CONGRÈS NATIONAL SUR LA NÉGOCIATION COLLECTIVE ET L'ACTION POLITIQUE TORONTO DU 4 AU 7 JUIN 1996


CONGRÈS DES TCA SUR LA NÉGOCIATION COLLECTIVE ET L'ACTION POLITIQUE

Le Congrès des TCA sur la négociation collective et l'action politique s'adresse aux présidentes et présidents des sections locales et des unités ainsi qu'aux déléguées et délégués au Congrès statutaire des TCA de 1994.

Le programme de négociation collective adopté au Congrès est le programme qui s'applique au syndicat dans son ensemble et qui est transposé dans chaque section locale des TCA, dans tous les secteurs, qu'il touche des travailleuses et travailleurs de bureau, des membres des corps de métiers ou des employés de la production. De plus, le Congrès a pour but de tenir des discussions sur un programme d'action politique et de mesures législatives, programme qui constituera l'orientation politique du syndicat.

Le programme issu du Congrès, tant en matière d'action politique que de négociation collective, devient le programme d'action des TCA.

Le Comité du Congrès a accepté les résolutions soumises par les sections locales et par la Conférence des corps de métiers. Le Conseil québécois a approuvé le programme législatif pour la province du Québec.

RAPPORT AU CONGRÈS DE 1996 SUR LA NÉGOCIATION COLLECTIVE ET L'ACTION POLITIQUE

«...les solutions offertes par le monde des affaires, par le gouvernement fédéral et par de nombreux gouvernements provinciaux reviennent tout simplement à nous donner encore davantage de ce qui nous a amenés au point où nous en sommes : plus de dépendance envers les marchés et des entreprises non réglementées, une expansion de l'ALE pour en faire l'ALENA, plus de restrictions et plus de réductions.
«Lorsque nous leur disons NON!, nous leur disons : Nous savons que ces politiques ne fonctionneront pas. Nous savons que cela rendra les choses encore pires. Nous allons résister et riposter, parce que c'est là la première étape - et la seule façon - pour obtenir d'autres solutions de rechange et d'autres orientations inscrites au programme public.»
- Programme de négociation collective et d'action politique des TCA, mai 1993

Lors de notre dernier Congrès sur la négociation collective et l'action politique (en mai 1993), nous avons parlé de la nécessité de bâtir un mouvement de protestation pour contester l'orientation donnée à notre économie et à la société. Alors que notre prochain Congrès est sur le point de s'ouvrir, le mouvement que nous attendions et que nous avons travaillé à faire advenir s'éveille enfin au Canada. Mais quand nous discutons de la façon de le renforcer et de lui donner de la profondeur, du but vers lequel il doit tendre et des priorités sur lesquelles il doit se concentrer, deux questions nous reviennent constamment à l'esprit :

Que diable se passe-t-il en ce moment? Comment se fait-il que des choses que nous tenions pour acquises à des époques antérieures, moins prospères, sont maintenant attaquées?

Pouvons-nous vraiment faire quoi que ce soit pour changer les choses, étant donné la mondialisation de la production et de l'argent, et la dette que nous avons sur les bras?

Si nous ne nous attaquons pas de front à ces questions, nous ne pourrons pas continuer à consolider notre effectif ni donner de l'expansion à notre mouvement. Nous devons avoir une prise sur notre époque et en venir à formuler, sinon des solutions complètes, à tout le moins certaines orientations claires.

1. La grande ligne de partage


«[...] de 1950 à 1973, les pays industrialisés ont connu une période d'expansion de la production et de la consommation sans précédent dans l'histoire [...] Depuis, le taux de croissance du PIB mondial a chuté de moitié [et] le taux de chômage a atteint des niveaux qui étaient impensables au cours de la période précédente.»
- Le chômage mondial en 1995, OIT (Nations Unies)

Notre économie et notre société ont connu une transformation tout à fait fondamentale depuis le début des années 1970. Cela a changé notre mode de vie et nos attentes. Mais il semble que nous n'ayons pas saisi toute l'ampleur de ce changement et que nous ne soyons pas parvenus à déterminer comment y réagir.

Les économistes divisent généralement le demi-siècle qui s'est écoulé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en deux périodes opposées. Les quelque vingt-cinq premières années ont été appelées l'«Âge d'or»; la deuxième période pourrait être appelée l'«Âge de l'insécurité permanente». En une génération, le taux de croissance est tombé à la moitié de son niveau antérieur, le taux de chômage a doublé, les emplois convenables sont devenus l'exception, les salaires réels ont cessé de s'accroître, les excédents budgétaires se sont transformés en déficits chroniques et les programmes sociaux mis en place avec fierté vers la fin de la première période ont été démantelés au cours de la deuxième – tout d'abord lentement, puis à un rythme accéléré.

La grande ligne de partage

Croissance:

Au cours des 25 premières années qui ont suivi la guerre, la croissance économique moyenne au Canada et dans les autres pays capitalistes correspondait à environ 5 %; au cours des 25 années suivantes, elle est tombée à moins de 2,5 %.

Emplois:

Durant la première période, le taux de chômage au Canada s'est situé en moyenne sous la barre des 4,5 %; durant la deuxième, il a doublé pour dépasser les 9 %.
Pendant la première période, le pire taux de chômage au Canada a été de 7,2 %. Pendant la deuxième, le meilleur taux a été de 7,5 %.

