GOUIN AND STAR CHROME MINING COMPANY v. THOMPSON AND DOHERTY

(1917), 24 R.L.N.S. 271

Quebec King's Bench, Lavergne, Cross, Carroll, Pelletier and Roy JJ., 20 November 1917

(Appealed to Judicial Committee of the Privy Council, reported sub nom. Attorney-General for Quebec v. Attorney-General for Canada. Re Indian Lands, infra p.238)

SIR LOMER GOUIN, procureur général de Québec, mis en cause et intervenant-appelant, et THE STAR CHROME MINING COMPANY, demanderesse-appelante v. Dame THOMPSON, défenderesse-intimée, et C. J. DOHERTY, procureur général du Canada, mis en cause et contestant-intimé.

MM. les juges Lavergne (dissident), Cross, Carroll, Pelle- tier et Roy, ad hoc.--Cour du banc du roi.--No 452.--Mont- réal, 20 novembre 1917.--L.-A. Rivet, C.R., avocat de l'appe- lant.--Charles Lanctôt, C.R., conseil.--St-Germain, Guérin et Raymond, avocats de l'appelant.--Surveyer, Ogden et Coonan, avocats de l'intime.--E.-Fabre-Surveyer, C.R., conseil.--St- Jacques. Filion et Lamothe, avocats de l'intimée.

Réserve des sauvages--Acte d'abandon--Fidei-com- mis--Propriété--Gouvernements fédéral et provincial--Lettres patentes--13-14 Vict. (1850), ch. 42--14-15 Vict. (1851), ch. 106--30-31 Vict., imp. (1867), ch. 3, art. 92, 24, 109 (Acte de l'Améri- que B. du Nord.)

1. L'acte d'abandon fait par les sauvages Abénakis de la reserve de Coleraine. le 14 février 1882, en faveur du gouvernement fédéral, et accepté par lui, par un ordre en conseil du 3 avril 1882, n'est pas un abandon pur et simple, mais est un ridéi-commis, en vertu duquel le gouvernement fédéral a obtenu le droit de vendre ces ter- rains pour le bénéfice des sauvages de cette réserve.
2. Le gouvernment fédéral a pu légalement disposer de ces terrains par l'emission de lettres patentes, et conférer un bon titre à l'acquéreur.
3. Le gouvernement provincial n'a acquis aucun droit en ces lots de terre à la suite de l'acte d'abandon endessus mentionné.

Le jugement de la Cour supérieure qui est confirmé, a été rendu par M. le juge Lafontaine, le 7 mai 1915.

La question en litige est de savoir si le gouvernement fédéral avait le droit de vendre, comme il l'a fait par let- tres patentes a un nommé Têtu, le 2 juillet 1889, cinq terrains situés dans une reserve de sauvages au canton de Coleraine, (Beauce), dont l'abandon lui avait été fait antérieurement en fidéi-commis par les sauvages Abénakis de Bécancourt. Le corollaire de cette question est ce qui suit: lorsque ces sauvages ont abandonné leur réserve, les terres sont-elles tombées dans le domaine du gouvernement de la province de Québec ou bien sont-elles restées entre les mains du gouvernement fédéral aux conditions de l'acte d'abandon?

Les notes suivantes de M. le juge Carroll exposent sommairement les faits:

M. le juge Carroll. La principale question à décider dans cette cause est celle-ci: Le gouvernement fédéral a-t-il le droit d'octroyer des lettres patentes pour des lots situés sur la réserve des sauvages, dans le canton de Coleraine, P. Q.?

Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit:-- En 1882, les sauvages Abénakis de Bécancourt abandonnèrent au gouvernement fédéral les terrains de leur réserve à Coleraine, afin (with the object) de faire vendre ces terrains pour en acquérir d'autres, ou de placer l'argent provenant de la vente, et ce, pour leur avantage.

L'abandon fait par les Abénakis fut accepté le 13 avril 1882, par arrêté du comité du Conseil privé, à Ottawa, avec mention expresse que les conditions de l'abandon sont acceptées.

Le 2 juillet 1887, Cirice Têtu a acquis les lots 4, 5, 6 et 7 du 13e rang du canton Coleraine. Ces lots sont situés dans la réserve. Le prix d'acquisition était de $648. Au décès de Cirice Têtu, son épouse, comme héritière, est devenue propriétaire de ces lots, qui furent subséquemment vendus par le sherif du district d'Athabaska à Joseph Lamarche, lequel, à son tour, les revendit à Cléophas Beausoleil.

En 1904, Beausoleil disposa de trois des lots en faveur de dame Rosalie Thompson qui, à son tour, en disposa en faveur de la Star Chrome Mining Company.

