(433)     DOHERTY v. GIROUX     135

Action pétitoire--Terres indiennes et réserves des Sau- vages--Abandon par la tribu--Domaine fédéral et domaine provincial. Concession par l'agent des Sau- vages--Interprétation des mots Indian located-- Vente par le shérif--C. proc., art. 778--Acte de l'Amérique britannique du Nord, art. 91 et 109--14- 15 Vict, ch. 106--16 Vict., ch. 159, art. 24, et ch. 182, art. 58--23 Vict., ch. 151--51 Vict. ch. 22, art. 3--S. ref., (1888) ch. 43, art. 77--S. rev. (1906), ch. 81, art. 21, 48, 52, 101.

1. Les terres des sauvages (Indian Lands) ne sont pas pos- sédées par la Couronne en fidéicommis ou in trust pour les sau- vages qui lui en ont fait l'abandon; elles lui appartiennent en toute propriété comme les autres terres publiques, à charge de dis- tribuer tous les ans, entre les membres de la tribu qui en a con- senti l'abandon, les intérêts - provenant du placement de leur prix de vente. Church v. Fenton suivi (1) 5 R.C. supr. 239..

2. Lorsqu'une tribu sauvage fait l'abandon d'une réserve à la Couronne, l'intérêt bénéficiaire de la tribu dans les terres de cette réserve échoit aux provinces, et non au pouvoir fédéral.

3. Les terres des sauvages (Indian Lands) deviennent taxa- tives, du moment qu'elles sont vendues par le gouvernement, ne fût-ce que par simple billet de location ou permis d'occupation.

4. Un sauvage peut, comme toute autre personne, se porter acquéreur d'un lot de terre, qui a fait partie d'une réserve, lorsque cette réserve a étée régulièrement abandonnée à la Couronne; mais il ne bénéficie, quant à cet immeuble, d'aucun privilêge d'exemp- tion de taxes ou d'insaisissabilité.

5. Aux termes des articles 21 et 101, de l'acte des Sauvages' un sauvage localisé (Indian located)--bénéficiant des privileges d'exemption de taxes et d'insaisissabilité,--est un sauvage à qui un terrain a été attribué par la tribu pendant l'existence de la réserve (i.e., avant que cette réserve n'ait été abandonnée à la Couronne), et qui a continué é l'occuper (2) Cette cause est portée devant la Cour suprême..


136     DOHERTY v. GIROUX     (434)

Le jugement de la Cour supérieure du district de Chi- coutimi, prononcé le 12 novembre 1914 par M. le juge Letellier, est confirmé.

Les faits essentiels de la cause sont pleinement exposés dans les notes de M. le juge en chef.

Sir HORACE ARCHAMBEAULT, juge en chef. L'appe- lant en cette cause est ministre de la Justice dans le gou- vernement du Canada. Il poursuit l'intimé pour faire déclarer la Couronne propriétaire de certains biens im- mobiliers, et faire condamner l'intimé à en abandonner la possession et à payer les frais et revenus qu'il en a perçus pendant sa détention.

Il s'agit d'un lot de terre situé dans le canton Ouiat- chouan, paroisse de St-Prime, comté du Lac St-Jean. Ce lot de terre a été vendu en justice, en 1889, et adjugé à l'intimé, qui a alors obtenu un titre du shérif. La Couronne prétend que cette vente est nulle, parce que la terre en question était occupée par un sauvage du nom de David Philippe, qui y avait étée localisé; qu'elle for- mait partie des terres des Sauvages; et qu'elle était en conséquence insaisissable.

Comme on le sait, on appelle "terre des Sauvagess", des terres qui faisaient autrefois partie d'une réserve, et que la tribu qui les possédait a abandonnées à la Couron- ne.

Les réserves sont des étendues de terre qui ont été mises à part par le gouvernement, pour l'usage des di- verses tribus sauvages du pays. Après la cession du Ca- nada à la Grande-Bretagne, le 7 octobre 1763, une pro- clamation royale fut émise pour établir quatre différentes colonies en Canada, et il fut déclaré dans cette proclama- tion qu'il était juste et raisonnable de ne pas molester les diverses tribus indiennes du Canada dans la possession de leurs territoires de chasse, et de leur réserver ces terri- toires. Il était, en conséquence, défendu aux gouver- neurs des différentes colonies de faire arpenter les terres stuées dans ces réserves, et d'en disposer par lettres patentes. La proclamation ajoute, que personne ne pourra acquérir des sauvages ces terres qui leur sont ré-


(435)     DOHERTY v. GIROUX     137

servées, et qu'elles ne pourront être cédées qu'à la Cou- ronne par les sauvages réunis en assemblée publique.