Évolution des emplois:

Au cours des deux dernières décennies, la population active s'est accrue de près de 4 millions de personnes, mais le nombre d'emplois dans le secteur de la fabrication a diminué. Les emplois du secteur des services se sont accrus d'environ 50 %.
Le tiers des nouveaux emplois créés depuis le milieu des années 1970 étaient à temps partiel (dans plus du tiers des cas, les travailleurs voulaient des emplois à temps plein, mais ne parvenaient pas à en trouver).
Après la guerre, les femmes sont retournées à la maison. Depuis le milieu des années 1970, deux nouveaux travailleurs sur trois sont des femmes.

Salaires:

Durant les 25 ans qui ont suivi la guerre, les salaires réels (après inflation) du secteur de la fabrication ont presque doublé, augmentant d'environ 96 %. Au cours des 25 années suivantes, cette proportion a chuté à environ 27 %, dont la plus grande partie s'est produite durant les années 1970.
Depuis 1980, il n'y a eu à toutes fins utiles aucune augmentation du salaire moyen après inflation.

Taux d'intérêt
: Les taux d'intérêt à court terme rajustés en fonction de l'inflation se situaient en moyenne au-dessous de 2 % au cours des décennies 1950, 1960 et 1970. Durant les années 1980 et 1990, leur moyenne s'élevait à plus de 6 %.
Au cours des 15 dernières années, les taux d'intérêt moyens sur les hypothèques, rajustés en fonction de l'inflation, correspondaient au double de ce qu'ils étaient pendant les 15 années précédentes.

Déficits:

Entre 1946 et 1970, le budget du gouvernement fédéral a été excédentaire aussi souvent qu'il a été déficitaire. Au cours des 20 dernières années, il n'y a jamais eu d'excédent au fédéral.
Pour chaque dollar que le gouvernement fédéral consacre aux programmes sociaux (santé, éducation, assurance-chômage, pensions, bien-être social), nous payons à présent 63 cents d'intérêt sur la dette.

Ce n'est pas que les vingt-cinq premières années de l'après-guerre ont été des années si glorieuses. Le patronat a consolidé sa mainmise sur le milieu du travail après le militantisme des années 1930 et 1940; le rôle de la femme a de nouveau été confiné à la maison; la pauvreté (tout particulièrement chez les personnes âgées) s'est accrue tout au long des années 1950 et jusqu'au début des années 1960; les provinces de l'Atlantique se sont souvent demandé si la Crise était vraiment terminée; la menace nucléaire s'est immiscée dans la vie quotidienne; enfin, nos gains ne nous ont pas été tout simplement donnés en cadeau, mais il a souvent fallu livrer une âpre lutte pour les obtenir.

Pourtant – tout à fait à l'opposé de l'époque actuelle –, on avait l'impression durant cette première période que les problèmes économiques et sociaux pouvaient être atténués, que les lendemains seraient meilleurs, que les fils et les filles auraient assurément plus de sécurité et de mieux-être que leurs parents. Au cours de la deuxième période, cet optimisme a périclité jusqu'à disparaître.

Ce que ces changements ont de si étonnant, c'est qu'ils se sont produits en dépit d'autres tendances qui, si le bon sens avait prévalu, auraient dû entraîner une amélioration, et non une dégradation de notre sort :

Pourquoi – si, à présent, nous travaillons un plus grand nombre d'heures, nous travaillons plus dur, nous sommes mieux instruits pour effectuer notre travail et nous sommes plus productifs – la situation empire-t-elle? Pourquoi y a-t-il cette contradiction entre le potentiel de notre main-d'oeuvre et la réalité des récompenses limitées que nous tirons de notre labeur?

2. Les entreprises se radicalisent

«La classe dirigeante ne veut qu'une chose : tout.» - Michael Parenti

Le boom économique de l'après-guerre a été attribuable à plusieurs facteurs exceptionnels : le potentiel commercial des innovations technologiques mises au point au cours de la guerre; la reconversion des usines à la production de temps de paix; la reconstruction d'une Europe et d'un Japon dévastés; la forte demande de biens de consommation refoulée pendant 15 ans de crise économique et de restrictions de temps de guerre; enfin, la concurrence avec le communisme, chacun des deux systèmes tentant de prouver qu'il était le mieux à même de «livrer la marchandise» à sa population.

Dans tous les pays, le patriotisme et les sacrifices imposés par la guerre ont entraîné une augmentation de la demande générale d'amélioration des conditions de vie, de la sécurité et de l'équité. Un mouvement ouvrier vigoureux, qui prenait de l'ampleur, a exprimé clairement ces revendications et arraché des concessions à des entreprises et à des gouvernements inquiets. Ces concessions portaient non seulement sur les gains obtenus à la table de négociation, mais aussi sur la mise en place de l'«État providence» – une série d'institutions et de programmes nationaux qui visaient à garantir à tous les citoyens au moins un minimum de sécurité et d'équité.

Mais ces gains des travailleurs ont donné naissance à une contradiction. Après que l'Europe et le Japon eurent rebâti leur économie, la concurrence entre les pays capitalistes s'est intensifiée, ce qui a accru les pressions exercées sur les profits. Les entreprises ont bien sûr tenté de protéger leurs profits et ont fait en sorte de reporter ces pressions sur les travailleurs. Puisque les travailleurs se sentaient à présent suffisamment forts et en sécurité pour résister aux pressions en milieu de travail, les entreprises se sont tournées vers les travailleurs-consommateurs et ont augmenté leurs prix pour maintenir leurs profits. Les travailleurs ont réagi en réclamant des augmentations de salaire correspondantes, ce qui a engendré un cycle d'escalade des prix.

