DOHERTY v. GIROUX ET BOUCHARD ET AL.

(1914), 22 R. de Jur. 538

Quebec Superior Court, Letellier J.C.S., 12 November 1914

(Appealed to Quebec King's Bench, infra p.134)

JUGE: Dans l'espèce le nommé David Philipe ne s'était jamais fait localiser sur le lot de terre en question en cette cause, au contraire, it avait acquis ce lot après l'abandon qu'en avait fait à la couronne la Bande Montagnaise, conformément aux dispositions de l'Acte des Sauvages. Dans ces circonstances, la vente judiciaire effectuée sur le dit D.P. comme propriétaire et possesseur du dit lot de terre, est valable; c'est à bon droit que le Département des Sauvages à Ottawa a ratifié cette vente en faveur du défendeur.
L'action du Ministre de la Justice doit en consé- quence être déclarée mal fondée et rejetée.

Letellier, J.:--Voici les faits qui ont donné lieu à l'action pétitoire prise par le Gouvernement d'Ottawa ou le Ministre de la Justice contre Pierre Giroux:

Le 7 mars 1889, Pierre Giroux a acquis du Shérif de Chicoutimi, par vente régulière, un lot de terre étant le demi lot No. 3 du premier rang du canton Ouiatchouan dans la paroisse de St- Prime contenant cinquante acres en superficie avec maison dessus construite et dépendances. La vente était faite par le Shérif en vertu de l'exécution d'un jugement pris par Onésime Bouchard contre un nommé David Philippe qui était en possession du lot de terre en question. La vente se fit pour la somme de $500.00. Giroux prit possession de la terre, l'améliora, la défricha presque complètement et en fit une propriété de valeur dont il a joui paisiblement jusqu'au mois d'avril 1911.

En avril 1911 le Ministre de la Justice, repré- sentant la Couronne, a pris contre le défendeur une action pétitiore, réclamant au nom de la Couronne la terre en question, prétendant bien des choses, et entr'autres: que cette terre faisait partie des "Terres Indiennes" et, qu'en cette qualité elle faisait partie du Domaine Public de Sa Majesté et ne pouvait pas être saisie.

Après l'acquisition que Giroux avait faite de cette terre, it fut averti que la terre avait déjà été concédée par la Couronne et qu'il y avait un certain montant de dû au Gouvernement. Alors il paya ce qui était dû au Gouvernement la somme de $164.32. Il eut un reçu de l'agent des "Terres de la Réserve de Ouiatchouan" et la vente fut confirmée et acceptée par le Départe- ment des Sauavages.

Quelque temps après, le Département avertit Giroux que c'était par erreur qu'il avait accepté cette vente et qu'il voulait la faire annuler parce qu'il prétendait qu'un sauvage du nom de David Phillipe avait été localisé sur ce terrain et que, par conséquent, la ratification qu'il avait donnée, l'avait été par erreur et que cette ratification de- vait être mise de côté.

Giroux, qui avait payé tout ce qu'il avait à paver sur le lot, et ayant son reçu de l'agent des biens des sauvages, remplaçant le Département sur la Réserve de la Point Bleue, se tint tranquille, continua à occuper la terre et comme nous l'avons dit, ce n'est qu'en 1911 que le Gouverne- ment a voulu le chasser.

Les prétentions du Ministre de la Justice sont que David Philippe avait été localisé suivant la loi, comme sauvage, sur ce lot étant une tere indienne, et que le lot ne pouvait être transporté, ni saisi, ni vendu.

Le défendeur à cette action a plaidé bien des moyens entr'autres:

Premièrement: Que la R&éserve de Ouiatchouan n'était pas constituée régulièrement en réserve des sauvages, et qu'elle ne faisait pas partie du Domaine Public appartenant au Gouvernement d'Ottawa, mais qu'elle était tombée par l'acte de l'Amérique Britanique du Nord dans le Domaine Public, soumis au Gouvernement de la Province de Québec.

Deuxièmement: Il prétendait que le titre de Giroux, consistant dans le reçu de l'agent des terres, accepté par le Département des Sauvages, n'avait pas été accordé par erreur, mais volontairement et constituait un bon titre pour Giroux, au cas où le Gouvernement pouvait accorder un titre.