En 1851, une loi fut adoptée pour mettre à part cer- taines terres pour l'usage de certaines tribus sauvages du Bas-Canada, et il fut statué que des étendues de terre, n'excédant pas en totalité 230,000 acres, pourraient être désignées, arpentées et mises à part par le commissaire des terres de la Couronne, et appropriées, par arrêté en conseil, pour l'usage des diverses tribus sauvages du Bas- Canada (14--15 Vict., ch. 106.)

En vertu de cette loi un arrêté en conseil fut adopté, en 1856, accordant à la Bande Montagnaise du Saguenay, une réserve de 20,000 acres de terre, à l'ouest du lac St- Jean, dans la région du Saguenay, à un endroit appelé la "Pointe Bleue".

En 1868, à la première session de la Confédération, une autre loi fut adoptée pour établir les conditions et les formalités qui seraient requises é l'avenir pour l'abandon, à la Couronne, par une tribu de sauvages, d'une réserve ou d'une partie de réserve attribuée à cette tribu. Il serait sans utilité de mentionner ces conditions et ces forma- lités.

En 1869, la Bande des sauvages Montagnais fit abandon à la Couronne de la réserve qui lui avait été attribuée en 1856.

A partir de ce moment, les terres de cette réserve sont devenues des Terres des Sauvages. Ces terres devaient être administrées par la Couronne pour le bénéfice des sauvages de la Bande Montagnaise. La Couronne pou- vait en disposer comme de toute autre terre publique.

On a pretendu, devant cette Cour, que les Terres des Sauvages sont possédées par la Couronne en fidéicom- mis ou in trust pour les Sauvages qui en ont fait l'abandon. C'est là une erreur. Ces terres sont possédées par la Couronne comme toutes les autres terres publiques, comme les terres des écoles, les terres du clergé, et les autres terres de la Couronne. La seule chose qui les distingue, c'est que les sommes d'argent provenant de leur vente doivent être placées à intérêt, et que les inté- rêts en provenant doivent être distribués tous les ans entre les membres de la bande qui en a fait l'abandon.


138     DOHERTY v. GIROUX     (436)

Cette question a été décidée, dans le sens que je viens d'indiquer, dans une cause de Church v. Fenton, qui a été décidé d'abord en 1878, par la Cour des plaidoyers communs d'Ontario, et ensuite par la Cour d'appel d'Ontario, et enfin, par la Cour suprême du Canada. [Citation (1) 28 U.C.C.P. Rep. 388; 4. O. App. Rep. 162; 5 Supr. C. Rep. 239..]

Dans une autre cause de St. Catherine Milling and Lumber Co. v. the Queen, aussi une cause de la province d'Ontario, le Comité judiciaire du Conseil privé, en 1888, a également, sanctionné le même principe. [Citation (2) L.R. 14 App. Cas. 46..]

Le fait est que, dans la proclamation du 7 octobre 1763, le roi Georges III, parle des réserves des Sauvages comme de terres formant partie du domaine et des terri- toires de la Couronne "parts of Our dominions and territories"; et il réserve ces terres aux Sauvages pour leur territoire de chasse: "as their hunting grounds," jusqu'à ce que Sa Majesté en décide autrement: "until Our further pleasure be known."

Aussi, dans cette cause de St. Catherine Milling and Lumber Co. v. the Queen, le Conseil privé a-t-il décidé que la tenure des Sauvages était un simple droit personnel et d'usufruit dépendant du bon vouloir de la Couronne.

Une autre question beaucoup plus intéressante et plus difficile, qui a été décidée dans cette cause, c'est que cet intérêt bénéficiaire des Sauvages dans les terres des réserves est transmis aux provinces, et non au pouvoir central, lorsque les Sauvages font abandon d'une réserve à la Couronne. Le pouvoir de législation qui est accordé au parlement du Canada sur les terres des Sauvages, par le paragraphe 24 de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, n'est pas incompatible avec l'in- térêt bénéficiaire des provinces dans ces terres. [Citation de lord Watson dans la cause de St. Catherine Milling.]

