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Pourquoi les noms d’oiseaux
changent-ils parfois?
Ceci est une version remaniée et mise à jour d’un article paru dans QuébecOiseaux, vol. 4 no 4 (juin,
juillet, août 1993) et dans l’Ornitaouais.
En consultant certains vieux guides des oiseaux d’Amérique du Nord, l’ornithologue débutant est
souvent surpris de ne pas y retrouver les fuligules qui, il y a quelques années, étaient encore nommés morillons. Dans les conversations, les amateurs expérimentés eux-mêmes emploient souvent une
terminologie disparate, se servant tour à tour des mots urubu et vautour pour désigner le même
oiseau, ce qui contribue à désorienter encore plus nos pauvres débutants.
La principale raison de tout cela, c’est que les noms des espèces changent au cours du temps, et
c’est également le cas dans les autres langues (demandez donc à nos voisins anglophones!) Même la
nomenclature scientifique (latine), qui est rigoureuse et universelle, n’est pas figée; lorsque la place
d’une espèce dans la classification est remaniée, il arrive que son nom latin change aussi.
Aurons-nous un jour une nomenclature française internationale et immuable? En attendant, on peut
s’intéresser à l’évolution des noms d’oiseaux dans le passé et se demander comment la nomenclature
actuelle sera appelée à évoluer à son tour.
Rétrospective
Jusqu’au XIXe siècle, la plupart des noms d’oiseaux en usage en Amérique du Nord étaient familiers
et folkloriques, sans aucune prétention d’exactitude scientifique (chèvre volante pour la Bécassine
des marais); quelques-uns étaient des noms d’oiseaux européens appliqués à tort à des espèces d’ici
(outarde, rouge-gorge). Les premiers auteurs scientifiques ont donc puisé en partie dans ce
répertoire populaire et ont aussi transposé en français des noms anglais ou latins (Aythie de la
valisnérie pour le Fuligule à dos blanc, Aythya valisineria).
On constate qu’à cette époque le nom d’une espèce tendait à refléter son aspect général plutôt que
sa place dans la classification. Par exemple, en plus des « vraies » grives, les auteurs du début du
XIXe siècle nommaient aussi grives nos moqueurs ainsi que les trois parulines du genre Seiurus (Paruline couronnée, Paruline des ruisseaux et Paruline hochequeue) bien que leur classification
scientifique ait été la même qu’aujourd’hui. De même, certains troglodytes étaient appelés roitelets.
Au XXe siècle, la nomenclature française n’a cessé d’évoluer. On remarque aujourd’hui le recours
presque généralisé à des noms génériques (héron, bruant) pour désigner un ensemble d’espèces
apparentées. Le nom complet de chaque espèce comprend habituellement un nom générique
accompagné d’un adjectif ou d’une expression qui le qualifie (Héron vert, Grand Héron, Bruant
des neiges). On remarque aussi l’abandon de certains noms rébarbatifs (plectrophane) ou
inadéquats (Hirondelle pourprée pour l’Hirondelle noire qui, de toute évidence, n’a pas la même
couleur que le Roselin pourpré!) On a aussi renoncé aux adjectifs comme commun, vulgaire et
ordinaire.
Raisons des changements de nomenclature
Recherche d’une plus grande cohérence
Dans le passé, de nombreuses modifications ont été motivées par un souci de cohérence. On
cherchait à refléter dans une certaine mesure la classification systématique établie par les
scientifiques : aujourd’hui, par exemple, chaque nom générique est limité à un groupe d’espèces
formant un ensemble naturel, souvent une famille (on ne trouve des pinsons que dans la famille des
Fringillidés, en plus des roselins et des chardonnerets).
Modification du statut d’une espèce ou d’un groupe
La systématique est la branche de la biologie qui traite des relations de parenté existant entre les
populations ou groupes d’êtres vivants (ancêtres communs, hybridation, etc.). Suivant le résultat des
recherches qui sont effectuées dans ce domaine, les spécialistes peuvent décider, par exemple, de
regrouper deux espèces en une seule ou de scinder une espèce en deux.