L'augmentation constante des prix a eu des répercussions négatives sur la compétitivité internationale des entreprises. De plus, les banques – qui ont de tout temps constitué un segment particulièrementfort de l'élite patronale canadienne – voyaient en l'inflation l'incarnation de Satan. L'inflation réduisait la valeur de l'argent et des autres actifs détenus par les banques, puisqu'elle amenuisait la quantité de biens que toute cette richesse permettrait d'acheter dans l'avenir.

Les entreprises n'allaient pas tarder à tirer une conclusion dramatique et radicale – conclusion qui allait dominer notre vie et notre univers politique jusqu'à la fin du siècle actuel et, sans doute, pendant tout le début du 21e siècle. C'était la suivante : la défense et l'expansion de leurs profits n'étaient plus compatibles avec les gains que les travailleurs avaient réalisés au cours des décennies précédentes.

Les attentes des travailleurs, soutenues par la sécurité qu'ils avaient conquise, limitaient la capacité des entreprises d'arriver à leurs fins dans le milieu de travail et dans la société. Il fallait que quelque chose cède. Dans ce nouvel environnement, de simples rafistolages ne permettraient pas de résoudre les préoccupations des entreprises. S'il fallait en venir à choisir entre les profits et les besoins des travailleurs ou les besoins sociaux, les entreprises savaient qu'elles se devaient de bien préparer le terrain et d'agir de façon décisive. Elles se sont approprié le programme politique.

Un assaut a été lancé – non seulement au Canada, mais dans tous les pays capitalistes développés – contre la confiance et le pouvoir des travailleurs et de leurs syndicats. Les résultats ont été différents d'un pays à l'autre. L'élite du monde des affaires, et les hommes et femmes politiques qui lui obéissaient, ont peut-être été davantage conscients de leur programme dans certains pays que dans d'autres, et le rythme du changement a varié en fonction de la force des entreprises aussi bien que de la résistance opposée par les travailleurs. Mais partout, on s'est attaqué non seulement aux normes passées de rémunération, d'avantages sociaux et de conditions de travail, mais aussi aux structures qui soutenaient les revendications de la classe ouvrière – comme les lois ouvrières favorables et un filet de sécurité sociale qui assuraient une protection contre les pertes d'emploi.

Par-dessus tout, le taux de chômage s'est accru. Il avait commencé à s'élever «spontanément» avec la crise économique du début des années 1970. Mais plutôt que de mettre l'accent sur des plans d'urgence en vue de créer des emplois, les priorités nationales ont basculé vers la lutte contre l'inflation et l'on a laissé grimper le taux de chômage. Le raisonnement sous-jacent était très simple : l'inflation constituait la principale préoccupation de l'élite économique (dirigée par les banques), tandis que rien ne divisait, ne démoralisait et ne minait davantage les travailleurs que la peur constante de se voir refuser l'accès à des emplois.

3. Les fausses promesses : l'échec de l'Ordre nouveau

«[...] la pilule sera dure à avaler - l'idée de se contenter de moins pour que les grandes entreprises puissent en avoir plus [...] – rien dans l'histoire économique moderne ne se compare, en termes de difficulté, au travail de "vente" que l'on doit maintenant faire pour amener les gens à accepter la nouvelle réalité.» - Business Week, 1987

Les entreprises se sont mobilisées autour d'un message où se combinaient la peur (si vous ne prenez pas le virage, vous perdrez encore plus vite ce que vous avez actuellement), la résignation (il n'y a pas de solution de rechange) et – facteur important entre tous – les promesses d'un retour à la prospérité par la suite (les sacrifices actuels sont le prix nécessaire à payer).

Dans sa manifestation concrète, l'offensive idéologique des entreprises s'est polarisée autour de la compétitivité et de la réduction du déficit. Ces deux objectifs nous ont été «vendus» comme étant les conditions du succès et ils ont contribué de façon cruciale à nous discipliner afin que nous jouions selon les règles du patronat. La compétitivité était l'instrument qui servait à mettre les travailleurs au pas dans le milieu de travail et lors des négociations. La réduction du déficit était l'instrument destiné à empêcher les gouvernements élus, vulnérables aux pressions populaires, de donner de l'expansion aux programmes sociaux ou même, simplement, de les maintenir au même niveau.

Le problème – auquel le monde des affaires a fini par se heurter tout autant que nous –, c'est que les solutions qu'il préconisait aggravaient les problèmes qu'elles étaient censées régler. L'orientation imposée par le monde des affaires a légué un héritage de stagnation permanente, d'augmentation des profits liée à la réduction des emplois convenables et de déficits qui allaient croissant en dépit des compressions dans les programmes (voir l'encadré aux pages 9 et 10).

Nous avons maintenant vécu deux décennies de la révolution du monde des affaires. Ce dernier a eu l'occasion de faire mettre en place les éléments clés de son programme – promettant, chaque fois qu'une mesure était appliquée, que celle-ci allait enfin régler le problème. Pour nous, cela a signifié le contrôle des salaires, le recul des conventions collectives dans le secteur public, une croisade contre l'inflation, le libre-échange et une intégration accrue avec les États-Unis, une inégalité croissante sur le marché, des pots-de-vin versés aux entreprises pour qu'elles jouent le rôle qu'elles sont censées jouer, une «réforme» fiscale qui a encore accentué cette inégalité sur le marché, l'érosion des droits conférés par la loi aux syndicats, la privatisation de biens appartenant à la société, la déréglementation de secteurs clés et les compressions dans les programmes sociaux.