Le point que je viens d'exposer est soulevé formelle- ment, par l'intimé en la présente cause, dans la défense qu'il a produite à l'encontre de l'action de l'appelant. Le treizième paragraphe de cette défense se lit comme suit:


(437)     DOHERTY v. GIROUX     139

"13. Si ce lot appartient encore à la Couronne,--ce que le défendeur nie,--il est tombé dans le domaine de la Couronne, représentée par le gouvernement de la pro- vince de Québec et non pas par le gouvernement d'Otta- wa."

La Cour de première instance a refusé d'admettre cette prétention, en se basant sur le paragraphe 24 de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, qui men- tionne "les Sauvages et les terres réservées pour les Sauvages" dans l'énumération des matières qui sont de la juridiction du parlement fédéral.

Comme nous l'avons vu, le Conseil privé a décidé que cette disposition de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord n'a pas pour effet d'enlever aux provinces leur droit de propriété dans les terres d'une réserve des Sauvages lorsqu'une bande fait abandon de ces terres à la Couronne.

Le paragraphe 24 a simplement pour objet de mettre l'administration des terres réservées pour les sauvages sous le contrôle législatif du pouvoir fédéral. [Citation de lord Watson dans la même cause.]

Je conclus de ce qui précède, que l'appelant n'a pas le droit de demander que le titre que l'intimé tient du shérif soit déclaré nul et mis de côté, et d'être déclaré lui-même ès qualité proprietairé du lot de terre dont il s'agit. Je ne dis pas que l'appelant n'aurait pas le droit de faire mettre de côté une vente qui aurait été faite par le surintendant des Sauvages, ou son agent, pour cause d'erreur ou de toute autre cause suffisante; car, dans ce cas, il ne ferait que demander de mettre de côté un titre accordé par lui-même; mais nous sommes en présence d'un défendeur qui ne tient pas son titre du pouvoir fé- déral, mais d'un shérif, sur poursuite et vente en justice, et je suis d'avis que le pouvoir fédéral n'a pas qualité pour contester ce titre.

Je pourrais m'en tenir à ce point, et laisser de côté les autres moyens soulevés par l'intimé contre la demande de l'appelant. Mais, comme il s'agit ici d'une question d'intérêt public, il vaut peut-être mieux que ces autres moyens soient examinés et discutés.

L'intimé dit, contrairement à la prétention de l'appe-


140     DOHERTY v. GIROUX     (438)

lant, que le lot de terre en question était saisissable, et que la vente qui en a été faite par le shérif est valide.

La Cour de première instance a donné raison à l'in- timé sur ce point.

ll n'y a pas de doute que les terres qui sont comprises dans une réserve sont exemptes de taxes. Il en est de même de ces terres, lorsqu'une bande en a fait l'abandon à la Couronne, aussi longtemps qu'elles sont possédées par celle-ci. Mais, du moment qu'elles sont vendues par le gouvernement, même par simple billet de location ou permis d'occupation, et avant l'émission des lettres pa- tentes, elles deviennent taxatives.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Autrefois, les terres vendues par la Couronne ne devenaient taxatives qu'a- près l'émission des lettres patentes. C'est en 1853 que la loi est venue permettre au commissaire des Terres de la Couronne d'accorder des permis d'occupation aux personnes qui désireraient acheter des terres publiques, et déclarer que ces terres seraient sujettes aux taxes municipales (1) 15 Vict., ch. 159, art. 24, ch, 182, art. 58. Dans la cause de Church v. Fenton, dont j'ai déjà parlé, le juge Gwynne dit à ce sujet: [Citation.]

Mais cette législation de 1853 ne s'appliquait pas aux terres des Sauvages. Elle s'appliquait seulement aux autres terres publiques, terres de la Couronne, terres du clergé, et terres des écoles. Le juge Gwynne dit à ce sujet: [Citation.]

Mais un statut adopté en 1860 (2) 23 Vict., ch. 151. renferme une disposition autorisant le gouverneur en conseil à déclarer que les dispositions de l'acte des Terres publiques, adopté à la même session, s'appliqueraient à l'avenir aux terres des Sauvages, et, le 7 août 1861, un arrêté en conseil fut adop- té assimilant les Terres des Sauvages aux autres terres publiques. C'est depuis cette date qu'elles sont taxa- tives, à partir du moment où elles sont occupées par une personne, en vertu d'un billet de location ou d'un per- mis d'occupation.