En 1907, la Star Chrome Milling Co. demanda l'annulation de la vente, parce que le gouvernement de la province de Québec, avait concédé deux des lots et réclamait le droit de disposer du troisième. Madame Thompson appela en garantic Mme Beausoleil, héritière de feu Cléophas Beausoleil.

Après enquête, le gouvernement de la province de Québec est intervenu dans la cause pour faire maintenir ses prétentions à émettre des titres pour ces lots.

Il s'agit donc de décider si le titre conféré à Cirice Têtu par lettres patentes du gouvernement fédéral est valide, ou bien si le terrain de la réserve des Abénakis est devenu, lorsqu'il a été abandonné par ces sauvages, la propriété du gouvernement provincial.

Le gouvernement fédéral invoque divers moyens additionnels à ceux donnés par le jugement de première instance. La Cour supérieure a déclaré que, dans cette cause-ci, il ne s'agit pas de biens vacants et sans maître, ou de terrains abandonnés revenant à la Couronne en vertu de ses droits et de ses prérogatives; qu'en aucun temps les sauvages de la tribu des Abénakis, en faveur desquels les terrains en question ont été réservés, n'ont abandonné ces terrains, mais que la cession qu'ils ont faite au gouvernement fédéral est une cession d'un caractère fiduciaire, pour leur propre benefice et avantage et que si, maintenant, il était permis au gouvernement de Québec de s'emparer de ces terres et d'y exercer un droit de propriété les sauvages seraient complètement dépouillés de leurs biens et seraient frustrés des avantages qu'ils ont droit d'attendre de la cession qu'ils ont faite au gouvernement du Canada, et que s'il fallait mettre de côté les lettres patentes émises par le gouvernement fédéral à la suite de la cession à lui faite par les sauvages, il faudrait aussi mettre de côté cette cession et remettre les choses dans leur état antérieur.

La Cour supérieure ajoute, dans d'autres considérants, qu'il ne s'agit pas, dans l'espèce, de terrains vagues comme ceux mentionnés dans la proclamation royale de 1763, mais qu'il s'agit de terrains sur lesquels les sauvages, ont un titre et que ces Abénakis ont été invités a s'établir sur cette reserve sous le régime francais.

Le jugement dit de plus que le titre du shérif est un titre parlementaire conférant un droit absolu aux acheteurs: que l'annulation de la saisie et de la vente par le shérif n'est pas demandeé, et que, depuis l'émission des lettres patentes par le gouvernement fédéral, la province de Québec n'a fait aucune démarche pour en obtenir l'annulation.

La procureur général de la province de Québec conteste la validité des motifs exposés au jugement dont il demande l'infirmation par une intervention produite dans la cause. Il dit qu'après l'abandon par les sauvages de leur réserve à Coleraine, les terrains de cette réserve sont passés au gouvernement de la province de Québec, qui devait en retirer les bénéfices.

Dans mon opinion, quand bien même les Abékinas au raient été invités à s'établir au pays par les gouverneurs sous le régime français, il appert par les documents historiques que ces gouverneurs n'ont jamais eu l'intention de concéder des titres de propriété collective aux tribus sauvages qui appuyaient la colonie francaise dans ses guerres contre les Anglais. Ces gouverneurs attiraient ici les sauvages qu'ils croyaient sympathiques à leur cause, dans un but spécial et dans l'intérêt de l'Etat. Par ces motifs, auxquels il faut ajouter des raisons de philanthropie et de religion, l'autorité traitait bien les sauvages et les laissait en libre possession d'un territoire qu'on leur permettait d'occuper comme territoire de chasse et de pêche.

Les Francais ont acquis sur ces tribus une influeuce considérable, grace au courage des missionaires qui ont pénétré chez elles et ont réussi à les christianiser en grand nombre; mais à l'exception des territoires qui auraient été concédés soit par le roi de France, soit par les seigneurs du temps sous le régime français, il est impossible de dire que l'invitation générale aux tribus sauvages de s'établir sur certains territoires vagues et indéterminés ait conféré des titres de propriété individuelle ou collective à ces tribus. D'ailleurs, ces sauvages n'avaient aucune notion de la propriété collective ou individuelle, tel que ce mot est compris par les blancs.

Telle était la situation sous le régime français, et la proclamation royale de l763 n'a eu pour effet que de confirmer les sauvages dans l'occupation des territoires qu'ils détenaient ainsi de la Couronne, mais à titre précaire.

Le gouvernement anglais a continué a traiter convenablement les sauvages au point de vue politique et humanitaire, mais il ne parait pas avoir eu l'intention, par cette proclamation royale, de leur conférer des titres de propriété.