Troisièmement: Il plaida de plus, qu'au cas où l'immeuble fut déclaré la propriété du Gouvernement, ce dernier ne pouvait en prendre possession qu'en payant à Giroux la valeur des amélio- rations qu'il avait faites de bonne foi, se montant à la somme de $5000.00.

(1) Pour répondre à la première question, soulevée dans cette cause, et pour savoir si le Gouvernement du Canada a réellement un titre à cette propriété, il nous faut remonter à la loi constituant certaines réserves de terres en faveur des Sauvages.

Cette loi a été passée par le Gouvernement de l'Union dans la quatorzième et quinzième année du règne de Sa Majesté la Reine Victoria, et constitue le chapitre "106" des Statuts "14 & 15" Victoria, du Canada. Cette loi se lit comme suit:

"Il est statué que pas plus de deux cent trente mille acres de terre pourront, en vertu des ordres en conseil émanés à cet égard, être désignés, arpentés et mis à part par le Commissaire des Terres de la Couronne, et les dites étendues de terre seront et sont par les présentes respectivement mises à part et appropriées pour l'usage des diverses tribus sauvages du Bas Canada pour lesquelles respectivement il sera ordonné qu'elles soient mises à part par tout ordre en conseil qui sera émané comme susdit".

En vertu de cette loi, différents terrains furent appropriés pour ces réserves dans différentes parties de la Province de Québec, et notamment, dans la région du Saguenay en faveur de la Bande Montagnaise située dans ces régions.

En 1853, le Gouverneur en conseil passa un ordre en conseil, accordant à ces sauvages seize mille acres terre sur la rivière Péritonka et quatre mille acres de terre sur la rivière Métabetchouan.

Le 4 septembre 1856, un autre ordre en conseil fut passé, approuvé par son Excellence le Gouverneur Général le 6 du même mois, cet ordre en conseil cite le rapport du Département des Terres de la Couronne datée le 25 juillet, et consent, sur la demande qui lui a été faite par Da- vid E. Price, au nom de la tribu indienne Montagnaise, de changer l'endroit de la Réserve; et au lieu de l'établir sur les bords de la Métabetchouan et de la Péribonka, la fixa à l'ouest du Lac St-Jean à un endroit appelé la "Pointe Bleue".

Ces deux ordres en conseil ne mentionnent pas si les terrains ont été désignés, arpentés tel que le veut la loi. Mais la preuve que fait ces ordres en conseil est complètée par un extrait authenti- que des archives du Département signé par l'Assistant Commissaire du Département des Terres pour la Province de Québec, le 30 avril 1889, établissant que l'échange a eu lieu et que cette partie de terre sur le rivage ouest du Lac St- Jean a été arpentée. Nous croyons que la preuve est suffisante pour établir la Réserve appelée "Réserve de la Pointe Bleue dans le canton de Ouiatchouan".

Plus tard, en vertu du Statut "31" Victoria, Chapitre "42", il fut stipulé qu'une bande de sauvage pouvait céder à la Couronne une partie du terrain qui lui était accordé comme réserve, aux conditions que cette cession serait consentie ou ratifiée par la majoritéâ des hommes de la Bande qui auraient atteint l'age de vingt et un ans dans un conseil, convoqué à cette fin, suivant les usages de la Bande, et en présence du Surintendant ou un officier régulièrement autorisé par le Gou- verneur en conseil. Tous sauvages résidant habituellement dans la Réserve avaient droit de voter à ce conseil.

La preuve de ce consentement devra être sous serment prêté devant un Juge de la Cour Supérieure. Et le terrain ainsi abandonné à la Couronne fera partie de ce que nous appellons les "Terres Indiennes" ou "Terres des Sauvages" comme le dit la loi.