À la fin de toute cette série de mesures, nous pouvons affirmer, avec force et avec une légitime colère, que les solutions apportées par les membres de notre élite économique nous ont lamentablement fait défaut alors même que leurs propres privilèges demeurent solidement intacts. Il est temps d'exposer au grand jour ce fiasco destructeur et de remettre en question leur crédibilité. Il est temps de les tenir responsables du pétrin dans lequel nous sommes et de contester le rôle de leadership qu'ils jouent dans notre économie et notre société.

La dynamique économique du fiasco du monde des affaires, ou Les choses vont empirer avant qu'elles ne puissent... empirer encore

i)"L'austérité compétitive" et la stagnation internationale

Dans leur lutte en vue de devenir les plus compétitifs, les entreprises et les pays tentent de sabrer leurs propres coûts; cela engendre une course vers le bas qu'un politicologue a appelée l'"austérit; compétitive". Les inquiétudes suscitées par le risque de fléchissement de la demande intérieure dans chaque pays sont balayées du revers de la main et l'on insiste sur le potentil que recèlent les plus vastes marchés internationaux.

Mais qu'arrive-t-il si chaque entreprise et pays, sous la pression des autres, se sent forcé de participer à cette course? Qui achètera les biens produits? Ce qui paraît sensé pour une entreprise ou un pays ne marche plus lorsqu'on l'applique à tous. Il peut y avoir quelques gagnants, mais dans l'ensemble, la demande internationale de biens et services s'affaiblit, les économies stagnent, des biens d'équipement précieux sont inutilisés et les problèmes de chômage ne se règlent pas.

4. Les occasions ratées : l'échec de la gauche

«[...] Il peut y avoir un ou deux dirigeants d'entreprises qui ont, à tort, l'impression que seuls les hommes et femmes politiques occupent leurs fonctions selon le bon vouloir de la collectivité. Rappelons-leur ceci : le capitalisme existe par consentement populaire et la répétition inconsidérée de mantras sur l'efficacité et de louanges à la "valeur accrue pour les actionnaires" n'aura pas gain de cause si le public décide que le système économique n'agit plus dans son intérêt.»
- David Olive, rédacteur en chef, «Report on Business Magazine», Globe and Mail, avril 1996

«Une réaction de plus en plus vive menace [de perturber] l'activité économique et la stabilité sociale de nombreux pays [...] Cela pourrait facilement tourner à la révolte [...] L'opinion publique ne se contente plus de professions de foi sur les vertus et les avantages futurs de l'économie mondiale. Elle veut de l'action.»
- Allocution d'ouverture au Forum économique mondial (réunion clé de leaders internationaux du monde des affaires et de la politique), citée dans l'International Herald Tribune le 1er février 1996

Le monde des affaires, n'étant pas parvenu à «livrer la marchandise», est devenu de plus en plus vulnérable à la critique. Pourtant, c'est la social-démocratie qui reste sur la défensive. Pourquoi n'avons-nous pas tiré parti de l'occasion évidente qui s'offrait à nous? Pourquoi avons-nous été à ce point incapables de bâtir un mouvement politique efficace pour contrer le programme mis de l'avant par les entreprises?

Personne ne peut plus nier le potentiel d'émergence d'une rébellion contre ce qui nous arrive. Les syndicats, leurs alliés et, tout particulièrement, les travailleurs de la base ont confirmé ce potentiel par leur action à London, à Hamilton et à Kitchener, par les vastes et persistantes protestations dans les provinces de l'Atlantique, par les enthousiastes manifestations des enseignants, par la dignité dont ont fait preuve les employés de la fonction publique de l'Ontario lors de leur toute première grève et par maintes luttes partout au pays. Le climat politique change et la droite est devenue un peu plus hésitante, un peu plus inquiète, un peu moins sûre d'elle.

Ce qui semble manquer, c'est le leadership politique – pas dans le sens de personnes prêtes à s'engager, mais bien dans le sens des idées, des structures, du processus, de l'orientation. Nous ne pourrons pas redonner du souffle à notre aile politique si nous n'abordons pas de front les raisons pour lesquelles elle a laissé passer les occasions qu'elle a ratées. Quatre aspects intimement liés de l'histoire du CCF/NPD depuis la fin de la guerre semblent fournir des indices qui expliquent la situation difficile dans laquelle le parti se trouve :