Actuellement, on considère que l’Oriole de Baltimore (Icterus galbula) et l’Oriole de Bullock
(Icterus bullocki) sont des espèces distinctes. Au cours des années 1980, ces deux entités étaient
regroupées en une seule et même espèce (Icterus galbula) qui portait alors le nom français d’Oriole
du Nord. La nomenclature française doit donc refléter cette évolution de la classification scientifique
pour rester cohérente.
Les remaniements de la nomenclature scientifique peuvent également toucher des groupes d’espèces.
Au début du XXe siècle, on attribuait indistinctement le nom générique de moucherolle à tous les
membres de la famille des Tyrannidae. On trouve donc dans les vieux ouvrages le Moucherolle à huppe et le Moucherolle de la Caroline. Aujourd’hui ces deux espèces sont classées dans la
sous-famille des tyrans, distincte de celle des moucherolles proprement dits, et on les nomme
respectivement Tyran huppé et Tyran tritri.
L’uniformisation internationale
Jusqu’au début des années 1990, la nomenclature francophone canadienne entrait parfois en conflit
avec celle en usage ailleurs dans le monde, notamment en Europe. Par exemple, l’oiseau qu’on
appelait ici Bihoreau à couronne noire devenait, chez les auteurs européens, Bihoreau gris ou
Héron bihoreau. Les contradictions les plus frappantes touchaient les génériques. Les noms huart,
bec-scie et morillon, employés au Canada, devenaient respectivement plongeon, harle et fuligule chez les francophones européens. Une uniformisation internationale s’imposait donc.
En 1993, la Commission internationale des noms français des oiseaux (CINFO) publiait sa Liste des
noms français des oiseaux du monde*, où elle proposait une nomenclature unique pour l’ensemble
de la francophonie. Une telle commission n’a absolument pas le pouvoir d’imposer une liste de noms
« officiels », et celle-ci ne devient la « norme » que si elle est adoptée par l’ensemble des auteurs; or
c’est actuellement la nomenclature de la CINFO qui est en usage chez les auteurs canadiens et en
partie chez les auteurs européens.
Les modifications prévisibles
Même si la Liste des noms français des oiseaux du monde est un jour intégralement adoptée par
l’ensemble des ornithologues francophones, elle sera appelée à changer. Voyons quels facteurs
pourront déterminer son évolution.
Remaniement de certains groupes ou espèces
À l’heure actuelle, la science de la systématique (classification des êtres vivants en espèces, familles,
etc.) est certes plus avancée qu’autrefois, mais il reste que certains groupes n’ont pas encore été
étudiés de façon assez détaillée pour permettre une classification définitive. Par exemple, les experts ne
s’entendent pas sur le nombre d’espèces ou de sous-espèces présentes dans le complexe des goélands
(argenté, arctique, de Thayer).
Il est donc probable que des remaniements surviendront dans la classification systématique : certaines
espèces seront certainement scindées, d’autres regroupées, d’autres placées dans une nouvelle famille.
Bien entendu, les noms français subiront le contre-coup de ces modifications.
Conclusion
Comme on l’a vu, les changements qui se sont produits dans le passé s’expliquent en grande partie par
la recherche d’une plus grande cohérence et d’une certaine uniformisation entre les auteurs de différents
pays. Mais nous devons nous attendre à voir cette évolution se poursuivre sous l’effet des
remaniements d’ordre scientifique (classification systématique en espèces, familles, etc.)
Aurons-nous un jour une nomenclature française cohérente, uniformisée et définitive? Probablement
pas de si tôt. La plupart des changements de noms dont nous serons les témoins seront le reflet des
progrès accomplis dans la connaissance du monde vivant. N’y a-t-il pas là de quoi se réjouir?
Jean-Pierre Artigau
Remerciements à Michel Gosselin et à Daniel Toussaint qui ont accepté de relire le brouillon de cet
article.
* Noms français des oiseaux du Monde, Commission internationale des noms français des oiseaux
(CINFO), composée de Pierre DEVILLERS, Henri OUELLET, Édouard BENITO-ESPINAL,
Roseline BEUDELS, Roger CRUON, Normand DAVID, Christian ÉRARD, Michel GOSSELIN,
Gilles SEUTIN. Éditions MultiMondes Inc., Sainte-Foy, Québec & Éd. Chabaud, Bayonne, France,
1993, 1re éd., ISBN 2-87749035-1.
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