres
recettes périodiques semblables qui dépendent
de la production ou de l'emploi de biens réels ou
personnels, nonobstant que les susdits soient payables par
suite de l'usage ou de la vente de ces biens».
[29]En 1948, la Loi de l'impôt de guerre sur le
revenu a été remplacée par la Loi
de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, qui
pour la première fois définissait le mot
«biens». Je n'ai rien pu trouver qui explique
pourquoi le mot «biens» est défini dans la
Loi de l'impôt sur le revenu de 1948. Toutefois,
il est peut-être possible de faire certaines
inférences en comparant cette loi à la Loi
de l'impôt de guerre sur le revenu qu'elle
remplaçait.
[30]La Loi de l'impôt sur le revenu de 1948
est beaucoup plus détaillée et précise
que la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu.
Cela découle des critiques qui avaient
été formulées, à savoir que la
Loi de l'impôt de guerre sur le revenu
n'était pas suffisamment précise et
conférait un pouvoir ministériel trop
étendu. Les commentaires suivants figurent dans les
Journaux du Sénat du Canada, 2e
sess., 20e Parl., 10 George VI, vol. LVII, en date
du mardi 28 mai 1946, Rapport final du Comité
spécial sur l'imposition, appendice A, aux pages 223
et 224:
Le mécontentement général semble se
confiner à trois grands motifs.
1. On est mécontent de la procédure suivie
en cas d'appel, comme le prévoit la Loi de
l'impôt de guerre sur le revenu, des obstacles que
doivent surmonter les contribuables qui désirent le
règlement prompt et catégorique de leur cas. En
même temps, on a présenté des objections
d'ordre technique, mais moins générales, aux
pouvoirs discrétionnaires du ministre ou de son
administration et de l'autorité administrative absolue
dans plusieurs questions revêtant une importance
réelle.
[. . .]
2. Deuxièmement, certaines critiques portent
également sur la phraséologie de la loi
elle-même. On semble de plus en plus d'opinion parmi
les économistes, les avocats et les comptables du pays
que le texte de la loi actuelle de l'impôt sur le
revenu ne permet plus à la loi de se conformer aux
exigences nées des modifications radicales
apportées à la structure économique du
pays par suite de la conception moderne des profits et des
dépenses nécessaires et qui n'était pas
la même quand fut rédigée la loi
originale de 1917.
3. Le troisième sujet de critique porte sur
l'organisation administrative de la division de
l'impôt.
[31]Le document intitulé «The Association's
Brief to the Senate Committee on Taxation», (1946), 24
Can. Bar Rev. 283, présenté le 9 avril
1946, donne des précisions additionnelles au sujet de
l'état des lois fiscales avant 1948. Le
mémoire, en traitant des travaux des comités de
l'Association du Barreau canadien et de la Dominion
Association of Chartered Accountants, dit ce qui suit
à la page 286:
[traduction] Il est vite devenu apparent aux deux
comités--et je crois que leur avis est partagé
par un nombre fort élevé de contribuables au
Canada--que la loi est difficile à interpréter
et qu'elle prête passablement à confusion et
que, si on la laisse dans sa forme actuelle, cela retardera
la reconversion et pourra influer sensiblement sur la
prospérité du Canada. Il se peut fort bien
qu'à cause de ces éléments, des revenus
soient maintenant perdus.
[. . .]
Dans la revue publiée par la Dominion Association
of Chartered Accountants, dont les membres connaissent
probablement les rouages actuels de la Loi mieux que tout
autre organisme, on disait ce qui suit en 1944, vol. 45, page
195:
L'une des tâches essentielles de
l'après-guerre consiste à rédiger
de nouveau la Loi de l'impôt sur le revenu
elle-même. De nos jours, cette loi est un exemple
horrible de modifications effectuées l'une
après l'autre, de sorte que ce qui est
expressément ou implicitement prévu dans
une disposition de la Loi peut être
modifié dans une autre disposition. |
[32]Les auteurs du mémoire poursuivent en faisant
des commentaires sur des problèmes précis.