1. La social-démocratie a supposé que le capitalisme continuerait d'engendrer une croissance régulière. En conséquence, le NPD ne se donnait plus pour rôle de contester le système, mais bien de le modérer. Lorsque le ralentissement de l'économie est devenu chronique plutôt que temporaire et cyclique, le NPD a été pris au dépourvu. Nous n'avions pas de réponses à apporter quant à la façon de faire face à la restructuration économique ou à l'endroit, maintenant que les déficits imposants étaient devenus la norme, où nous irions chercher l'argent nécessaire pour les programmes sociaux.
2. Notre radicalisme a été dépassé par celui des entreprises. Les entreprises – comme nous l'avons vu plus haut – ont conclu que les choix concernant l'orientation future de la société étaient devenus polarisés. Elles se sont énergiquement organisées pour faire appliquer le programme radical qui était, de leur point de vue, nécessaire. Nous, de notre côté, avons continué de faire du rafistolage dans notre tiède position centriste, avec comme résultat prévisible qu'en dépit de nos efforts pour l'éviter, nous sommes tombés dans le piège qui consistait à argumenter sur leur propre terrain.
Les sociaux-démocrates n'ont pas contesté les aspects fondamentaux de l'orientation vers la compétitivité, mais ont plaidé en faveur d'une naïve «compétitivité progressiste». Lorsque les sociaux-démocrates se sont penchés sur le déficit, ils n'ont remis en question ni les inégalités fondamentales dans la société ni le pouvoir antidémocratique des banques, mais ont plaidé en faveur de «compressions faites avec humanité». C'est ainsi que notre camp s'est retrouvé désarmé tandis que le camp adverse posait les balises du débat public. Nous avions été assouplis en prévision des sacrifices à venir; ils consolidaient leurs plans.
3. Les sociaux-démocrates ont fait de l'interventionnisme de l'État le critère du gauchisme. Mais pour bon nombre de nos membres, les gouvernements et les institutions de l'État sont distants, bureaucratiques, importuns, prévenus en faveur des employeurs et des riches, responsables d'impôts et de taxes inéquitables, etc. Nous ne pourrons pas venir à bout de ce cynisme si nous fermons les yeux sur les éléments valables de l'expérience des travailleurs. La question n'est pas de savoir s'il faut davantage ou moins d'intervention de la part de l'État, mais bien quel genre de gouvernement il nous faut, quel rôle il doit jouer, au nom de qui, et avec quel genre de relation démocratique avec nous.
Cette question est apparentée à celle de nos attentes par rapport aux gouvernements amis. Nous ne travaillons pas à faire élire un gouvernement du NPD pour qu'il puisse devenir «le gouvernement de tous les citoyens». Ce à quoi nous nous attendons, c'est qu'un gouvernement social-démocrate se joigne à nous dans la lutte pour la démocratisation de notre économie – c'est-à-dire, qu'il se serve de son mandat pour amener l'économie à servir les intérêts des travailleurs plutôt que ceux de l'élite économique.
4. En nous concentrant – ce qui était compréhensible – sur la politique électorale, nous sommes passés à côté de l'importance de nous organiser, de nous constituer une base solide et étendue apte à vraiment changer les choses. Nous ne disposons pas, comme les entreprises, d'un pouvoir et de ressources qui exercent leur action du sommet vers la base; donc, même lorsque nous sommes élus, nous nous retrouvons dans l'impossibilité d'atteindre nos buts – à moins d'avoir aussi influencé le climat politique général du pays, mobilisé les gens pour qu'ils agissent entre les élections et créé des structures grâce auxquelles nous pouvons lutter.

5. Bâtir une opposition

«La mélancolie dans laquelle une si grande partie de la gauche a sombré ces dernières années est de courte vue. Car, de quelque côté que l'on se tourne, il y a de l'effervescence, des griefs sont exprimés, des revendications sont faites, des droits sont affirmés [et] une bonne part des voix qui s'expriment parlent un langage qui s'accorde très bien avec les aspirations socialistes.»
- Leo Panitch et Ralph Miliband, 1992

La formulation de politiques de rechange par rapport aux politiques dominantes est une fonction cruciale de tout mouvement social. Mais l'enjeu le plus fondamental consiste à formuler une action politique de rechange – à nous doter du pouvoir d'appliquer nos solutions. À l'époque actuelle, alors que nous sommes beaucoup sur la défensive, l'essence d'une action politique de rechange est de bâtir une opposition efficace.

Cette notion politique a été saisie plus clairement par le mouvement ouvrier que par son aile politique. Alors que le mouvement ouvrier était à la recherche d'une réponse efficace à la nouvelle combativité des entreprises, il s'est produit un important changement dans ses rapports avec le NPD. Il n'est pas exagéré de dire qu'au cours de la dernière décennie, le vrai leadership politique au sein de la gauche est passé aux mains du mouvement ouvrier lui-même.

Ce sont les syndicats, de concert avec d'autres militants sociaux à l'extérieur du NPD, qui ont compris l'importance du débat sur le libre-échange et ont dirigé la lutte contre celui-ci. Ce sont les travailleurs qui se sont attaqués au programme politique patronal et qui ont compris que les concessions et les compressions dans les programmes sociaux ne pouvaient pas déboucher sur la prospérité. Ce sont les travailleurs, leurs syndicats et les groupes communautaires – et non pas le NPD – qui ont conçu et organisé les remarquables manifestations qui ont touché des villes entières en Ontario, et mobilisé les citoyens en colère dans les provinces de l'Atlantique. Et ce sont les femmes de la classe ouvrière, sur l'initiative du Comité canadien d'action sur le statut de la femme et du CTC, qui sont à présent plongées au coeur d'une campagne ambitieuse et exaltante destinée à faire le lien entre les compressions dans les programmes sociaux, l'absence d'emplois convenables, la pauvreté, la justice et la dignité.

