Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 25, 1975

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Résumé

Le gothique moderne au Canada

par Robert Derome


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Si dans la peinture canadienne du début du XXe siècle les principaux mouvements, telle Groupe des Sept, sont assez bien connus, on ne peut pas dire la même chose de leurs pendants en architecture. Un de ceux-ci, le gothique moderne, eut une grande vogue. Il se différencie principalement du style victorien par son groupe d'architectes formés dans la tradition des Beaux-Arts. Son apparition et ses caractéristiques sont contemporaines et similaires tant en Angleterre, aux États-Unis qu'au Canada.

La première manifestation du renouveau gothique au Canada est l'église Notre-Dame de Montréal en 1826. Pour sa part, le Parlement d'Ottawa constitue l'exemple le plus inventif du gothique victorien. Nombre d'églises et d'édifices canadiens de cette époque s'inspirent du renouveau gothique en Angleterre. Les multiples adaptations du gothique à l'environnement canadien en font rapidement un élément du style national de l'époque post-confédérale. Si le Canada exporte d'abord aux États-Unis des architectes tels que Frank Wills, Thomas Fuller et Augustus Laver, la situation s'inverse vers 1880 par la transmission au Canada du style roman, du bostonnais H. H. Richardson, et du style Beaux-Arts, venu de Paris via New York.

L'influence de l'Angleterre sur le gothique moderne canadien fut très fortement marquée par le nombre d'architectes anglais qui immigèrent au Canada et par la quantité de voyages d'études faits par des Canadiens à Londres, mais faible par le nombre d'édifices construits par des architectes anglais. plusieurs dynasties d'architectes avaient assuré en Angleterre la perpétuité du renouveau gothique. L'une d'entre elles, les Scott, travailla au Canada. L'aîné, Sir George Gilbert, réalisa la cathédrale de Saint-Jean (Terre-Neuve) au milieu du XIXe siècle. Son petit-fils Adrian Gilbert (1882-1963) dessina en 1937 la remarquable église St James, à Vancouver, sur un plan centré surmonté d'une tour octogonale à la croisée. Avec ses longues fenêtres lancéolées et la sobriété de ses murs, elle constitue une simplification radicale du gothique, non étrangère au style Art Déco à la mode. Sauf un ou deux autres exemples, St James demeure une exception et ce style ne fut jamais accepté. Finalement, Sir Giles Gilbert Scott (1880-1960), frère du précédent, dessina la chapelle du Trinity College, à Toronto, construite entre 1953 et 1955. La délicatesse de ses formes alliée à son esthétique en font un véritable bijou architectural.

Une autre influence majeure fut exercée par l'architecte américain Ralph Adams Cram (1863-1942). Dans ses écrits, il nous transmet sa principale préoccupation: l'interaction de sa foi religieuse avec ses théories architecturales. En réaction contre les faux semblants du XIXe siècle, s'objectant à la « vitalité simulée » du roman de Richardson, il se tourna vers « l'honnêteté » du gothique anglais. Selon lui l'architecture américaine devait s'inspirer de la tradition anglaise et de son modèle idéal, l'église paroissiale. Nonobstant, il construisit surtout des édifices monumentaux plus adaptés à l'impérialisme américain. Il élargit par la suite son optique pour admettre une multiplicité de styles gothiques là où ils étaient appropriés, se révélant ainsi un adepte du style Beaux-Arts. Cram est représenté au Canada par deux oeuvres de jeunesse. La cathédrale All Saints, à Halifax, commencée en 1907, ne fut jamais terminée. Il y manque toujours la façade ouest et la tour centrale. Elle vaut par son exemplaire simplicité et robustesse, d'un dessin compact et unifié. Minée par des défauts de structure, la température et deux explosions, elle fut en grande partie restaurée en 1953-1954; ce qui fait qu'elle n'a jamais figuré dans les publications sur l'oeuvre de Cram. L'autre oeuvre, beaucoup plus modeste de proportions, l'église St Mary à Windsor, fut construite en 1903-1904. Elle est entièrement de conception américaine. Malgré ces deux édifices et l'insuccès de l'ambitieux projet de la cathédrale St Alban, à Toronto, l'importance de Cram repose surtout sur son influence auprès des architectes canadiens de son époque. Leur tête d'affiche est Henry Sproatt (1866-1934).

Sproatt fut d'abord l'élève de Kivas Tully à Toronto. Il étudia également avec Arthur R. Denison, avant de se rendre à New York où il semble avoir rencontré Cram. En 1892, après un voyage en Europe, Sproatt entre en association, en même temps que John A. Pearson, avec Frank Darling. En 1899, il installe son propre bureau en association avec Ernest Ross Rolph (1871-1958). A cette époque il travaille surtout dans l'esprit du style Beaux-Arts. Mais le grand amour de Sproatt est le gothique. Souscrivant apparemment à la même philosophie que Cram, il est cependant plus pragmatique et concis. Ses oeuvres gothiques apparaissent tardivement, mais elles sortent de mains de maître. Tel est le Victoria College, à Toronto, construit en deux phases: le Burwash Hall en 1910 et les résidences contiguës en 1913. Plus austère, Sproatt se dissocie du faste de Cram. Le caractère hautement fonctionnel de la Hart House (1911-1924), à l'Université de Toronto, ne s'oppose pas à la manifestation d'une facture sobre et raffinée qui réussit même à unifier ses éléments disparates. L'école Bishop Strachan (1913), à Toronto, accuse une simplification géométrique néanmoins accompagnée de détails décoratifs exécutés avec finesse. La chapelle du Ridley College, à St Catharines, l'Emmanuel College, à Toronto (1932) et l'église Knox d'Ottawa marquent, par leur austérité et leur carrure, l'aboutissement de l'utilisation du gothique moderne dans l'oeuvre de Sproatt.

Un autre adepte du gothique au Canada fut Edward J. Lennox (1855-1923). Il avait déjà construit plusieurs édifices victoriens avant de se tourner vers le gothique moderne en 1910 avec l'église St Paul, à Toronto. Plusieurs autres architectes pratiquèrent le gothique. Parmi les plus importants citons Eden Smith (1858-1949), John A. Pearson (1867-1940) et Alfred H. Chapman (1878-1949). Le premier construisit St John's Garrison Church, à Toronto, malheureusement disparue, exemple probablement unique d'un édifice gothique influencé par l'Art Nouveau. Le second s'adonna à plusieurs styles dont deux édifices en gothique: le Parlement d'Ottawa reconstruit après l'incendie de 1916 et le Trinity College (1923-1925), à Toronto, qui est un rappel de l'ancien édifice de la rue Queen construit par Kivas Tully. Chapman, associé à James Oxley (1883-1957), construisit en 1908 la Rosedale Presbyterian Church, en 1912 1e Knox College et en 1927 1e Havergal College, tous à Toronto. Comparée à celle de Sproatt cette architecture est lourde et sans vie. Plusieurs autres architectes adoptèrent le gothique moderne, surtout à Toronto mais également à Hamilton et à Vancouver. Montréal demeura à l'écart étant donné le peu de popularité de cet engouement néo-gothique auprès de ses architectes majoritairement francophones.

Dans les années 1950 le style architectural international donna définitivement le coup de grâce au gothique mourant. Cet abandon tardif démontre à la fois le conservatisme canadien et le succès du gothique. Sa simplification stylistique représente la contribution des architectes canadiens au modernisme. Le gothique moderne reflète ainsi la simplicité et la réserve des Canadiens, tout en étant un produit modestement distinctif de son pays et de son époque.

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