Voici ce qu'ils disent sous le titre [traduction]
«Éclaircissement de la Loi», aux pages 293
et 294:
[traduction] Nous sommes d'avis que le principal
problème que pose l'administration de la Loi de
l'impôt sur le revenu est attribuable au fait que
la plupart des dispositions sont désuètes et
qu'un grand nombre d'entre elles sont inintelligibles. Il
était difficile de comprendre le sens de la Loi
refondue de 1927, qui comprenait 29 pages, mais depuis lors
de nombreuses modifications ont été
ajoutées à la loi. Ces modifications comportent
188 pages et ont apparemment été
effectuées sans qu'il soit vraiment tenu compte des
principes fondamentaux, les modifications ayant
été édictées en vue de
répondre à des cas précis et ayant
ensuite été appliquées à des cas
tout à fait différents.
[. . .]
Le contribuable n'est pas assujetti à un
impôt sur son revenu réel, mais il est
obligé de calculer son revenu au moyen de
règles désuètes
incompréhensibles, dont certaines figuraient dans la
loi anglaise qui a été édictée en
1806. De nombreux contribuables estiment être
injustement assujettis à l'impôt et d'autres
contribuables qui, à toutes fins utiles, sont dans la
même situation, se soustraient à
l'impôt.
[33]Après avoir fait certains commentaires portant
sur l'historique de la question, les auteurs du
mémoire ajoutent ce qui suit à la page 295:
[traduction] Il est vite devenu clair que plus le
libellé est ambigu, plus le ministère cherchait
à remédier à la situation. La
rédaction est devenue de plus en plus mauvaise et,
à l'heure actuelle, il est souvent difficile de
déceler l'intention du législateur.
[34]Dans un discours prononcé en 1948 devant les
membres de l'Association du Barreau canadien, Monteath
Douglas, qui était alors directeur de l'Association
canadienne d'études fiscales, a commenté la
Loi de l'impôt sur le revenu de 1948
(«Income Tax Revision» (1948), 26 Can. Bar
Rev. 1212). Voici ce qu'il a dit à la page
1212:
[traduction] La nouvelle loi est essentiellement une
refonde et vise à réorganiser et à
éclaircir le droit existant. Il s'agit d'un texte
législatif important qui ne comporte toutefois aucun
aspect innovateur remarquable. Tous les
éléments de l'impôt sur le revenu en tant
qu'instrument fiscal, tel qu'il a évolué au
Canada au cours des trente dernières années,
continuent à exister dans à peu près le
même contexte. Les modifications qui ont
été effectuées, lesquelles sont fort
nombreuses, ont principalement trait à la
rédaction et à l'interprétation
légale.
[35]Ces commentaires donnent à entendre que la
Loi de l'impôt sur le revenu de 1948
n'était pas destinée à effectuer une
réforme fiscale en profondeur. Son objectif
était plutôt d'accroître la
prévisibilité du régime fiscal existant
en améliorant la clarté de la rédaction
juridique. Cela donne en outre à entendre qu'une
définition du mot «biens» a
été incluse dans la Loi de l'impôt sur
le revenu de 1948 en vue d'assurer plus de certitude.
[36]La définition initiale du mot
«biens» figure à l'alinéa
127(1)af) de la Loi de l'impôt sur le
revenu de 1948; elle est ainsi libellée:
127. (1) [. . .]
(af) «biens» signifie des biens de
toute nature, qu'ils soient réels ou personnels,
corporels ou incorporels, et, sans restreindre la
généralité de ce qui
précède, comprend un droit de quelque nature
que ce soit, une action ou un droit incorporel.
[37]De toute évidence, cette définition de
1948 est au coeur de la définition actuelle, y compris
la partie dans laquelle il est question d'«un droit de
quelque nature que ce soit». Je tire les propositions
suivantes d'une interprétation ordinaire grammaticale
de la définition de 1948:
a) Le début de la disposition («des biens de
toute nature») a pour effet d'assujettir à la
définition législative tout ce qui fait partie
du sens ordinaire le plus étendu possible du mot
«biens»;
b) Il y a ensuite deux listes de choses qui sont
expressément incluses dans la définition
législative;
c) La première liste est composée de quatre
éléments: les biens réels, les biens
personnels, les biens corporels, les biens incorporels. Cette
liste n'a pas pour effet d'élargir le sens
législatif du mot «biens» au-delà
de son sens ordinaire le plus étendu, ce qui donne
à entendre que la première liste est
établie dans le seul but d'assurer plus de
certitude;
d) La deuxième liste commence par les mots
«sans restreindre la généralité de
ce qui précède», qui sont destinés
à empêcher toute prétention voulant
qu'une chose qui ne figure pas dans la deuxième liste
doive pour cette raison être considérée
comme étant exclue du reste de la
définition;
e) La deuxième liste énumère ensuite
trois éléments: «un droit de quelque
nature que ce soit», «une action» et
«un droit incorporel».
