Abandonnée depuis plus de deux siècles, l'île Grassy fait partie des îles Canso. Très peu de vestiges témoignent de la présence de la collectivité qui jadis y prospérait.

Les eaux au large de Canso attirèrent les Français dès 1600. Ils venaient y pêcher dans petites chaloupes. Au cours des 150 ans qui suivirent, la France et l'Angleterre se disputèrent l'hégémonie de l'Amérique du Nord. En 1713, le traité d'Utrecht transférait la propriété de la Nouvelle-Écosse continentale aux Britanniques tout en laissant les îles du golfe Saint-Laurent aux Français. La question de la propriété des îles Canso demeura en litige, car on ne s'entendait pas sur l'interprétation du traité. Les pêcheurs aussi bien de la Nouvelle-Angleterre que de la France convoitaient ce territoire connu pour ses stocks abondants de morues. Les choses s'envenimèrent et les Français furent finalement chassés de Canso. Craignant des représailles pouvant venir de la forteresse de Louisbourg au Cap-Breton, le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, Richard Phillips, établit une petite garnison à l'île Grassy en 1720. Le gouvernment britannique refusa toutefois de payer pour la défense de Canso. Philipps dut se résigner à faire construire sur l'île un simple fort de terre qui bientôt se délabra.

Canso prospéra, en dépit de la menace française. Dès 1730, des gens de la Nouvelle-Angleterre affluaient par milliers dans les îles pour y pêcher pendant la belle saison. Simples travailleurs à terre, intrépides pêcheurs, soldats et marchands, tous vivaient et travaillaient côte à côte. Les pêcheurs utilisaient des goélettes, plus grandes et plus rapides que les chaloupes françaises. Dans les meilleurs années, il s'y pêchait plus de huit millions de poissons en une seule saison. Le poisson séché et salé etait expédié aux marchés de l'Europe, de l'Amérique et des Antilles contre toutes sortes de marchandises.

Mais, à Canso, tout le commerce n'était pas légitime. En effet, comme la loi anglaise interdisait aux habitants de la Nouvelle-Angleterre de commercer directement avec les colonies françaises en Amérique du Nord, on vit bientôt prospérer la contrebande entre Canso et Louisbourg. Malgré tout, les conditions de vie demeuraient austères, sauf pour quelques riches marchands. Les produits de luxe étaient rares et les soldats de la garnison n'avaient pas suffisamment à manger et ne disposaient ni d'abris ni de vêtements adéquats.

La colonie de Canso connut une fin plutôt abrupte au cour de l'été 1744. Peu après la déclaration de guerre entre la France et l'Angleterre, une expédition de Louisbourg attaqua l'île Grassy et réduisit en cendres l'avant-poste. L'année suivante, l'île servit de lieu d'escale à une armée venue de la Nouvelle-Angleterre pour attaquer Louisbourg. Après la capture de Louisbourg, la menace française s'évanouit et les miliciens de la Nouvelle-Angleterre se retirèrent de Canso.

La colonie de l'île Grassy ne se remit jamais de l'attaque menée par les Français en 1744. Aujourd'hui, cette île dénudée, balayée par le vent, n'est plus qu'un monument à la pêche florissante si intimement liée à la prospérité que la Nouvelle-Angleterre connut au XVIIIe siècle.


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