CORINTHE ET AL. v. LE SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE

(1911), 21 Que.K.B. 316

Quebec King's Bench, Trenholme, Lavergne, Cross and Carroll JJ., 29 December 1911

(On appeal from judgment of Quebec Superior Court, Supra p.55)

(Appealed to Judicial Committee of the Privy Council, infra p.83)

Interprétation des contrats--Concession de fief sous le régime français--Obligations des concessionnaires--Preuve--Valeur de la correspondance, etc., qui accompagne la consession--Interprétation des lois--Instruction religieuse, sens de l'expression.

JUGÉ:--1. La concession d'un fief par le gouverneur et l'intendant de la Nouvelle France, dans la forme ordinaire, ratifiée par le roi, est un titre de propriété dans lequel sont énoncées les obligations imposées au concessionnaire. On ne peut y en introduire d'autres, tirées des cir- constances dans lesquelles elle a été faite, ou des négociations et dé la correspondance qui l'ont précédée ou accompagnée.
2. Une loi passée avant l'abolition de la tenure seigneuriale, qui confirme la concession susdite et qui la déclare faite "pour l'instruction morale et religieuse des indiens, etc" n'affecte pas le droit de propriété conféré par la concession, et ne donne aucun droit réel dans le fief aux indiens nommés.
3. L'instruction religieuse mentionnée au statut est cehe que donnaient les concessionnaires lorsqu'il fut sanctionné, et il n'impose aucune obligation d'en donner une autre, quels que soient les changemente survenus depuis dans la croyance religieuse des indiens.

Le jugement dont appel est interjeté, qui est confirmé, est rapporté au vol. 38 C.S., p. 268.

CARROLL, J.:--

Il s'agit de l'appel de trois chefs iroquois, du village d'Oka, d'un jugement de la Cour Supérieure (HUTCHINSON, J.) et d'un contreappel du même jugement, de la part du séminaire de St. Sulpice.

Ces chefs iroquois, tant pour euxmêmes que pour le groupe qu'ils représentent, se disent propriétaires de la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes; ils prétendent que le terrain appelé La Commune et qui fait partie de cette seigneurie, leur appartient en propriété, por en avoir eu la jouissance et possession depuis longtemps: qu'à tout événement, le séminaire ne détient cetre propriété qu'en fiducie, pour les sauvages d'Oka, et qu'il n'a pas droit de vendre "aux blancs", aucun terrain de cette seigneurie.

Le jugement a rejeté l'action et déclaré le séminaire propriétaire de la seigneurie, mais il déclare aussi que les sauvages ont certains droits, savoir: le droit de résidence près de l'églis, le droit de se servir du bois de constuction et de chauffage et de faire paître leurs animaux sur le terrain de La Commune, le tout sous le contrôle du séminaire.

Les chefs sauvages appellent de la partie du jugement qui déclare le séminaire propriétairè absolu, et qui rejette les autres conclusions de leur action. Et le séminaire appelle de cette partie du jugement qui énumère les droits des sauvages dans la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes.

Le 9 mars, 1663, la compagnie des Cent Associés, propriétaire de l'Isle de Montréal, donna au séminaire de St-Sulpice de Paris, toutes ses propriétés, "en faveur et considération de la conversion des sauvages de la Nouvelle-France . . . . terres défrichées et autres dépendances, et encore toute la seigneurie, justice, droits et redevances, . . . . . pour en jouir, dispo- ser. . . . . . comme propriétaires incommutables, ainsi que bon leur semblera." Certaines autres conditions sont imposées par cet acte de donation, qui ne sont d'aucun intérêt pour la décision de ce litige.

