EX PARTE HANNIS v. TURCOTTE

(1878), 8 R.L.O.S. 708

Quebec Superior Court, Caron J., 9 July 1878

JUGÉ:

Que les biens mobiliers d'un Sauvage sont insaisissables. Le jugement de la Cour des Commissaires de la paroisse de St. Thomas de Pierreville était en ces termes

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC,
District de Richelieu.

COUR DES COMMISSAIRES DE LA PAROISSE DE ST. THOMAS DE PIERREVILLE.

Terme du 7 Janvier 1878.

Présent: THOMAS MAURAULT, Ecuier, Commissaire.
Cause No. 869.
ZOEL TURCOTTE, ECUIER,
Marchand de la paroisse de St. Thomas de Pierreville, dans le dit district de Richelieu,
DEMANDEUR
vs.
LOUIS HANNIS,
Chasseur du village Abénakis de St. François de Sales dans le dit district de Richelieu,
DÉFENDEUR,
&
Le dit LOUIS HANNIS, Opposant afin d'annuler.

Le vingt-sept d'Octobre dernier, cette Cour a émaner un bref d'exécution dans la cause, et le cinq de Novembre dernier une opposition a été admise par le sus-nommé Commissaire.

"Le douze du même mois de Novembre dernier un nouveau bref d'exécution a été émané, le demandeur ayant désisté de la première saisie. Le vingt-six même du mois de Novembre dernier, il a été émané un bref de saisie en vertu d'une opposition du défendeur. Le trois de Décembre dernier, l'opposition a été plaidée. Le Demandeur a payé les frais de la première opposition, Cour tenante, et la cause a été prise en délibéré par le susdit commissaire et remise au sept de Décembre dernier pour jugement, à sept heures après-midi, et le dit commissaire ayant alors ouvert la Cour et déclaré qu'il n'était pas encore prêt à rendre jugement, il remit la cause à ce jour, et maintenant rend le jugement suivant:

Le Défendeur ayant porté opposition à la dite saisie afin d'annular, alléguant certains défauts de forme et prétendant qu'au fond l'on ne peut saisir des effets mobiliers appartenant à un Sauvage, possédant ces effets dans les limites des terres réservées aux Sauvages, et ce d'après l'Acte des Sauvages de la Chambre Fédérale de 1876, je rejette la dite opposition quant à la forme, ne trouvant pas qu'il y ait défaut de forme d'une gravité suffisante pour annuler les procédés,

Et quant au fond: 10. Je ne trouve pas l'objet saisi compris du tout dans l'interprétation de l'expression, réserve donnée dans l'acte suscité,

20. L'article douze du Code Civil du Bas-Canada, dit que " lorsqu'une loi présente du doute ou de l'ambiguité, elle doit être interprétée de manière à lui faire remplir l'intention du législateur et atteindre l'objet, pour lequel elle a été passée; Or l'intention du Législateur ne pouvait être d'exempter l'objet en question de la saisie, qui est une jument; car supposer le contraire, l'acte suscité serait un véritable amendement au dit Code Civil, et cela, par la dite Chambre Fédérale, et, conséquemment, inconstitutionnel, la Chambre Locale ayant exclusivement le contrôle du droit civil dans notre Province.30. "La Section 7 cap. 94 des Statuts Refondas du Bas-Canada dit: "La Cour des Commissaires aura le pouvoir d'entendre juger et de décider d'une manière sommaire, d'aprés les droits des parties enbonne conscience, selon l'équité et au meilleur de la connaissance et du jugement des commissaire ou commissaires qui la tiendront."

40. Que si l'interprétation donnée pour la dite opposition de l'Acte des Sauvages sus-cité, fut fondée, les pauvres Sauvages qui errent dans les forêts et qui ont le plus de besoin de protection, seraient dans la Province de Québec, presque les seuls qui posséderaient des effets suisisissables, n'ayant point l'avantage d'une cité de refuge ou réserve pour y déposer leurs effets à l'abri de la justice. Or, il est bien à présumer que si le législateur de l'acte des Sauvages suscité, avait le pouvoir et l'intention d'exempter de la saisie tous les effets mobiliers des Sauvages, il n'avait pas fait exception de ceux qui en ont le plus besoin.