[38]Les actions et les droits incorporels sont des biens
incorporels qui sont visés par le sens ordinaire du
mot «biens». Il s'agit donc de savoir si, compte
tenu du contexte de la Loi de l'impôt sur le
revenu de 1948 dans son ensemble, l'expression «un
droit de quelque nature que ce soit» était
destinée à se rapporter à un droit non
exclusif d'exploitation d'une entreprise
possédé conjointement, soit le genre de droit
qui est ici en cause.
[39]L'article 3 de la Loi de l'impôt sur le
revenu de 1948 a introduit le concept de l'imposition du
revenu en fonction de la source, les «biens»
constituant l'une des trois sources de revenu
mentionnées (les autres sources étant les
«entreprises» et les «charges et
emplois»). Il est donc possible d'inférer que le
mot «biens» figurant à l'article 3
était destiné à inclure, du moins, tout
ce qui peut être possédé et produire un
revenu. Les exemples évidents sont les créances
et les autres instruments financiers qui portent
intérêt, les actions qui accordent des
dividendes, les biens immobiliers et les biens personnels qui
génèrent un revenu de location ainsi que les
ressources et les droits de propriété
intellectuelle qui produisent des redevances. Toutes ces
sources de revenu sont des «biens» au sens
ordinaire du terme.
[40]Indépendamment de l'article 3, le mot
«biens» a été employé dans
maintes dispositions de la Loi de l'impôt sur le
revenu de 1948. Je mentionnerai comme exemples deux
dispositions qui sont fréquemment citées. L'une
est l'alinéa 11(1)a) de la Loi de
l'impôt sur le revenu de 1948, qui introduit le
régime de la déduction pour amortissement, une
déduction annuelle d'une partie du coût d'un
bien dans la mesure autorisée par règlement
(déduction destinée à remplacer ce qui
était une provision pour amortissement assujettie au
pouvoir discrétionnaire ministériel). La
déduction pour amortissement pouvait être
demandée à l'égard d'un bien personnel
corporel ainsi que pour les licences et les concessions d'une
durée limitée. Le deuxième exemple se
trouve à l'alinéa 11(1)c) de la Loi
de l'impôt sur le revenu de 1948, qui autorise la
déduction des intérêts sur l'argent
emprunté qui sert à la réalisation d'un
revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Aucun
élargissement du sens n'était nécessaire
pour donner effet au nouveau régime aux fins de la
déduction pour amortissement ou des frais
d'intérêt déductibles.
[41]Je conclus que, du moins dans la mesure ou la Loi
de l'impôt sur le revenu de 1948 est en cause,
l'expression «un droit de quelque nature que ce
soit» n'est pas incluse dans la définition
législative du mot «biens» en vue
d'élargir le sens originaire de ce mot et d'inclure un
droit non exclusif d'exploitation d'une entreprise
possédé conjointement. La question suivante est
de savoir s'il y a lieu de modifier cette conclusion par
suite de modifications législatives effectuées
après 1948.
[42]Comme il en a ci-dessus été fait
mention, la définition initiale est au coeur de la
définition actuelle. Sauf pour le fait que des termes
contemporains ont été employés (par
exemple, «whatsoever» est devenu
«whatever» dans la version anglaise), la
définition initiale du mot «biens», en
1948, est devenue l'alinéa 139(1)ag) de la
Loi de l'impôt sur le revenu dans la refonte des
lois fédérales, en 1952 (Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148). La
définition a depuis lors été
modifiée à trois reprises. Pour plus de
commodité, je reprends la définition
actuelle:
248. (1) [. . .]
«biens» Biens de toute nature, meubles ou
immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans
préjudice de la portée générale
de ce qui précède:
a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les
actions ou parts;
b) à moins d'une intention contraire
évidente, l'argent;
c) les avoirs forestiers;
d) les travaux en cours d'une entreprise qui est
une profession libérale.
[43]La première modification a été
effectuée lors de la réforme fiscale de 1972,
[Loi de l'impôt sur le revenu] S.C. 1970-71-72,
ch. 63. Il s'agissait d'une réforme fiscale majeure.
La modification la plus importante devait inclure un
régime d'imposition des gains en capital
réalisés au moment de la disposition d'un bien.
