LEPAGE v. WATZO

(1878), 4 Q.L.R. 81 (also reported: 8 R.L.O.S. 596, 22 L. C. Jur. 97, 1 L.N. 322)

Quebec Circuit Court , Dorion J., 22 May 1878

JUGÉ :--

1. Qu'en vertu de "l'Acte des Sauvages, 1876" (39 Vic. ch. 18.) les bieus meubles et effets mobiliers des sauvages, sont exempts de saisie.
2. Que le mot propriété, employé seul, dans une disposition de la loi, comprend les meubles et les immeubles indistinctement.

Le demandeur ayant obtenu jugement contre le défendeur, pour la somme de $92, fit émaner contre lui, un bref de Fiere Facias de bonis, en vertu duquel ses biens meubles et effets furent saisis, et à l'encontre de cette saisie, le défendeur produisit l'opposition suivante:

Samuel Watzo, chasseur et commerçant, de la tribu des Abénakis de St. François de Sales, dans le district de Richelieu, fai- sant, aux fins des présentes élection de domicile, au bureau de son procureur soussigné, rue St. Vincent, en la cité de Montréal, par sa présente oppositon et moyens d'opposition afin d'annu- ler, à la saisie pratiquée contre lui en cette cause, dit et allègue:

Qu'il est sauvage, aux termes et conditions des lois et statuts concernant les sauvages, et comme tel, qu'il fait partie de la tribu des Abénakis de St. François de Sales; laquelle est régie par les lois générales et les statuts de la Puissance du Canada concernant les sauvages.

Que tous les biens saisis en cette cause étaient, lors de la dite saisie et sont encore actuellement, dans les limites des terres spécialement réservées à la dite tribu, et en la possession du dit opposant, sauvage, comme susdit.

Que tant par les termes généraux que par les dispositions spéciales de l'Acte des Sauvages de 1876, les meubles et effets saisis en cette cause, sont exempts de saisie, et que le demandeur ne peut, en aucune façon, les rechercher en justice, comme il le fait par sa dite saisie; laquelle est illégale, nulle et comme non avenue.

Pourquoi le dit opposant conclut à ce que la dite saisie soit déclarée illégaIe et nulle à toutes fins que de droit: et à ce que main levée lui en soit accordée avec dépens.

A l'encontre de cette opposition le demandeur produisit la contestation suivante:

Et le dit contestant pour moyens à l'appui de sa présente contestation, dit:

Que le fait que l'opposant est un sauvage, n'est pas suffisant dans l'esprit de la loi, pour empêcher la saisie et la vente de ses meubles.

Qu'en vertu de la loi, les immeubles seuls, sont réservés.

Que d'ailleurs, l'opposant est un commerçant, faisant des transactions journalières avec lés blancs; et que s'il y avait par la loi, une exception quant à la saisie des meubles des indiens, cette exception ne saurait s'appliquer à l'opposant.

Et il concluait au renvoi de l'opposition.

A cette contestation, l'opposant répondit en droit, commo suit:

Que toutes et chacune des allégations de la dite contestation, sont mal fondées en droit et insuffisantes pour lui en faire obtenir les conclusions, pour entre autres raisons, les suivantes:

Parce que le dit contestant ne démontre pas et ne fait pas voir par sa dite contestation, que les biens meubles et effets mo- biliers de l'opposant, qui est un sauvage et comme tel, protégé par la loi, soient saisissables.

Parce qu'il ne démontre pas et ne fait pas voir par sa dite contestation, en quoi, comment et pourquoi, le titre de commer- çant de l'opposant et ses transactions journalières avec les blancs, peuvent en loi, rendre ses meubles et effets saisissables.

Parce qu'en vertu des sections 66 et 69 de l'Acte des Sau- vages de 1876 (39 Vic. ch. 18), tous et chacun des meubles et effets du dit opposant, saisis in cette cause, étaient et sont exempts de saisie; et que partant la saisie d'iceux effectuée comme susdit, est entièrement illégale, nulle et comme non avenue. Et l'opposant concluait, pour ces raisons, au renvoi de la dite contestation.