En vertu de ce Statut la Bande des Sauvages Montagnais le 25 juin 1869, a tenu un conseil en présence de Mgr. Racine, représentant le Secrétaire d'Etat de la Puissance du Canada et de l'Honorable Juge D. Roy, Juge de la Cour Supérieure du district de Chicoutimi. Il y avait, d'après les pièces officielles produites au dossier, le nombre suffisant de sauvages. Et ces sauvages ont décidé à la majorité d'entre eux, d'abandonner à la Couronne, en vertu de la loi susdite, les rangs 1, 2 & 3; partie de 4, 5 & 6 et tout le rang 7 & 8 du Township de Ouiatchouan, tel que décrit dans un plan qu'ils avaient alors. Les résolutions passées par ce conseil furent soumises au Gouverneur en Conseil le 17 août 1869, et cet ordre en conseil, conformément à l'abandon fait par Basil Osisorina, Luc Usisorina, Marc Pise, Théwamerin et autres, étant les principaux chefs et hommes de la Bande Montagnaise, décida l'abandon que faisaient les dits sauvages de leurs terres de réserve sur les dits lots, le tout tel que décrit au plan et produit comme exhibit. La Couronne prenait ces terres en fidei-commis pour les vendre et en disposer au bénéfice des sauvages et de leurs descendants et sous la convention que les argents reçus en paiement des dites terres seraient placés à intérêt, lesquels intérêts seraient divisés périodiquement entre tous les dits sauvages Montagnais.

Nous trouvons là, la raison des prétentions que la Couronne soutient avoir sur les dites terres.

On a soulevé le point que les dites "Terres Indiennes" ou "Terres des Sauvages" ne faisaient pas partie du domaine de la Couronne fédérale, mais appartenaient aux Provinces. Nous croyons que la défense fait erreur sur ce point, au moins quant aux terres indiennes dont il est question dans la cause actuelle.

Par l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord 1867, le Parlement du Canada continue à légiférer en vertu du paragraphe "24" de la section "91" sur les Sauvages et sur les "terres réser- vées pour les Sauvages".

Or, en 1867 l'abandon d'une partie de la Réserve n'avait pas été fait et le lot de terre dont il est question dans cette cause faisait partie de la Réserve et n'est pas tombé dans le Domaine Local. Le fait d'abandonner certains terrains de leur Réserve au Gouvernement Fédéral, par les Sauvages, n'exclut pas ces terrains du domaine appelé par la loi "Terres réservées pour les Sauvages", puisque la Couronne, en vertu de la loi et en vertu du traité avec les Sauvages Montagnais, n'a pris ces terres qu'en fiducie et avec la charge d'en disposer pour le bénéfice des Sauages. Le revenu de ces terres revient au Gouernement Fédéral puisque lui seul peut en faire la distribution aux Sauvages, et peut régler cette distribution. Le Gouvernement Provincial, si la Réserve existe en vertu de la loi créant les réserves, ne peut avoir aucune prétention sur ces terres indiennes.

(2) Quelle est la loi qui peut s'appliquer à l'administration par la Couronne de ces terres des Sauvages? Nous la trouvons encore dans l'Acte des Sauvages" "49" Victoria, compris dans les Statuts Revisés du Canada 1886, puisque c'est ce Statut qui doit s'appliquer dans notre cause vu la vente par le Shérif a eu lieu en 1889.

Il est évident, par cette loi, que les droits des Sauvages sur les terres des Sauvages ne sont pas les mêmes que ceux qu'ils peuvent avoir sur les Réserves. La Couronne n'administre pas ces biens de la même façon. Elle peut concéder, vendre louer ces terres à qui elle le désire et aux conditions qu'elle fixe; elle peut également consentir à la cession ou au transport de ces terres par un ou plusieurs acquéreurs. Ces acquéreurs peuvent être des Blancs ou des Sauvages indifféremment, puisque le Sauvage peut acquérir des biens, sous la réserve cependant que ces biens ne sont plus considérés comme des biens de Sauvages. Tous les droits que peuvent avoir les Sauvages sont de retirer l'intérêt des capitaux provenant de la disposition de ces terres des Sauvages. La Section "42" des Statuts Refondus de l'Acte des Sauvages, "49" Victoria, ain- si que les Sections suivantes, établissent parfaitement ces droits.