En mai, 1677, Louis XIV, roi de France et de Navarre, con- firma cette donation, et, par le même acte, il permit au sémi- naire de St-Sulpice d'ériger une communauté et séminaire d'ecclésiastiques dans l'Isle de Montréal. Le roi déclare que la terre et seigneurie sont amorties et unies, à perpétuité, aux propriétés de la société de St-Sulpice. Les messieurs de cette institution maintenaient, vers 1717, une mission pour les sauvages sur la montagne de Montréal, mais constatant que ces sauvages s'y procuraient trop facilement des liqueurs alcooliques, ils résolurent de transporter la mission au Sault-aux- Récollets. Les ecclésiastiques aperçurent bientôt que, même au Sault, les sauvages n'étaient pas assez éloignés des tenta- tions de l'alcool, et ils s'adressèrent au gouverneur et à l'intendant, pour obtenir une concession du côté nordouest du Lac des Deux-Montagnes. Ils demandaient un terrain de trois lieues et demie de front sur trois lieues de profondeur, et ils offraient de faire la dépense du changement de la mission et d'y bâtir, de pierre, l'église et le fort où la mission serait trans- portée. Le gouverneur Vaudreuil et l'intendant Bégon donnèrent ce terrain aux "Sieurs ecclésiastiques du séminaire de St-Sulpice, établis à Montréal, pour en jouir à perpétuité, quand même la dit mission en serait ôtée." Cette donation était faite "en pleine propriété, à titre de fief et seigneurie avec droit de haute, moyenne et bass justice. . . . . à condition qu'ils feront, à leurs dépens, toute la dépense nécessaire pour le changement de la dite mission, et d'y faire bâtir aussi à leurs dépens une église et un fort de pierre, pour la sûreté des sauvages." Le 27 avril, 1718, le Roi de France confirma cette donation, non pas en faveur des ecclésiastiques de St-Sulpice établis à Montréal, mais en faveur "du séminaire de St- Sulpice de Paris, pour en jouir à perpétuité. . . . . . en pleine propriété, à titre de fief et seigneurie, à condition qu'ils feront à leurs dépens toute la dépense nécessaire pour le changement de la dite mission du Sault-aux-Récollets, et d'y faire bâtir aussi à leurs dépens une église et un forte de pierre pour la sûreté des sauvages." Par ce titre, les concessionnaires étaient soumis à toutes les charges et obligations des seigneurs, par exemple, de "concéder les terres qui seront en bois debout, à simple titre de redevance de vingt sols et un chapon, par chaque arpent de terre de front sur quarante de profondeur".--Le roi permet cependant aux concessionnaires "de vendre ou donner, à redevance plus forte, les terres dont il y aura au moins un quart de défriché." Le 26 septembre, 1733, le sieur Normand, prêtre, supérieur de St-Sulpice, établi à Montréal, demande au gouverneur Beauharnois de conceder au seminaire de St-Sulpice de Paris, un terrain additionnel non concédé, et situé entre leur seigneurie et celle des représentants des Sieurs Langloiserie et Petit. Beauharnois et l'intendant Hocquart donnent ce terrain additionnel, à titre de fief et seigneurie, aux conditions ordinaires, au nombre desquelles est celle de "déserter et faire déserter incessamment la terre." Le ler mars, 1735, le roi ratifie cette concession, et, par l'acte de ratification, il exempte les ecclésiastiques de construire un forte en pierre, parce que "le transport de la mission des sauvages de l'Isle de Montréal sur le Lac des Deux-Montagnes, l'église de pierre et le fort en bois" leur ont coûté plus que la valeur des terres concédées en 1718, et, pour cette raison, le roi leur fait une concession additionnelle, "en toute propriété et seigneurie, de trois lieues de profondeur", si la dite étendue se trouve libre. La mission des sauvages a été établie, et le terrain concédé fait partie de la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes. Il ne semble pas y avoir de doute que ces diverses concessions confèrent la propriété absolue de cette seigneurie au séminaire de St Sulpice de Paris.