Duhamel, lors de l'audition, prétendit, de la part du contes- tant, que cette opposition était pour le moins futile et devait être déboutée sur le champ.

Il soutenait que l'opposant n'avait fait aucune preuve de la nationalité par lui invoquée: il le pensait cependant sauvage sans traités; mais comme il faisait journellement des transactions avec les blancs, il n'avait aucun titre à la protection de l'Acte des Sauvages de 1876; il prétendit en outre, comme il avait déja prétendu par sa contestation, que les immeubles seulement et non les biens mobiliers des sauvages, leur étaient réservés par la loi, il termina son argumentation, en offrant de prouver que l'opposant était commerçant; mais la Cour le dispensa de ce soin et prit la cause en délibéré.

D'Amour, de la part de l'opposant, produisit, de consente ment, entre les mains du Juge, le factum suivant:

Par son opposition, l'opposant se déclare sauvage abénakis du village St. François de Sales, district de Richelieu, et récla- me, comme tel, la protection de l'Acte des Sauvages de 1876, et par sa réponse en droit, il invoque spécialement les sections 66 et 69 de cet acte.

Le contestant ne lui nie pas sa nationalité de sauvage: au contraire, il l'admet formellement, par sa contestation, mais pré- tend que d'après l'esprit de la loi, il n'y a que ses immeubles d'exempts de saisie; il admet donc implicitement, que s'il s'agis- sait d'immeubles, l'opposition serait bien fondée: mais soutient en même temps, que les meubles de l'opposant ne tombent pas sous l'effet de la loi.

En second lieu, le contestant prétend que parce que l'opposant est commerçant, il n'a pas droit à la protection de la loi.

Cette dernière proposition tombe d'elle-même, la loi ne faisant pas une telle exception.

L'opposant n'avait pas à prouver sa nationalité, ce point étant admis en toute lettre au dossier.

La seule question sur laquelle cette Honorable Cour est appelée à prononcer, est celle de savoir si les meubles comme les immeubles de l'opposant, sont exempts de saisie.

La sec 69 de l'acte sus-cité dit: " Les présents faits aux sauvages ou sauvages sans traités, ni aucune propriété, etc, ne pourront être pris, saisis ou vendu pour aucune dette, etc."

Toute la difficulté roule donc sur l'interpretation que la Cour doit donner au mot propriété qui se trouve dans la section préci- tée; car le contestant prétend que, dans l'esprit de la loi, ce terme ne s'applique qu'aux immeubles seulement et non aux biens mobiliers des sauvages.

Sur l'interprétation que l'on doit donné à ce mot propriété, l'opposant citera:

Pothier, Droit de domaine de propriété, vol. 9, p. 102, No 3. (Ed. de 1845, M. Bugnet.)

Jacob's Law Dictionary Vo Property, col 2, 6e et 8e, al.

Petersdorf's Abridgment, vol. 14, Vo Property, note au bas de p. 84, où l'on trouve la définition suivante du mot propriété: "Property may be defined any thing possessing exchangeable value, and is either real or personal......Estate in ordinary discourse, is applied only to land; but in law, obtains the same signification as property, and may be either real or personal."

Toutes ces autorités s'accordent à dire que le mot propriété s'applique indistinctement aux meubles comme aux immeubles.

Reste maintenant à savoir si l'Acte des sauvages de 1876, s'applique à l'opposant et s'il a droit de l'invoquer.

L'opposant n'hésite pas à répondre affirmativement, puisque cette loi a été promulguée expressément pour la protection de tous les sauvages de la Puissance du Canada: ce qui est exprimé en toute lettre, dans la section 1re du dit acte.

Cette cause fut plaidée le 17 mai 1878, et le 22 du même mois, la cour rendit son jugement, par lequel elle déclara bien fondée l'opposition du dit Samuel Watzo et lui en accorda les conclusions avec dépens.

Opposition maintenue.

J.G. D'Amour, pour l'Opposant;

Duhamel et Associés, pour le Contestant.