L'une des modifications qui en a résulté a
été que les mots figurant dans la
définition initiale du mot «biens»
après le mot «comprend» sont devenus
l'alinéa a), et que ce qui est maintenant
l'alinéa b) a été ajouté
(«à moins d'une intention contraire
évidente, l'argent»; «unless a contrary
intention is evident, money»). Je n'ai pas pu
découvrir pourquoi l'alinéa b) a
été ajouté à la définition
du mot «biens». Selon toute probabilité,
la modification était jugée nécessaire
à cause du nouveau régime d'imposition des
gains en capital, mais je ne puis rien trouver qui permette
de conclure que le sens ordinaire du mot «biens»
n'inclut pas de l'argent. Je n'ai pu trouver aucun
arrêt faisant autorité sur ce point. Je conclus
que l'alinéa b) a probablement
été ajouté pour plus de certitude
seulement plutôt que pour élargir le sens
ordinaire de la définition législative du mot
«biens».
[44]L'alinéa c) de la définition du
mot «biens» («les avoirs forestiers»)
a été ajouté par S.C. 1974-75-76, ch.
26, article 125; cette disposition s'appliquait à
l'année 1974 et aux années d'imposition
subséquentes. La modification résultait de
l'adoption d'un régime précis pour une
catégorie spéciale de droits de coupe de bois,
désignée par l'expression «avoirs
forestiers», qui a été définie.
Les droits compris dans la définition des
«avoirs forestiers» auraient été
visés par la définition du mot
«biens» telle qu'elle existait avant
l'année 1974. Je conclus que l'alinéa c)
a été ajouté à la
définition du mot «biens» pour plus de
certitude seulement plutôt que pour en élargir
le sens législatif.
[45]L'alinéa d) de la définition du
mot «biens» («les travaux en cours d'une
entreprise qui est une profession libérale») a
été ajouté par S.C. 1980-81-82-83, ch.
140, art. 128, applicable à l'année 1982 et aux
années d'imposition subséquentes, et ce, par
suite des modifications apportées à l'article
10 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 3] de la
Loi de l'impôt sur le revenu qui, entre autres
choses, exigeait que les travaux en cours d'une entreprise
qui constituait une profession libérale soient
évalués à la fin de chaque année
d'imposition et qu'ils soient par ailleurs traités
comme faisant partie de l'inventaire. D'autres modifications
ont été apportées à la Loi de
l'impôt sur le revenu en même temps en vue de
permettre aux entreprises qui constituaient une profession
libérale de choisir dans certains cas d'exclure du
revenu la valeur des travaux en cours, ces travaux devant
normalement être inclus dans le revenu selon les
principes de la comptabilité d'exercice.
[46]Les travaux en cours d'une entreprise qui constitue
une profession libérale sont simplement les travaux
pour lesquels la personne qui exerce cette profession
espère être rémunérée dans
l'avenir. Ces travaux sont en général inscrits
dans les comptes d'une entreprise qui constitue une
profession libérale en tant que somme d'argent
représentant, par exemple, le nombre d'heures
effectuées, multipliées par un taux horaire.
Les travaux en cours constituent un élément
d'actif ayant une valeur, en ce sens qu'ils peuvent
être assujettis à des dispositions
contractuelles régissant l'ajustement des parts d'une
société de personnes exerçant une
profession libérale si certains
événements se produisent, ou qu'ils peuvent
donner lieu à une indemnisation si l'entreprise qui
constitue la profession libérale est vendue.
Cependant, les travaux en cours d'une personne qui exerce une
profession libérale en tant que tels ne permettent
généralement pas à cette dernière
de faire quelque chose ou de réclamer quelque chose.
À mon avis, ces travaux ne sont pas, par leur nature,
une chose qui est visée par le sens ordinaire du mot
«biens», et il se peut qu'il ne s'agisse
même pas d'«un droit de quelque nature qu'il
soit». Si c'est le cas, l'alinéa d) doit
avoir été ajouté à la
définition du mot «biens» en vue
d'élargir le sens législatif du mot
«biens» au-delà de son sens ordinaire. Le
but était apparemment de donner un fondement
législatif aux modifications apportées à
l'article 10, qui exigeait que les travaux en cours d'une
entreprise constituant une profession libérale soient
traités comme des stocks. Cela donne à entendre
que, malgré la portée apparente de la
définition du mot «biens» et en
particulier l'inclusion dans cette définition
d'«un droit de quelque nature qu'il soit», le
législateur ne considérait pas un droit virtuel
comme les travaux en cours d'une personne exerçant une
profession libérale comme étant visé par
la définition telle qu'elle était
libellée avant l'année 1982.