Voilà de l'action politique. C'est de l'action politique telle qu'elle devrait être, qu'elle se doit d'être pour atteindre les buts que nous poursuivons. Cela met des grands enjeux sous le feu des projecteurs et cela les replace en perspective. Cela mobilise les frustrations et cela tente de les canaliser de façon constructive. Cela force à tenir un débat qui dépasse les balises normales fixées par les médias et cela contribue à transformer le climat politique qui nous environne. Cela relie l'intérêt national et l'intérêt de la collectivité à nos droits et préoccupations plutôt qu'à ceux des entreprises. Cela intègre de nouveaux citoyens à la participation active contre ce qui leur arrive et ce qui arrive à leur collectivité. Cela sensibilise, cela revigore, cela engendre de la confiance, cela rehausse les compétences organisationnelles.

Dans ce contexte, où la politique électorale s'insère-t-elle? Il est assurément vrai que la politique électorale ne peut pas et ne devrait pas être abandonnée aux entreprises. Mais l'expérience récente nous a aussi appris que la politique ne pouvait pas être abandonnée aux politiciens. L'action politique doit aller au-delà du vote ou de la préparation en vue du vote. Et la politique électorale ne peut être pertinente que si elle est non seulement appuyée par un mouvement d'opposition, mais si elle fait aussi partie intégrante de ce mouvement.

Pour ce qui est des militants des TCA qui ont déserté les rangs du parti, leur retour ne peut pas se faire sur la simple base d'un maintien du statu quo antérieur. Si nous réintégrons les rangs du parti, il n'est que logique de le faire avec un programme clair sur les enjeux politiques et, facteur plus important encore, avec une notion plus claire du genre de parti organisateur dont les travailleurs ont besoin. Nos récentes luttes nous ont changés. Nous devons faire entrer ce changement avec nous au parti, et non pas le laisser à la porte.

6. Des emplois, des emplois, des emplois... et les banques

«Les bonnes nouvelles économiques font dégringoler les actions» «Des mauvaises nouvelles qui font du bien à l'économie» «La croissance fait frissonner les marchés»
- Manchettes récentes de journaux

Essayons de suivre le raisonnement suivant. Pour réduire le chômage, il faut s'efforcer de rendre les actionnaires heureux afin qu'ils investissent dans des emplois. Mais, s'il y a le moindre indice du fait qu'une croissance et des emplois s'annoncent, la valeur des actions descend et Wall Street et Bay Street font pression pour qu'on serre la vis à l'économie afin de la ralentir. Ainsi, les bonnes nouvelles deviennent de mauvaises nouvelles et les mauvaises nouvelles deviennent de bonnes nouvelles.

Quelle que soit la logique que ce raisonnement peut avoir pour les capitalistes, il reste que nous ne pouvons pas amener le programme politique national à adopter une logique différente simplement en formulant nos propres politiques de rechange. Tant que nous n'aurons pas mobilisé le genre de moyens de pression qui forceront les capitalistes à faire face aux coûts économiques et politiques réels de leur logique absurde, il ne sera pas question, pour eux, de nous concéder quelque revendication que ce soit.

Le rôle des politiques de rechange doit donc être envisagé dans le contexte suivant : elles servent à établir notre crédibilité et à mobiliser nos forces en vue de bâtir les moyens de pression et le pouvoir nécessaires. Il y a déjà de nombreuses idées de politiques utiles qui circulent; nous avons incorporé certaines d'entre elles dans le document de notre dernier Congrès sur la négociation, le CTC et le NPD ont lancé certaines idées très constructives et il y a d'excellentes idées, particulièrement à propos de la manière d'intervenir face au déficit, dans l'Alternative au budget co-parrainée par le mouvement ouvrier.

Le principal enjeu politique sur lequel nous voulons nous concentrer au cours des deux prochaines sections est celui des emplois. Pour les travailleurs, aucune revendication n'est plus fondamentale que le droit de participer à l'économie avec une certaine mesure – quelque limitée qu'elle soit – d'indépendance et de dignité. Le taux de chômage élevé gaspille notre potentiel individuel et sabote notre capacité collective de préserver de précieux programmes sociaux. À cause de la concurrence pour obtenir des emplois et de l'insécurité qui s'ensuit, le chômage mine également la solidarité et affaiblit la position de négociation des gens qui travaillent.

Mais la question ne s'arrête pas simplement au nombre d'emplois. Dans une large mesure, nous avons pour raison d'être, à titre de syndicat, d'améliorer la nature de nos emplois. Donc, quand nous réclamons des emplois, nous voulons dire que nous avons droit à des emplois convenables. Il n'y a pas si longtemps (surtout durant le débat sur le libre-échange), les entreprises, les économistes, les éditorialistes et les hommes et femmes politiques soutenaient qu'il ne fallait pas craindre la restructuration économique, mais se féliciter de sa venue. Les changements, proclamaient-ils, feraient grimper le nombre d'emplois convenables, d'emplois «haut de gamme». Bien entendu, cela ne s'est pas produit. Dans leur offensive entièrement axée sur la souplesse et les profits, les entreprises :

Cette érosion des emplois convenables a été renforcée par les politiques publiques. Derrière la rhétorique d'une préparation du Canada en prévision de l'économie de haute technologie et à gros salaires du siècle à venir, se trouve une série de politiques structurées de manière à atteindre un objectif contraire : l'application aux emplois d'une stratégie de faibles salaires et d'augmentation de la pauvreté. Voilà le fil conducteur stratégique de politiques qui : font en sorte qu'un vaste bassin de chômeurs se concurrencent les uns les autres; réduisent les prestations d'assurance-chômage et de bien-être social pour forcer les gens à accepter n'importe quel emploi; instaurent le travail obligatoire pour les assistés sociaux (l'«assistance-travail») à des salaires et dans des conditions qui ne peuvent pas être contestés; privatisent et confient en sous-traitance des emplois syndiqués du secteur public à des intermédiaires avides de profit.