En 1878, David Philippe a acquis la terre dont il est question en cette cause pour le prix de $26.25; sur lesquelles il a payé $5.25. Cette acquisition n'est pas ce que la loi prévoit par ce qu'elle appelle la localisation d'un Sauvage. Sur les Réserves tout Sauvage, à certaines conditions, peut se faire localiser, c'estàdire avoir un terrain ne dépassant pas une certaine étendue et alors, ce terrain sur lequel il est localisé ne peut être sujet aux taxes ni aux hypothèques. Si avant l'abandon fait par les Sauvages Montagnais à la Couronne de la partie de terre où se trouve situé l'immeuble en cette cause, David Philippe en vertu de la loi, s'était fait localiser sur cette partie de terrain; la possession n'aurait pas été changée quant à lui; c'est ce que veut dire la Section "40" lorsqu'elle statue:

"Rien dans le présent acte n'aura l'effet de confirmer une cession ou un abandon qui sans le présent acte aurait été nul, et nulle cession ou l'abandon d'une Réserve, ou portion d'une Réserve à une personne autre que Sa Majesté, ne sera valide".

Et la Section "41" confirme encore ce que nous venons de dire.

Mais David Philippe ne s'est pas fait localiser sur ce demi lot No. 3 pendant que ce demi lot faisait partie de la Réserve. Ce n'est qu'après l'abandon fait à la Couronne que, conforément à la Section "42", il a acquis cette terre. La Couronne avait donc parfaitement le droit de ratifier une cession des droits de David Philippe comme elle l'a fait.

De plus cette terre dont David Philippe était devenu le propriétaire par son acte d'achat était sujette aux taxes en vertu de la Section "77" comme toutes les terres avoisinant celle-là.

David Philippe de 1878 à 1889 n'a rien payé sur le prix de son lot et il y a fait certaines améliorations. Il a de plus fait des affaires et il s'est endetté; il a laissé prendre un jugement contre lui; et en vertu de ce jugement, la terre a été saisie et vendue. Cette vente par le shérif en vertu de ce jugement, affectant l'immeuble, ne peut pas être nulle puisque la Section "78" déclare cette validité sur tous les biens d'un Sau- vage qui sont sujets aux taxes en vertu de la Section "77". Voilà pourquoi le Département des Sauvages, après cette vente par le shérif, a ratifié le transport que cette vente faisait à Pierre Giroux. La lettre du Département, envoyée à Giroux, a été perdue mais nous avons la confirmation de cette ratification par certains exhibits produits à l'enquête. Aainsi nous avons le reçu de l'agent des Sauvages à la Pointe Bleue daté du 22 juin 1889 et qui se lit comme suit:

"Reçu de Mr. Pierre Giroux la somme de $164.32 en paiement du demi lot Sud-Est No. 3, rang premier du Township Ouiatchouan, suivant instruction du Département et son contrat de vente pour le dit demi lot".

Nous avons aussi une lettre du Député Surintendant général, exhibit D-6, nous disant que le nom de Pierre Giroux cessionnaire, et le transport fait par le vente du shérif est entré dans les livres du Département. Et nous avons aussi une lettre du Député Surintendant Général des Sauvages établissant que ce transport a été confirmé, mais demandant au Député Ministre de la Justice, si oui ou non, il n'y a pas eu erreur.

Il y a donc là la preuve que la cession faite par le shérif avait été acceptée par le Département, et même par le Surintendant Général des affaires indiennes conformément à ce que demande la loi. Le Département reconnaissait parfaitement quelle était la position de Philippe acquéreur de ce lot, en premier Iieu.

L'action admet presque tous ces faits, mais elle est basée surtout sur le point que la confirmation de la cession faite à Giroux a été donnée par erreur.

Comment la Couronne prouve-t-elle son erreur dans cette cause?

Nous trouvons que cette erreur qu'elle invoque est basée sur les faits relatés au Surintendant Général des affaires des Sauvages dans sa lettre au Député Ministre de la Justice le 27 septembre 1889, Exhibit D-7; cette lettre dit entr'autre cho- se:

"It was unfortunately omitted to be stated that said David Philippe was an Indian to whom the land in question had been sold by this Department. This lot of land being located by an Indian and not held by lease, or in fee simple by him, as required under Section "77" sub. Sec. 1 of the Indian Act to sur cette lettre du Département des Sauvaes, le Député Ministre de la Justice répond le 9 octobre 1889, que dans le cas mentionné par le Département des Sauvage, la possession de Giroux est mauvaise et que la vente du shérif doit être déclarée nulle, en vertu de la Section "78", de l'Acte des Sauvages.

