DION v. LA COMPAGNIE DE LA BAIE D'HUDSON

(1917), 51 QUE. S.C. 413

Quebec Superior Court, Langelier J., 26 February 1917

M. le juge Langelier.--Cour des sessions de la paix.--No 1130.-- Louis St-Laurent, C.R., avocat du demandeur.--Ferdinand Roy, C. R., avocat le défenderesse.--A. R. Holden, C.R., conseil.

 

Loi de pêche de Québec-- Sa constitutionnalité--Compagnie de la Baie d'Hudson--Ses privilèges--Loi de l'Amérique britannique du Nord, 1867, art. 92, sous-par. 5 et 16-- S. ref., 1909, art. 2247 et suiv.--C. civ., art. 6, 17.

1. La loi de pêche de Québec est constitutionnelle, parce qu'elle n'a trait qu'à l'administration des terres publiques qui sont la propriété de la province et qu'elle ne touche qu'à des matières d'une nature purement locale, mentionnées aux sous-paragraphes 5 et 16 de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord.
2. Lorsque la législature de Québec édicte des lois dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés par l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, elle peut décréter, comme sanction de telles lois, l'amende et l'emprisonnement, sans enfreindre les disposi- tions du même acte, qui donnent au parlement fédéral le pouvoir exclusif de légiférer en matières criminelles.
3. Les Sauvages qui habitent la province sont des sujets britanniques, et, comme tels, soumis à ses lois.
4. La Compagnie de la Baie d'Hudson, ayant cédé et vendu au gouvernement du Canada tous les droits et privilèges qu'elle possédait en vertu de sa charte, à l'exception de celui de faire la traite des fourrures, est soumise aux lois de cette province, en vertu des articles 6 et 17 du Code civil.

Question de droit constitutionnel, soulevée au cours de poursuites pénales. Les faits de la cause sont exposés aux remarques qui suivent:

M. le juge LANGELIER. Deux actions ont été prises contre la défenderesse par le garde-chasse Jacques Dion: la pre- mière pour avoir eu en sa possession, illégalement, trois peaux de castor et douze peaux de rats musqués, le 29 juillet dernier; la seconde pour avoir eu en sa possession illégalement, le 21 juillet aussi dernier, trois peaux de cas- tors et douze peaux de rats musqués.

Les parties ont consenti à ce que la preuve fût commune dans les deux causes.

1. La défenderesse prétend qu'en vertu des privilèges que la couronne lui a donnés dans sa charte, la loi de chasse de cette province est ultra vires et ne peut pas lui être appliquée.

Examinons les pouvoirs conférés aux provinces par l'Ac- te de l'Amérique britannique du Nord, et que nous trouvons formulés dans l'art. 92 qui dit:

Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets cidessous énumérés, savoir:
5. L'administration et la vente des terres publiques appartenant à la province et des bois et forêts qui s'y trouvent;
13. La propriété et les droits civils dans les provinces;
16. Généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province.

Personne ne contestera que la législature a le contrôle absolu des bois et forêts dans les limites de son territoire, qu'elle peut les vendre et en disposer comme elle l'entend, qu'elle peut faire toutes les lois et tous les règlements qu'elle juge à propos pour leur conservation et leur amélioration.

Les animaux qui habitent ces forêts sont également la propriété de la province, qui peut décréter la manière de les chasser ou de les détruire, s'ils sont dommageables; elle a aussi le droit de punir ceux qui enfreignent les lois qu'elle a passées à ce sujet. Jamais non plus, le parlement fédéral n'a songé pour un instant à légiférer sur ce sujet.

Le seul jugement que je connaisse sur cette matière est celui de la Cour du banc du roi, au Manitoba, dans la cause du Roi v. Robertson,(1) 3 Man. L. R. 613. qui se lit comme suit:

The provincial statute, 46 & 47 Vict., ch. 19, as amended by 49 Vict., ch. 10, sect. 25, sub-sect. (g), regulating the killing and possession of game at certain seasons of the year are intra vires, being within those clauses of the B.N.A. Act, relating to "Property and Civil rights", and matters of a merely local or private nature.

En préparant l'acte de la Confédération, lorsque l'on est arrivé à la distribution des pouvoirs législatifs, ses auteurs ont voulu donner le droit de légiférer en matières, privées, en matière de propriété et de droits civils, qui jusque là avait été exercé par la Législature du Canada, soit au parlement fédéral ou aux législatures provinciales. Or, il n'y a rien dans cet acte qui démontre une intention de conférer ces droits au parlement central. Au contraire, il y est décrété explicitement que les lois du ressort du législateur se limiteront, dans la province au droit de propriété, au droit civil et aux choses d'un caractère privé; aucune limite n'est posée quant à l'étendue des pouvoirs des législatures, en ce qui concerne les droits privés relevant de leur compétence.

