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13h00 HNE, 12 mars 2009


 
 

SIMON BRAULT , O.C.

Récipiendaire du Prix Keith Kelly pour le leadership culturel 2008

ALLOCUTION

Sénateur Tommy Banks,

Chers collègues,

Mesdames et messieurs, bonsoir.

En premier lieu, je tiens à remercier la Conférence canadienne des arts et son comité des prix pour cet honneur. Je l’accepte comme un encouragement à poursuivre non pas une carrière, aussi intéressante et stimulante soit-elle, mais surtout la défense passionnée et inlassable d’une cause qui façonne ma vie privée et publique depuis bien longtemps.

 

Je suis ému de recevoir ce Prix en présence de deux femmes qui ont joué, et jouent toujours, un rôle déterminant dans mes choix et dans la gestion quotidienne de leurs conséquences : Hugo, ma mère, qui m’a appris très jeune que l’art est le fondement de l’expression et de l’émancipation véritable des individus et des collectivités; et bien sûr, Louise Sicuro, la pasionaria humaniste, chaleureuse et lumineuse de la démocratisation culturelle que j’ai rencontrée il y a 13 ans pendant l’intense période d’incubation et de déploiement des Journées de la Culture au Québec et qui est devenue ma femme et une complice de tous les instants.

 

Je veux aussi saluer les membres des trois équipes formidables avec lesquelles j’ai le bonheur et le privilège de travailler pour faire en sorte que les arts et la culture soient au coeur de notre vie civique : l’équipe de Culture Montréal, représentée ce soir par sa directrice générale, Anne-Marie Jean; l’équipe de l’École nationale du Canada et l’équipe du Conseil des Arts du Canada. Mes fonctions me donnent la chance d’avoir un accès direct, constant et quasi instantané à des femmes et à des hommes dont l’expertise, les connaissances et les capacités stratégiques sont étendues et extrêmement précieuses pour la réflexion et dans l’action. Objectivement, ce prix rend donc hommage à leurs contributions et à leur engagement.

 

Ma citation préférée à propos du leadership est celle de mon collègue britannique Charles Landry : « Le leader raconte une histoire extraordinaire et son talent est de persuader chaque personne qu’elle a un rôle à jouer dans cette histoire ». En constatant, aujourd’hui, les ravages pernicieux et douloureux d’une crise mondiale qui n’est pas seulement économique ou financière, mais qui se révèle de plus en plus être une profonde crise des valeurs, voire même une crise de civilisation, force est de nous demander quelle est l’histoire qu’il nous faut raconter pour faire avancer les choses, pour ré-enchanter notre monde?

En effet, la crise atypique qui sévit et qui nous aspire dans un tourbillon d’inquiétude et de spéculations négatives et déprimantes, nous oblige à remettre en question le rôle et la position morale, politique, sociale et économique, en un mot : la posture, des artistes et de leur entourage plus ou moins immédiat auquel appartiennent plusieurs d’entre nous en tant que pédagogues, communicateurs, experts, gestionnaires, et dirigeants d’associations professionnelles et d’organismes artistiques et culturels.

 

Alors que les médias égrènent, chaque jour depuis des mois et avec force détails, le cortège accablant des pertes d’emploi, des épargnes envolées en fumée, des rêves abandonnés, des gestes parfois irréparables provoqués par le désespoir, et des discours creux qui ne consolent ni ne mobilisent, il devient de plus en plus ardu mais urgent de faire entendre la voix de celles et ceux qui continuent de chercher l’or au coeur de la condition humaine, qui continuent de proclamer que les forces irrationnelles et inconséquentes du marché — et de la consommation boulimique sensée le soutenir — ne suffisent pas et ne suffiront jamais à donner un sens à notre vie en société et encore moins à nos trajectoires individuelles.

 

Comme plusieurs des étudiants que je côtoie à l’École nationale de théâtre, comme plusieurs des artistes et des collègues de toutes disciplines que je croise à Montréal et ailleurs au pays, je suis convaincu qu’il ne faut pas courber l’échine, qu’il ne faut pas nous enfermer dans nos studios et nos salles de répétition sous prétexte qu’ils nous éloignent de la turbulence, et qu’il ne faut surtout pas nous taire poliment et commodément en attendant que passe la crise et que reviennent les jours meilleurs.

 

L’idée que notre seule stratégie serait de « sauver les meubles » est non seulement trompeuse, mais dommageable, car elle conduit directement à nous isoler et à confirmer les pires préjugés et accusations d’élitisme et d’égoïsme que l’on profère parfois pour minimiser notre contribution réelle à la société.

 

Nous, qui clamons volontiers, quand tout va plutôt bien, que les arts et la culture ne sont pas un luxe ou une frivolité, serions vraiment inconséquents si nous nous défilions et nous occupions de nos petites affaires, alors que des pans entiers de l’économie tombent avec fracas et que le tissu social se déchire. Le repli défensif, le « wait and see », est peut-être une bonne stratégie pour les gestionnaires de portefeuille, mais pas pour le secteur culturel.

 

Il me semble que nous devons plus que jamais être dans l’arène publique. Récemment, j’entendais résonner ces vers de l’immense poète qu’était Gaston Miron :

 

« Je suis sur la place publique avec les miens

la poésie n'a pas à rougir de moi

j'ai su qu'une espérance soulevait ce monde jusqu'ici. »

 

Je me suis dit alors que c’était là un véritable programme pour nous tous : nous devons être aux côtés de nos concitoyens, soudés dans un même effort pour contrer le malheur, retisser des liens de confiance et redonner un sens à nos institutions, à nos villes et à nos communautés.

 

Nous devons donner accès à l’émotion, au ravissement, à la beauté, à la quintessence de l’humanité dans ses sombres replis comme dans ses zones de lumière aveuglante. Nous devons continuer de chercher, de créer, de produire, de diffuser, mais nous devons aussi réinventer la participation démocratique en insistant sur le rôle des arts et de la culture.

 

Cet or que nous prospectons dans la condition humaine, il est temps de le présenter au grand jour comme la valeur refuge dont nous avons besoin alors que la crise gangrène jusqu’à la dignité de nos semblables. Bien sûr, nous avons chacun nos propres tracas et défis, nos propres revendications et négociations en cours. Bien sûr, nous éprouvons de la frustration parce que nos gouvernants ne nous entendent pas toujours. Bien sûr, nous devons argumenter que la relance de l’économie doit prendre en compte les arts et la culture; le contraire serait une erreur terrible parce qu’ils font objectivement partie de l’avenir. Bien sûr, nous avons l’obligation morale et politique de rappeler à tous l’importance essentielle du financement public et du rôle de l’État dans la défense des droits culturels.

 

Et cela, pour que ne vacille pas dangereusement la flamme des arts dans ce pays, et pour que nous puissions la transporter hors de nos frontières. Aussi, plus que jamais, l’heure est à l’unité, à la solidarité et à la recherche du bien commun. Nous n’avons plus le choix : nous devons être généreux et courageux.

 

Encore une fois merci pour ce prix. J’accroche de suite cette médaille en bronze au bouclier dont j’ai besoin pour continuer de batailler ferme, aux côtés de tant d’autres, pour que l’art et la culture nous aident à réinventer un monde meilleur, Ô combien meilleur.

 

Merci.

Le 12 mars 2009

La cérémonie des Prix de la CCA

Ottawa (Ontario)