Voilà la prétention de la Couronne. Mais cette prétention est-elle juste?

D'après l'interprétation de la loi que nous avons donné plus haut, il n'y a pas eu l'erreur que suppose le Département. Ce dernier ne relate pas les faits tels qu'ils sont lorsqu'il dit, que cette terre n'est pas tenue en vertu d'un bail ou d'une acquisition. Le titre que la Couronne elle-même, produit, établit que Philippe a acheté cette propriété, qu'il l'a possède en toute propriété, et de manière à pouvoir obtenir une patente, en remplissant les conditions de paiement que lui impose son acte d'achat. Nous ne croyons pas que le Département a fait erreur, lorsque, précédemment à cette correspondance, il avait accepté la cession faite par Giroux et la balance du prix de vente, due par David Philippe.

Nous ne croyons même pas que Pierre Giroux était obligé de payer les améliorations du lot faites par David Philippe. Nous croyons donc que la possession de Giroux lui a été accordée régu- lièrement sans aucune erreur, et que le Département ne peut pas aujourd'hui le déposséder.

Si la Couronne a prouvé ses titres, il faut les prendre tels qu'ils sont. Or, la loi lui donne le droit de vendre ce lot, pour le bénéfice des Sauvages, et la loi de plus, lui donne le droit de ratifier toute cession faite par les acquéreurs, qu'ils soient Sauvages ou non. C'est ce qui a été fait et le titre qu'elle produit à l'appui de son action, Exhibit P-3 à l'enquête, est bien conforme aux faits tels qu'ils existent. Ce titre est une copie certifiée par le Député Surintendant des Sauva- ges; ce qui indique que le tout a été ratifié par lui. D'ailleurs, le tout l'indique à la lecture:

"Original Purchaser, David Philippe assigned to Pierre Giroux".

La Section "51" de l'Acte des Sauvages ne donne pas au Surintendant Général le pouvoir arbitraire d'annuler les concessions ou les cessions et transports faits en vertu de la loi, mais elle donne à cet officier le droit de le faire, s'il y eut erreur, comme la Section "46" lui donne également le droit de le faire, s'il y a eu fraude.

Le Département a tellement bien compris cela, qu'après la consultation du Député Ministre de la Justice, prise en 1889, et favorable à l'annulation, il n'y a eu rien de fait. Si c'eût été fait, cela apparaîtrait par l'Exhibit P-3 à l'enquête. Ce qui démontre encore plus fortement les doutes, pour ne pas dire la conviction du Département, c'est le fait d'attendre avant de prendre une action. Il y a bien une lettre au dossier, qui prétend que ce retard est dû à la négligence des avocats qui se sont envoyé de l'un à l'autre les papiers du Département; mais le temps est si long, qu'il nous est impossible de croire que le Gouvernement était anxieux de faire annuler cette vente par le shérif.

Le Département a gardé en mains l'argent à lui payé par Giroux, savoir les $164.00 et a refu- sé même d'accorder ce montant à Philippe, tel qu'il appert par une lettre du Député Surintendant Général en date du 23 août 1889 Exhibit D-6.

(3) Le demandeur ès-qualité en prenant son action, ne réclame pas seulement la possession du lot, l'annulation de la vente par le shérif, mais aussi un montant de $2,000.00 pour les fruits et revenus que Giroux aurait pu percevoir de ce lot, pendant les vingt-deux ans qu'il l'a occupé; et, avec son action, il offre le prix de vente par le shérif et le prix payé au Département des Sauvages.

Si la vente du shérif est nulle, le Département n'a pas à rembourser ce montant de $500.00 et les intérêts. Mais si la Couronne prétend qu'elle a ratifié cette vente par erreur et qu'elle a ainsi laissé Giroux prendre possession de ce lot, alors elle est obligée de rembourser les $500.00 et les $164.00 payées pour les améliorations de David Philippe. Bien plus, elle serait obligée de payer les améliorations faites par le possesseur. La Section "51" nous parait claire sur ce point, et voici ce qu'elle dit:

"Dans tous les cas où il aura été fait et délivré pour le même terrain des concessions ou lettres patentes contradictoires entre elles par suite d'erreur, et dans tous les cas de ventes ou d'affectations du même terrain contradictoires entre elles, le Surintendant Général pourra, s'il y a eu vente, faire rembourser le prix de vente avec intérêt; ou si le terrain a cessé d'appartenir à l'acquéreur primitif, ou s'il y a eu des ventes faites avant la découverte de l'erreur, il pourra en remplacement, assigner du terrain ou accorder un certificat donnant droit au titulaire d'acquérir les "Terres des Sauvages" de la valeur et de l'étendue qui lui paraîtront justes et équitables dans les circonstances. Mais aucune réclamation de ce genre ne sera acquise que si elle est faite dans les cinq ans à compter de la découverte de l'erreur".