[47]Je ne puis rien trouver dans le contexte
législatif à l'appui de la proposition selon
laquelle l'expression «un droit de quelque nature qu'il
soit» figurant dans la définition
législative du mot «biens» est
destinée à exiger qu'un droit non exclusif
d'exploitation d'une entreprise qui est possédé
conjointement soit considéré comme un
«bien» à des fins fiscales.
c) La jurisprudence
[48]J'examinerai maintenant la jurisprudence dans laquelle
ont été examinés la définition
législative du mot «biens» et le sens de
l'expression «un droit de quelque nature qu'il
soit». Il existe maintes décisions à
l'appui de la thèse voulant que le mot
«biens» puisse avoir de nombreux sens et que,
dans le contexte fiscal, son sens puisse être
considéré comme large et inclusif. Ainsi, dans
l'arrêt Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488
(C.A.), M. le juge Linden a fait les remarques suivantes au
nom de la Cour [aux pages 499 et 500]:
Quant au mot «bien», il a aussi reçu
une interprétation large. Le paragraphe 248(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu en donne la
définition suivante: «biens de toute nature,
meubles ou immeubles, corporels ou incorporels et comprend,
sans restreindre la portée générale de
ce qui précède, a) un droit de quelque
nature qu'il soit, une action ou part» lord Langdale a
déjà déclaré que le mot
«bien» est [traduction] «le terme le plus
général que l'on puisse employer, étant
donné qu'il sert à désigner et à
décrire tous les droits possibles qu'une personne peut
avoir». (Voir Jones v. Skinner (1836), 5 L.J.
(N.S.) Ch. 87 (Rolls Ct.), à la page 90; voir
également Re Lunness (1919), 46 O.L.R. 320
(Div. app.), à la page 322; Fasken,
précité, [Fasken, David c. Minister of
National Revenue, [1948] Ex. C.R. 580], à la page
591; et Vaillancourt c. Sous-ministre M.R.N., [1991] 3
C.F. 663 (C.A.).)
[49]Compte tenu en partie de cette interprétation
du mot «biens», le juge Linden a conclu qu'un
conjoint qui possède des actions ordinaires d'une
société est considéré comme ayant
transféré le bien à sa conjointe
lorsqu'il conclut une entente par laquelle cette
dernière souscrit à des actions ordinaires
d'une société qui viennent d'être
émises pour un prix nominal, de sorte que la part du
conjoint est réduite de 90 à 20 p. 100 alors
que celle de la conjointe augmente en conséquence. Cet
arrêt fait autorité à l'appui de la
thèse voulant qu'une part dans une
société soit un bien et que l'opération
en cause soit un transfert de biens parce qu'elle
résulte du mouvement de tout ou partie d'un ensemble
de droits d'un actionnaire à un autre. Dans cet
arrêt, on a reconnu et formulé de nouveau la
thèse selon laquelle, dans le contexte fiscal, le mot
«biens» a un sens fort large, mais il n'a pas
été dit que tout ce qui a une valeur est un
«bien».
[50]L'expression sur laquelle la Couronne se fonde en
l'espèce, «un droit de quelque nature qu'il
soit», comme le mot «biens», a un sens fort
large. Cependant, il ne s'agit pas d'un mot dont le sens est
illimité. Il ne peut pas inclure tout droit
imaginable. On ne saurait lui attribuer un sens qui
étendrait la portée de la Loi de
l'impôt sur le revenu au-delà de ce que le
législateur a envisagé. Même l'avocat de
la Couronne a concédé qu'il n'inclut pas un
droit de la personne ou un droit constitutionnel.
[51]Il n'est pas difficile d'imaginer des cas dans
lesquels l'expression «un droit de quelque nature qu'il
soit» se verrait attribuer un sens trop large. Il
suffit de penser au cas d'une personne qui est blessée
dans un accident de voiture causé par la
négligence d'une autre personne. La personne
blessée a le droit, et peut-être un droit ayant
une certaine valeur, de réclamer des
dommages-intérêts à l'encontre de la
personne négligente. Supposons qu'il y ait quittance
de règlement en contrepartie du paiement d'une somme
d'argent. Il serait possible de dire que le droit de
réclamer des dommages-intérêts a
été aliéné. Cependant, personne
ne retiendrait l'argument selon lequel le paiement constitue
le produit de la disposition d'un bien en immobilisation.
