NIANENTSIASA V. AKWIRENTE ET AL. (NO. 2)

(1860), 4 L.C.Jur. 367 (also reported: 8 R.J.R.Q. 34, 10 L.C.R. 377)

Lower Canada Queen's Bench, LaFontaine C. J., Aylwin, Duval, Mondelet and Bruneau JJ., 3 September 1860

DOMMAGES PAR ASSEMBLÉE TUMULTUEUSE.--RIOT.

JUGE',--Que la présence des défendeurs, au sein d'une assemblée tumultueuse, résultat d'un complot; les rend responsables des dommages causés par cette assemblée, lors même qu'ils n'auraient pas activement participé, dans les voies de fait.

L'appelant alléguait dans sa déclaration:

"Que le ou vers le premier de février milhuitcent-cinquantesix, et longtemps avant, le Demandeur était propriétaire et en possession d'une maison et dépendances dans la Seigneurie des Sauvages du Sault St. Louis, ainsi que d'effets mobiliers placés dans la dite maison et dépendances, lesquelles il occupait avec sa femme et ses enfants.

"Que le ou vers le dit jour, premier de février mil-huit-cent-cinquante-six, les dits Défendeurs (les intimés) conspirant ensemble dans le but de ruiner le Demandeur (l'Appelant) et sa famille, et ce avec d'autres individus inconnus au Demandeur (l'Appelant) auraient illégalement et malicieusement chassé de la dite maison le Demandeur et sa famille et mis sur le carreau, brisé et détruit ou enlevé les effets mobiliers du Demandeur (l'Appelant) et auraient livré ce dernier et sa famille, sans abri, aux intempéries de la saison la plus rigoureuse de l'année; et qu'après avoir ainsi chassé le Demandeur (l'Appelant) et sa famille, les dits Défendeurs (les Intimés) auraient là et alors renversé, demoli et detruit la maison du Demandeur (l'Appelant) en causant par telles voies de fait au dit Demandeur (l'Appelant) des dommages considerables.

"Que par la misère et les souffrances physiques et morales causées au Demandeur (l'Appelant) et à sa famille ainsi que par les pertes ci-dessus, le Deman- deur (l'Appelant) avait éprouvé et souffert des dommages d'au moins cent livres courant."

Les défendeurs (intimés) plaidaient qu'ils n'avaient causé aucuns dommages au demandeur; que si ce dernier en avait souffert aucuns, ils n'avaient été occasionés par aucune conspiration, concert ou connivence des défendeurs.

Le 28 Octobre 1858, l'action était déboutée, sur le motif que le demandeur n'avait pas prouvé les allégués essentiels de sa déclaration.

MONDELET, J., dissentiens. L'acte de ceux qui ont pris part à cette démolition est des plus repréhensibles et il conviendrait de bien punir ceux qui en ont été coupables. Mais, ici, il n'y a aucune preuve quelconque, par deux témoins au moins, que les défendeurs ont pris part à cette demolition. Il est au contraire établi, que les défendeurs étaient à une certaine distance. Plusieurs des témoins des défendeurs jurent positivement que ces derniers n'ont aucunement pris part à cet acte de démolition. Quoique les défendeurs aient été vus avec la foule, ou à peu de distance, cela ne prouve pas qu'ils aient pris part avec les autres, dont, assez singulièrement, pas un seul n'a été identifié. Et les témoins eux-mêmes étaient là, s'en suit-il qu'ils ont démoli ou pris part à la démolition de la maison du demandeur. Dans le cas même où, dans leur intérieur, ils auraient approuvé cet acte outrageant, ou que par leur présence ils auraient donné à penser qu'ils ne le désapprouvaient pas, va-t-on les condamner pour cela? Ils n'étaient pas obligés d'arrêter les perturbateurs; ils n'eussent pu le faire d'ailleurs, la foule était composée d'une centaine de personnes.

Il faut bien se garder, dans des occasions comme celle-ci, dans le désir louable de punir les actes repréhensibles, comme l'est celui dont se plaint le demandeur, de rendre solidaires de ces outrages, des gens qu'on n'a aucunement prouvé y avoir pris part, autant rendre responsables et passibles de dommages tous ceux ou celles qui étaient dans le voisinage de la maison du parlement en 1849 et qui, ou riaient, ou ne disaient rien, ou ne s'opposaient pas à cet acte de vandalisme.

Je pense que la Cour de première instance a bien jugé, parcequ'il n'y a pas de preuve contre les défendeurs. Le jugement devrait-être confirmé.