Les appelants nous réfèrent à certaines correspondances entre divers membres de la Société Saint-Sulpice établis à Mont- réal et le gouverneur, et à des documents émanant du conseil de la Marine pour établir l'intention de la couronne de Fran- ce, en concédant ces propriétés. Ces documents font voir, disent les appelants, que ces terres étaient concédées aux Sulpi- ciens, mais pour le bénéfice des sauvages. J'ai étudié avec soin ces documents, et si je m'occupe peu de les discuter,-- quand même certaines expressions pourraient aider les appelants,--c'est que, en tenant compte de tels documents, je met- trais de côté une règle bien connue: un contrat dont les termes sont clairs ne doit pas être interprété par des documents qui l'ont précédé ou suivi. Un membre de la communauté de St-Sulpice a bien pu donner des motifs pour induire la couronne à faire ces concessions, mais la couronne n'en donne pas pour les faire, sinon qu'elle veut favoriser les ecclésiastiques qui ont entrepris de christianiser les sauvages. Ces titres de concession n'indiquent aucunement l'intention de créer des droits en faveur des sauvages, mais l'on se reposait sur la communauté des Sulpiciens pour faire le bien que la couronne attendait d'eux. Si la communauté avait failli à sa mission, la couronne pouvait canceller la concession, mais je ne vois pas que les sauvages auraient pu réclamer. Cependant, comme les documents et les correspondances dont je viens de parler constituent le plus fort augument des appelants, il convient d'en citer quelques extraits, afin de déterminer leur signification.

Il n'y pas de doute, tel qu'il appert à la minute originale du Conseil de Marine du 31 mars, 1716, que M. L'Echassier supérieur de St Sulpice à Paris, avait demandé, en 1714, "que le Village des Sauvages fût transporté hors de l'Isle de Montréal." Il n'y a pas de doute, non plus, que M. de Belmont, supérieur de St Sulpice de Montréal, ait demandé, en 1714, que le terrain "qu'on leur affectera (aux sauvages), "soit donné au séminaire, à condition qu'il l'emploiera pour la mission de ces sauvages", et que le séminaire, pour faire l'etablissement du Lac des Deux-Montagnes, demandait, comme compensation de ses dépenses à cette fin, les terres abandonnées du Sault-aux-Récollets. Mais, évidemment, le séminaire s'est ravisé, car il appert à l'arrêté du Conseil de Marine, le 26 janvier, 1717, que le gouverneur de Vandreuil avait écrit, le 5 novembre, 1716, à l'effet que le supérieur du séminaire, à Montréal, avait représenté que le changement allait occasion- ner de grandes dépenses au séminaire, "dont ils ne pourront être dédommagés que par la propriété de cette terre en sei- gneurie à perpétuité."

Le montant de cette dépense devait être de 20,000 francs car un fort de pierre et une église neuve devaient être con- struits, et sur ces représentations, le Conseil de Marine décréta ce qui suit:-- "L'avis du Conseil est d'accorder au Séminaire de Montréal la concession qu'il demande, en seigneurie, à perpétuité, à condition qu'il bâtira, de pierre, l'église et le fort dans le lieu où l'on doit transporter la mission des sauvages du Sault-aux-Récollets." Comme on le voit, ces documents ne peuvent être utiles aux appelants. Mais ils ont produit un mémoire (non signé) des ecclésiastiques du séminaire de St- Sulpice de Paris, daté de mars, 1724. Il appert de ce mémoire, dont l'original se trouverait au Ministère des Colonies, à Paris, que les ecclésiastiques y disent "qu'on ne peut pas les accuser d'intérêt dans cette affaire (difficulté de bornage avec Dame d'Argenteuil), quand même le terrain qu'ils défendent leur appartiendrait entièrement en propre."

Comme je viens de le dire, ce document, comportant être un mémoire du Séminaire de Paris, n'est pas signé et ne fait pas preuve. Mais, en supposant qu'il soit prouvé, cette phrase peut s'expliquer. En effet, ce terrain ne leur appartenait pas en propre, en ce sens qu'ils étaient obligés d'y faire résider les sauvages et de leur donner là les secours spirituels. Toute autre explication de cette phrase doit être écartée, car le titre de concession est clair. A tout événement, l'on ne peut s'en rapporter à un document isolé, rédigé on ne sait par qui, pour contredire le sens d'un contrat dont les expressions sont claires.