Pourquoi? Parce que, fondamentalement, le paiement est une
indemnité pour une lésion corporelle, soit une
chose qui est considérée comme allant
au-delà de la portée de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Une demande de
dommages-intérêts fondée sur des
lésions corporelles est un «droit», mais
le règlement n'est pas visé par les
dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu
relatives aux gains en capital.
[52]L'avocat de M. Manrell a fourni ce qui semble
être une liste exhaustive de toutes les
décisions dans lesquelles il a été
conclu qu'une chose est «un droit de quelque nature
qu'il soit». Je ne reproduirai pas toute la liste.
Cependant, je donnerai quelques exemples à titre
indicatif. Le droit représenté par une police
d'assurance temporaire sur la vie qui n'a aucune valeur de
rachat nette mais qui est convertible sans preuve
d'assurabilité est un «droit» aux fins de
la définition du mot «biens» figurant dans
la Loi de l'impôt sur les biens transmis par
décès, S.C. 1958, ch. 29 (définition
qui est fort semblable à la définition figurant
dans la Loi de l'impôt sur le revenu):
Succession Miller c. Ministre du Revenu national,
[1973] C.T.C. 793 (C.F. 1re inst.). Le droit de
recevoir des paiements du régime de pension d'un
conjoint décédé est un
«droit» aux fins de la définition:
Driol c. Ministre du Revenu national, [1989] 1 C.T.C.
2175 (C.C.I.). Une promesse irrévocable, dans un
contrat de mariage, de verser une somme d'argent au conjoint
pendant le mariage donne naissance à un droit entre
les mains du conjoint bénéficiaire à la
date de la promesse, et ce droit est alors un
«droit» aux fins de la définition:
Furfaro-Siconolfi c. M.R.N., [1990] 2 C.F. 3
(1re inst.). Un droit à une pension
alimentaire est un «droit» aux fins de la
définition: R. c. Burgess, [1982] 1 C.F. 849
(1re inst.), voir également Nissim c.
Canada, [1999] 1 C.T.C. 2119 (C.C.I.); et Donald c.
Canada, [1999] 1 C.T.C. 2025 (C.C.I.).
[53]En fait, dans la jurisprudence canadienne en
matière fiscale, qui comporte des douzaines de
décisions où la définition
législative du mot «biens» a
été examinée, il n'a été
statué dans aucune décision que le mot
«biens» comprend un droit qui ne comporte pas ou
n'entraîne pas une demande exclusive légalement
exécutoire. Cela ne prouve pas que l'argument de la
Couronne est erroné, mais à mon avis cela
laisse planer un doute sérieux à ce sujet.
[54]Avant de signer une entente de non-concurrence, M.
Manrell pouvait exploiter une entreprise de fabrication de
moules en plastique faisant concurrence aux trois
sociétés en exploitation qui ont
été vendues à 3154823 Canada Inc. ou
investir des fonds dans pareille entreprise. Toutefois, cela
ne l'autorisait pas pour autant à réclamer quoi
que ce soit à quelqu'un d'autre, et cela ne lui
donnait pas le droit d'empêcher quelqu'un d'autre de se
lancer dans exactement la même entreprise. En signant
l'entente de non-concurrence, M. Manrell est devenu
obligé de s'abstenir d'exercer des activités
qu'il pouvait jusqu'alors exercer. Si ce à quoi il a
renoncé constituait un droit de quelque nature que ce
soit, il s'agissait du droit d'exploiter une entreprise qu'il
partageait avec toute autre personne. Je ne puis rien voir
dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le
revenu qui justifie la conclusion selon laquelle il
s'agissait d'un «droit de quelque nature qu'il
soit», de sorte qu'il s'agit d'un «bien» au
sens de la définition législative.