"Je déboute et rejette donc la susdite opposition et ordonne que la saisie soit déclarée bonne et valable et que la vente de la jument saisie ait lieu suivant la procédure ordinaire, avec dépens contre le Défendeur ou Opposant."

"Donné sous mon seing et sceau, ce sept Janvier dans l'année de Notre-Seigneur mil huit cent soixante-dix-huit."

"THOMAS MAURAULT."

"COMMISSAIRE."

L'affidavit de circonstance pour l'obtention du bref de certiorari était en ces termes:

Louis Hannis, chasseur du village Abénakis de St. François de Sales, dans le district de Richelieu, étant dûment assermenté, dépose et dit:

Qu'il aurait été poursuivi devant la Cour des Commissaires de la paroisse de St.Thomas de Pierreville dans le dit district, par Zoël Turcotte, Ecuier, marchand de la paroisse de St. Thomas de Pierreville, dit district pour une somme de vingt-quatre piastres et cinquante sept centins, par action rapportée le sept Août, mil huit cent soixante et seize (1876), lequel dit jour jugement aurait été rendu contre lui, dit déposant, par défaut, par la dite Cour, et pour la susdite somme en faveur du dit Zoël Turcotte;

Que par après, savoir, le vingt sept Octobre dernier (1877), un Bref de Saisie-Exécution, en vertu du susdit jugement, serait émané de la dite Cour contre les biens meubles et effets du dit déposant, en vertu duquel Bref, auraient été saisis et pris en exécution, une jument blonde âgée de cinq ans et son licou, les propriétés du dit déposant.

Que le cinq Novembre dernier (1877) le dit déposant aurait porté opposition afin d'annuler à la dite saisie, pour informalitiés et irrégularités de la dite saisie, et pour les priviléges et exemptions, en faveur du dit déposant, ci-après mentionnés, concluant à mainlevée de la dite saisie, avec dépens contre le dit Zoël Turcotte, laquelle opposition étant dûment assermentée, fut admise et accompagnée d'un ordre de sursis par l'un des Commissaires de la dite Cour, signifée à l'hussier saisissant et rapportée devant la dite Cour,

Que le douze Novembre dernier après les signification et rapport de la dite opposition, avant qu'aucun jugement, eut été rendu sur icelle et avant aucun désistement, valable de la susdite saisie, et avant paiement des frais occasionnés sur icelle et sur la dite opposition, le dit Zoël Turcotte, aurait fait émaner, de la dite Cour, un autre Bref de Saisie-Exécution contre les biens meubles et effets du dit déposnat, en vertu du susdit même jugement, et aurait, au moyen d'icelui Bref, fait saisir et prendre en exécution, de nouveau, le treize de Novembre dernier (1877) les susdits jument blonde âgée de cinq ans et son licou, ci-dessus mentionnés, appartenant au dit déposant et en sa possession, à sou domicile, au village Abénakis de St. François de Salles, dit district.

Que le vingt-six Novembre dernier (1877), le dit déposant aurait aussi porté opposition, afin d'annuler à la dite saisie, ci-dessus en dernier lieu mentionnée, basée sur informalitiés et irrégularitiés de la dite saisie, et sur les priveléges et exemptions, en faveur du dit déposant ci-après mentionné, laquelle dite opposition fut alors dûment assermentée par le dit opposant, admise et accompagnée d'un ordre de sursis par l'un des Commissaires de la dite Cour et signifiée à l'huissier saisissant et rapportée devant la dite Cour.