L'appelant prétend que le lot de terre, dont il est ques-


(439)     DOHERTY v. GIROUX     141

tion dans cette cause-ci, était exempt de taxes, et ne pou- vait être vendu en justice, pour deux raisons:

1. Parce que ce lot ne pouvait être vendu à un sau- vage, et qu'il n'est virtuellement jamais sorti du domaine de la Couronne;

2. Parce que David Philippe était établi sur ce lot, et qu'une terre ne peut être saisie sur un sauvage qui y est ainsi établi.

Examinons ces deux questions. Comme je l'ai déjà dit, le terrain en question a été vendu par le Gouverne- ment en 1878, à un sauvage du nom de David Philippe, et il a été ensuite saisi sur ce dernier en 1889, et vendu en justice à l'intimé en la présente cause. Cette vente à David Philippe, en 1878, n'a aucune valeur, dit l'appe- lant; elle est absolument nulle, parce qu'un sauvage est incapable de devenir acquéreur d'un terrain compris dans les limites d'une ancienne réserve. Il en résulte que le terrain n'est jamais sorti légalement du domaine de la Couronne, et les terres de la Couronne sont insai- sissables.

On ne niera pas, je présume, qu'en thèse générale, un sauvage, comme tout autre individu, est une personne capable d'acquérir des biens, de les posséder et de les aliéner. L'article 99 de la loi des Sauvages déclare ex- pressément qu'un sauvage peut être taxé pour les biens meubles ou immeubles qu'il possède en son propre nom, soit à bail ou en pleine propriété, en dehors de la réserve Ainsi, même si une réserve n'a pas été abandonnée à la Couronne par la bande à laquelle elle a été attribuée, un sauvage de cette bande peut posséder des biens en de- hors de la réserve, et ces biens sont sujets aux taxes comme les autres b'iens de la localité.

Il a même été décidé, par cette Cour, en 1859, dans une cause de Nianentsiasa v. Akwirente et al. (1) 3 Jurist, 316., qu'un sau- vage peut se porter caution en appel pour garantir les frais, s'il est en possession, comme propriétaire, d'après la loi coutumière des Sauvages, de biens immeubles situés dans les limites de la réserve attribuée à la bande à laquelle il appartient.


142     DOHERTY v. GIROUX     (440)

L'article 25 de la loi des Sauvages déclare, qu'un sau- vage peut donner par testament ou léguer toute espèce de biens, de la même manière qu'une autre personne.

Seulement, s'il s'agit d'un terrain situé dans une ré- serve, il ne peut être légué à une personne qui n'a pas droit de résider sur cette réserve, et même s'il est légué à un sauvage qui a le droit d'y résider, il faut que le testament soit approuvé par le surintendant géné- ral.

Il n'y a pas de doute que les Sauvages sont régis par la loi des Sauvages, et non par le droit commun, lorsqu'il s'agit des terres d'une réserve, et des droits des sauva- ges de la bande relatifs à ces terres. Ces terres sont exemptes de taxes et de saisie; elles ne peuvent être attribuées qu'à un sauvage de la bande, et avec l'appro- bation du surintendant; les actions relatives à ces terres ne peuvent être intentées par un sauvage en son nom particulier, elles doivent l'être par le surintendant; un tuteur à un enfant mineur ne peut être nommé en la manière ordinaire; il ne peut l'être que par le surinten- dant, etc. Mais lorsqu'une réserve a été abandonnée à la Couronne, elle n'existe plus. L'article 2 de la loi dit expressément qu'une réserve est toute l'étendue de terre mise à part pour l'usage ou le profit d'une bande de Sauvages, et qui fait encore partie de la réserve. Ainsi, si une partie d'une réserve a été abandonnée à la Couronne, cette partie n'est plus une réserve. Si toute une réserve est abandonnée, cette réserve cesse d'exister comme telle. Comme nous l'avons vu plus haut, les terres d'une ré- serve abandonnée deviennent des terres publiques, comme toutes les autres terres de la Couronne, et le gouverne- ment peut en disposer en faveur de toute personne quel- conque, même d'un sauvage, à moins qu'il n'existe quel- que disposition dans une loi qui ne permette pas à un Sauvage de les acquérir.

