MYIOW ET AL. v. PERRIER ET LE PROCUREUR-GÉNÉRAL DU CANADA

[1958] Que.P.R. 212

Quebec Superior Court, Deslauriers J., 4 March 1957

M. le juge Ignace Deslauriers -- Montréal, le 4 mars 1957 -- Cour supé- rieure, no 413,364 -- P. Cutler, pour les requérants.

Bref de prohibition--Expropriation par l'administration de la Voie Maritime du St-Laurent--De terrains dans la réserve de Caughnawaga--Mandat d'un juge de la Cour supérieure agissant comme "persona designata"--Décision du juge ayant été portée en appel--Décision confirmée--Pouvoirs du juge--Loi de l'expropriation [1952 R.C.S. ch, 106] art. 22--Loi de l'Administration de la Voie Maritime du St-Laurent [1952 R.C.S. ch. 242] --Loi des Indiens [1932 R.C.S. ch. 149] art. 35.

1. Sur l'appel "de plano" des requérants, la Cour du banc de la Reine s'est trouvée satisfaite de la juridiction de l'intimé et de sa façon de l'exercer puisqu'elle a décidé de ne pas intervenir.
2. La demande d'un bref de prohibition par les requérants basée sur les mêmes raisons que celles exposées à la Cour d'appel est en fait une demande de revision du jugement de la Cour d'appel qui ne peut être reçue par cette Cour.
3. D'ailleurs, il n'y a pas eu dans la cause qui nous occupe excès ou abus de juridiction.

Les six requérants sont des Indiens Mohawks de la tribu iroquoise, habitant la réserve indienne de Caughnawaga, dans la Province de Québec. Ils occupent sur cette réserve des emplacements requis pour l'aménagement de la voie maritime du St-Laurent. "L'Administration" chargée de l'exécution des travaux de canalisation peut, à cette fin, prendre ou acquérir des terrains, sans le consentement des propriétaire (ch. 242, S.R.C. 1952, amendé par le ch. 58 des Statuts du Canada 1955.) -- La Loi sur les expropriations (ch. 106, S.R.C. 1952) s'applique à ces prises de possession ou achats, mutatis mutandis (section 18). La Loi des Indiens (ch. 149 S.R.C. 1952, section 35,) donne à l'administration de la Voie Maritime du St-Laurent, le pouvoir d'exproprier à ses fins des terrains situés dans une réserve indienne, moyennant certaines conditions, qui dans le cas des requérants ont été remplies.

Ceux-ci, cependant, ne reconnaissant nullement la légalité des lois ci-dessus, nient la juridiction du Parlement Canadien sur eux, en matière d'expropriation. Ils basent leurs prétentions sur un octroi que le roi de France aurait fait à la bande indienne de Caughnawaga en 1680, et qui aurait été garanti à perpétuité par des traités subséquents, souscrits par la Couronne impériale. Ils estiment que la bande de Caughnawaga, en vertu de ces traités, est absolument maître de son territoire, que le gouvernement ne peut rien y prétendre, qu'il est impuissant à légiférer dans leur cas, qu'ils ne cèderont leurs terrains que s'ils le veulent bien. "La bande de Caughnawaga" affirment-ils (allégations 25 et 26 de l'opposition auxquelles il est référé dans l'allégation 21 de la présente requête), "est, en vertu de ces traités, comme un pays étranger pour le Canada, au sens de l'article 132, de l'acte de l'Amérique britannique du Nord". S'appuyant sur ces prétentions, les six requérants, se sont opposés à toutes prises de possession par l'autorité de la voie maritime des terrains qu'ils occupent. Ils ont refusé de déménager. Ils auraient évincé de ces terrains des gens qui s'y sont présentés agissant pour le ministre du transport, l'Administration de la voie maritime du St-Laurent ou pour un entrepreneur, désireux d'exécuter les travaux dont il était chargé pour l'aménagement de ladite voie maritime du St-Laurent.

Devant cette résistance et cette opposition, l'application de article 22 de la Loi sur les expropriations fut demandée. En conséquence, le 10 janvier 1957, l'honorable juge Hector Perrier, l'intimé, un juge de la Cour supérieure, émit un mandat adressé au shérif du district de Montréal, lui enjoignant de faire cesser la résistance ou opposition et de mettre l'Administration de la Voie Maritime du St-Laurent ou ses agents en possession des terrains en question.

Appel fut interjeté de l'ordre ou jugement de l'honorable juge Hector Perrier à la Cour du banc de la Reine, le 14 janvier 1957, prétendant que ce jugement était un jugement de la Cour supérieure et non pas celui d'une persona designata. L'honorable juge Casey, de la Cour d'appel, participant au jugement de cette Cour déclare dans ses notes:

"With respect, I cannot accept these arguments nor can I attach any importance to the other considerations advanced by the appellants. The economy of the Expropriation Act is such that the right of the Crown to expropriate is absolute. It is only the amount of compensation that can be discussed. So far as section 22 is concerned, the warrant therein provided for is only a means of giving effect to the Crown's right to take and the language of the statute makes it quite plain that when a Judge of the Superior Court is called upon, he acts as a persona designata and not as the Court to which he is attached".