C'est ce qui a été décidé par les tribunaux de la province d'Ontario, par la Cour suprême et par le Conseil privé dans le clause de St. Catherine Lumber & The Queen,(1) 14 Appeal Cases, p.46. et dans la cause de Seybold v. Ontario Mining Co. (2) Appeal Cases, 1903, p.73. Il s'agissait dans ces deux causes de terrains vagues occupés par les sauvages, sans autre titre que celui confére par la proclamation royale. Ces tribus avaient fait l'abandon de leur territoire au gouvernement fédé- ral, à condition que ce dernier utilise les terrains à leur profit. Le gouvernement fédéral croyant avoir domaine souverain (eminent domain) sur ces terrains qui lui revenaient, a accordé des lettres patentes aux deux compagnies mentionnées dans les causes que je viens de citer. Le gouvernement d'Ontario a contesté la validité de ces lettres patentes fédérales, et les tribunaux lui ont donné raison.

Peut-on faire l'application des principes exposés dans ces deux causes à la cause qui nous est soumise? Je ne le crois pas.

Une législation spéciale s'applique à la tribu sauvage des Abénakis. Elle est contenue aux statuts 13-14 Vic. ch.42 et 14-15 Vic. ch. 106, et se lit comme suit:

"13-14 Vic. ch. 42.--. . . . . .Il est par le présent statué qu'il sera loisible au gouverneur de nommer, de temps à autre, un commissaire des terres des sauvages pour le Bas-Canada, lequel, ainsi que ses successeurs sous le nom susdit, seront par le présent investis, pour et au nom de toute tribu ou peuplade de sauvages, de toutes les terres ou propriétés dans le Bas-Canada, qui sont et seront mises a part ou appropriées pur l'usage d'aucune tribu ou peuplade de sauvages, et qui seront censés en loi occuper et posséder aucune des terres dans le BasCanada, qui sont actuellement possédées ou occupées par aucune telle tribu ou peuplade, ou par tout chef ou membre d'icelle ou autre personne pour l'usage ou profit de telle tribu ou peuplade; et ils auront droit de recevoir et recouvrer des rentes, redevances et profits provenant de telles terres et propriétés, et pourront, sous le nom susdit, mais eu égard aux dispositions ci-après établies, exercer et maintenir tous et chacun les droits qui appartiennant légitimement au propriétaire, possesseur ou occupant de telle terre ou propriété: pourvu toujours que cette section s'etendra à toutes les terres dans le BasCanada, maintenant possédées par la Couronne en fidei- commis ou pour l'avantage de toutes telles tribus ou peuplades de sauvages mais ne s'étendra pas aux terres maintenant possédées par aucune corporation ou communauté léqalement établie et habile en loi à citer et ester en justice, ou à toute personne ou personnes d'origine européenne, bien que lesdites terres soient ainsi possédées en fidéi-commis, ou pour l'usage de telle tribu ou peuplade.

"Et qu'il soit statué que ledit commissaire aura plein pouvoir et autorité de concéder ou louer, ou grever toute telle terre ou propriété comme susdit, et de recevoir et recouvrer les rentes, redevances et profits en provenant, de même que tout propriétaire, possesseur ou occupant légitime de telle terre pourrait le faire, mais il sera soumis en toute chose aux instructions qu'il pourra recevoir de temps à autre du gouveneur. . . . . .

"14-15 Vic. ch. 106.--Attendu qu'il est expédient de mettre à part certaines terres pour l'usage de certaines tribus de sauvages dans le Bas-Canada, il est par le présent statué que des étendues de terres n'excédant pas en totalité deux cent trente mille acres pourront, en vertu des ordres en conseil qui seront emanés à cet égard, être designées arpentées et mises à part par le commissaire des terres de la Couronne, et lesdites étendues de terres seront et sont par les présentes respectivement mises à part et appropriées pour l'usage des diverses tribus sauvages du Bas-Canada, pour lesquelles, respectivement, il sera ordonné qu'elles soient mises à part par tout ordre en conseil qui sera émané comme susdit; et lesdites étendues de terre seront en conséquence, en vertu du présent acte, et sans exiger aucun prix ou paiement pour icelles, dévolues au commissaire des terres des sauvages pour le Bas-Canada, et seront par lui administrées con- formément à l'acte passé dans la session tenue dans les treizième et quatorzième années du règne de Sa Majesté, intitulé: "Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés des sauvages dans le Bas-Canada."

De ces textes il résulte que la propriété des réserves des sauvages repose sur la tête du commissaires des affaires indiennes, plus tard le surintendant des affaires indiennes, en fidéi-commis pour les sauvages. Ce commissaire a droit de vendre les terres ou de les louer, et il possède au nom de la tribu. Cette législation a eu pour effet de faire sortir ces terres du domaine de la Couronne et d'en investir le commissaire pour l'avantage des sauvages.