L'appelant prétend qu'une telle disposition existe dans la loi des Sauvages.

Cette loi déclare que le Gouvernement peut vendre les terres des Sauvages à des personnes ou à des individus, et l'article 2 dit que les expressions "personne" et


(441)     DOHERTY v. GIROUX     143

"individu" signifient un individu autre qu'un sauvage. Il en résulte, dit l'appelant, que la Couronne ne peut dis- poser des terres des Sauvages qu'en faveur de personnes autres que des sauvages.

Ce raisonnement ne m'a pas convaincu. Du moment que les Sauvages, en thèse générale, ne sont pas inca- pables d'acquérir des biens, excepté dans les réserves, pourquoi la Couronne ne pourrait-elle pas leur vendre des terres comme à tout autre individu? Il ne me pa- raît pas exister de raison valable pour nier ce droit à la Couronne, et il faudrait une disposition bien formelle de la loi à cet effet pour déclarer un Sauvage incapable d'acquérir une terre publique dans ce cas spécial. Aussi, du moment que la loi peut être interprétée autrement, je ne suis pas disposé à lui donner l'effet de créer une in- capacité.

Or, il me semble qu'il existe une autre interprétation beaucoup plus conforme à l'économie générale de cette loi. Comme nous l'avons déjà vu, lorsqu'une réserve existe, les terres de cette réserve ne peuvent être attri- buées qu'aux Sauvages de cette réserve. Mais du mo- ment que la réserve cesse d'exister, les terres peuvent être vendues à n'importe qui, et, par conséquent, à d'au- tres individus que les Sauvages. C'est là, dans mon opinion, le sens qu'il faut donner à la loi. Son objet n'est pas de déclarer que les Sauvages ne pourront pas acquérir les terres de l'ancienne réserve, mais d'édicter que les blancs pourront les acquérir.

Ainsi, je suis d'avis qu'un Sauvage peut acheter un lot de terre qui a fait partie d'une réserve; lorsque cette réserve a été régulièrement abandonnée à la Couronne. Par conséquent, la vente qui a été faite à David Philippe, en 1878, était valide, et le lot de terre dont il s'agit est alors véritablement sorti du domaine de la Couronne.

L'appelant dit, en deuxieme lieu, que le lot de terre ne pouvait être vendu en justice, parce qu'un Sauvage y était établi. Ici encore, il s'agit d'interpréter une dispo- sition de la loi des Sauvages. Cette fois, c'est l'article 101 de la loi qu'il faut interpréter. Cet article se lit comme suit: [Citation.]


144     DOHERTY v. GIROUX     (442)

L'appelant dit que David Philippe était un sauvage localisé ou établi (an Indian located) sur le lot de terre dont il s'agit; et que, par conséquent, ce lot de terre ne pouvait pas être taxé, et par suite, était insaisissable, en vertu de l'article 102, qui déclare qu'on ne peut saisir que les terres sujettes aux taxes.

Cette prétention de l'appelant est celle qui a été ex- primée par le département de la Justice, en 1889.

Si David Philippe était un Sauvage localisé (Indian located) sur le lot de terre dont il s'agit, je serais d'opi- nion que l'appelant a raison sur ce point. Le lot de terre aurait été alors insaississable.

Mais, l'appelant assume comme établi un fait qui n'existe pas, et c'est cette erreur qui a donné lieu au présent litige. David Philippe n'était pas, lors de le saisie et de la vente en justice du terrain acheté par l'in- timé, un Sauvage localisé (Indian located) sur ce lot de terre.

Comme nous l'avons vu, David Philippe a acheté ce lot de terre du Gouvernement en 1878. L'appelant lui- même en a fait la preuve, en produisant une copie du registre du département certifiée par le sous-surinten- dant général des Affaires des Sauvages.

Ce document établit que le lot a été vendu à David Philippe, en 1878, et ensuite cédé à l'intimé, en 1889, après la vente du shérif.