Que le sept Janvier courant (1878) après contestation de la dite opposition, en dernier lieu ci-dessus mentionnée par le dit Zoël Turcotte et après preuve faite par le dit déposant de tous les faits, priviléges et exemptions allégués et invoqués en sa dite opposition, Thomas Maureault, Ecuier, l'un des Commissaires nommés pour tenir la susdite Cour des Commissaires de la paroisse de St. Thomas de Pierreville, dans le dit district en sa dite qualité, siégeant et tenant seul une séauce de la dite Cour, en la dite paroisse de St.Thomas de Pierreville, dit district, aurait rendu jugement, sur la dite opposition, déboutant et rejetant la dite opposition ci-dessus en dernier lieu mentionnée, maintenant la dite saisie ci-dessus mentionnée, et ordonnant la vente des animal et effet susdits, du dit déposant, saisis tel que susdit, le tout avec dépens contre le dit opposant, tel qu'il appert au dit jugement dont copie est produite au soutien des présentes;

"Que, à toutes et chacune les dates et époques susdites, avant, depuis et encore actuellement, le dit déposant était, et est un sauvage non-émancipé, dans le sens de l'Acte des Sauvages 1876," de la bande ou tribus des Abénakis, résidant et possédant en commun des terres dans une réserve de la Couronne, accordée et affectée à la dite bande ou tribu, au village Abénakis de St. François de Salles, dans le district de Richelieu; et tous et chacun les animal et effet ci-dessus mentionnés, savoir: "une jument blonde âgée de cinq ans, et son licou," saisis et pris en exécution, tel que susdit, étaient et sont des propriétés et biens mobiliers appartenant au dit déposant et étant par lui possédés, dans la limite de la susdite réserve:

Que par et en vertu du susdit "Acte des Sauvages 1876," les susdits animal et effet propriétés et biens mobiliers, étaient alors et sont encore aujourd'hui exempts de saisie et vente pour dettes ou cause quelconque; et que le dit Zoël Turcotte, par le susdit jugement du sept d'Août, mil huit cent soixante et seize (1876), de la Cour susdite, n'a pu prendre ni obtenir aucun privi- lége en droit sur iceux, propriétés et biens mobiliers du dit déposant, et que la dite Cour des Commissaiares, et le dit Thomas Maureault ès-qualité n'avaient aucune juridiction, ni pouvoir sur les dits propriétés et biens mobiliers, pour en ordonner les saisis et vente, tel que susdit.

"Qu'en conséquence le dit Thomas Maureault, Ecuier, en sa qualité susdite en rendant et prononçant le jugement susdit, du sept Janvier courant (1878), sur la dite opposition ci-dessus en dernier lieu mentionnée, du dit déposant, aurait agi et jugé sans juridiction et aurait commis un excès de juridiction, illégalement et arbitrairement, et en violation du dit " Acte des Sauvages 1876."

Que de plus la procédure sur les dites saisie et opposition, cidessus en dernier lieu mentionnées, contient de graves informalités, important nullité d'icelles, entre autres, les suivantes, savoir:-- 10. Parceque, tel que susdit le second Bref de Saisie susdit et la Saisie faite en vertu d'icelui auraient émané et été pratiquée après les admission, signification et rapport de la première opposition susdite avant jugement sur icelle, sans désistement valable de la dite première saisie et des procédés sur icelle, et avant paiement, par le dit Zoël Turcotte, des frais encourus, par le dit déposant sur les dites premières saisie et opposition. 20. Parceque en pratiquant la susdite seconde saisie, l'huissier saisissant, au lieu de nommer le gardien solvable à lui indiquée par le dit saisi, le dépo sant aurait exigé de lui indication d'un gardien, résidant dans un autre endroit que celui où était pratiquée la dite saisie, et qu'il se serait, le dit huissier, constitué lui-même seul gardien des dits effets saisis; et que justice n'a pas été rendue au dit déposant.

Que le dit déposant aurait été ainsi condamné illégalement et aurait souffert des dommages contre lesquels il a droit de se pourvoir par un Bref de certiorari, droit auquel, il n'a pas renoncé; mais qu'au contraire il s'est expressément reservé par les susdites oppositions, et lecture faite, le déposant a déclaré ne pouvoir signer.