Remarques générales
a) Sens attribué au mot «biens» en
common law et en droit civil
[55]L'avocat de la Couronne a soutenu que le sens
attribué au mot «biens» dans la Loi de
l'impôt sur le revenu doit respecter les traditions
juridiques de la common law et du droit civil. Je retiens cet
argument. Toutefois, l'avocat de la Couronne n'a pas
mentionné de décisions faisant autorité
qui donnent à entendre qu'il existe une
différence importante entre la common law et le droit
civil pour ce qui est du sens ordinaire attribué au
mot «biens». Mon analyse laisse supposer qu'il
n'existe aucune distinction pertinente aux fins qui nous
occupent.
b) Jurisprudence étrangère
[56]L'avocat de M. Manrell a mentionné des
décisions du Royaume-Uni et de l'Australie dans
lesquelles il a été statué que des
paiements de non-concurrence ne généraient pas
de gains imposables à la suite de la disposition de
biens. Il s'agit des décisions Kirby (Inspector of
Taxes) v. Thorn EMI plc, [1988] 2 All E.R. 947
(C.A.) et Hepples v. Federal Commissioner of
Taxation (1990), 90 A.T.C. 4497 (Fed. Ct) et (1991), 91
A.T.C. 4808 (H.C.). Les faits et les dispositions
législatives sont analogues, semble-t-il, à
ceux qui sont ici en cause.
[57]Je note également que dans l'affaire
Fortino, précitée, on a reporté
le juge de la Cour de l'impôt à des
décisions américaines indiquant qu'aux
États-Unis, les paiements de non-concurrence sont
imposables au titre du revenu. Ces décisions n'ont pas
réussi à convaincre le juge de la Cour de
l'impôt, ou la présente Cour, qu'il faut
interpréter la Loi de l'impôt sur le
revenu de la même façon.
[58]Il est toujours intéressant d'apprendre comment
d'autres pays abordent les problèmes fiscaux qui
peuvent survenir dans un pays. Toutefois, le contexte
législatif est inévitablement quelque peu
différent. Pour ce motif, il est à mon avis
préférable de ne pas accorder trop d'importance
aux décisions étrangères à moins
d'être raisonnablement certain que toutes les
distinctions législatives sont bien comprises. En
l'espèce, les documents cités par l'avocat de
M. Manrell ne nous permettent pas d'être suffisamment
certains que c'est bien le cas. Cela étant, je ne me
suis pas fondé sur les décisions
étrangères.
c) Considérations de principe
[59]Selon la tendance de la jurisprudence canadienne
récente, la législation fiscale devrait
être interprétée conformément
à son objet, compte tenu du fait qu'il est souhaitable
d'assurer l'uniformité et la certitude. On ne saurait
élargir la portée du libellé d'une loi
fiscale afin d'en arriver à ce qui peut sembler
être un résultat raisonnable dans un cas
particulier.
[60]En l'espèce, on pourrait être fortement
tenté de légiférer au lieu
d'interpréter la loi. Sans aucun doute, nombreux
seront ceux qui estimeront non satisfaisant le
résultat de la présente affaire sur le plan de
la politique financière. Je comprends bien qu'il
semble inéquitable que l'actionnaire d'une
société qui s'entend sur un paiement de
non-concurrence dans le contexte d'une vente des actions ne
soit pas assujetti à l'impôt à
l'égard de ce paiement, même si sur le plan
économique, cela représente peut-être la
réalisation d'une partie importante de la valeur
commerciale de l'entreprise exploitée par la
société.
[61]Toutefois, reconnaître une situation non
satisfaisante et y remédier sont deux choses fort
différentes. Les paiements de non-concurrence
devraient peut-être être de quelque façon
assujettis à l'impôt, mais de quelle
façon? L'historique de la présente affaire et
l'affaire Fortino indiquent plusieurs
possibilités théoriques. Je ne doute aucunement
que d'autres théories pourraient être
élaborées.
[62]Selon le principal argument invoqué par la
Couronne devant la Cour de l'impôt, dans l'affaire
Fortino, les paiements de non-concurrence doivent
être inclus dans le revenu du
bénéficiaire. Le juge de la Cour de
l'impôt a rejeté cet argument parce qu'on ne
saurait dire qu'un paiement de non-concurrence émane
d'une source de revenu du bénéficiaire. La Cour
n'a pu constater aucune erreur dans la conclusion que le juge
de la Cour de l'impôt a tirée, à savoir
que les paiements de non-concurrence ne constituent pas un
revenu.