L'appel fut rejeté le 19 janvier 1957, la cour déclinant sa juridic- tion et déclarant le jugement a quo sans appel.

Les requérants ayant échoué en appel, demandent maintenant l'émission d'un bref de prohibition contre l'honorable juge Perrier, intimé, agissant comme persona designata, pour faire annuler son jugement, se faire déclarer propriétaires de leurs lots et faire discon- tinuer toutes procédures contre eux par l'intimé ou le mis en cause.

Il n'apparaît pas que les allégués de la requête des requérants sont en conformité avec les faits révélés par le dossier 3595 ex parte des dossiers de cette Cour.

L'article 1003 du code de procédure civile, déclare:

"Il y a lieu à un bref de prohibition lorsqu'un tribunal inférieur excède sa juridiction".

Il semble que la Cour du banc de la reine a tranché la question lorsqu'elle a décidé de rejeter l'appel "de plano" des requé- rants. Il est reconnu en effet qu'elle intervient même dans le cas de jugement sans appel, lorsqu'un excès de juridiction est constaté. C'est ainsi qu'elle a agi dans les causes:

La Cité de Montréal c. Hénault (1) 26 R.L.n.s.270.; Dostaler c. Lalonde (2) 29 B.R. 195.; Hamelin c. Leduc (3) 67 B.R. 366 à 370.; James McShane c. Auguste T. Brisson (4) 6 Montreal Law Reports, 1..

Sur l'appel "de plano" des requérants, la Cour du banc du Roi s'est trouvée satisfaite de la juridiction de l'intimé et de sa façon de l'exercer puisqu'elle a décidé de ne pas intervenir. La demande d'un bref de prohibition par les requérants basée sur les mêmes raisons que celles exposées à la Cour d'appel, est en fait une demande de revision du jugement de la Cour du banc du Roi, qui ne peut être reçue par cette Cour.

D'ailleurs, il n'y a pas eu dans la cause qui nous occupe excès ou abus de juridiction. Toutes les prescriptions de l'article 22 (S.R.C. 1952, ch. 106) de la Loi des expropriations ont été suivies.

En premier lieu, une demande a été faite pour un mandat, à un juge de la Cour supérieure, chargé à la date de sa présentation vers la fin de novembre 1956, de connaître semblables matières, comme à l'ordinaire. Avis a été signifié aux requérants sur l'ordre de ce juge, de faire connaître au moins douze heures avant l'audition de la cause les raisons de leur résistance ou opposition.

Les requérants n'ont nullement protesté ni contre la forme ni contre la teneurs de la procédure. Ils se sont eux-mêmes présentés devant le juge de la Cour supérieure, entendant les affaires de pratique le 1er décembre 1956 pour obtenir la permission de contester la demande faite par écrit, ce qui fut accordée. La cause fut continuée au 5 décembre 1956. Le 4 décembre, les requérants ont produit une "opposition à la requête" comprenant 10 pages et 42 articles où ils exposaient en détails toutes les raisons de leur résistance et opposition. Ils est à noter, qu'eux-mêmes, s'adressant à la Cour et non au juge dans leur opposition, ont payé des timbres judiciaires.

Le 5 décembre 1956, ils se sont rendus devant l'honorable juge Perrier alors chargé, à son tour, d'entendre semblables matières. Ils n'ont nullement décliné sa juridiction. Ils ne se sont élevés contre aucun vice de procédure. Ils n'ont invoqué nul manquement à la loi. Ils ont procédé à faire entendre tous les témoins qu'ils ont voulu faire entendre. Ils ont plaidé tous leurs moyens. A ce moment, ils étaient entendus, tel que le veut la loi, par un juge de la Cour supérieure. Toutes les exigences de l'article 22 de la Loi des expropriations ont été remplies sous la surveillance d'un juge de la Cour supérieure. Le nom de ce juge importe peu lorsque la juridiction est dévolue à la fonction Cf la Loi de l'interprétation, chapitre 158, article 31, sous paragraphes a, b et f, qui se lisent comme suit:

a) s'il est prescrit qu'une chose doit se faire par ou devant un magistrat, un juge de paix, un autre fonctionnaire ou employé public, elle est faite par ou devant un d'entre eux dont la juridiction ou les pouvoirs s'étendent au lieu où la chose doit être faite;
b) chaque fois que pouvoir est accordé à une personne, à un employé ou fonctionnaire de faire ou de faire faire une chose ou un acte, tous les pouvoirs nécessaires pour mettre cette personne, cet employé ou ce fonctionnaire en état de faire ou de faire faire cette chose ou cet acte sont aussi censés lui être conférés;
f) s'il est conféré un pouvoir ou s'il est imposé un devoir au titulaire d'une charge en cette qualité, le pouvoir peut être exercé et le devoir doit être accompli par celui qui alors remplit cette charge;

