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Vie ouvrière, syndicalisation et grève Page 1
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Habits d'amiante
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Le capital américain consolida son contrôle sur l'industrie de l'amiante au cours de la Grande guerre (1914-1918). L'industrie de guerre introduisit toute une gamme de nouvelles utilisations du minerai reconnu pour ses propriétés ignifuges; l'industrie naissante de l'automobile contribua le plus à accroître la demande205. Toutefois, en 1921, la récession économique d'après-guerre frappa sévèrement l'industrie de l'amiante, le nombre de producteurs fut réduit par la concentration des compagnies. À la fin des années 1920, il n'en restait que quelques-uns, la plupart américains. La grande crise permit de terminer cette main-mise sur l'ensemble de l'industrie québécoise de l'amiante. Étant déjà intégrée à son propriétaire américain, la Canadian Johns-Manville réussit à se sortir de la crise206.
Affirmation et mouvement de syndicalisation (1919-1945) Durant les années 1919 à 1945, l'industrie de l'amiante connut une croissance formidable. Ce contexte servit de trame de fond aux revendications ouvrières en vue d'améliorer les conditions de travail. Au cours de cette période, on assista à l'émergence de la classe ouvrière et à son affirmation par les divers mouvements de syndicalisation et des conflits ouvriers.
Conditions de travail et vie ouvrière
Les changements apportés aux méthodes d'exploitation, de même que le développement de nouveaux moyens d'extraction, vinrent renforcer la structure industrielle. Le mineur avait une tâche de plus en plus définie et spécialisée. La planification des diverses opérations minières fut graduellement prise en charge par des spécialistes. Les départements d'ingénierie prirent plus d'importance. Toutefois, pour la main-d'oeuvre ouvrière, les choses avaient peu changé, les hommes embauchés pour le travail minier étaient encore majoritairement des ouvriers non qualifiés. La perception que l'on avait de ces travailleurs canadiens-français catholiques avait toutefois évolué. Si, au tournant du siècle, la pratique de la religion catholique était vue comme un irritant par les dirigeants miniers, elle était désormais considérée comme un facteur de stabilité; on croyait que le conservatisme des canadiens-français se réflétait dans leur travail à la mine. De plus, la dévotion à la religion catholique ainsi que l'obéissance au curé assuraient à la compagnie minière un certain contrôle social.
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Jardinage
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En plus d'agir sur la structure du temps de travail, la Canadien Johns-Manville décida de la structure du rythme de vie de ses ouvriers. En effet, au tournant des années 1920, la compagnie minière décida, sans consultation aucune, d'adopter la politique du changement d'heure saisonnier. La raison invoquée était « que ce serait pour le bien de l'ouvrier, pour les travaux dans les jardins.207 » Cette décision de la Johns-Manville causa toute une commotion dans la communauté.
Il semble évident que peu de choix s'offraient à la municipalité. L'attitude paternaliste de la compagnie faisait en sorte d'exercer un contrôle sur l'ensemble du développement de la ville208, mais avait pour but premier de prévenir les conflits ouvriers. En effet, la fourniture de l'électricité par la compagnie, de terrains pour le jardinage, d'équipements sportifs et de loisirs avait pour fonction de susciter la sympathie des ouvriers envers la compagnie. De plus, la compagnie devait être bien vue du pasteur de la majorité de ses employés en accordant certaines faveurs.
La Canadian Johns-Manville n'avait pas un comportement différent de celui de plusieurs entreprises de même taille en Amérique du nord209. La Johns-Manville avait une attitude uniforme dans l'ensemble des villes où elle oeuvrait au Canada comme aux États-Unis210.
La vie à l'extérieur du travail évolua durant la période 1919 à 1950. Évidemment que l'augmentation rapide de la population et l'urbanisation eurent leurs effets sur la transformation des modes de vie à Asbestos211. Toutefois, les stratégies de survie familiale obligèrent les ouvriers à préserver certaines pratiques issues de la ruralité. Longtemps, les familles d'Asbestos cultivaient leur propre jardin, pratique encouragée et supportée par tous.
Durant les années trente, le gouvernement provincial, par l'entremise du département de l'agriculture, attribuait des octrois pour la culture des jardins. Il faut dire que les demandes de subventions gouvernementales provenant du « Secours Direct » abondaient et qu'il devenait plus avantageux pour le gouvernement d'attribuer de l'aide matérielle plutôt que monétaire. En 1936, les autorités municipales estimaient leur nombre à 550. Toutefois, à mesure que la municipalité s'urbanisait, de moins en moins de familles s'adonnaient à cette pratique. L'apparition du marché public y contribua en partie.
Le métier de mineur demeurait un emploi à haut risque. L'introduction de nouvelles méthodes de production n'a pas eu pour effet d'améliorer les conditions de travail et de réduire le nombre d'accidents tragiques. Au tournant des années 1920, le remplacement des grues de chevalement par des pelles mécaniques n'avait que déplacé le problème. La plupart des ouvriers manquaient d'informations et surtout, de formation. Comme le souligne Marc Vallières :
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Gagnants du concours de sécurité
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Malgré l'adoption de règles de sécurité bien définies, la compagnie éprouvait beaucoup de difficultés à les faire appliquer. La plupart des nouvelles technologies utilisées pour les opérations minières n'avaient pas été pensées en fonction de la sécurité des travailleurs.
