L'Architecture des maisons de Joliette
à la fin du dix-neuvième siècle
Le Joliette de 1864, i.e., de la ville toute neuve, ne tarda pas à se donner, autour de son marché, tout neuf lui aussi (1865), un décor architectural digne de ses espoirs de devenir centre économique de la région.
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La jeunesse du diocèse au centre-ville |
L'influence du P. Joseph Michaud, c.s.v. (professeur au Collège et architecte reconnu dans tout le Dominion du Canada), a peut-être, sinon sûrement, été à l'origine de ces belles constructions qui ont surgi ici et là, dans la paroisse de Saint-Charles-Borromée de Joliette, i.e. le centre-ville.
Après le Palais de Justice (1862), de style géorgien, on voit apparaître beaucoup de maisons ou édifices à trois étages, où la brique joue harmonieusement avec la pierre de taille grège. Au centre de la Place du marché L'Édifice du Marché (1874) d'abord, et tout autour, du côté nord-ouest: le Magasin Anthime Laporte avec sa mystérieuse porte cochère (incendié en 1971), voisin de l'élégante Banque d'Hochelaga sur l'emplacement de la Banque nationale actuelle (1981) (37, Place Bourget Sud); les magasins Guilbeault et Gravel, Champoux et Ducondu; du côté nord-est: la Maison Gervais, le magasin Larochelle, l'ancien édifice de L'Action populaire, et, plus bas, le magasin Trudeau et Rivard.
Sur la rue Notre-Dame, vers l'est: le magasin Aimé Riopel, celui de M. Labrecque (non loin du Bureau de poste (1888) l'atelier du tailleur Charland et la pharmacie Robitaille à 1'angle Notre-Dame et Saint-Paul; plus au sud, coin Saint-Paul et De Lanaudière, l'Hôtel Royal, devenu le Château Windsor (incendié en 1972).
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Hôtel de ville |
En 1888, se sont élevés au milieu de ces édifices déjà remarquables: au centre de la place du Marché, l'Hôtel de ville (dans un jeu de briques et de pierre de taille) à l'est, rue Saint-Charles-Borromée presque en face de la rue Manseau, la Cathédrale (à partir de 1904) en pierre de taille également ; vers l'ouest, rue Notre-Dame, la Chapelle Bonsecours.
Nous avons là une idée de l'ensemble architectural bien équilibré de la Place du marché qui, si longtemps, a constitué le principal souvenir que les visiteurs et les anciens de Joliette emportaient avec eux de Joliette.
Tous ces établissements s'inspiraient du style victorien, i.e. de cet esprit qui tendait à vulgariser les éléments architecturaux autrefois réservés aux demeures des nobles riches. C'est ainsi que la plupart d'entre eux présentaient des dentelles de bois "au petit point", des regardoirs (bow window : prononcé bay window), des dômes au centre du toit ou plus souvent, dans la partie supérieure du centre de leur façade; des balustrades bordant le toit en façade, des consoles (des "S") à la jonction de la façade et du toit, ou à celle des poteaux de la galerie et de sa couverture. Notons aussi que ces galeries couraient sur la façade et dans les côtés de la maison.
La maison Boulet
De tous ces édifices, la résidence du Dr Séraphin Boulet, semble la plus victorienne qui soit. Elle était située à l'endroit précis où depuis 1974, se prolonge la rue Saint-Charles-Borromée, à l'ouest de la maison de la Congrégation de Notre-Dame, laquelle en était devenue la propriétaire en 1928. Le Dr Boulet avait acheté le lot occupé précédemment par le Manoir Loëdel (en tout semblable au Manoir Joliette) et devenu vacant depuis 1883.
Avec la résidence voisine de Edward Fisk, datant de 1892, (incendiée en 1973 ou 74), et le Château Windsor (incendiée en 1972) et la maison Marion (1974), on peut facilement imaginer l'aspect princier que les trois présentaient vers 1900, avec leurs tours, leurs parterres, leurs arbres, leurs fleurs et la fontaine de la maison Fisk et la clôture somptueuse.
Le Dr Boulet se fait donc construire une maison qu'on devait qualifier de huppée en 1886. Elle est de pierre taillée, provenant non pas de la carrière de Edouard Lauzon, près des Dalles, je crois, comme celle des manoirs Joliette et Losdel (ou encore la Maison Lacombe (1849), mais probablement de Deschambault, comme celle de la Cathédrale, de la Chapelle Bonsecours, de l'Ecole industrielle (Jardin de l'Enfance, attenant à la Providence Saint-Joseph), etc.
Plus élevée que la moyenne habituelle des demeures, elle a cave et grenier à hauteur d'homme. Un large escalier conduit à la galerie qui court sur la façade à l'est, entre deux regardoirs aux deux étages, l'un regardant vers le couvent de la Congrégation de Notre-Dame ; il est surmonté d'une tourelle octogonale coiffée d'un mât et entouré de surcroît d'une clôture toute grêle comme cette dentelle de l'époque, nommée frivolité depuis 1845. L'autre regardoir donnait vue sur la rue Saint-Paul légèrement à gauche. La fenêtre centrale du comble revêtu d'ardoise aux couleurs et aux motifs décoratifs, est coiffée d'une espèce de casoar, i.e. un plumet qui ornait le shako des officiers de Saint-Cyr; avec l'oeil-de-boeuf oblong (ou ovale) du coté opposé à la tourelle, voilà ce qu'il y a de plus victorien, encadrés qu'ils sont de moulures très élaborées.
Une clôture de bois, toute victorienne elle aussi par ses motifs découpés, entoure la propriété que de jeunes arbres ombragent.
Peut-on dire que cette demeure cossue était belle? Je ne le crois pas: elle en impose mais son regardoir et sa tourelle lui font perdre l'équilibre. Cela explique, je crois, les importantes modifications qu'elle a subies dans les années 1917-18: le fils Boulet, Swibert, la ceinturera d'une galerie courant sur la façade et du côté ouest; il en abaissera le toit, fera disparaître les inutiles motifs décoratifs des combles, la prétentieuse tourelle; il lui donnera un aspect plus simple et partant plus beau, celui que nous avons tous connu.
Est-il nécessaire de rappeler que j'ai habité cette maison, i.e. sa cuisine, de 1960 à 1964 ? Je m'y suis senti très heureux.
Note bibliographique no. 7