N'est-il pas intéressant de constater que les riches ont besoin de stimulants positifs pour travailler plus fort, tandis que la hausse du salaire minimum pour les pauvres est considérée comme improductive et que le seul stimulant légitime à appliquer aux chômeurs consiste à réduire leurs prestations? (Conclusion étonnante : mieux vaut être riche.)

Dans ses premières années, la social-démocratie tenait pour acquis que les entreprises et le marché ne pouvaient pas et ne voulaient pas assurer le plein emploi à des salaires convenables. Si nous voulions nous attaquer à la question des emplois, nous devions parler de planification démocratique – démocratique, parce que nous voulions une planification qui répondrait aux besoins de l'ensemble de la population et non pas aux exigences des entreprises.

Aujourd'hui, les entreprises et les hommes et femmes politiques nous rappellent par mégarde que ce principe est tout aussi vrai, sinon encore plus vrai aujourd'hui. Lorsqu'ils nous sermonnent sur «ce que nous n'avons pas les moyens de nous offrir», alors qu'environ deux millions de personnes se voient refuser la possibilité d'effectuer un travail productif et, donc, de fournir «ce que nous n'avons pas les moyens de nous offrir», ils nous disent en réalité que nous ne pouvons pas régler nos problèmes dans les balises imposées par des décisions basées sur le profit et sur les forces du marché. Les tentatives boiteuses que fait l'élite économique pour justifier son inaction, loin d'atteindre le résultat recherché, exposent au grand jour l'échec illogique et profond du système économique que cette élite représente.

Il nous est impossible de progresser vers une quelconque forme de planification si les grandes décisions qui touchent l'économie – l'investissement et la circulation de capitaux qui détermineront si nous aurons des emplois, l'endroit où nous en aurons et le genre d'emplois que nous aurons – sont laissées aux mains d'une minorité qui agit à titre privé. Si nous ne sommes pas prêts à défier les entreprises et, tout particulièrement, le secteur de la finance sur cette question, il nous sera absolument impossible d'atteindre l'objectif de l'obtention d'emplois convenables (ou, soulignons-le, tout autre objectif comme la suppression des contraintes exercées par le déficit sur le genre de programmes sociaux dont nous pourrons bénéficier).

7. La redistribution du temps de travail

«Le travailleur de l'automobile [...] demande que ses heures de travail soient progressivement réduites à mesure que sa productivité augmente grâce à la machinerie moderne.» - Préambule des premiers Statuts des TUA, août 1935

Si la revendication la plus importante de la classe ouvrière a été celle du droit à un emploi convenable, la deuxième en importance a été celle de l'augmentation du temps passé en dehors de cet emploi. Cette revendication n'avait habituellement pas pour objet – contrairement à aujourd'hui – de permettre à d'autres de travailler. Elle était le plus souvent issue de la volonté de reconquérir un peu de temps pour le passer avec sa famille, lire et se perfectionner, et prendre part à la vie démocratique et politique de la collectivité.

À bien des égards, ces enjeux devraient être aujourd'hui d'importance égale ou supérieure, particulièrement avec les changements survenus dans le rôle des femmes sur le marché du travail et les responsabilités familiales et avec le potentiel manifeste qu'offre la nouvelle technologie. Mais l'absence d'emplois disponibles a transformé la question du temps de travail en une question d'emplois. Et il ne s'agit pas seulement d'emplois pour les chômeurs; il y a des centaines de milliers de Canadiens, bloqués dans des emplois à temps partiel, qui veulent que leurs heures de travail augmentent pour se rapprocher du niveau des emplois à temps plein (c'est pourquoi nous parlons de «redistribution» du temps de travail et non pas uniquement de «réduction»).

C'est aux compagnies qu'incombe la responsabilité de modifier le temps de travail : elles prennent les décisions fondamentales qui structurent nos choix. De plus, les politiques publiques renforcent en réalité la polarisation du temps de travail plutôt que de la corriger. La privatisation de l'État providence (c.-à-d., les réductions dans les programmes sociaux et la dépendance accrue envers les régimes des compagnies) fait augmenter les coûts fixes que l'entreprise doit assumer pour chaque employé. Cela a les effets suivants :

De même, en raison des compressions et des restrictions, les entreprises sont incertaines de leur croissance future et cette incertitude les rend réticentes à embaucher de nouveaux travailleurs. Le travail supplémentaire devient la solution de rechange. Le plafond imposé aux cotisations d'assurance-chômage signifie également qu'une fois que l'employé atteint un certain revenu (maintenant plus bas), aucune cotisation additionnelle ne doit être versée; autrement dit, les entreprises se voient offrir un stimulant, plutôt que de se faire imposer une pénalité, pour privilégier le travail supplémentaire plutôt que l'embauchage de nouveaux employés.

Pour les travailleurs, l'érosion des avantages fournis par l'État, comme les frais de scolarité subventionnés, et l'incertitude accrue face à l'avenir viennent intensifier les pressions qui les incitent à accepter le travail supplémentaire. Si nous ne parvenons pas à convaincre les travailleurs que les solutions collectives sont plus sensées (par exemple, la lutte contre les compressions), ils se tourneront vers la solution personnelle du travail supplémentaire. Cette dynamique s'installe en dépit du fait que, si chacun cherche à apaiser ses inquiétudes envers l'avenir de ses enfants en faisant du travail supplémentaire, cela finit par tourner au désavantage de tous. Le travail supplémentaire réduit le nombre de bons emplois disponibles.

