LAFLEUR v. CHERRIER

(1882), 5 L.N. 411

Quebec Superior Court , Loranger J., 30 September 1882

 

JUGÉ--

1. Qu'un officier public qui fait arréter une personne qui est en contravention avec la loi, n'est pas responsable des irrégularités qui se trouvent dans la conviction et dans le mandat d'emprisonnement, lorsque le prisonnier a été libéré sur un Bref d'Habeas Corpus et la conviction cassés sur un Certiorari.
2.--Qu'il incombe au demandeur de prouver que l'arrestation a été faite sans cause probable et par malice.
3.--Qu'une personnne autre qu'une sauvage, qui tra- vaille méme temporairement, sur la réserve de Caughnawaga, après avoir reçu un avis des officiers du Département des Sauvages, à Ottawa, lui défendant de résider sur, et d'avoir à quitter la dite réserve, peut étre légalement arrété et traduit devant un magistrat, sur le mandat de l'agent du Surintendant Général des Affaires des Sauvages, conformément à la 43me Victoria,(Canada, 1880,) ch. 28, sect. 22-23-24.

Dans le cours de l'automne dernier, le défendeur en sa qualité d'agent du Surintendant- Général des Affaires des Sauvages, fit arréter le demandeur pour avoir illégalement résidé sur la réserve de Caughnawaga. Le demandeur est un tilleur de pierres employé aux carrières depuis dix-huit mois, et qui logeait dans une maison de pension du village. Il avait reçu du député-surintendant un avis officiel d'avoir à quitter la réserve. Il fut conduit à Lachine, mais le constable qui l'avait arrêté n'ayant pu trouver aucun juge de paix, le demandeur fut remis en liberté. Il retourna à Caughnawaga où il fut de nouveau arrêté pour la même cause un mois après, et condamné à la prison.

Après avoir été incarcéré huit jours, il fut remis en liberté sur un Bref d'Habeas Corpus et la conviction fut cassé sur Certiorari, à cause de certaines irrégularités dans le mandat d'arresta- tion et dans la conviction.

Sur ces faits, le demandeur intenta une action en dommages contre le défendeur pour $1,000. Il allègue que toutes ces arrestations ne sont que des vengeances exercées contre lui par le défendeur, que tout a été fait à la sollicitation de ce dernier, par malice, sans cause probable et dans le seul but de lui faire du tort. Que le fait d'avoir résider temporairement sur la dite réserve, où il travaillait et prenait sa pension sans y avoir son dimicile, ne constituait pas une offense punissable par la loi.

Le défendeur plaida qu'il était un officier public; et que ce qu'il avait fait, il l'avait fait dans l'accomplissement d'un devoir à lui im- posé par la loi, et par obéissance aux ordres de ses supérieurs. Que d'ailleurs, la loi eut-elel laissé au défendeur quelque discrétion, la conduite repréhensible du demandeur dans la dite réserve aurait justifié ces arrestations.

A l'argument, le demandeur prétendit que son arrestation du 6 Décembre, et sa mise en liberté avant qu'on ne lui eût fait subir aucun precés, suffisait pour lui donner droit à des dommages. Car, il y avait là une reconnaissance que son arrestation était faite sans cause probable.

Et il cita: Addison, Law of Torts, p.571-4; Fisher's-Harrison's Digest, Vol. III, p.5617.

Le défendeur soumit d'abord qu'une personne qui, dans l'exercise d'un droit ou dans l'accomplissement d'un devoir, cause des dommages à quelqu'un, n'est nullement responsable.

Ill cita à l'appui de cette proposition: David v. Thomas, C.B.R., 1 L.C.J. 69; Barnes v. Mostyn, 4 Revue Légale p.542; Sourdat, de la responsabilité, Vol. I, No. 419; Toullier, Vol.II, p. 151, No. 119 in medio ; Proudhon, Usufruit, Vol. III, p.457, No. 1485 in medio; Duranton, Vol. 13, No. 699; Cass. 17 September 1825, (S.V. 25-1-196.)

Le défendeur était justifiable de faire arrêter le demandeur, puisque ce dernier résidait sur la réserve des sauvages à Caughnawaga contraitement au Statut 43 Vict., [Canada, 1880], ch. 28, sections 22-23-24.

Le fait que le défendeur avait son domicile à Montréal, ne l'empêchait pas de résider ailleurs s'il le voulait. Il y a une difference entre le domicile et la résidence: Demolombe, Vol. I, p. 535: Marcadé sous l'article 102; Cass. 3 juillet 1838, (S.V. 38-1-586) Remarques de l'avocatgénéral Taché et de la Cour.

PER CURIAM. "Considérant que le demandeur réclame des dommages parceque le défendeur, abusant de son autorité comme agent des sauvages, par haine et par malice, l'aurait fait arrêter et condamner à un emprisonnement de vingt jours, sur l'accusation d'avoir résidé contrairement à la loi, sur la réserve de sauvages de Caughrawaga;

Considérant qu'il est admis que le défen- deur était aux époques indiquées dans la déclaration, l'agent des sauvages, et, comme tel officier public, chargé de faire exécuter la loi qui interdit la résidence sur la dite réserve de toute personne autre que les individus appartenant à la bande des sauvages de Caughnawaga;

Considérant qu'en adressant, le premier décembre 1881, un mandat ordonnant au shérif du District de Montréal d'arrêter le demandeur et de le traduire devant un magistrat, pour avoir refusé de se soumettre à l'order de l'agent du surintendant-général des affaires des sauvages de cesser de résider sur la réserve de Caughnawaga, le défendeur a agi en sa qualité d'officer public et dans l'exécution de son de- voir;

Considérant que le défendeur n'est pas responsable des irrégularitiés et des informalités qui ont motivé l'annulation de la conviction prononcée contre le demandeur le 17ème jour de janvier dernier;

Considérant, en outre, qu'il incombait au demandeur de prouver que l'arrestation et l'em prisonnement dont il se plaint avait en lieu par malice et sans cause probable, et qu'il a failli dans cette preuve;

Considérant, au contraire, vu la lettre du surintendant-général des affairs des sauvages, du 31 décembre 1881, défendant aux employés des nommes Stewart et Quinlan, au nombre desquels se trouvait le demandeur, de résider sur la réserve des sauvages de Caughnawaga; et vu aussi que le demandeur avait le 12 novembre reçu, comme susdit avis de quitter la dite réserve, le défendeur, officier chargé d'exécuter les ordres du surintendant-général des sauvages, était, sous les circonstances, justifiable de faire arrêter le demandeur, et de le tra- duire devant un magistrat, et que la dite arrestation n'a pas été faite par malice; La Cour déboute l'action du demandeur avec dépens distraits à MM. Barnard, Beau- champ & Creighton, avocats du défendeur."

Longpré & David pour le demandeur.

Barnard, Beauchamp & Creighton, pour le défendeur.

(J.J.B.)