Les choses étaient en l'état que j'ai décrit il y a un instant, lorsqu'est arrivée la conquête du pays. Les titres de concession étaient au nom du séminaire de Saint-Sulpice de Paris. Les sauvages étaient établis sur la seigneurie, près de l'église, lors- qu'en 1760, ont été signés les articles de la capitulation de Montréal, entre Vaudreuil et le général Amherst. Amherst a consenti à maintenir les communautés religieuses de femmes dans tous leurs droits et privilèges (art. 32), mais il n'a pas voulu conférer le même avantage aux communautés d'hommes. Quant à ces derniers, il fallait attendre le bon plaiser du roi. Il a été convenu par l'art. 40 que les sauvages resteraient en possession des terrains qu'ils habitaient, s'ils voulaient y demeurer. Ils ne devaient pas être molestés en aucune manière pour avoir combattu pou le roi de France. Puis, le traité de Paris a été signé le 10 février, 1763. L'art. 6 décrète que les citoyens français ou autres, qui ont été sujets de Sa Majesté très chrétienne, pourront se retirer où ils le désireront et vendre leurs propriétés à qui leur plaira, pourvu que ce soit à des sujets britanniques. L'art. 34 de la capitulation de Montréal décrète que, "toutes les communautés et tous les prêtres conserveront leurs meubles, la propriété et les revenus des seigneuries et autres biens qu'ils possèdent dans la colonie, de quelque nature qu'ils puissent être, et les dits biens seront conservés dans leurs privilèges, droits, honneurs et exemptions." Il est évident que la capitulation de Montréal respectait le droit de propriété de toutes les personnes habitant le pays. L'art. 35 décrète: "Si les chanoines, prêtes,missionnaires, les prêtres de la communauté des missions étrangères et de St Sulpice, ainsi que les jésuites et récollets veulent aller en France, il leur sera accordé passage dans les navires de Sa Majesté Britannique, et ils auront tous la liberté de vendre, en tout ou en partie, les biens et meubles qu'ils possèdent dans les colonies, soit aux français ou aux anglais, sans le moindre empêchement ou obstacle du gouvernement britannique."

Le traité de Paris ne conférait littéralement le droit de vendre et d'aliéner qu'aux sujets français ou autres du Canada et comme le titre de la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes était au nom du séminaire de St-Sulpice de Paris, ce dernier, en 1764, donna cette propriété au séminaire de St-Sulpice de Montréal, aux conditions posées par la compagnie des Cent- Associés, savoir la christianisation des sauvages. Mais la légalité de cette donation était discutable. La propriété, disaiton, avait été par le droit de conquête, réunie à la couronne anglaise, parce que, seuls, les biens des sujets français du Canada étaient protégés. En plus, ni par la capitulation, ni par le traité de Paris, les sulpiciens de Paris ou de Montréal n'é- taient reconnus comme formant une corporation. En cet état, le lieutenant gouverneur du Bas-Canada, en 1804, requit le procureur général Sewell de lui donner son opinion sur la validite de la donation faite par le séminaire de St. Sulpice de Pa- ris, en 1764, et sur l'effet de la capitulation et du traité de Paris. Le procureur-général Stuart, (1828), donna aussi une opinion, à la demande du gouverneur général du Bas-Canada et des autres provinces, et finalment les officers en loi im- périaux donnèrent également leur opinion à ce sujet. D'après ces autorités, le séminaire de St-Sulpice de Montréal n'était pas une corporation distincte de celle de Paris et était légalement incapable de détenir et posséder des propriétés en main- orte; conséquemment, les propriétés qu'administraient les prêtres de St-Sulpice de Montréal, appartenaient au Séminaire de St-Sulpice de Paris, corporation étrangère, non visée, ni protégée par la capitulation et le traité de Paris, et ces pro- priétés avaient été, par droit de conquête réunies à la couronne britanique, et la donation faite par le séminaire de St- Sulpice de Paris au séminaire de Montréal, était nulle. Néan- moins, les officiers en loi, en Angleterre, comprirent l'injustice d'une pareille spoliation de la propriété privée, au moyen de textes qui ne rendaient pas parfaitement l'intention des négo- ciateurs, et ils suggérèrent un arrangement à l'amiable, qui aurait pour effet de faire revenir ces propriétés à leurs véritables propriétaires. De là le statut 3 et 4 Vict., ch. 30. Le préambule de ce statut indique son but. Des doutes s'étant élevés au sujet du titre des ecclésiastiques de St-Sulpice de Montréal, pour faire disparaître ces doutes, l'on a statué que les membres du séminaire de St-Sulpice de Montréal étaient constitués en corporation, pouvant détenir et posséder des biens en main-mor- te. Puis, le statut déclare cette corporation propriétaire de toutes les propriétés de séminaire de St.-Sulpice de Paris et les Sulpiciens doivent pourvoir "à la mission du Lac des Deux-Montagnes, pour l'instruction et les besoins spirituels des sauvages algonquins et hurons." Vient ensuite l'énumé- ration de certaines conditions qui n'ont pas trait à ce litige, et le statut conclut: "and to and for no other objects, purposes or interest whatsoever."