[63]Selon le deuxième argument invoqué par
la Couronne dans l'affaire Fortino, les paiements de
non-concurrence constituent des [traduction] «montants
en immobilisations admissibles» qui sont visés
à l'article 14 [mod. par S.C. 1994, ch. 7, ann. II,
art. 10; ch. 21, art. 8; 1995, ch. 3, art. 5; ch. 21, art. 3]
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si cet
argument avait été retenu, les paiements de
non-concurrence auraient en partie mais non totalement
été inclus dans le revenu du
bénéficiaire (pour la plupart des
années, le taux d'inclusion pour les montants en
immobilisations admissibles est le même que le taux
d'inclusion applicable aux gains en capital; je ne sais pas
si cela aurait été le cas pour les paiements en
cause dans l'affaire Fortino). Cet argument n'a pas
été retenu par la Cour de l'impôt parce
qu'on ne saurait dire que des paiements de non-concurrence
effectués en faveur d'un actionnaire constituent des
montants se rapportant à une entreprise actuellement
exploitée ou autrefois exploitée par le
bénéficiaire du paiement, ce qui constitue une
condition de l'application de l'article 14. La Couronne a
abandonné l'argument fondé sur l'article 14
dans l'appel qu'elle a interjeté devant la
présente Cour.
[64]Le troisième argument invoqué par la
Couronne dans l'affaire Fortino était
fondé sur l'article 42 de la Loi de l'impôt
sur le revenu, qui exige qu'une somme reçue ou
à recevoir en contrepartie de garanties, de promesses
ou d'autres obligations conditionnelles se rapportant
à la disposition d'un bien soit traitée comme
faisant partie du produit de la disposition de ce bien. Cet
argument reprend la position énoncée au
paragraphe 6 du Bulletin d'interprétation
IT-330R. Il n'a pas été retenu par la Cour de
l'impôt parce qu'une promesse de ne pas faire
concurrence n'est pas une obligation conditionnelle. La
Couronne a abandonné l'argument fondé sur
l'article 42 dans l'appel qu'elle a interjeté devant
la présente Cour. Je suppose qu'elle ne se fonde plus
sur le paragraphe 6 du Bulletin
d'interprétation IT-330R (voir le paragraphe 10
des présents motifs).
[65]Selon le quatrième argument invoqué par
la Couronne dans l'affaire Fortino, lequel a
été repris en l'espèce, le paiement
constituait le produit de la disposition d'un [traduction]
«droit de faire concurrence», droit qui, selon la
Couronne, est visé par la définition du mot
«biens» figurant au paragraphe 248(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu. Cet argument ne
pouvait pas être examiné dans l'affaire
Fortino à cause d'une
irrégularité des actes de procédure de
la Couronne qui n'avait pas été corrigée
à temps pour que l'argument puisse être
soulevé sans qu'une injustice soit commise envers le
contribuable.
[66]Selon l'avocat de M. Manrell, la Couronne, en
l'espèce, a initialement proposé quatre motifs
subsidiaires justifiant l'imposition des paiements de
non-concurrence. L'un des motifs se rapportait à
l'argument fondé sur les gains en capital, soit ce sur
quoi porte la présente décision. Le
deuxième motif était que le paiement
constituait un revenu. Le troisième était que
l'article 42 s'appliquait. Le quatrième était
que le paiement constituait le produit de la disposition d'un
bien personnel énuméré (cet argument n'a
pas été invoqué dans l'affaire
Fortino et, dans ce cas-ci, il a été
abandonné avant que la Cour de l'impôt soit
saisie de l'affaire).
[67]L'historique du litige démontre que la solution
possible de la question de l'imposition des paiements de
non-concurrence et des modalités d'imposition y
afférentes s'étend de la pleine imposition au
titre du revenu à l'imposition partielle en tant que
gain en capital et à la non-imposition. Chaque
possibilité théorique pourrait être
défendue pour le motif qu'elle entraîne un
résultat satisfaisant, ou elle pourrait être
contestée pour le motif qu'elle entraîne un
résultat non satisfaisant. Il s'agit d'une question de
politique fiscale qu'il incombe au législateur de
traiter.
Conclusion
[68]Pour ces motifs, je conclus que la Couronne a eu tort
d'assujettir M. Manrell à l'impôt en se fondant
sur le fait que les paiements que celui-ci a reçus en
vertu des ententes de non-concurrence représentaient
le produit de la disposition d'un bien. Il s'ensuit que le
juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en
rejetant l'appel de M. Manrell.
[69]L'appel devrait être accueilli avec
dépens, le jugement de la Cour de l'impôt
devrait être infirmé et les nouvelles
cotisations pour les années 1996 et 1997 devraient
être renvoyées au ministre pour nouvelle
cotisation compte tenu du fait que les paiements de
non-concurrence sont des rentrées de capital non
imposables.
Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à cet
avis.
Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à cet avis.