BRUNEAU, J. Le demandeur soutient qu'il a établi les faits suivants:

ler. Qu'il était propriétaire et en possession de l'immeuble, dépendances et autres biens décrits en sa déclaration

2e. Que ces biens ont été détruits ou enlevés et qu'il a souffert des dommages;

3e. Que les défendeurs ont pris part à la démolition de ses biens; que c'est de leur assentiment et par leur participation qu'il a souffert ces dommages;

4e. Qu'il y a eu entente et conspiration entre les dits défendeurs pour détruire la propriété du demandeur.

Les intimés prétendent au contraire que l'appelant a complètement failli sous tous les rapports et que la preuve faire par les intimés est des plus fortes et qu'il est établi par icelle, qu'ils se sont trouvés là par hasard, n'ayant fait que passer par les lieux, qu'ils étaient à distance de la maison du demandeur et de la foule, n'ayant aucunement participé dans l'outrage. La majorité de la Cour pense différemment et est d'opinion que le demandeur a prouvé les principaux allégués de sa déclaration et qu'en conséquence la Cour de première instance a mal jugé en déclarant le contraire et en renvoyant l'action du demandeur et que ce dernier en conséquence a droit de recouvrer des dommages contre les défendeurs.

J'ai cru nécessaire de faire précéder l'examen de cette partie des témoignages qui inculpe les défendeurs, de quelques remarques préliminaires sur la nature de cette action, la loi qui lui sert de bâse et la preuve qu'elle exige.

L'esprit de la législation moderne, chez tous les peuples civilisés jouissant de constitution analogue à la nôtre, reconnait et établit de la manière la plus formelle, la justice du principe de rendre responsables des délits de la nature de celui dont il s'agit, commis dans son sein, tous les membres de la société, pour l'acte de quelques uns d'entr'eux, acte auquel non seulement ils n'ont pas participé, mais qui leur était entièrement inconnu, qu'ils eussent empêché même, si commis en leur présence, en décrétant que toutes villes ou villages incorporés seront tenus d'indemniser tous ceux dont la propriété aurait été détruite dans une émeute, par des attroupements tumultueux, les autorisant d'avance de cotiser à cet effet toutes les propriétés et donnant une action directe contre les corporations pour le dommage souffert, à défaut de leur part d'indemniser la partie qui aura ainsi souffert. Le code civil, en traitant des délits, n'a fait que consacrer les principes reçus dans l'ancien droit français sur cette matière, et les engagements ou obligations que la loi fait naître à l'occasion des délits ou des quasi délits, sont compris dans les articles 1382 et 1383. Le premier porte: tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui du dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Toullier commentant cet article, l'explique comme suit: "cet article, dit-il, comprend généralement tous les faits quelconques qui causent immédiatement et par eux-mêmes et le mot fait est pris ici dans le sens le plus étendu et comprend non seulement toutes les actions et omissions nuisibles à autrui, mais encore les réticences"; "enfn", ajoute-t-il, "la disposition de notre article comprend, dans le mot fait, la faute que commet celui qui, pouvant empêcher une action nuisible, ne l'a pas empêchée. Il est censé l'avoir faite lui-même. C'est en effet une sorte de complicité que de ne pas "empêcher une action nuisible, quandon en a le pouvoir; on doit donc en répondre civilement." Toullier, Tome 10 Nos. 116, 117.

C'est un principe reçu chez toutes les nations civilisées. Le code Prussien porte: "celui qui souffre sérieusement, ce qu'il pouvait ou devait empêcher, en répond comme s'il l'avait ordonné." Code Prussien, Partie lere, Titre 6 No. 59.

Les actes nuisibles à autrui sont divisées en deux classes: 1°. Attentat, à, la personne ou aux droits personnels d'autrui. 2° Attentat à sa propriété ou à ses droits réels.

La première comprend toutes les atteintes, à la sûreté, à la liberté, à la réputation ou à l'honneur des personnes, ou à l'exercice de leurs droits personnels. La seconde comprend tous les attentats contre la propriété ou le bien d'autrui lorsqu'on le dévaste ou détériore, lorsqu'on le prive de sa jouissance ou de sa possession, lorsqu'on attente à ses droits réels, ou lorsqu'on l'empêche d'en acquérir; or tous ces attentats, tant à la personne qu'à la propriété, sont également tous défendus et reprimés par des peines et des amendes, ou la réparation du dommage qu'ils ont causé. Toullier, Tome 10, No. 121.

En voilà suffisamment, je pense, pour établir le droit d'action du demandeur contre les défendeurs, et la preuve va le constater dans l'instant.

