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Par Daniel Toussaint
Note : l'article suivant est une adaptation libre de l'article Bird-watching Myths, écrit par Eirik
A.T. Blom. Je me suis permis d'ajouter un mythe fort répandu au Québec à propos des mangeoires. Merci à Marc Tellier pour la recherche sur la Toile.
Les sociologues appellent "légendes urbaines" ces "histoires de nos grand-mères" qui existent depuis les temps les plus reculés et comblent un certain besoin culturel. Avec l'arrivée d'Internet, l'information fait le tour de la terre à la vitesse de l'éclair, et ainsi font les mythes. De nouveaux apparaissent chaque jour et se propagent si rapidement qu'il est illusoire d'espérer les faire tomber. Parmi les plus populaires, citons celui des bébés et des animaux domestiques cuits dans les fours micro-ondes et des alligators qui vivent dans les égouts de New York. Même s'il n'existe aucune preuve qu'aucun d'entre eux ait pu se matérialiser, ces mythes demeurent vivants, rabâchés des milliers de fois par jour quelque part sur la planète.
L'ornithologie a son propre cortège de mythes. Quiconque suit un groupe de discussions sur les oiseaux dans Internet est à même de l'observer. Qu'importe qu'une ribambelle d'internautes bien intentionnés s'évertuent à les démystifier, toutes ces croyances erronées persistent, et il se trouvera toujours quelqu'un, quelque part, pour les croire et les répandre. Les mythes suivants sont parmi les plus tenaces et indécrottables.
Ils ont tous une chose en commun : il sont erronés. Amusants, certes, mais non fondés. Si vous frayez avec des ornithologues, vous devriez en entendre circuler quelques-uns. Si par malheur cette calamité vous afflige, restez calme et détendu et empressez-vous de démolir le mythe. Plein de gens bien intentionnés connaissent quelqu'un qui connaît une personne qui a entendu quelque chose d'un neveu de la fesse gauche par alliance et qui prouve la véracité du mythe. Si vous persistez à croire vos informateurs, vérifiez les faits. Je vous parie que cela relèvera encore de la fumisterie, mais je ne suis pas infaillible…
1. Il ne faut pas lancer des grains de riz aux mariés durant une noce parce que les oiseaux
ingurgiteront les grains qui gonfleront dans leur estomac, ce qui fera exploser les infortunés
volatiles.
Absolument faux! Si c'était le cas, les quotidiens du pays entier regorgeraient d'histoires d'explosions d'oiseaux quand arriverait le mois de juin. Des armées d'oiseaux festoient dans les champs de riz chaque année, au grand dam des cultivateurs. Si le fait d'ingurgiter du riz faisait exploser les oiseaux, la plupart des champs de riz auraient l'allure d'une machine à éclater le maïs durant la saison des moissons, avec des explosions de plumes et d'os dignes des meilleurs films d'action. Une vision d'enfer, que la presse internationale ne manquerait assurément pas de souligner.
Et rassurez-vous : il n'y a aucune différence entre le riz qui pousse dans les champs et celui qu'on trouve à l'épicerie. Les oiseaux n'ont aucune difficulté à digérer le riz, ou tout autre aliment qui gonfle. Je suis tout à fait en faveur qu'on lance des graines de tournesol durant les noces, ce que les tenants de ce mythe nous exhortent à faire. J'aime le symbolisme de lancer des graines pour oiseaux. Mais le riz fait tout aussi bien l'affaire.
2. On doit serrer les mangeoires à l'automne parce qu'elles empêcheront les oiseaux de migrer
et qu'ils seront condamnés à mourir gelés.
Ce mythe, comme une tache indélébile, n'est pas près de disparaître. Dès l'automne venu, il alimente la polémique au sein des groupes de discussion. Il peut paraître plus plausible que les autres mythes car la plupart des ornithologues qui ont eu l'occasion de nourrir les oiseaux ont déjà vu un individu s'attarder aux mangeoires à un moment ou un autre. De là, il est facile de sauter à la conclusion : n'eût été des mangeoires, l'oiseau n'aurait pas survécu.