L'utilisation de la locomotive dans les opérations minières apporta son lot d'accidents, les métiers du chemin de fer laissant peu de place à la distraction.
La jeunesse et l'inexpérience des ouvriers, combinées à des gestes de témérité, augmentaient les risques :
« À la mine Jeffrey de la Canadien Johns-Manville Company à Asbestos, jeudi le 13 décembre 1929, Alcide Tremblay, 23 ans employé comme serre-frein, eut la tête et les épaules écrasées par plusieurs grosses pierres. Le train de minerai était arrivé à l'atelier de concassage, on rendit libre d'un côté les chaînes de sûreté du train pour permettre de déverser les wagons. Des pierres empêchaient le train d'avancer, alors le mécanicien et le préposé au déchargement vinrent les enlever. Tremblay, pendant leur absence monta sur un wagon chargé de minerai en face du concasseur et sauta dedans. Son élan ainsi que son poids firent déverser le wagon. Il fut entraîné avec les pierres dans le concasseur et quelques-unes lui broyèrent la tête et les épaules.212 »
Rarement, dans les enquêtes sur les accidents, blâma-t-on directement la compagnie. Les jurés arrivèrent la plupart du temps aux mêmes conclusions.
« Wasil Boudanoski, le 8e jour de février 1923, à Asbestos, ayant été frappé par la chute d'une pierre est mort le jour suivant de ses blessures; et les jurés sont d'opinion que la mort du défunt est purement accidentelle et que personne n'est à blâmer. Le défunt Wasil Boudanoski travaillait lors de cette accident pour la Johns-Manville Co Ltd opérant à Asbestos.213 » Les indemnités versées par les compagnies ont longtemps été minimes, les ouvriers les jugeaient ridicules.
Les organisations syndicales réclamaient partout au Québec une loi qui régulariserait la situation. Pourtant depuis 1909, il existait bien une loi des accidents du travail, mais aucun organisme n'avait le mandat de la faire appliquer. Ce n'est qu'avec l'institution de la Commission des accidents du travail en 1928, que les compagnies furent obligées de contribuer à un fonds collectif administré par la commission. De plus, la nouvelle loi reconnut la responsabilité collective des employeurs214. En 1931, la loi n'obligea plus les ouvriers accidentés à prouver la négligence du patron. Ce changement facilita le paiement des indemnités215. De plus, les maladies industrielles étant maintenant considérées comme accidents de travail, c'est à cette époque qu'apparurent les revendications concernant l'amiantose216.
Les conditions de travail qui prévalaient de 1919 à 1950 serviraient de trame de fond au mouvement de syndicalisation à Asbestos, période marquée par les premiers balbutiements d'un syndicat pour les mineurs. Très tôt l'enthousiasme du début s'estompa, il fallut attendre le milieu des années 1930 pour que le mouvement ouvrier d'Asbestos se structure et s'affirme par son syndicat.
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205 |
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Procès-Verbaux de la Ville de Thetford Mines, 3 mai 1923; cité dans François Cinq-Mars. et. al. , op. cit., p. 269; La Tribune. « Une immense fabrique s'implante à Asbestos ». Sherbrooke, 20 juillet 1923, p. 1; Sherbrooke Daily Record. « Johns-Manville plan to build at Asbestos a manufacture of Asbestos. A new industry for Canada. Work to start soon », Sherbrooke, 21 juillet 1923, p. 4; Lucien Ladouceur, op. cit., p. 10; Robert Armstrong, op. cit., p. 175. |
206 |
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Marc Vallières, op. cit., p. 191-193. |
207 |
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APSA, Registre, 8 mars 1922. |
208 |
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Procès-verbaux de la Ville d'Asbestos, 5 avril 1933, p. 72. |
209 |
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Tamara K. Hareven, op. cit., p. 55-60. |
210 |
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Archives du Centre de recherches des Cantons de l'Est. Université Bishop's, Collection William G. Clark P031. |
211 |
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Rappelons que de 1921 à 1951, la population d'Asbestos passa de 2 189 personnes à 8 190. Ainsi, en quelques années, Asbestos était devenu le centre urbain le plus important du comté de Richmond. Recensement du Canada. 1951. |
212 |
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ROMPQ, 13 décembre 1928, p. 173. |
213 |
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ANQ. Fondss du Coroner du district judiciaire de Saint-François, 9 février 1923. |
214 |
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Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme au Québec, Montréal, Boréal, 1989, p. 139-141. |
215 |
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150 ans de luttes. Histoire du mouvement ouvrier au Québec (1825-1976), Montréal, CSN-CEQ, 1979, p. 74. |
216 |
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Jacques Rouillard, loc. cit. |
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