Il y a une grande différence entre le droit d'occupation conféré par la proclamation royale, qui n'accordait qu'un titre précaire, et cette appropriation de terres pour les sauvages en vertu de la législation que je viens de citer. Ce qui est connu dans notre droit parlementaire et constitutionnel sous le nom de réserve pour les sauvages, ce sont des territoires qui ont ete specifiquement apporpriés pour l'usage de telle ou telle tribu.

Et lorsque, cette appropriation étant faite, les terrains ont été arpentés et que toutes les conditions mentionnées au statut ont été observées, ces territoires deviennent ce qu'on désigne sous le nom de réserve des sauvages.

Les terrains vagues dont il a été question dans la cause de St. Catherine Lumber Co. et dans celle de Ontario Mining Co. n'étaient pas, à proprement parler, des réserves de sauvages. C'est là la distinction qui existe entre ces causes-là et celle-ci. Les terrains que les tribunaux ont declaré appartenir à la province de l'Ontario n'avaient jamais été appropriés spécialement pour des réserves de sauvages, et l'on a jugé que ces terrains appartenaient à la Couronne, representée par la province de l'Ontario et que lors de la confédération, ces terrains étaient restés la propriété de la province de l'Ontario, en vertu de l'art. 109 de l'"Acte de l'Amérique britannique du Nord".

Il ne faut pas oublier que, lors de la confédération. tous les terrains n'ont pas été accordés aux provinces. Les terrains qui ont été spécialement réservés et appropriés pour l'usage des sauvages en vertu du paragraphe 24 de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, ont été mis sous la juridiction du Dominion sous le nom de "Indian Lands".

S'il en est ainsi les terres destinées aux sauvages étant revenues sous le contrôle du gouvernement fédéral, ce dernier a le pouvoir d'émettre des lettres patentes pour les lots situés dans les réserves, la concession étant faite pour le profit et avantage des sauvages. Ces lettres patentes sont valides au point de vue de la loi. Les Abénakis ont abandonné la réserve en litige à condition que le gouvernement fédéral leur achète d'autres terres ou qu'il utilise pour leur bénéfices l'argent provenant de la vente. Si nous annulions ces lettres patentes, les sauvages seraient dépouillés de leur propriété et seraient frustrés des avantages qu'ils se sont réservés dans l'acte d'abandon qu'ils ont fait au gouvernement fédéral.

Il me semble que cette cause peut se résumer comme suit: Les sauvages étaient en possession, par l'entremise de l'officier qui les possèdait en fiducie pour eux, d'une étendue de terrains qu'ils ont consenti à abandonner a certaines conditions. Le gouvernement fédéral a acccepté l'abandon et s'est engagé à exécuter ces conditions. Si, aujourd'hui, nous mettions de cóté la convention intervenue, les choses ne pourraient pas être remises dans l'etat où elles étaient avant l'abandon. Je ne dis pas qu'il ne pourrait pas se présenter des cas--très rares--où ces terrains deviendraient, éventuellement, la propriété de la province. Ainsi, je suppose,--ce qui est bien improbable,-- qu'après l'abandon et avant la vente des terres au profit des sauvages de la réserve, la tribu entière disparaitrait, ne pourrait-on pas aloirs dire que ces terrains ne font plus partie de la réserve et qu'ils doivent revenir a la Couronne, représentée par le gouvernement de la province. Mais il est inutile de faire des suppositions sur cette éventualité improbable.

Je crois que le paragraphe 24 de la section 91 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord a eu pour effet de conférer à la Couronne, représentée par le Gouvernement fédéral, le contrôle des terres des sauvages, et que, pour cette raison, le titre octroye par le gouvernement fèdèral est valide, et que le jugement doit être confirmé.

Par ces motifs, je crois que l'appel devait être rejeté avec dépens.

Judgment:-"Considering that the recitals of the said judgment to the effect that the Crown in right of the Province of Quebec made no claim to the ownership or possession of the lands in question after surrender thereof by the Abenaquis Indians, and that its demand in respect thereof ought, consequently, to be directed against the Government of the Dominion and not against private acquirers thereof by formal title deeds; and to the effect that the ownership of the said lands by the said Abenaquis Indians was recognized and affirmed by the Governors of New France before the cession of Canada by France to Great Britain and Ireland, set forth matters not necessary for the decision of the cause, but that apart from the said recitals (and expressing an opinion upon the matters therein set forth), there is no error in the said judgment appealed from;

"Doth dismiss the said appeals, etc.

Mr. Justice Lavergne dissenting.