Le problème, c'est qu'on escamote trop facilement les faits concernant la migration des oiseaux. La vaste majorité des grands migrateurs, du moins tous ceux qui ne peuvent survivre à notre dur hiver, migrent en réponse à des facteurs génétiques et environnementaux. Parulines, viréos et moucherolles font leurs bagages pour les tropiques chaque année, non pas parce que la nourriture se fait rare, mais parce que l'hiver s'en vient. Leur migration survient à un moment où la nature leur fournit de la nourriture en abondance, ce qui les aide à accumuler les réserves nécessaires à leur long et périlleux voyage vers le Sud.
Les individus qui restent ici ne le font pas parce qu'ils peuvent trouver de la nourriture; ils demeurent parce qu'ils sont trop faibles pour migrer ou parce qu'ils ont un défaut dans leur bagage génétique. S'ils restent ici au lieu de suivre leurs semblables, il y a fort à parier qu'ils aboutiront à une mangeoire parce que leur source habituelle de nourriture s'est tarie. La triste réalité, c'est que la vaste majorité des oiseaux qui n'ont pu entreprendre la migration sont condamnés à mourir. Mais ce n'est pas à cause des mangeoires. Les mangeoires prolongent probablement, brièvement, la vie de quelques-uns d'entre eux.
Cela est également vrai des colibris, un groupe d'oiseaux fort populaire auprès des tenants de la philosophie du retrait des mangeoires. Songez-y deux secondes : si les abreuvoirs à colibris constituaient un aimant si puissant qu'ils pussent contrecarrer des millénaires d'évolution, on verrait des dizaines de milliers de colibris à gorge rubis tenter d'hiverner dans l'est du continent parce qu'on trouve une profusion d'abreuvoirs.
Continuez donc à remplir vos abreuvoirs à colibris jusqu'à tard l'automne si vous aimez observer ces gracieux becs fins. Vous n'inciterez aucun oiseau à s'attarder au-delà de sa date normale de départ.
3. Il est nécessaire de nourrir les oiseaux en hiver.
Avec l'engouement de plus en plus répandu du public pour les oiseaux, on a vu une augmentation spectaculaire du nombre de personnes installant des mangeoires dans leur cour afin d'attirer les oiseaux durant l'hiver. Et qui croient que cela est nécessaire.
Les clubs d'ornithologie contribuent eux-mêmes à propager ce mythe puisqu'ils encouragent leurs membres à nourrir les oiseaux l'hiver et entretiennent des postes d'alimentation. Plusieurs ornithologues, même expérimentés, croient qu'un grand nombre d'oiseaux mourront s'ils n'offrent pas de graines aux oiseaux l'hiver ou, pire, s'ils retirent leurs mangeoires en plein milieu de l'hiver.
C'est oublier des milliers d'années d'évolution, au cours desquelles les espèces qui restent avec nous l'hiver, comme les mésanges, sittelles, pics et geais, ont su s'adapter à leur environnement et tirer parti des ressources, même limitées, que leur offre la nature durant la saison froide.
Les recherches montrent sans l'ombre d'un doute que les oiseaux n'ont pas besoin de nos mangeoires pour survivre, comme les enfants n'ont pas besoin de McDonald's. Mais si on leur offre sur un plat d'argent, comment pourraient-ils refuser?
4. Il est bon/mauvais d'ajouter un colorant rouge au nectar offert dans les abreuvoirs à
colibris.
Peu de débats génèrent autant de passion que celui-ci, et si vous avez été témoin d'une discussion à ce sujet, vous savez très bien de quoi je parle. Le problème est simple : il n'existe aucune évidence d'un côté comme de l'autre.
Considérons d'abord le mythe selon lequel le colorant rouge est bon parce qu'il rend l'abreuvoir plus attirant pour les colibris. Ça peut paraître vrai; les colibris sont toutefois attirés par la couleur du support de plastique qui imite la forme d'une fleur, pas par celle du nectar qu'il contient. On a bien fait quelques études sur les préférences alimentaires et de couleurs des colibris, mais on n'a trouvé aucune preuve que la couleur du nectar importe.