Comme le disait l'ancien juge en chef Strong de la Cour suprême(1) 1 Pugsley, 300;--The Queen v. Dox and others. :

That the Legislature have that power in all cases where the property and rights sought to be affected are in the province to the same unlimited extent that the Imperial Parliament has in the United Kingdom, I have not the slightest doubt.

Les lois de chasse dans cette province n'empiètent en aucune manière sur le domaine fédéral en ce qui concerne la procédure criminelle. Car, comme nous venons de le voir, si la législature a le droit de faire des lois concernant la chasse en vertu de l'art. 92 de l'Acte A.B.N., le paragraphe 15 du même article lui donne le pouvoir de mettre une sanction à ces lois. C'est ce qui a été décidé par la Cour suprême dans une cause de Poitras v. la Corporation de Québec. On prétendait que la procédure criminelle étant de la compétence du parlement fédéral, les législatures n'avaient pas le droit, par leurs lois d'imposer l'amende et l'emprisonnement; cette prétention a été rejetée par les tribunaux. Je cite les paroles du juge en chef Richards.

It seems clear that they (the legislatures) had the right to impose punishment by fine, penalty, or imprisonment for enforcing any law properly passed by them, on matters within their exclusive jurisdiction. . . . . We think we must come to the conclusion that when the Imperial Parliament used the words "The Criminal Law" and including "the procedure in criminal matters", they did not mean that the local legislature had not the power to legislate so as to punish by fine or imprison- ment with the view of enforcing the laws, where such power is expressly given by that Act. (2) Doutre, Constitution du Canada, p. 321.

C'est en d'autres termes l'application de la règle que l'on trouve dans Story (3) State & Const. Law, No. 1067.:

A grant of power to regulate, necessarily excludes the action of all others who would perform the same operation on the same thing.

La question qui se pose est donc celleci: Y atil aucune législation fédérale sur le même sujet, same operation on the same thing? Non, il n'y en a pas.

Notre Cour d'appel a décidé dans le même sens, dans une cause de Paige v. Griffith.(1.) [1873] 17 L.C.J. 302; 18 L.C.J. 119.

Voici comment s'est exprime le juge Sanborn:

The Provincial Legislature has the power to provide the procedure for enforcing the penalties incurred under the License Act, and to impose fine, penalty or imprisonment for enforcing any law of the province made in relation to any matter coming within any of the classes of subject enumerated among their powers. Where power is given to impose a penalty, it implies power to enforce it.

Les tribunaux de l'Ontario ont décidé dans le même sens dans Regina v. Toland.(2.) 22 0.R. 5O5.

Notwithstanding the reservation of criminal procedure to the Dominion Parliament in sub-section 27 of sect. 91 of the B.N.A. Act, a provincial legislature has power to regulate and provide for the course of trial and adjudication of offences against its lawful enactments, even though such offences may be termed crimes: and therefore to regulate the giving of evidence by defendants in such cases.

Le fait qu'il y a dans notre province des réserves pour les Indiens n'a pas pour effet de rendre inconstitutionnelle la loi de chasse; ils y sont soumis comme tous les autres:

Indians in Canada are British subjects and entitled to all the rights and privileges of such, except so far as those rights are restricted by statute, and notwithstanding sub-sect. 24 of sect. 91 of the B.N.A. Act, 1867, they are sub-sect to all provincial laws which the province has power to enact.(3.) Sanderson v. Hedy, K.B. Man. L. R. 22;--Rex v. Hill, 15 O.L.R. 106.

Une autre objection que l'on pourrait faire, c'est que cette loi affecte le commerce des fourrures, et que notre législature n'a pas le droit d'y imposer des restrictions, ce qui serait contraire à la sous-sect. 2 de l'art. 91 de l'acte "The regulation of trade and commerce".

La loi qui nous occupe ne met aucun empêchement, aucu- ne restriction au commerce des fourrures; tout ce qu'elle fait, c'est de protéger le gibier et d'empêcher qu'on le détruise à certaines époques où la chasse en est prohibée, et cela est fait pour en assurer la conservation. Les lois qu'elle a passées ont simplement pour objet de protéger certains animaux dont la fourrure est précieuse.