Lorsque le Département a découvert sa prétendue erreur, il devait donc faire rembourser le prix, voir s'il y avait eu des améliorations de faites, les évaluer, annuler la vente et mettre Giroux en demeure de prendre d'autre terrain. Rien n'a été fait; au moins rien n'est prouvé. Et ce n'est que vingt-deux ans après avoir connu cette erreur, que la Couronne réclame et le lot et les reenus qu'en a retirés le défendeur. Il y a certainement des concessions contradictoires dans les livres du Département et la Couronne n'était peut-être pas obligée de donner effet de suite à l'annulation des concessions que lui permettait la découverte de cette erreur; mais si elle a voulu attendre vingt-deux ans pour invoquer cette erreur, elle devait, conformément à la Section "51" assigner au défendeur un terrain ou lui accorder un certificat lui donnant le droit d'acquérir des terres des Sauvages de la valeur et de l'etendue que représente le prix payé pour la terre et les améliorations faites.

Cette valeur des améliorations a été prouvée surabandamment et elle représente plusieurs milliers de piastres. Ce n'est, qu'après ces procédés qu'elle aurait pu prendre une action; et encore, nous avons des doutes que cette procédure fut la bonne dans les circonstances.

De fait, "l'Acte des Sauvages" établit parfaitement les procédures à suivre, quant il y a eu fraude ou erreur dans l'acquisition ou la localisation des terres des Sauvages. Il suffit au Département, en vertu de la Section "46", d'annuler lui-même la vente ou le bail et reprendre possession du terrain ou disposer de ce terrain comme si la vente ou le bail n'eut jamais été faits. Et, à défaut du possesseur de remettre la possession du terrain après la révocation ou l'annulation, le Surintendant Général pouvait s'adresser à un Juge de la Cour Supérieure du District où la terre est située, et demander un bref de possession sur lequel l'issue se serait jointe, et qui aurait permis au shérif d'exécuter cet ordre comme dans une action en éviction.

Le plaidoyer du défendeur réclamant $5,000.00 pour améliorations et impenses n'est pas un plaidoyer de compensation, mais simplement un plaidoyer pour établir les faits que prévoit la Section "51".

Pour toutes ces raisons, nous croyons que le titre produit par la Couronne dans son enquête est le juste titre qu'elle devait donner à Giroux et qui paraît au livre du Département. La demande a prétendu que tout acte du Département devait être approuvé par le Surintendant Général. Oui, mais aussi le titre et les lettres sont téellement émanés du Surintendant Général, représenté par son Député. C'est au moins ce qui appert au dossier.

Elle a prétendu également que les actes du Département ne pouvaient pas lier la Couronne et elle a cité plusieurs jugement à l'appui. Ces jugements ne s'appliquent pas dans notre cause. Ils se rapportent à des actes faits par un chef de Département non autorisé par la loi. Mais qui agit conformément aux pouvoirs que lui donne la loi, aux pouvoirs que lui donne la loi, aux pouvoirs que lui a conférés le Parlement, lie la Couronne parce que, dans ce cas, le Département ne fait qu'exécuter la loi.

Le défendeur a donc établi ses titres et la Cou ronne, en admettant ses titres, n'a pas établi qu'ils avaient été donnés par erreur ou fraude. Elle ne peut annuler les titres émanant d'elle et déposséder qui elle a mis en possession conformément à la loi.

Pour ces raisons, l'action doit être renvoyée.

Ce jugement a été confirmé par la Cour d'Ap- pel le 29 juin 1915.

L.P. Girard, proc. du demandeur.

Belly & Gagné, procs. du défendeur & et mis- en-cause.