Considérons maintenant le mythe contraire, selon lequel le colorant rouge est mauvais. L'argument invoqué, toujours très populaire, est à l'effet que le colorant cause toute une variété de maladies. On invoque souvent des dommages potentiels au foie. Les tenants de cette thèse donnent pour preuve une étude qui aurait été menée il y a quelques années au zoo de San Diego. Or, il n'y a jamais eu la moindre étude. C'est un mythe. Il n'existe pas la moindre preuve que le colorant pose problème.
Chaque clan a ses défenseurs passionnés. Mais tant que personne n'apportera de réelle évidence d'un côté ou de l'autre, demeurons sceptiques devant les "études" et autres preuves présentées comme des dogmes. Nous risquons moins d'en rougir!
5. Les colibris migrent sur le dos des bernaches.
Celui-là reste un de mes favoris, et je ne cesse de m'étonner, malgré ce que commande le gros bon sens, de sa durabilité. Il est à la mythologie ce que Jean Chrétien est à la politique. Les preuves en sa faveur sont toutes anecdotiques et il est impossible d'en trouver la moindre qui offre une évidence solide. Oublions pour un instant le caractère hautement improbable d'une telle association. Étudions la migration des colibris et des bernaches. À l'exception de quelques oiseaux dans des portions restreintes du pays, il n'existe pratiquement aucun chevauchement dans le patron et la période migratoire des bernaches et des colibris. La plupart des colibris nous ont quitté depuis longtemps lorsque arrivent de l'Arctique les première volées de bernaches. Tout colibri qui attendrait le passage d'un vol de bernaches pour le mener en Amérique centrale ou en Amérique du Sud serait timbré... en tabernache!
6. Les hirondelles noires peuvent consommer 2000 maringouins par jour.
Par pitié, ne m'envoyez pas de lettres à ce sujet! Si, à l'instar d'un conseiller municipal d'Aylmer, vous hébergez des hirondelles noires et croyez qu'elles ont réduit de façon marquée la quantité de moustiques sur votre propriété, grand bien vous fasse. Jouissez-en au max! J'adore les hirondelles noires et je vous encourage, comme je l'ai toujours fait, à installer des cabanes à logis multiples à leur intention.
Hélas… le fameux "2000 maringouins par jour", même s'il reste l'un des chiffres les plus fréquemment cités dans le monde de l'ornithologie, n'est pas appuyé par une preuve solide. Il est basé sur un seul oiseau, capturé tôt le matin près d'un marais salant, dont l'estomac contenait 300 moustiques. On a assumé qu'il en aurait consommé au moins 2000 s'il avait maintenu le même rythme toute la journée. Cette étude est fréquemment citée par les défenseurs de la thèse des hirondelles comme agents de contrôle des maringouins. C'est la seule preuve dont ils disposent.
En revanche, nombre d'études ont montré que les moustiques constituent une infime partie de la diète des hirondelles noires. Ces recherches indiquent plutôt que les hirondelles capturent une grande variété d'insectes en vol, la plupart beaucoup plus gros qu'un maringouin : mouches, guêpes, libellules, etc.
Il existe certaines raisons pour que les moustiques constituent habituellement une si faible portion du régime alimentaire des hirondelles. D'abord, les moustiques sont surtout nocturnes, tandis que les hirondelles sont principalement diurnes. Les deux sont actifs à l'aube et au crépuscule, et sans doute les hirondelles capturent-elles quelques insectes piqueurs, comme elles peuvent capturer à peu près n'importe quel insecte au vol. Mais si vous habitez à proximité d'un marais, vous savez que le véritable calvaire débute au coucher du soleil.
Ensuite, les maringouins ne volent pas au grand jour et attendent, tapis dans la végétation, le passage de leurs victimes. Hirondelles et maringouins n'ont donc pas la même niche écologique.
Enfin, en raison de leur petite taille, les maringouins n'offrent pas un grand intérêt énergétique et nutritionnel pour les hirondelles, pas assez en tous cas pour que ces dernières les recherchent activement comme principal élément de leur régime alimentaire. Nul doute qu'elles vont gober un moustique qui s'adonne à passer dans leur mire, mais imaginez l'énergie qu'elles gaspilleraient pour en capturer assez pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur progéniture. Biologiquement, cela n'a aucun sens. Comme tout bon mythe!