Il est plus sensé, pour des considérations d'équité et si l'on songe à l'avenir, d'imposer des pénalités aux entreprises qui ont recours sans nécessité au travail supplémentaire (par exemple, une augmentation des cotisations d'assurance-chômage ou des cotisations à la Commission des accidents du travail pour ces heures supplémentaires), ou d'imposer un plafond au travail supplémentaire dans les collectivités où le taux de chômage est élevé, ou encore d'instituer une subvention à l'éducation correspondant à deux semaines payées pour chaque travailleur. Cette dernière solution serait bénéfique pour les travailleurs touchés (par exemple, un cours de deux semaines de familiarisation avec l'informatique), elle serait bénéfique pour la société puisque les travailleurs se perfectionneraient et amélioreraient leur bagage technologique, et elle créerait de nouveaux emplois puisqu'il faudrait remplacer les travailleurs pendant leur période de formation.

Nous pouvons lutter et faire pression en faveur de ces changements ou d'autres modifications, mais la réalité est la suivante : si nous ne luttons pas en milieu de travail pour obtenir une réduction du temps de travail, de meilleurs horaires et davantage de contrôle et de souplesse par rapport à notre propre temps, ce problème ne sera pas pris au sérieux dans le programme politique du pays. Nous en parlons depuis la création de notre syndicat dans les années 1930. Nous avons fait des progrès, mais nous n'avons pas réussi le genre de percée spectaculaire qui transformerait vraiment notre vie et aurait un effet véritable sur l'offre d'emplois. Plus nous reportons ce changement, plus le prix à payer est élevé.

Conclusion : une culture de la résistance

Bâtir une opposition efficace devant l'incapacité de plus en plus manifeste du capitalisme de répondre à nos besoins est une tâche qui débute auprès de nos propres membres. Si les travailleurs ne font pas l'expérience du pouvoir potentiel de l'action collective au sein de leur propre syndicat, ils n'auront aucune confiance en des formes plus distantes de protestation collective. Actuellement, les principaux enjeux chez nos membres de la base sont les conditions de travail, un contrôle accru sur notre temps et la sous-traitance – enjeux qui mettent directement en question les droits du patronat en milieu de travail. Se préparer à livrer ce combat est donc l'élément le plus crucial de l'évolution vers une lutte plus générale.

Nos racines dans le milieu de travail sont nées d'une résistance tenace face à la manière dont les patrons définissaient le progrès. Nous ne devrions pas nous sentir sur la défensive à cet égard. Nous résistons parce que, même si nous n'avons pas toujours des solutions de rechange complètes, nous savons que leurs solutions ne permettront pas de régler nos problèmes.

Quand nous rejetons la compétitivité, nous ne nions pas qu'il est crucial d'avoir une économie forte. Et nous ne fermons pas les yeux sur la réalité de la compétitivité, qui est une contrainte à laquelle nous aurons à faire face. Mais quand cette contrainte devient un but, elle domine l'ensemble des décisions économiques et sociales. Ce qui est bon pour la compétitivité (par exemple, consolider le pouvoir des entreprises) est «bon»; ce qui est mauvais pour la compétitivité (par exemple, des salaires plus élevés et davantage de sécurité pour les travailleurs) est «mauvais». Nous avons de bonnes raisons de nous opposer à cette orientation : elle nous force à jouer sur un terrain qui non seulement ne répondra pas à nos besoins (comme nous pouvons le constater tous les jours), mais qui, de plus, nous affaiblira pour les luttes à venir.

De même, quand nous refusons d'accepter les compressions budgétaires, nous ne nions pas la réalité des dettes et des déficits. Ce que nous rejetons, c'est la façon dont l'élite économique limite les éléments du débat. Puisque cette élite présuppose qu'on ne peut pas toucher aux riches et aux puissants (cela nuit à la compétitivité, cela effraie le monde des affaires), la seule solution qu'il lui reste est de s'en prendre à nous. Quand nous résistons, nous disons qu'il faut trouver une autre orientation – une orientation qui englobe les considérations de justice et d'équité et conteste ainsi les privilèges et le pouvoir.

Le fait est que la résistance est une stratégie, et qu'elle est parfois même la meilleure stratégie. Quand on riposte, on affirme son indépendance, on remporte quelques batailles et l'on ralentit l'avancée de l'autre camp. À toute époque, la résistance est un moyen crucial de maintenir certaines idées en vie et de jeter les bases qui permettront d'adopter des stratégies plus poussées par la suite. Au cours des deux dernières décennies, notre syndicat a résisté aux pressions qui voulaient le forcer à se conformer à la prétendue nouvelle réalité. Durant cette période, d'autres syndicats se sont joints à cette résistance, à l'occasion de fusions. Par suite de cette expérience, une «culture de lutte et de résistance» s'est épanouie au sein du syndicat. Cette culture nous a unis, nous a maintenus en mouvement, nous a définis à titre de syndicat. Comment, à présent, donnerons-nous de l'ampleur et de la profondeur à cet héritage, dans notre recherche de nouvelles stratégies et de nouvelles réponses?

Retour à la page d'acceuil