En 1845 et en 1861, l'on a consolidé les statuts, et ce statut 3 et 4 Vict., ch. 30, a été maintenu dans son intégrité. Mais il y a plus. Les statuts refondus du Bas-Canada contiennent une déclaration formelle du droit de propriété du séminaire de St-Sulpice. En efiet, le chapitre 41, qui a trait à la tenure seigneuriale, édicte des dispositions spéciales pour la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes. Sous le titre: "Abolition de la tenure seigneuriale dans les seigneuries appartenant au séminaire de St-Sulpice", nous lisons, à l'art. 66 du chapitre 41 susdit: "Dans le but de pourvoir à la commutation de la tenure seigneuriale dans les seigneuries de St-Sulpice et du Lac des Deux-Montagnes (appartenant à la corporation des ecclésiastiques du séminaire de St-Sulpice de Montréal, cidessous nommé le séminaire) . . . . . " Et à l'art. 71:-- "Les terres non concédées dans aucune des dites seigneuries, et tout immeuble posséde par le dit séminaire dans les limites de ces seigneuries, . . . . . . seront la propriété absolue du dit séminaire en franc alleu roturier, et il pourra vendre aucune de ces terres ou aucun autre immeuble à lui appartenant ou en disposer, soit pour argent soit pour rentes fon- cières rachetables, et il pourra en placer les produits en la "manière prescrite ci-dessous,"--22 Vict., (1859), ch. 48, sec. 16. L'acte 3 et 4 Vict., ch. 40 n'impose aux sulpiciens que l'obligation d'instruire et de donner les secours spirituels aux sauvages d'Oka.