Or, un Sauvage localisé (Indian located) est un Sau- vage qui a été établi sur une terre d'une réserve avant l'a- bandon de cette réserve à la Couronne, et qui y est resté établi après cet abandon. Jusqu'à ce que le lot de terre soit vendu par le Gouvernement, il continue à être consi- déré comme un Sauvage localisé, mais du moment que le lot est vendu, il est obligé de déguerpir. Il suffit de lire l'article 21 de la loi, pour se rendre compte de la chose. Je cite la version anglaise "No Indian shall be deemed to be lawfully in possession of any land in a reserve, unless he has been or is located for the same by the band."

Un "Indian located", est donc un Sauvage à qui un terrain a été attribué par la bande pendant l'existence de la réserve. C'est l'interprétation que la Cour de pre-


(443)     DOHERTY v. GIROUX     145

mière instance a donnée aux mots "Indian located", et je partage absolument son opinion. C'est d'ailleurs celle que le législateur lui-même a donnée à la disposition de l'article 101 de la loi.

Je dois dire d'abord que c'est en 1888, par le statut 51 Vict. ch. 22, s. 3, que cette disposition a été introduite dans la loi. Jusqu'en 1888, on s'était contenté de dire (c'était l'art. 77 du ch. 43 des S. rev., 1886) que les terres tenues par la Couronne pour les Sauvages etaient exemp- tes de taxes. C'est le statut de 1888 qui a introduit la disposition exceptionnelle, qu'il s'agit d'interpréter, pour les terres occupées, vendues, ou qu'il a été convenu de vendre, c'est-à-dire les terres pour lesquelles la Couronne a accordé un permis d'occupation ou un billet de location. Cette disposition a donné lieu à un débat. On a demandé et on a obtenu des explications. Ces explications éta- blissent clairement la signification qu'il faut attacher à cette partie de la loi. Ouvrons le Hansard de 1888. Voici ce qu'on lit, à la page 1037: [Citation.]

Il me semble qu'après la lecture de ce débat, il ne sau- rait y avoir de doute sur la signification de la loi. Les terres abandonnées à la Couronne par une bande de Sauvages sont exemptes de taxes tant qu'elles restent en la possession de la Couronne, ou d'un Sauvage qui y a été localisé pendant l'existance de la réserve et qui a continué à l'occuper. Mais, du moment que la Couronne aliène ou vend un lot de terre, l'occupant est obligé de déguer- pir, et la terre devient taxative.

Dans l'espèce actuelle, la Couronne a aliéné le lot en litige en 1878. Ce lot est donc devenu alors sujet aux taxes, et par conséquent saisissable.

Il est évident qu'on ignorait au département que cette vente avait en lieu, et c'est parce qu'on a cru, erroné- ment, que David Philippe était un "Indian located" qu'on a institué la présente action. La lettre de Power le dit expressément: "The land being located by an Indian and not held by lease or in fee simple by him, would be exempt from taxation, and therefor not liable to any lien or charge by mortgage, judgment or other- wise." Il est certain qu'une opinion différente eût été


146     DOHERTY v. GIROUX     (444)

exprimée, si l'on eût su que le lot était occupé par Phi- lippe en vertu d'un bail, et non "as being located."

Je conclus de ce qui précède que, pour cette deuxième raison, à savoir que le lot était sujet aux taxes et saisis- sable, lorsqu'il a été saisi et vendu, la présente action est mal fondée, et que le jugement qui l'a rejetée doit être confirmé.

Il y a un autre moyen invoqué par l'intimé a l'encontre de l'action, c'est qu'après son acquisition du shérif, il a payé au gouvernement la balance due sur le lot par David Philippe, et qu'il a ainsi, en sus de son titre du shérif, un titre du Gouvernement lui-même. Il est inutile d'exa- miner ce moyen, du moment que je suis arrivé à la con-- clusion que le titre du shérif est valide.

On pourrait aussi prétendre que l'appelant aurait dû demander l'annulation du titre du shérif; et encore, que l'intimé était un possesseur de bonne foi qui a fait les fruits siens; que, par conséquent la Couronne n'a pas le droit de compenser les améliorations faites sur le lot par l'inti- mé avec les fruits qu'il en a perçus pendant sa possession; et que l'intimé a le droit de retenir la possession du lot jusqu'à ce qu'il soit remboursé de la valeur de ces amé- liorations; ou que, du moins, l'appelant aurait dû offrir de payer cette valeur. Mais la décision de ces questions n'est pas nécessaire, du moment que le jugement est con- firmé pour d'autres motifs, et je n'en dirai rien.