Les faits de la destruction de la propriété du demandeur, par un rassemblement tumultueux d'hommes, est prouvé à satiété par tous les témoins, tant ceux de la défense que ceux de la demande.

Les défendeurs ont ils pris part à cet attentat directement ou indirectement, sont-ils coupables par action ou omission, ou autrement? La lecture des parties saillantes des témoignages, constate la vérité. Ou je me fais illusion ou il existe dans le témoignage une preuve évidente non que les défendeurs se sont trouvés là par accident, qu'ils n'ont fait que passer par les lieux et qu'ils continuèrent de de suite leur route vers le village, mais au contraire qu'ils faisaient partie de cette foule d'émeutiers qui ont commis l'attentat et qu'ils y ont co-opéré, sinon d'une manière aussi active que plusieurs d'entr'eux, au moins en encourageant par leur présence l'acte de vandalisme, commis sous leur yeux.

La conspiration nous ne la trouvons pas en effet dans les procédés d'une as- semblée régulièrement organisée, nous ne voyons pas d'élection de président, de secrétaire, nous ne voyons point de résolutions régulièrement faites et secondées, d'aller en masse détruire la propriété du demandeur et de quelques autres qui se trouvaient dans le même cas; non, mais nous trouvons un complot formé dès le matin dans le village, pour détruire les maisons des personnes en question; nous voyons la population mâle presque toute entière du village du Sault St. Louis se diriger par intervalle sur un seul point, la demeure du demandeur, dans le bois, à trois milles du village et vers midi tout le monde était rendu sur les lieux, et attendait là jusqu'à la fin de la journée, et ce n'est que sur les cinq heures du soir, lorsqu'il est presque impossible de reconnaître les personnes, que l'oeuvre de destruction commence; pas moins de cinquante personnes entrent dans la maison, une maison de vingt pieds quarrés, en jettent les meubles dehors, et les brisent; en chassent le demandeur et sa famille et finissent par démolir la maison complètement. Et l'on veut exiger que le demandeur, dans des circonstances semblables, puisse nommer celui d'entre ces assaillants, qui a brisé tel ou tel meuble, qui a défait telle ou telle partie de sa maison! c'est exiger une preuve impossible, la loi n'exige pas telle chose et ne peut l'exiger, sans permettre l'impunité. Il suffit dans des cas semblables de faire la preuve que le demandeur a faite pour qu'il ait droit d'exiger d'une cour de justice, la punition de ceux qui directement ou indirectement ont contribué à l'attentat commis; et suivant la majorité de la Cour les défendeurs sont du nombre; nous trouvons établi que, sans avoir travaillé activement, ils étaient là, sinon comme une espèce de corps de réserve, pour soutenir les assaillants en cas de résistance, à tout évènement, pour les encourager par leur présence dans la voie de fait prouvée par tous les témoins.

Il est heureux que le demandeur ait pu, dans des circonstances aussi difficiles, faire une preuve aussi forte; ayant été obligé de recourir au témoignage, je ne dirai point, de témoins hostiles, mais de complices, pour établir la cause; je dis heureusement, car, si dans le cas actuel, les défendeurs eussent pu échapper à la vengeance de la loi, les conséquences les plus désastreuses pour l'avenir en résulteraient pour cette localité. L'enfant de la nature n'est que trop porté à sefaire justice à soi-même, qu'il apprenne de suite que personne n'a et ne doit avoir ce droit. La hache et le couteau, au lieu d'être pour lui, comme maintenant, des instruments utiles et inoffensifs reprendraient comme autrefois leur rôle d'instruments de destruction et de mort, dont on ferait usage dans les troubles pour assouvir la haine et la vengeance. Qu'il sache plutôt que la porte des tribunaux est toujours ouverte pour rendre justice à tout le monde, à lui, comme aux autres et que si la loi se trouvait insuffisante pour le protéger contre les griefs dont il pourrait avoir à se plaindre, en s'adressant au gouvernement et à la législature, il rencontrerait la protection dont il peut avoir besoin.

Ci-suit le jugement:

La Cour,--Considérant qu'en déclarant, par son jugement du 28 Octobre 1858, que le demandeur n'avait pas établi les allégués essentiels de son action, la Cour de première instance n'a point fait une appréciation exacte de la preuve, ses al- légués étant suffisamment établis pour donner gain de cause au démandeur;-- Infirme le susdit jugement, et condamne les défendeurs, conjointement et soli- dairement, à payer au dit demandeur la somme de £30, avec intérèt de ce jour et les dépens. AYLWIN et MONDELET, Juges, dissentientibus.

DOUTRE et DAOUST, pour l'appelant.

ED. CARTER, pour les intimés.

(J. D.)