7. Les oiseaux de petite taille peuvent être déplacés sur de longues distances
par une forte tempête.
Un oiseau de l'Ouest canadien, égaré, se retrouve au Québec ou dans les Maritimes. Immédiatement, on commence à spéculer. Comment est-il arrivé jusqu'ici? Il ne peut l'avoir fait de son propre chef... Puis quelqu'un s'aperçoit qu'une puissante tempête avec rafales à 60 km/h a balayé les Prairies quelques jours plus tôt. Ah! Ah! L'oiseau a été "soufflé" ici!
Ce n'est pas exactement ce qui se passe d'habitude. Si vous avez eu le malheur de participer à un recensement de mi-automne ou de Noël où soufflait un vent à écorner les bœufs, vous savez très bien que les vents forts ne charrient pas les petits oiseaux, mais qu'ils les clouent au sol. Un oiseau pesant à peine quelques grammes ne peut défier le maître Éole. Si par malheur il est entraîné par le vent, il plongera à la première occasion.
Les grandes volées, tels les oiseaux marins, les goélands et les sternes, sont bien adaptés aux forts vents. Mais pas les petits passereaux, qui doivent immédiatement s'abriter, de préférence près du sol, pour éviter les bourrasques.
On se perd en conjectures sur la question de savoir pourquoi certains oiseaux s'égarent parfois très loin de leur aire normale. Toutefois, à défaut de preuve concluante, l'explication voulant qu'un oiseau puisse être transporté d'un océan à l'autre par une tempête reste un mythe. Autant en emporte le vent!
8. Si on touche un oisillon au nid, les parents l'abandonneront.
Ce mythe jouit d'une étonnante popularité malgré la preuve accablante qui pèse contre lui. Pensons aux milliers d'études où on doit manipuler les nids, peser et mesurer des oisillons. La plupart de ces nichées connaissent malgré tout un succès et les parents retournent au nid dès que les intrus s'éloignent. Des millions d'oisillons sont bagués chaque année et les couvées sont quand même menées à terme. Les visites aux nichoirs à merlebleu en sont la meilleure preuve.
Si les oiseaux étaient repoussés par l'odeur humaine et abandonnaient leur nid lorsqu'ils la détecteraient, on ne compterait plus le nombre de nichées ratées. Il semble que ce mythe soit un genre de vérité, de dogme qui se transmet de génération en génération. Il origine peut-être du fait que l'odeur humaine peut attirer les prédateurs. Si vous approchez trop près ou trop souvent du nid, un prédateur avisé risque fort de le trouver. À votre prochaine visite, le nid vous paraîtra abandonné. Voilà, direz-vous! Les oiseaux vous ont senti et ont pris la poudre d'escampette!
Il y a de bonnes raisons de ne pas s'approcher trop des nids. Les oiseaux peuvent avoir plusieurs motifs de considérer toute intrusion comme une menace, mais votre odeur n'y est pour rien. Vous pouvez continuer à manger de l'ail!
9. Certains oiseaux sont unis pour la vie.
Cela semble si romantique! Ça rejoint notre sensibilité et nos valeurs morales… humaines!
L'union pour la vie est une simplification ornithologique. En fait, plusieurs oiseaux changent de partenaire chaque année ou même plusieurs fois par année. Même ceux qui "s'accouplent pour la vie", comme les bernaches et les oies, n'ont pas un régime matrimonial qui correspond à ce qu'on entend habituellement par là. En effet, cela veut seulement dire qu'ils demeureront avec leur partenaire durant une certaine période. Cela n'empêche pas qu'interviennent d'autres stratégies reproductives, telle la "fertilisation extra-conjugale", un bien grand terme pour dire qu'un des deux partenaires se retrouvera cocu! Les plus récentes recherches à partir de tests génétiques (ADN) ont montré que presque partout, les liens de couple sont plus complexes et moins stables qu'on l'avait d'abord cru.
Certains oiseaux demeurent effectivement unis durant de longues périodes, peut-être jusqu'à ce qu'un des deux partenaires meure. Mais la reproduction chez les oiseaux est aussi variable et tordue qu'elle ne l'est chez les humains!
Pour plus d'informations: info@coo.qc.ca
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