Quels que soient les termes de la proclamation royale confé- rant des droits temporaires aux sauvages durant le bon plaisir du roi, un nouveau régime constitutionnel fut accordé par l'acte de Québec de 1774, et le parlement, avec la sanction du gouverneur, pouvait modifier la proclamation quant au droit conféré par l'art. 40. Le gouvernement impérial, en octroyant une cons- titution au pays, déléguait à l'autorité coloniale, les pouvoirs qu'il possédait lui-même, sauf, bien entendu, son droit de véto, qu'il n'a pas exercé dans ce cas-ci;--de sorte que ce statut a le même effet que s'il eût été édicté par le parlement impérial, avec la sanction du' roi. D'ailleurs il est bien douteux que l'art. 40 de la capitulation et la proclamation royale eussent eu l'effet de donner aux sauvages des droits sur les propriétés privées. Cette proclamation avait surtout en vue de protéger les sauvages dans l'occupation des terrains vagues qui, plus tard, ont été désignés par les autorités sous le nom de "Réserves Indiennes." Ni le roi de France, ni le roi d'Angleterre n'ont entendu conférer des droits de propriété aux sauvages. Ils les traitaient avec tolérance et bienveillance, pour des raisons politiques et humanitaires; mais personne n'aurait songé à donner des titres de propriété à ces enfants des bois, qui, dans leur propre intérêt devaient être tenus en une espèce de tutelle. De sorte que même si la proclamation royale peut être invoquée en faveur des appelants, comme conférant un titre, ce titre pouvait être révoqué. "It is to be deemed a right exclusively belonging to the government in its sovereign capacity, to extinguish the Indian title and to perfect its own dominion over the soil, and dispose of it according to its own good pleasure". (S.C.R. vol. 13 p. 599). Mais les sauvages disent que ce statut a conservé leurs droits et qu'il y est mentionné que le droit de propriété sera le même que celui du séminaire de St-Sulpice de Paris. Il est impossible, à la lecture des actes de concession, de constater quels droits le roi de France, a concédés aux sauvages, comme je l'ai dit, et quant au droit conféré par la proclamation royale, la réponse a déja été donnée, savoir: ce document ne valait que jusqu'au jour où l'autorité royale le modifierait, sous ce rapport, et le statut que j'ai cité n'a tenu aucun compte de ces prétendus droits auxquels n'avaient probablement pas songé les négociateurs de 1760 et de 1763.

Les appelants invoquent la prescription du terrain de La Commune. Il y a une courte réponse à faire à cette prétention: c'est que, légalement, il pourrait bien y avoir prescription d'un terrain particulier par un sauvage, toutes les conditions requises pour prescrire étant accomplies, mais il ne peut y avoir prescription d'un territoire par les sauvages les uns possédant pour les autres. D'ailleurs, la preuve établit clairement que la possession de cette Commune par les sauvages était précaire. C'est le séminaire qui a toujours payé les taxes municipales et scolaires, et qui a payé pour l'entretien des chemins et les améliorations.

La question des droits de propriété de cette seigneurie n'est pas nouvelle. Les tribunaux du pays ont, à maintes reprises reconnu le séminaire comme propriétaire. Les appelants ont aussi plusieurs fois fait appel à l'exécutif, mais sans succès. Le ler mai, 1848, le secrétaire Campbell écrivait au colonel Napier que le gouverneur-général, après avoir pris connaissance des plaintes des sauvage, ne les trouvait pas justifiées:-- "The wood upon the seigniory is the property of the seminary and the Indians have no right to cut down and sell any por- tion of it, without the consent of the seminary."

Le 14 juillet, 1848, le même secrétaire écrit, au nom du gouverneur, d'expliquer aux sauvages, "the terms and conditions of the Provincial Ordinance of 1840, which has confirmed the title of the seminary to the said seigniory." Le 9 novembre, 1868, le secrétaire d'état d'alors, répondant à une requête des sauvages d'Oka adressée au gouverneur-en conseil, leur dit: "The seigniory of the Lake of Two-Mountains was granted in the year 1718, by the King of France to the gentlemen of the Seminary of St. Sulpice and the title which has been re- cognized by act of Parliament is such as gives to that body the absolute ownership therof, and, consequently, the Indians have no right of ownership in the segniory." Le rapport fait en ce sens au gouverneur-en-counseil a été approuvé. Le 26 mars, 1870, l'hon. Joseph Howe, alors secrétaire d'état, informe le révérend John Borland, qui prenait l'intérêt des sauvages, que le Ministre de la Justice était du même avis que l'hon. M. Langevin, dont le rapport avait été approuvé par le gouvernement. Le 8 avril, 1882, Sir John A. MacDonald, alors surin- tendant des affaires des sauvages, écrivit une longue lettre aux chefs indiens d'Oka. Je me permettrai d'en citer un extrait: "It has, however been, ascertained, as far back as the year 1788 the law officers of the Crown gave the following opinion upon this question of title:

With respect to the claim of title by the Indians of the Lake of Two-Mountains to the fief of that seigniory, whatever ideas they might have entertained of a title, we cannot pereive any such right in them." Et le comité du conseil exécutif d'alors donna la même opinion. Dans la même lettre se trouve un extrait d'une opinion du ministre de la justice, en date du 9 janvier, 1878, où il est dit qe les prétentions des sauvages ont été examinées,--"and they were pronounced groundless." Sir John leur rappelle aussi que le 7 mai 1818, des avocats éminents, consultés sur ce point, s'étaient pronon- cés contre les prétentions des sauvages, et il leur dit qu'il concourt entièrement dans ces opinions, ajoutant:--"With regard, to the claim asserted by your people to the sole right of occupancy of certain land in the seigniory, and to wood for fuel and building purposes, you will perceive from the fact of the title to the property in question being absolutely vested in the seminary of St-Sulpice.......that the only parties who can grant such privileges are the owners of the property, namely, the gentlemen of the seminary of St-Sulpice."

Nous avons done une opinion unanime, et de l'autorité exécutive, et de l'autorité judicaire, à l'effet que la propriété de cette seigneurie appartient aux sulpiciens.

Je pourrais m'arrêter ici et ne pas exprimer d'opinion sur les droits accessoires reconnus aux sauvages par le jugement. Cette énumération des droits, n'était pas sollicitée par la demande. En effet, les conclusions de l'action sont:

1.--Déclalation du droit de propriété des sauvages.

2.--Déclaration a l'effet qu'ils ont droit à l'usage libre des terres de la commune.

Et c'est tout.

Si le jugement énumère d'autres droits, il n'y a là, d'après moi, qu'un obiter dictum du juge, qui a probablement cru utile de définir ces droits. La Cour Suprême et le Conseil Privé pourraient les définir, et cette définition aurait la valeur d'un jugement, mais cette cour est liée par notre code de procédure.

Cependant, il ne sera peut-être pas inutile de donner une opinion à ce sujet.

Le juge de première instance a déclaré que les sauvages ont droit de résidence près de l'église d'Oka, droit de couper du bois de construction pour se loger et réparer leurs maisons et dépendances, et droit de faire paître leurs animaux sur le ter- rain de La Commune.

Le séminaire, par le statut 3 et 4 Vict., ch. 30, devait pourvoir à l'instruction des sauvages et aux besoins spirituels de la mission algonquine et iroquoise, mais je ne vois rein dans cet acte qui l'oblige aux soins du corps. D'après moi, le sé- minaire devait agir vis-à-vis des sauvages, comme it avait agi vis-à-vis d'eaux, avant la passation de ce statut. Aucune nou- velle obligation ne lui est imposée, et il est à présumer que l'Etat était satisfait du traitement des sauvages parl es sul- piciens à ce moment.

Or, il appert que le séminaire n'a jamais reconnu aux sauvages le droit de couper du bois de constuction ou de chauffage; il n'a jamais, non plus, reconnu le pacage des animaux comme un droit. Le séminaire, à cette époque tolérait la chose, comme il l'a tolérée depuis; mais la proposition que le droit de résidence comporte ces droits ne peut être admise.

En effet, tel qu'il appert à la lettre du secrétaire du gouverneur général, en 1848, que j'ai citée plus haut, le séminaire, à cette date, refusait aux sauvages le droit de couper du bois, et le gouverneur-général leur en faisait la défense.