Mais, même en supposant que ces lois auraient pour effet de gêner ce commerce, le Conseil privé a décidé que les législatures avaient le droit de faire de semblables lois. On trouve cette décision dans Beauchamp, Jurisprudence du Conseil privé:

The words "regulation of trade and commerce", in their unlimited sense, are sufficiently wide, if uncontrolled by the context and other parts of the Act, to include every regulation of trade ranging from political arrangements in regard to trade with foreign governments requiring the sanction of Parliament, down to minute rules for regulating particular trades. But a consideration of the Act shows that the words were not used in this unlimited sense. In the first place, the collocation of No. 2 with the classes of subjects of national and general concern affords an indication that regulations referring to general trade and commerce were in the mind of the legislature. If the words had been intended to have the full scope of which in their liberal meaning, they are susceptible, the specific mention of several of the other classes of subjects enumerated in section 91 would have been unnecessary; as 15, banking; 17, weights and measures; 18, bills of exchange and promissory notes; 19, interest; and even 21, bankruptcy and insolvency.
Construing therefore the words "regulation of trade and commerce" by the various aids to their interpretation above suggested, they would include political arrangements in regard of trade requiring the sanction of Parliament, regulation of trade in matters of inter-provincial concern, and it may be that they would include general regulation of trade affecting the whole Dominion.
....Its authority (the Dominion Parliament) to legislate for the regulation of trade and commerce does not comprehend the power to regulate by legislation the contracts of a particular business or trade, such as the business of fire insurance in a single province.

On sait que la constitution des États-Unis ressemble à la nôtre en ce qui concerne la distribution de pouvoirs législatifs entre le gouvernement de Washington et les différents États; avec cette différence qu'aux Etats-Unis tous les pouvoirs non spécialement attribués au gouvermement central par les différents États appartiennent à ceux-ci, tandis que chez nous, au contraire, les pouvoirs non spécia- lement concédés aux provinces par le Parlement impérial appartiennent au gouvernement fédéral, la source du pouvoir se trouvant ainsi renversée.

Or, voici ce que dit à ce sujet Story(1.) On the Constitition of the U.S.(5e edition), p.11.:

The acknowledgement power of the states over certain subjects having connection with commerce are entirely different in their nature from that to regulate commerce; and though the same means may be restored to for the purpose of carrying each of these powers into effect, this, by no just reasoning furnishes any ground to assert that they are identical.

Je suis donc d'opinion que la loi de chasse de cette province est constitutionnelle.

II. Voyons maintenant quelle est la situation légale de la défenderesse en rapport avec cette loi de chasse.

Le 31 juillet 1868, le Parlement impérial passa une loi (31-32 Vict., ch. 105) intitulée:

An act for enabling Her Majesty to accept a surrender upon terms of the lands and privileges and rights of the Governor & Company of Adventurers of England, trading into Hudson Bay, and for admitting same into the Dominion of Canada.

En vertu de cette loi, sous la pression exercée sur la Compagnie de la Baie d'Hudson par le secrétaire des colonies, durant la guerre civile aux États-Unis, le Canada fit l'ac- quisition de tous les droits et privilèges de la compagnie sur une étendue de 1200 milles de longueur et 500 milles de largeur, moyennant la somme de &pound300,000 sterling.

On voit dans les statuts du Canada, 35 Vict., page 78, qu'en 1870 la Compagnie de la baie d'Hudson céda à la couronne:

Tous les droits de gouvernement et de propriété et tous les autres privilèges, immunités, franchises, pouvoirs, et autorités quelconques accordes ou censés avoir été accordés par lesdites lettres-patentes auxdits gouverneur et compagnie dans la terre de Rupert, et qui auront été ainsi cédés, cesseront absolument d'exister; pourvu, cependant, que rien dans ledit acte n'empêchera lesdits gouverneur et compagnie de continuer à faire la traite et le commerce dans la terre de Rupert, ou ailleurs.

Plus loin au paragraphe 11 de l'acte de cession, il est décrété:

La compagnie aura le droit de continuer son commerce sans obstacle, en sa capacité de corporation, et nulle taxe exceptionnelle ne sera imposée sur ses terres, son commerce, ses employés, ni aucun droit d`importation sur les marchandises importées par elle antérieurement à l'acceptation de la cession.

Cette compagnie comme on le voit, a abandonné tous les droits et privilèges qui lui étaient conférés par sa charte, sauf ceux spécialement réservés par l'acte de 1879, savoir: le droit de faire commerce et d'être exemptée de taxe ex- ceptionnelle; mais il n'y a absolument rien qui comporte pour elle l'exemption d'être soumise aux lois civiles et pénales de notre province.

La législature de Québec ne veut en rien s'immiscer dans l'administration et l'organisation de cette compagnie; elle ne met aucune entrave à son commerce; elle ne lui impose aucune taxe exceptionnelle. Non, elle ne fait que lui appliquer une loi pénale et l'amende imposée par celleci en cas d'infraction. On ne prétendra pas assimiler une amende à une taxe.

Du reste, l'art. 6 de notre Code civil décrète que:

Les lois du Bas-Canada relatives aux personnes sont applicables à tous ceux qui s'y trouvent, même à ceux qui n'y sont pas domiciliés.

Et l'art. 17 du même code déclare que le mot personne comprend "les corps politiques et constitués en corporation".