 

Per Curiam : Hannis est un sauvage Abénakis de Pierreville etant en défaut de payer une dette qu'il devait à Turcotte, mar- chand de l'endroit, ce dernier l'a poursuivi devant la Cour des Commissaires de la paroisse, obtint jugement et fit saisir un cheval appartenant à Hannis. Celui-ci fit opposition, alléguant que les biens des sauvages sont insaisissables d'après la loi, et concluant à la nullité de la saisie, tout en se réservant son recours par voie de certiorari ou autrement. M. le Commissaire Maurault, dans un jugement bien élaboré et qui indique du travail en même temps que de l'intelligence, renvoya cette opposition avec dépens, prétendant entre autre choses que, la loi fédérale concernant les sauvages voulût-elle dire que leurs biens sont insaisissables, elle ne devait pas pas recevoir son application en autant qu'elle est inconstitutionnelle en ce que c'est là une question de droit civil relevant de la législature provinciale et non pas de la législature fédérale.

Je considère qu'il se trompe et il a excédé la juridiction en ju- geant contrairement à la loi, et qu'il y avait lieu au bref de certiorari en faveur de Hannis pour faire casser ce jugement. L'on a prétendu que la Cour des Commissaires ayant juridiction ratione-materiae (c'est une demande £6.), il n'y avait pas ouvertura au certiorari et que tout au plus pouvaiton procéder par voie du Bref de prohibition pour arrêter les procédés illégaux adoptés contre Hannis. Je ne dis pas que le remède du Bref de Prohibition n'existait pas, mais ce procédé aurait occasionné des frais beaucoup plus considérables, donnant lieu à une contestation écrite avec enquête etc., pour arriver au même résultat. Il faut dire d'ailleurs que les tribunaux inférieurs, commettent des excès de juridiction chaque fois qu'ils condamnent les justiciables contraire- ment à, ou en violation de la loi, et le bref de certiorari est le reméde à adopter contre ces excès de juridiction.

Je suis d'opinion, comme je l'ai déjà décidé à Québec, dans une cause de Hudon de Lorette, que les meubles des sauvages, lorsqu'il sont sur une Réserve Indienne, sont exempts de saisie, et, dans l'espèce actuelle, le cheval de Hannis, étant gardé par lui à sa demeure au village indien sur leur réserve, ne pouvait être saisi. La loi me parait claire à ce sujet, surtout lorsqu'elle dit que les autres biens des sauvages, par exemple, ce qu'un indien récolterait et aurait sur une terre qu'il aurait louée en dehors de la réserve, sont seuls sujets à la saisie. Cette question de l'insaisissabilité des biens des sauvages a été décidée dans le même sens par le savant et regretté juge Wilfred Dorion , le 22 Mai dernier à Montréal, dans une cause de Lepage vs. Watzo & Watzo opposant; rapporté au long dans le National du 4 Juillet courant. Le cetiorari est maintenu avec dépens.

JUGEMENT:

La Cour, après avoir entendu les parties en cette cause, sur le mérite du Certiorari y émané, et les motions tant du Requérant que du Répondant, celle du Requérant tendant à faire casser un jugement rendu le sept Janvier dernier par Thomas Maurault, siégeant à la Cour des Commissaires de St. Thomas de Pierreville, celle du Répondant, tendant à faire casser le dit Bref de Certiorari et tous procédés faits sur iceux, examiné la procédure et le dossier.

Considérant que le Requérant à etabli sa demande.

A maintenu et maintient le dit Bref de Certiorari.

Rejette la motion du dit Répondant et accordant celle du Requérant, casse, annulle et met à néant, le jugement rendu par Thomas Maurault, Ecuier, siégeant à la Cour des Commissaires de St. Tho- mas de Pierreville, le sept Janvier dernier, en une certaine cause ou Zoël Turcotte, Ecuier, de la paroisse de St. Thomas de Pierre- ville, marchand était demandeur et le dit Louis Hannis, chasseur du village Abénakis de St. François de Salles dit district de Richelieu était Défendeur et le dit Louis Hannis était Opposant et le dit Zoël Turcotte Contestant sous le No. 8698 ordonne au dit Répondant de casser tous les procédés en vertu du dit jugement.

Et condamne le dit Répondant aux dépens de la présente ins- tance distraits à J. B. Brousseau, Procureur du Requérant.

J.B. BROUSSEAU,

Pour le Requérent.

MATHIEU & GAGNON,

Pour le Répondant.