Le statut déclarant le séminaire propriétaire a été passé en 1840. Il est évident que, lors de la passation de ce statut, on ne reconnaissait pas ces droits aux sauvages, comme en fait foi le document suivant. Le 13 mars, 1838, M. Quiblier, alors supérieur du séminaire, disait dans une lettre à Sir John Colborne: "Cest vers la fin de 1837 que, cédant à des conseils intéressés, quelques-uns d'entre eux (des Iroquois), se sont portés à des déprédations considérables dans le domaine, en ont emporté et vendu du bois en grande quantité. Que Votre Excellence veuille bien leur signifier par la voie de son secrétaire:--1 d'arrêter et cesser leurs déprédations; 2. de s'entendre avec le missionaire résidant pour la réparation des dommages déjà causés." Quinze jours après, en réponse a cette requête, M. Hughes, alors surintendant des sauvages, écrivait à M. Quiblier: "Rev. Sir.--Yesterday, the 28th instant, 1838, I had the honor of an interview with His Excellency, in order to put a stop to the disputes pending between the principal of the seminary and the said Indians. His Excellency is pleased to command that the Indians be desired (through the chief superintendent's department), to desist cutting more wood on the domain of the seigniory of the Lake of Two-Mountains without permission".--Document no 34, produit par le département du secrétaire d'état à la chambre des communes, le 31 mars, 1870.

Je désirerais ajouter un mot sur une question soulevée par la demande au sujet du droit des sauvages, resultant de l'occu- pation originaire. D'abord, il y a deux tribus de sauvages à Oka: les Algonquins et les Iroquois. Les demandeurs sont les chefs des Iroquois, mais non des Algonquins. Il appert de documents historiques (Parkman--Champlain), que les Iro- quois sont originaires de l'état de New York. Avant que la mission du Lac des Deux-Montagnes fût transportée là par les sulpiciens, les Iroquois n'y avaient jamais résidé. Ils résidèrent d'abord près de Montréal, puis au Sault aux-Récollets. De plus, lorsque le statut 3 et 4 Vict., ch. 30 a été adopté, les sauvages professaient la religion catholique. La grande majori- té d'entre eux professe aujourd'hui la religion protestante. L'on ne peut soutenir que les sulpiciens soient obligés de leur donner des ministres de la religion protestante, pour leur donner les secours spirituels. Le statut avait en vue l'état de chose existant lorsqu'il a été passé. La loi, dans notre pays, ne peut exiger qu'une corporation religieuse catholique fasse donner aux sauvages l'instruction religieuse opposée à ses croyances, de même que les ministres protestants ne peuvent être tenus de donner une instruction contraire à leurs croyances. L'on comprend facilement que les ministres de l'évangile qui agi- raient contre leur conscience, se condamneraient au mépris public. Et la liberté de conscience, en ce pays, est la bâse de notre constitution. Il ne faut pas oublier que la cession du pays a opéré ici un changement caractéristique: l'état n'est le protecteur d'aucune religion. Toutes sont placées sur un pied d'égalité. Un gouvernement neutre en matière religieu- se a été substitué à un gouvernement civil, qui, sous la domination française, prétendait contrôler l'église et l'état, et s'érigeait quelquefois en tribunal ecclésiastique pour juger les différends entre laïcs et gens d'église. Mais l'état neutre, ematière religieuse, a intérêt à se servir des meilleurs instruments à sa disposition pour maintenir la paix et le bon ordre public,--spécialement parmi les sauvages. Et comme le séminaire de St Sulpice avait toujours fourni des missionnaires à ces tribus, on a considéré que c'est ce séminaire qui pouvait plus facilement les contrôler.

Je suis d'opinion que les sauvages ont droit de résidence dans la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, et de recevoir l'instruction et les secours spirituels du séminaire de St-Sulpice, s'ils le désirent, mais que le séminaire n'est pas tenu d'agir à l'encontre des convictions religieuses de ses membres, en leur donnant telle instruction et tels secours spirituels. Ce sont là les droits des sauvages. Ils n'en ont pas d'autres

Smith, Markey, Skinner, Pugsley & Hyde, pour les appelants.

Geoffrion, Geoffrion & Cusson, pour les intimées.