Si l'accomplissement des formalités de la loi n'était pas à la satisfaction des requérants lorsqu'ils se sont présentés à la Cour, ils devaient s'en plaindre en temps utile. Les irrégularités de procédure sont couvertes par la comparution du défendeur et son défaut de les invoquer. Aucun préjudice n'a été souffert par les requérants qui ont eu toutes les chances de s'expliquer, tel que le veut la loi. L'honorable juge Perrier n'a rien fait de plus que ce que lui permettait la loi. C'est une différence avec le cas de l'honorable juge Forest, dans la cause citée par les requérants: Plante c. Cormier (5) 61 B.R. 8., qui avait ordonné une enquête et l'assignation de témoins dans un décompte judiciaire, s'arrogeant ainsi les pouvoirs de trois juges comme s'il s'agissait d'une contestation d'élection. Il existe aussi une différence entre le cas qui nous occupe et celui de L'Alliance des professeurs catholiques c. La Commission des relations ouvrières (6) 1953 S.C.R. 140.. Dans cette cause, un bref de prohibition a été émis parce que la certification de l'alliance avait été révoquée sans avis. Dans notre cas le principe réaffirmé par la Cour suprême de "audi alteram partem" a bien été observé.

Quant aux arguments que l'intimé a rendu un jugement de la Cour supérieure, plutôt que d'émettre un mandat de "persona designata", basant cette prétention sur les faits que le juge, se serait désigné dans son jugement comme "La Cour" et que des timbres judiciaires auraient été apposés sur les procédures comme s'il s'agissait d'une procédure de la Cour supérieure plutôt que relevant d'un juge de la Cour supérieure, etc., les prôner c'est vouloir revenir à un formalisme tombé depuis des siècles en désuétude. Les termes sacramentels n'existent pas pour les procédures légales. L'excessif attachement aux formes extérieures n'est pas de mise et ne peut servir aucune fin pratique. Que le juge se soit désigné à la première personne ou à la troisième personne, "singulier", ou à la première personne "pluriel", ou qu'il ait employé une formule traditionnelle pour la rédaction de son mandat ou ordre, cela n'importe guère, pourvu qu'il ait eu à ce moment la qualité d'un juge de la Cour supérieure, agissant comme tel, suivant la loi. Arrêt, décision, ordre, ordonnance, règle, décret, mandat, condamnation, sont autant de termes tenus pour synonymes. Pourtant on peut y voir des nuances. Ces nuances doivent servir de base à des recours semblables à celui réclamé par les requérants? Je ne le crois pas.

La Cour d'appel confirmant un jugement de l'honorable juge Marier dans la cause: Langlois et autres c. Lévesque et autres (7) 1951 B.R. 669., où il était question d'un juge de la Cour supérieure persona desi- gnata ayant supposément excédé sa juridiction a décidé un point semblable. Prononçant l'arrêt de la Cour l'honorable juge Bernard Bissonnette s'exprime ainsi:

 

"Considérant que les moyens invoqués par les appelants, même s'ils étaient prouvés, n'affectent aucunement la juridiction qu'avait le juge tant ratione materiae que ratione personae, ne le dépouillent pas de la compétence qui lui est attribuée par la loi en général et par cette loi particulière et qu'égale- ment toutes ces allégations, fussent-elles établies, ne constituent pas de leur nature un excès de juridiction;
Considérant en effet que la juridiction du juge n'apprécie selon la nature, l'objet et l'effet de l'ordre ou de l'ordonnance ou du jugement qu'il rend, sans égard aux intentions ni aux sentiments qui peuvent animer celui qui les signe; que si ce juge est compétent quant à la matière et quant à la personne, il demeure investi, en dépit de toutes autres contingences, de l'autorité judiciaire que la loi attribue à ses fonctions;
Considérant que les allégations de la requête pour l'émission du bref de prohibition, même si elles sont tenues pour vraies, sont insuffisantes en droit pour établir que le juge a agi sans juridiction ou qu'il a excédé celle qu'il avait mission d'exercer;

Quant à l'allégué que le juge a condamné les requérants aux frais et qu'il a ainsi excédé sa juridiction, cela n'est pas exact, car l'ordre du juge est en réalité sans frais pourvu que les requérants obéissent à cet ordre qui leur enjoint de cesser leur résistance ou opposition. S'ils transgressent cet ordre péremptoire et sans appel, il va de soi que les conséquences de la rébellion des requérants peuvent être dispendieuses;

Quant à l'opinion exprimée par l'honorable juge intimé sur les droits des requérants, faisant siennes les conclusions du jugement de l'honorable juge André Demers dans: Lazare et un autre c. L'Ad- ministration de la voie maritime et Procureur Général de la Province de Québec (8) 1957 C.S. 5., comment pouvait-il s'abstenir de l'émettre, puisque les prétentions des requérants à ces droits étaient les raisons mêmes qu'ils donnaient pour leur résistance ou leur opposition à évacuer les terrains expropriés qu'ils occupent? Il n'a pas en exprimant ainsi son opinion excédé sa juridiction;

Considérant tout ce que ci-dessus rapporté; Considérant que la requête des requérants pour l'émission d'un bref de prohibition contre l'intimé, est mal fondée, ladite requête est rejetée, avec dépens.